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C.-F. Ramuz, un vaudois universel

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2 novembre 2018

Entré cette année dans le domaine public, l’écrivain C.-F. Ramuz (1878-1947) est le chef de file de la littérature suisse d’expression française. La diversité de ses publications, sa collaboration avec des artistes européens et la reconnaissance de son œuvre au-delà des frontières suisses en fait un auteur majeur de la francophonie.

Vue de Lausanne et du Lac Léman, 1899

Né à Lausanne en 1878, fils d’une peintre et d’un commerçant, Charles-Ferdinand Ramuz suit des études de lettres et commence à écrire lors de son premier séjour à Paris en 1900, enseignant un temps à l’Ecole alsacienne. Pendant une douzaine d’années, et au départ dans des conditions modestes, il voyage entre la capitale française et sa ville natale, une expérience dont il témoigne dans Paris (notes d’un vaudois). Son compatriote Edouard Rod l’introduit dans le milieu littéraire parisien, notamment auprès de la NRF puis de Bernard Grasset où il publiera tous ses livres à partir de 1924.

C.-F. Ramuz, Paris (notes d’un vaudois), 1939

 
Son premier ouvrage est un recueil de poèmes intitulé Le Petit village (1903) qui est suivi du roman Aline (1905), auréolée de bonnes critiques qui célèbrent cette œuvre « remplie de la poésie de la prose » et où le style, par l’emploi de l’image, peut atteindre une « grandeur biblique », d’après le romancier Robert de Traz. Ramuz est influencé tour à tour par les auteurs français dits « naturalistes » tels que Flaubert et Maupassant mais aussi par ses contemporains tels que Paul Claudel avec qui il correspond régulièrement. Son œuvre est fréquemment rapprochée de celle de Jean Giono, tous deux écrivant sur la relation particulière entre les humains et la montagne, sur la vie à la fois simple et dure de ses habitants. La nature, le rapport avec une présence divine, les relations familiales ou amoureuses, autant de thèmes universels qui font que l’œuvre de Ramuz touche un public de plus en plus large.

Le Figaro, 10 octobre 1936

 
En 1907, son roman Les circonstances de la vie est nominé pour le Goncourt, première étape vers sa reconnaissance au-delà de la sphère littéraire romande. En 1914, il participe, aux côtés d’Edmond Gilliard et Paul Budry à l’entreprise des Cahiers vaudois qui met en valeur la littérature du canton de Vaud afin de la distinguer de l’influence genevoise voisine. Selon l’écrivain, pour mener cette aventure éditoriale, « il faudrait de la polémique […], une jolie histoire. Il faudrait que ce soit contre-universitaire, contre-intellectuel, c’est-à-dire vivant. De l’imprévu, de la verve, du plaisir, du tempérament. » (Histoire de la littérature en Suisse romande, p. 526). Abordant aussi bien le roman que la poésie ou la musique, ces Cahiers cessent pourtant en 1919. Il retentera l’expérience éditoriale un peu plus tard, de 1929 à 1931, avec la revue Aujourd’hui.

En 1915, par l’entremise du chef d’orchestre suisse Ernest Ansermet, Ramuz rencontre le compositeur Igor Strawinsky installé en Suisse. Entre février et septembre 1918, alors que l’Europe en guerre ne leur permet pas de vivre de leur art, ils sympathisent et créent la pièce musicale L’histoire du soldat, réinterprétation du mythe faustien. Ramuz témoigne de cette rencontre décisive dans ses Souvenirs sur Igor Strawinsky (1930), soulignant l’enrichissement mutuel qui caractérisa cette période de création. Avec cette pièce, inspirée d’un conte traditionnel russe et composée sur les rives du Léman, Ramuz et Strawinsky signent une œuvre modeste dans la forme mais originale : les moyens matériels et humains étant limités en 1918, ils privilégient une formation musicale légère, des décors simples, dans l’esprit d’un théâtre itinérant. L’écrivain fait appel au peintre vaudois René Auberjonois en charge du décor et des costumes ainsi qu’à la danseuse Ludmilla Pitoëff et son époux l’acteur Georges Pitoëff ; plusieurs tableaux d'Auberjonois témoignent de cette équipée artistique. Le succès n’est pas au rendez-vous, en raison de l’épidémie de grippe espagnole : une seule représentation a lieu à Lausanne, sous la direction d’Ernst Ansermet ; en 1924, elle est jouée pour la première fois en France. Bien plus tard, notamment à Paris en 1946, la pièce rencontre davantage d’écho auprès de la critique et du public comme en témoignent des dizaines de coupures de presse rassemblées dans un recueil.

Caricature d’Ernest Ansermet
 

Depuis ses débuts en littérature, la question du style suscite ferveur ou critique acerbe chez les écrivains français, entretenue par le fait que Ramuz vit « en a-social », d’après ses propres mots, loin des mondanités littéraires. En 1926 paraît, Pour ou contre C.-F. Ramuz qui rassemblent les témoignages d’auteurs suisses et français, mais qui, contrairement à ce que son titre laisse entendre, est avant tout un hommage de la République des lettres francophones à son écriture poétique. Ramuz s’est exprimé plus tard, en 1929, sur ces questions dans sa Lettre à Bernard Grasset. Cette tension autour du « vrai » français et de la reconnaissance d’une littérature romande resurgit fréquemment dans la presse, lorsque ses ouvrages sont chroniqués :
 

 

Ces débats n’ont pas empêché les réalisateurs de puiser dans son œuvre : en 1934, sort Rapt par Dimitri Kirsanoff, adapté du roman La séparation des races sur les querelles entre un village bernois protestant de langue allemande et son voisin valaisan francophone de foi catholique. A partir de cette trame inspirée par les particularités linguistiques et religieuses de la Suisse, Ramuz compose un récit universel autour de personnages tiraillés entre isolement et conquête territoriale (et amoureuse). Plus célèbre, le roman Farinet ou la fausse-monnaie (1932) est adapté en 1938 sous le nom de L’or dans la montagne. Jean-Louis Barrault y incarne la figure de ce paysan valaisan devenu faux-monnayeur - un personnage ayant réellement existé à la fin du 19e siècle - que Ramuz érige en symbole de liberté et de grand cœur.
Cette reconnaissance par le cinéma et le plus grand public n’éteint pas les polémiques, mais Ramuz est désormais perçu comme un grand auteur, à l’œuvre protéiforme.

Comoedia, 6 janvier 1929

 

Paris-soir, 20 juin 1938
 

En 1947, à la mort de l’écrivain, Paul Claudel, qui le défendait dès ses débuts, rappelle son audace stylistique car « Autant qu’Homère adaptant le vers hexamètre aux respirations de la vague ionienne, Ramuz a été le créateur et l’ouvrier d’une langue […] c’est un poète épique ».

C.-F. Ramuz avec sa fille Marianne.
Comoedia, 17 octobre 1942

 
Pour en savoir plus
L'oeuvre de Ramuz à la BnF
Catalogue d'une exposition à la BnF (1978)
Daniel Maggetti, Stéphane Pétermann, Vies de C. F. Ramuz, Genève, 2013
Ramuz dans les archives de Radio Télévision Suisse
Ses archives sont conservées à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne et à l’Université de Tours
Fondation Ramuz
 
Sur la littérature romande
Roger Francillon, Histoire de la littérature en Suisse romande, Genève, 2015
Centre de recherches sur les lettres romandes, Université de Lausanne
Portail Francophonie de la BnF

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