La digue de Richelieu
La digue de Richelieu est un ouvrage construit devant La Rochelle lors du siège mené entre 1627 et 1628 sous l'autorité du cardinal éponyme. Son rôle était double: interdire toute sortie vers le large aux bateaux rochelais et empêcher le ravitaillement de cette poche de résistance calviniste par les navires anglais.
Cité indépendante et prospère grâce aux franchises dont elle bénéficiait et à l'exportation de ses productions de vin et de sel vers les pays de la Ligue hanséatique, La Rochelle devint aux yeux de Louis XIII et de son ministre, la ville qu'il faut abattre. Lors du premier siège en 1621, le Cardinal de Richelieu avait fait appel à un ingénieur italien, Pompeo Targone, pour concevoir une digue barrant l'accès au port de La Rochelle. Mais l'ouvrage mis au point ne résista pas à la première grosse marée et son auteur fut donc congédié. Dès lors, on cessa de recourir aux ingénieurs italiens comme il était d'usage.
En 1627, Richelieu ordonne la construction d'une ligne de circonvallation, c'est à dire une fortification d'environ douze kilomètres de long sur quatre mètres de hauteur encerclant la cité. Mais cela n'empêche pas le ravitaillement des habitants par la mer. Le cardinal se tourne alors vers Clément Métezeau qui a gagné sa confiance en collaborant à l'édification de la Galerie du Louvre. S'inspirant de l'invention de son prédécesseur tout en lui apportant les améliorations nécessaires, l'architecte du roi conçoit le premier projet viable de la digue de La Rochelle en l'espace d'une nuit et le soumet ensuite au ministre de Louis XIII le 30 novembre 1627. Sur place, il est secondé par Jean Thiriot, entrepreneur parisien de maçonnerie. On prend soin de choisir un emplacement hors de portée des canons rochelais.
Richelieu donne son accord et prend le commandement des opérations. Dans ses Mémoires, il reconstitue en détail le dispositif mis en place :
Alors on entreprit à bon escient le siège de La Rochelle. Le duc d'Angoulême, les maréchaux de Bassompierre et et Schönberg et les maréchaux de camp prirent la charge d'empêcher la communication de la terre et le cardinal celle de la mer, par le moyen d'une digue de deux cents toises, avancée dans la mer des deux côtés et des vaisseaux maçonnés qui seroient enfoncés dans le milieu.
Pour réaliser le chantier, on appâte de nombreux soldats et des travailleurs creusois par une forte rémunération. C'est d'ailleurs leur recrutement pour travailler à la construction de la digue qui va déterminer la vocation des maçons de la Creuse. Le principe était de fermer le chenal du port de La Rochelle, qui fait environ 1 600 mètres, par une digue perpendiculaire ouverte en son milieu et défendue de part et d'autre par une chaîne de 36 navires liés les uns aux autres. Formée d’une masse hétéroclite de pilotis, de maçonnerie et de navires coulés puis chargés de pierres, la digue fait 1500 mètres de longueur. Large de 16 mètres à la base et de 8 mètres à son sommet, elle est haute de 20 mètres. Sur cette première couche, on rajoute une charpente de bois remplie de pierres pour supporter le poid des canons pointés vers le large afin de dissuader toute approche par la mer. Au milieu de l'ouvrage, une ouverture permet le mouvement des marées, mais on la sécurise par un petit fort juste en face. L'ouvrage devient l'attraction touristique de la région tandis que de l'autre côté des remparts, la situation est dramatique.
Dans un premier temps, menés par l'irréductible maire de la ville, Jean Guiton qui organise le rationnement des vivres, les habitants résistent malgré des conditions de vie effroyables. Dans son Histoire de La Rochelle, Edouard Dupont évoque la famine qui n'épargne personne, pas même les riches. Des cas de cannibalisme auraient même été relatés par des témoins !
Le dispositif militaire imaginé par Métezeau joue un rôle déterminant dans la reddition des Rochelais affamés le 28 octobre 1628. Le roi ne peut entrer immédiatement dans la cité, car les cadavres jonchent les rues. Les assiégés n'avaient plus la force d'enterrer les corps qui d'ailleurs échappaient au phénomène de décomposition tant ils étaient déshydratés et secs. Sur les 28 000 âmes que comptait la ville avant le blocus, il ne reste que 5 500 survivants. La cité est contrainte à détruire ses fortifications, hormis les remparts et bastions face au front de mer. Elle perd définitivement les importants privilèges fiscaux qui avaient contribué à sa prospérité. Les nouveaux habitants doivent obligatoirement être de confession catholique. Dès lors, de nombreux huguenots s'exilent en Angleterre, aux Pays-Bas ou dans les colonies anglaises d'Amérique afin de préserver leur liberté de conscience. Mais la soumission au pouvoir royal et la conversion au catholicisme de ceux qui ont choisi de rester ne sont qu’apparentes. Les convertis "de façade" s'organisent afin de continuer à pratiquer la religion protestante dans le Désert, autrement dit dans le plus grand secret. Comme l'attestent les paroles de cette chanson des Eglises du Désert.
Cette victoire est présentée comme un des hauts faits du règne de Louis XIII comme le prouvent des illustrations et des poèmes contemporains. Ainsi ce Dialogue de la Digue et de La Rochelle, dithyrambe où la digue est présentée comme une allégorie du pouvoir royal. Ironie du sort : dix jours après la capitulation, une forte tempête emporta une grande partie de la digue, de sorte qu'un navire flamand put la franchir sans encombre.
Pour aller plus loin :
- Fin des guerres de religions en France in Passerelles.bnf
- L'histoire de la reine Artémise in expositions.bnf
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