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Mont-Oriol de Maupassant ou l’Auvergne « terre des malades »

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2 juin 2020

Quelques-uns des plus beaux romans russes du 19ème siècle se déroulent en partie dans des villes d’eaux : Un héros de notre temps de Lermontov (1840) dont la première traduction en français, assez peu fidèle à l’original, avait pour titre Une saison de bain au Caucase, Le Joueur de Dostoïevski (1866), Eaux printanières de Tourgueniev (1872). Mais la station thermale n’y est qu’un simple décor, pratique en cela qu’elle est un véritable théâtre pour une comédie humaine.

Or Mont-Oriol de Maupassant a la particularité de ne pas se limiter à utiliser une station thermale comme simple décor mais d’en faire le sujet même du roman. Il en montre tous les acteurs : curistes et estivants, bien sûr, mais aussi tous ceux qui en vivent : médecins, employés aux bains et au casino, chanteurs et acteurs etc. et ceux qui en tirent des bénéfices : paysans qui vendent leurs terres et financiers qui montent les projets et dirigent les établissements.

Pour Mont-Oriol, paru en feuilleton à partir du 23 décembre 1886 dans Gil Blas (on remarquera au passage la publicité pour les eaux de table D’Oriol juste au-dessus du début du feuilleton !), Maupassant prend pour modèle Châtel-Guyon, station thermale du Puy de Dôme, entre Riom et Manzat, dans laquelle il séjourna  plusieurs fois en tant que curiste à  partir de l’été 1883. Comme souvent ses voyages ont été pour lui prétextes à la rédaction de textes courts : deux chroniques, « En Auvergne » le 7 juillet 1883 sous la signature de Maufrigneuse et « Malades et médecins » le 11 mai 1884 ; plusieurs nouvelles, notamment « Mes 25 jours » le 25 août 1885.Ces textes apparaissent avec le recul comme les prémices du roman qui raconte le fonctionnement d’une petite station thermale puis la création de sa concurrente, sur le même territoire auvergnat, par le financier Andermatt. Les villes d’eaux de l’Auvergne n’ont pas à l’époque la même renommée que les allemandes et seront donc un parfait exemple pour montrer l’essor de l’activité thermale.
Pour les besoins de son roman, et peut-être pour éviter tout souci et tout procès…, Maupassant choisit de situer la station, fictive, dans le petit village d’Enval, voisin de Châtel-Guyon : mais c’est bien de son expérience et de ses observations dans cette dernière dont il se sert.

 

[Vue du château d'Enval près d'Issoire. Puy-de-Dôme] : [dessin] / [Jean-Baptiste-Joseph Jorand]

Et elles concernent tout d’abord le quotidien des malades, les curistes pour lesquels la station thermale a été construite dans une région qui semble avoir été faite pour eux :
L’Auvergne est la terre des malades. Tous ses volcans éteints semblent des chaudières fermées où chauffent encore, dans le ventre du sol, les eaux minérales de toute nature. De ces grandes marmites cachées partent des sources chaudes qui contiennent tous les médicaments propres à toutes les maladies […] voici Royat où l’on guérit les maladies de la rate, de la gorge, des reins, de l’estomac, de la vessie, du foie etc. Voici le Mont-Dore, la Bourboule, Saint-Nectaire, Châtel-Guyon, et tant d’autres lieux  à filets de liquide minéralisé qui se vend en bains, en bouteilles et en douches ascendantes ou descendantes, selon les besoins de la clientèle 

Sur le traitement des maladies le roman va crescendo, en commençant dès les premières pages par le cérémonial quotidien des verres d’eau, utile dans les cas bénin :

si tout le monde connaît l’iliade des maux engendrés par la constipation » le problème peut être résolu «  avec deux ou trois verres au maximum

ce qu’illustre parfaitement Mont-Oriol : la préposée à cette opération

se levait avec lenteur dès qu’elle apercevait dans le chemin un baigneur  s’en venant vers elle. L’ayant reconnu elle choisissait son verre dans une petite armoire mobile et vitrée, puis elle l’emplissait doucement au moyen d’une écuelle de zinc emmanchée au bout d’un bâton.
Le baigneur triste, souriait, buvait, rendait le verre en disant : « Merci Marie ! » puis se retournait et s’en allait 

