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Choléra des poules, rouget du porc, charbon du mouton : Pasteur et la science vétérinaire

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Au XIXe siècle, entre controverses, rivalités et inspirations mutuelles, la science vétérinaire est en effervescence. Elle devient un enjeu sanitaire et économique majeur. Pasteur, grâce à ses recherches sur la fermentation et ses travaux sur la vaccination, en est un acteur incontournable.

Pasteur / Pierre Lemoyne. 1897

Atténuer la virulence des microbes

En 1860, Pasteur reconnaît le rôle joué par les organismes vivants dans la putréfaction et ses recherches sur la fermentation remettent au goût du jour la théorie microbienne des maladies contagieuses.
 

Source : La chasse aux microbes : [estampe] / [Jean-Marc Côté]. [s.n.] (Paris), 1910

 

« Je n'ai pas fini cependant avec toutes ces études. Ce qu'il y aurait de plus désirable serait de les conduire assez loin pour préparer la voie à une recherche sérieuse de l'origine de diverses maladies ».

Source : Oeuvres de Pasteur. T6 / réunies par Pasteur Vallery-Radot. 1933

Sur le principe d’inoculation de la vaccine découvert par Edward Jenner à la fin du XVIIIe siècle, Pasteur utilise des agents pathogènes artificiellement affaiblis pour obtenir l’immunisation.
 

Source : L'Origine de la Vaccine : [estampe] / Depeuïlle, éditeur, Collection de Vinck. Un siècle d'histoire de France par l'estampe, 1770-1870

Pour l’expliquer, il adopte tour à tour deux idées différentes : l’immunisation par épuisement et la sécrétion par le microbe d’une matière qui nuit à son développement.

« J'ai envisagé l'organisme comme un milieu de culture qui, par première atteinte du mal, perdrait, sous influence de la culture du parasite, des principes que la vie n’y ramènerait pas ou qu’après un certain temps ».

(Source : Lettre adressée au chimiste Jean-Baptiste Dumas en août 1880)

Sa méthode sera utilisée pour lutter contre le choléra des poules, le charbon des moutons et le rouget du porc. Des vaccins seront respectivement développés en 1878, 1881 et 1883.

Le choléra des poules : les tâtonnements de Pasteur

Source : Rustica : revue universelle de la campagne. (Paris) : Dargaud, 1931-01-18

Au milieu du XIXe siècle, le choléra des poules décime les basses-cours. La maladie se manifeste par la somnolence des bêtes, accompagnée de diarrhées violentes, la mort survenant très rapidement. La bactérie Pasteurella multocida est à l’origine de cette maladie.

Source : Le Bon citoyen de Tarare et du Rhône. Supplément littéraire illustré. [s.n.] (Tarare), 1900-02-25

Le vétérinaire Henri Toussaint, que nous recroiserons par la suite, l’étudie depuis 1879. Il fournira l’agent isolé du choléra des poules à Pasteur.

Source : Revue vétérinaire : journal consacré à la médecine vétérinaire et comparée, à l'économie rurale. 1890-01-01
 


Source :  Atlas de microbiologie, par Eugène Macé,... Soixante planches imprimées en couleurs, d'après les dessins de M. Christ Doctoroff [...]. (Paris), 1898
 
La même année, durant l'été, Pasteur et ses collaborateurs, Émile Roux, médecin, et Émile Duclaux, biologiste et chimiste, découvrent que les poules auxquelles ont été inoculées des cultures vieillies du microbe du choléra des poules non seulement ne meurent pas mais deviennent résistantes à la maladie. Pasteur aurait utilisé une culture bactérienne oubliée, longtemps exposée à l'air. Pour le savant, c’est l'action de l'oxygène de l'air qui diminue la toxicité du microbe en s'exerçant longtemps sur la population bactérienne.

En 1880, Pasteur adresse à l’Académie des sciences une note intitulée « Sur les maladies virulentes et en particulier sur la maladie appelée vulgairement choléra des poules » :

« Il me semblerait superflu de signaler les principales conséquences des faits que j’ai eu l’honneur d’exposer devant l’Académie. Il en est deux cependant qu’il n’est peut-être pas sans utilité de mentionner. C’est d’une part l’espoir d’obtenir des cultures artificielles de tous les virus ; de l’autre, une idée de rechercher des virus-vaccins des maladies virulentes qui ont désolé à tant de reprises et désolent encore tous les jours l’humanité. »

(Source : Oeuvres de Pasteur. T6 / réunies par Pasteur Vallery-Radot. 1933)

En 1881, Pasteur énonce sa théorie du virus-vaccin utilisant « des microbes affaiblis ayant le caractère de ne jamais tuer, de donner une maladie bénigne qui préserve de la maladie mortelle ».

