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La France terre de Rugby

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2 novembre 2023

La France est une terre de rugby, c’est indéniable, mais pourquoi ce jeu s’est-il davantage implanté en Aquitaine, après avoir pourtant débarqué en Normandie ? Essayons d’y voir plus clair à travers ce petit voyage hexagonal.
 

Une sortie de mêlée lors du match de rugby Stade français contre Rosslyn Park de Londres, le 3 avril 1893, au Champ-de-Mars

Commençons par les acquis : le rugby a bel et bien mis les pieds en France en Normandie. Les Anglais ont débarqué au Havre grâce à une liaison maritime des sociétés de commerce. La presse locale recense en janvier 1872 des jeunes Anglais qui pratiquent un jeu étrange, un mélange de rugby et de football. Il y a des étudiants, des courtiers, des hommes d’affaires et quelques curieux français intrigués par ce jeu nouveau. Ces pionniers, qui comprennent notamment deux jeunes Britanniques (Dreyfus et O’Connor), décident de créer la première équipe française officieuse.

Le Havre Football Club voit ainsi le jour ; il sera bientôt remplacé par Le Havre Athletic Club (HAC) en 1884. Pour ne pas faire de jaloux, le club adopte les couleurs des grandes universités anglaises, Oxford et Cambridge. Le rugby naissant peut désormais naviguer le long de la Seine pour toucher Versailles et la capitale et ainsi créer de nouveaux clubs, en premier lieu le English Taylors RFC, puis des clubs généralement omnisports, le Stade français (1883) ou le Racing (1888). Ces deux derniers se disputeront le titre de champion de France jusqu’en 1898, avant qu’un premier club de province ne vienne bousculer cette hégémonie francilienne.

Image Le Havre Athletic club, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Une importante communauté britannique en Gironde

Depuis une petite vingtaine d’années déjà, en Gironde, une importante communauté britannique travaille dans le négoce du vin. Actifs et parfaitement insérés dans les milieux d’affaires bordelais, ces Britanniques s’adonnent aux pratiques sportives d’outre-Manche. L’alchimie est bonne entre les ressortissants du Royaume-Uni et la mentalité locale forte de valeurs rurales. Cette communion culturelle entre les acteurs étrangers et ce nouveau jeu va alors accentuer le phénomène sportif grandissant. Mais rien n’indique encore que l’Aquitaine va devenir une région phare du rugby.
 
Un autre élément va influencer l’ancrage local ; un certain Philippe Tissié, docteur de son état, est déjà un sportif convaincu ; il pratique le cyclisme et est l'un des fondateurs de la course Bordeaux-Paris. Avec un groupe de pédagogues, très vite, il se caractérise par son indépendance, notamment vis-à-vis de celui qui fait référence jusque-là, Pierre de Coubertin. Au-delà de l’activité physique (un esprit sain dans un corps sain) prônée par le baron, le docteur Tissié entrevoit dans les jeux un bien meilleur apprentissage. Il invente l'exercice du lendit – terme utilisé au Moyen Âge pour désigner des jeux entre enfants.

Très vite, lui et son cercle de travail dispensent la pratique du lendit qui est, pour l’homme de santé, une application concrète de l’éducation physique associée au plaisir et à l'amusement. Toutefois, le docteur, sans raison apparente, prône une éducation physique par le biais des jeux locaux, qu’il préfère aux jeux anglo-saxons. Mais il fera une exception : le rugby. Il développe ainsi dans les écoles bordelaises le jeu ovale, sans oublier le dérivé local, la barrette aquitaine.

Création de plusieurs clubs omnisports

 Même s’il existe des clubs de rugby en province et ailleurs qu’en Gironde (Stade nantais, Stade toulousain ou FC Lyon), aucun territoire ne s’approprie cette discipline avec autant de force et d’ardeur que la capitale du vin. Au point même que le docteur Tissié crée une Ligue girondine d'éducation physique afin de promouvoir les jeux traditionnels actifs en plein air. D’une manière naturelle, les nombreux rassemblements de joueurs finissent par se transformer en clubs omnisports, et c’est ainsi que le Stade bordelais voit le jour en 1889.

La Ligue girondine de l'éducation physique, Archives et bibliothèques Pau Béarn Pyrénées

Rapidement, ce club fort de l’appui de nombreux joueurs et de quelques stratèges britanniques développe une méthode de jeu. Cela crée une forte émulation, et une machine sportive susceptible de rivaliser avec les équipes parisiennes est alors en marche. Ça tombe bien, car en 1899, le Championnat de France est – enfin – ouvert aux équipes non parisiennes. Le finaliste des clubs de province face à celui de la capitale.

Des dirigeants visionnaires et entreprenants

 Forts de dirigeants visionnaires et entreprenants, le Stade bordelais devient la meilleure équipe de France. Les Girondins remportent leur premier titre en 1899 après seulement dix ans d’existence, mais avec ses principes et ses succès, il donne envie à d’autres sociétés, proches territorialement, de lui ressembler.

Ainsi, le rugby se répand abondamment au début du XXe siècle dans les Landes, le Gers, la Dordogne, les Basses-Pyrénées (qui deviendront les Pyrénées-Atlantiques en 1969), le Lot-et-Garonne, etc. L’Aquitaine est fière de son Stade bordelais. Durant treize ans, le club girondin sera sept fois champion de France et disputera douze finales.

La ferveur populaire ne se tarit pas, on comptait 3 000 spectateurs pour la finale de 1899 et jusqu’à 16 000 en 1911 pour le dernier titre du SBUC (Stade Bordelais Université Club) relaté par le Journal Auto. À cette époque, le public provincial semble beaucoup plus attaché à sa terre que le public parisien. Le rugby désormais codifié rassemble dans le moindre collège, la plus petite université, les écoles, les villages, les hameaux voire les quartiers des villes. Les corporations y vont aussi de leur équipe. Dans le même temps, le rugby s’étend hors Aquitaine dans le sud de la France, à Toulouse, Béziers, Perpignan, Grenoble et Toulon par exemple. Alors qu’en Normandie on continue de jouer, mais avec un ballon rond…

Un modèle pour Coubertin

Pourquoi la France est-elle le seul pays hors de l’Empire britannique à avoir véritablement accueilli ce sport ? Telle est la question. En effet, on peut se demander pourquoi l’Allemagne, l’Espagne ou la Pologne ne sont pas devenues de grosses nations de rugby. Deux idées permettent d’entrevoir une réponse. La première tient avant tout à la proximité géographique, économique et politique des deux pays. La deuxième explique sans doute mieux cette situation : au début du siècle dernier, on remarque l’influence du système éducatif et sportif britannique dans l’Hexagone. L’Angleterre, rivale certes, est aussi un modèle pour un grand nombre, dont le baron Pierre de Coubertin. Il considère que le jeu et le sport contribuent à préparer les individus à la concurrence internationale.

Durant l’année 1892, décisive pour le développement du sport en France, il affirme dans les Sports athlétiques que le jeune homme qui joue au rugby est mieux préparé qu’un autre au match de la vie. Le rugby est donc le sport élu par Coubertin et devient rapidement le premier sport collectif du mouvement sportif français.

Les sports athlétiques, éditeur "Revue EPS", Paris, 1895

L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques. La série "200 ans de ballon ovale : l’histoire du rugby" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.
 


 

 

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