Plus conséquent et plus agréable est le bain chaud, traité par Maupassant avec une certaine sensualité :

Et Christiane se sentait si bien là-dedans, si doucement, si mollement, si délicieusement caressée, étreinte par l’onde agitée, l’onde vivante, l’onde animée de la source qui jaillissait au fonds du bassin, sous ses jambes, et s’enfuyait par le petit trou dans le rebord de sa baignoire, qu’elle aurait voulu rester là toujours, sans remuer, presque sans bouger

Il n’en va pas de même du lavage d’estomac, nettement moins joyeux. Maupassant fait une longue description de cette torture dans « En Auvergne », description que l’on retrouve un peu adoucie dans le roman,  même si le patient est comparé à un « supplicié des temps anciens » :

M. Riquier, les yeux hagards, les joues violettes, l’écume aux lèvres, haletait, suffoquait, poussait des hoquets d’angoisse ; et, cramponné aux bras du fauteuil faisait des efforts terribles pour rejeter cette bête de caoutchouc qui lui pénétrait dans le corps 

Mais là n’est peut-être finalement pas l’essentiel dans les stations thermales, où l’eau et les cures ne semblent parfois qu’un prétexte, comme le suggère Maupassant dès l’ouverture du roman : l’établissement thermal est en effet

 un grand bâtiment dont le rez-de-chaussée demeurait réservé au traitement thermal, tandis que le premier étage servait de casino, café et salle de billard  […] une vaste maison à tous usages servant également pour la guérison et pour le plaisir, où l’on vendait, en bas, de l’eau minérale, des douches et des bains, en haut, des bocks, des liqueurs et de la musique 

Car pour les curistes, les soins médicaux n’occupent qu’une petite partie de la journée et « il faut amuser les baigneurs, les distraire, leur faire trouver trop courte la saison », sans les laisser tomber dans l’ennui des trop longues villégiatures.
Tout est donc fait pour cela et les affiches de Châtel-Guyon mettent rapidement en avant, plus que le traitement des maladies de l’intestin, le théâtre et le casino.
 

Il faut dire que ce dernier, comme au Mont-Dore, est au cœur de la vie mondaine (et rappelons au passage que dans Le Joueur, la station thermale s’appelle Roulettenbourg…).

 

Or c’est la vie mondaine qui fait l’essentiel et le prestige d’une station : ainsi le journal Royat-mondain, qui paraît durant la saison, donne la liste des étrangers (dans une acception il est vrai assez large du terme, puisqu’on y trouve les Français non Auvergnats !) arrivés récemment dans la station.  Ce même journal propose aussi bien sûr le programme du théâtre local. La presse nationale n’est pas en reste puisque les  journaux de Paris font savoir à leurs lecteurs qu’ils sont aussi distribués dans les stations thermales et balnéaires.

Enfin, un des incontournables de la vie mondaine est la promenade, soit dans les allées de la station, soit lors d’une excursion avec des groupes savamment constitués selon les milieux sociaux et les intérêts, et les affiches s’attachent alors à montrer le pittoresque de l’Auvergne et la beauté des paysages.

 

Les personnages de Maupassant n’y échappent pas, et vont par exemple à Tournoël.

Tout ce que Maupassant décrit, le financier Andermatt en prend lui aussi bonne note : il suivra en effet à la lettre le programme qu’avait déjà résumé l’auteur dans « Malades et médecins » :
Dans chacune des stations thermales qui se fondent autour de chaque ruisseau tiède découvert par un paysan, se joue toute une série de scènes admirables. C’est d’abord la vente de la terre par le campagnard, la formation d’une Société au capital, fictif, de quelques millions, le miracle de la construction d’un établissement avec ces fonds d’imagination et avec des pierres véritables, l’installation du premier médecin, portant le titre de médecin inspecteur, l’apparition du premier malade, puis l’éternelle, la sublime comédie entre ce malade et ce médecin.