Cette note déclenche de fortes contestations : celle de Jules Guérin, reprochant à Pasteur de n’avoir pas détaillé la technique lui ayant permis de vacciner les poules, mais aussi celle du médecin allemand Robert Koch réfutant le rôle joué par l’oxygène.

Source : La Semaine vétérinaire : revue des travaux français & étrangers. (Paris), 1890-12-21

La rivalité Pasteur / Koch sera exacerbée lors d’une mission en Egypte, en 1883, qui se transforme en compétition entre les deux équipes. Alors que l’épidémie de choléra y fait rage, Pasteur dépêche une délégation composée notamment de ses collaborateurs, Louis Thuillier, biologiste, et Emile Roux. Koch et son équipe sont déjà sur place à l’arrivée des Français et Koch isolera le vibrion cholérique fin 1883.

Le rouget des porcs : quand les savants repartent sur le terrain

Source : Les animaux de la ferme. [s. d.]

Le rouget ou mal rouge (dénomination de la maladie au XIXe siècle) tue des centaines de milliers d’animaux, principalement des porcs, en Europe et aux Etats-Unis. Cette maladie infectieuse est responsable de lésions cutanées superficielles, d’infections aiguës pouvant évoluer sous une forme chronique.

En 1877, le vétérinaire Achille Maucuer, inquiet des ravages causés par la maladie dans le Vaucluse, attire l'attention de Louis Pasteur. En 1881, Thuillier est envoyé dans le sud-est de la France où sévit à nouveau une épidémie. Il identifie et nomme en 1882 le bacille incriminé, déjà découvert par H. J. Detmers à Chicago : Erysipelothrix rhusiopathiae
 

Source : Les microbes, les ferments et les moisissures (2e éd. revue...) / par le Dr É.-L. Trouessart. (Paris), 1891

En 1882, dans les comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, on peut lire une lettre que Pasteur rédige à Bollène :

« Une désastreuse maladie des porcs : on évalue à plus de vingt mille le nombre des animaux morts cette année […] dans les porcheries de la vallée du Rhône . »

Le 26 novembre 1883, après de nombreux tests de vaccination dans plusieurs régions de France, Pasteur annonce, dans une communication présentée à l'Académie des Sciences, intitulée « La vaccination du rouget des porcs à l'aide du virus mortel atténué de cette maladie », avoir développé un vaccin contre le rouget du porc.

Extrait d'une lettre rédigée par Louis Pasteur :

« Le mal rouge des porcs est produit par un microbe spécial, facilement cultivable en dehors du corps des animaux. […] Sa forme se rapproche de celle du microbe du choléra des poules. […] Sans action sur les poules, il tue les lapins et les moutons. […] Inoculé à l'état de pureté au porc, à des doses, pour ainsi dire, inappréciables, il amène promptement la maladie et la mort. »

Source : Oeuvres de Pasteur. T6 / réunies par Pasteur Vallery-Radot. 1933
 

Le charbon du mouton : où l’on retrouve Pasteur, Toussaint, Koch et où l’on découvre Devaine

Source : Les animaux de la ferme. [s. d.]

« S’il existe un mal terrible, qui effraye les populations agricoles, c’est assurément le charbon »

(Source : L’Astrologue de la Beauce et du Perche. 1862)

Cette maladie infectieuse causée par la bactérie Bacillus anthracis est redoutable.

Source :  Atlas de microbiologie, par Eugène Macé,... Soixante planches imprimées en couleurs, d'après les dessins de M. Christ Doctoroff [...]. (Paris), 1898

Vers 1850, l’Auvergne, la Beauce perdent 10 à 50% de leur cheptel. Le mouton est l'espèce la plus sensible au charbon, maladie aussi nommée sang de la rate. Son nom provient du sang noir et poisseux des animaux morts et de la croûte se formant sur une lésion cutanée. Dans sa forme rapide, l’animal, fiévreux, cesse de manger. Atteint d’hémorragies, il meurt alors en moins de quatre heures.
De nombreux savants étudient la maladie.
En 1863, le médecin Casimir Davaine s’inspire des travaux menés par Pasteur. Suite à diverses expériences, il considère comme prouvé que la bactérie est l'agent causal de la maladie. Louis Pasteur, qui se pose en « continuateur de ses savantes recherches », reconnaîtra d’ailleurs sa position de pionnier.
En 1873, il démontre que le sang charbonneux perd de sa virulence s'il est chauffé à 55° pendant 5 minutes.
En 1876, Koch établit le cycle de Bacillus anthracis, mettant en évidence sa capacité de sporulation.

Source : Koch dans son laboratoire à Berlin. In : [Pasteuriens et personnalités du monde médical, 1868- 1970]

En 1881, Koch écrit que Pasteur a utilisé des cultures impures, commis des erreurs et que ses recherches manquent de scientificité. S’ensuit alors une correspondance houleuse.

Henry Toussaint fait également des recherches sur le bacille charbonneux. Il s’appuie sur les travaux de Davaine. En 1878, il présente à l’Académie des Sciences un article sur le charbon avec des preuves de la nature parasitaire de la maladie et de l’action inflammatoire des bactéries charbonneuses. Un an plus tard, il publie sa thèse « Recherches expérimentales sur la maladie charbonneuse ». En août 1880, il rend public une communication « Procédé pour la vaccination des moutons et des jeunes chiens contre la maladie charbonneuse » dans laquelle il dévoile son procédé de vaccination, toujours en phase d’expérimentation : Toussaint chauffe le sang charbonneux contenant une très faible concentration d’acide phénique à 55 °C pendant 10 minutes. Constatant l’efficacité de son procédé, il organise alors une vaccination avec une double injection de 20 moutons à la ferme de l'école d'Alfort. Il postule alors que cette action immunisante est due soit à la production de substances antibactériennes, soit à l'action de l’antiseptique présent dans son procédé.

Après des essais infructueux, je suis enfin arrivé, avec un moyen d’une grande simplicité, à empêcher la bactéridie de se multiplier chez les jeunes chiens et chez le mouton.

Source : Recueil de médecine vétérinaire. Gabon (Paris) ; Vigot frèresVigot frères (Paris), 1880-08-15

De son côté, Pasteur mène une série d'observations. En 1878, il se rend à Saint-Germain-la-Gâtine chez le fermier Maunoury. Il découvre alors que le germe du charbon est transmis par des microlésions situées dans la bouche des moutons et occasionnées par des plantes piquantes. Le secret des « champs maudits » est percé.
Quelques années plus tard, en 1881, à Pouilly-le-Fort, près de Melun, le savant rassemble paysans, personnalités locales, journalistes.

Source : Pasteur / Pierre Lemoyne. (Abbeville), 1897

Il procède avec succès à une vaccination sur une cinquantaine de moutons. Les notes secrètes de Pasteur, déposées à l'Académie des Sciences et connues seulement depuis 1988, indiquent qu’il a utilisé le vaccin chauffé et atténué au bichromate de potassium, procédé mis au point grâce à la collaboration de Chamberland et Roux, suivant en cela une idée de Toussaint. Or, dans son compte rendu d'expérience à l'Académie, Pasteur laisse entendre que c'est son vaccin atténué à l'oxygène qui lui a permis de réussir l'expérience sur les moutons charbonneux.
Cette affaire est connue sous le nom de « Secret de Pouilly-le-Fort ».

Conclusion :

Controversé, critiqué, Pasteur impulse néanmoins la lutte contre les maladies contagieuses et ouvre la voie qui allait conduire, quelques années seulement après sa mort, à la naissance de l’immunologie.

« Grâce à Pasteur, les éleveurs ne craignent plus le charbon des bovidés et des ovidés, le, choléra des poules, le rouget du porc. »

Source : La Croix. 1923-01-17

Pour aller plus loin

La série de billets Gallica réalisé à l’occasion du Bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur
Bibliographie sélective d’œuvres de Pasteur et sur Pasteur
Œuvres de Pasteur, réunies par Louis Pasteur Vallery-Radot
Correspondance de Pasteur, 1840-1895, réunie et annotée par Louis Pasteur Vallery-Radot
Fonds Pasteur conservé au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France
Le site du Bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur

A l'occasion du bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur, la BnF vous invite le 13 décembre prochain à 17h30 à une Rencontre Gallica, suivie d’une présentation d'ouvrages actuellement exposés en salle C (Bibliothèque pour tous).

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