Le nouveau plan de la station thermale de La Bourboule montre en effet que rien n’est laissé au hasard et que les établissements thermaux et de loisirs appartiennent à la compagnie. Le plan montre aussi la position géographique de La Bourboule et insiste sur la nécessité d’être bien relié au réseau de transport.

 

Nouveau Plan de la station thermale de La Bourboule (Puy-de-Dòme), échelle de 0,003 pour mètre
 

Ainsi l’affiche de Châtel-Guyon précise que Riom, la ville voisine, n’est qu’à sept heures de Paris. La rapidité du trajet fait déjà partie des atouts du voyage et du séjour, car
il faut que les chemins conduisant à un lieu de plaisir soient eux-mêmes un plaisir, le commencement de l’agrément qu’on aura tout à l’heure.
Et le chemin de fer a été un véritable atout pour les stations thermales dont il a favorisé l’essor, certaines brochures horaires de compagnies ferroviaires étant exclusivement consacrées aux stations desservies par leur réseau. La clientèle internationale, notamment anglaise, n’est pas oubliée, avec des affiches sur les liaisons Londres-Auvergne, en français ou en anglais

Les affiches font partie du vaste arsenal publicitaire mis en place par les stations, et l’Enval que Maupassant présente au début de son roman n’échappe pas à la règle :

Cette station thermale avait commencé comme elles commencent toutes, par une brochure du docteur Bonnefille sur sa source.

Il faut dire que parmi les nombreux textes vantant les vertus des eaux des stations, beaucoup étaient autant publicitaires que médicaux. Ainsi quand l’auteur est lui-même médecin consultant à Châtel-Guyon il donne de la station la description suivante :

Au milieu d’un des plus beaux sites de l’Auvergne, cette Suisse française tant négligée du voyageur parce qu’elle est à la portée de tous, au pied de cette magnifique chaîne du Puy-de-Dôme, dans une délicieuse vallée, sont situés le village de Châtel-Guyon et ses Sources minérales.

Et il conclut sa présentation par un panégyrique de l’établissement thermal :

 Cet établissement ne laisse rien à désirer, soit sous le point du vue du confortable, soit sous le point de vue des aménagements rendus indispensables par la nature essentiellement purgative des eaux […] Nous nous portons facilement garant des égards et de l’affabilité que les malades trouveront auprès des propriétaire et directeur, et des bons soins de la part de leur subordonnés

On croirait presque lire ici une caricature de brochure sous la plume de Maupassant… 
La parution de ce type d’ouvrage va de pair avec le succès des stations thermales, chacune disposant de son (ou de ses) guide spécifique, le plus souvent promotionnel. Mais quelle que soit la véracité contenue dans ce vaste matériel publicitaire, il faut bien reconnaître qu’à la fin du 19ème le succès de Châtel-Guyon ne se dément pas et que la station occupe une place de choix dans les guides consacrés aux eaux minérales, succès qui sort renforcé par un appel patriotique à faire sa cure en France plutôt qu’en Allemagne

 Ce que montre parfaitement Maupassant à travers son exemple auvergnat c’est la création ex-nihilo, à partir d’un prétexte médical, d’une activité touristique : on y va finalement surtout pour s’amuser, se dépayser, se retrouver entre personnes choisies et s’y fabriquer des souvenirs. Andermatt rêve même la station thermale qu’il crée en  prototype du tourisme de masse:

Tenez, regardez ce village, ce pauvre village ! J’en ferai une ville, moi, une ville blanche, pleine de grands hôtels qui seront pleins de monde, avec des ascenseurs, des domestiques, des voitures, une foule de riches servie par une foule de pauvres 

 

 

 

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