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Ce que nous disent les aveugles

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2 juin 2017

En étudiant l'histoire des aveugles, on constate que nombre d'entre eux ont eu recours à la musique comme moyen de subsistance. Le blog de Gallica vous propose de revenir sur cette particularité historique en découvrant le fonds récemment numérisé de l'association Valentin Haüy, pour la défense des déficients visuels.

Aveugle jouant de la vielle à roue, J. C. Sechatz, 1945-1985.

Une histoire qui résonne


Page de couverture du Valentin Haüy n° 63, 2001,
illustration de l’article La fonderie de cloches de Villedieu-les-Poêles, p. 32.

Nos sens ont une histoire qui laisse peu de traces. L'histoire des aveugles est riche de récits et d'images qui nous font entendre des sons. D'ailleurs, la musique a toujours été associée à la cécité et la croyance que les aveugles sont forcément bons musiciens est extrêmement répandue. Peut-être exprime-t-elle un soulagement à supposer une justice immanente : si on ne voit pas, on entend forcément mieux. Malheureusement, les performances des sens n'obéissent pas à une logique de vases communicants et c'est oublier qu'il existe des aveugles sourds. Pour autant, la meilleure stratégie, quand on voit mal ou pas, est d'optimiser son toucher et son ouïe.

Se faire entendre


Le mendiant à la vielle, estampe de Jacques Bellange, (1575?-1616)]

Avant le traitement social de ce que l'on appelle aujourd’hui le handicap, les "pauvres aveugles" vivent de la charité. La musique est l'alternative à la mendicité. Une musique qui se pratique dans la rue, les lieux de plaisir vils – bals, bastringues et tripots – ou à l'occasion de réjouissances populaires, noces et banquets. Ces musiciens jouent d'instruments peu considérés, parmi lesquels, au plus bas de l'échelle, la vielle à roue.
Le musée Valentin Haüy conserve nombre de représentations d'aveugles jouant de la vielle, du violon, de la flûte, de la clarinette ou du tambour, seuls ou en groupes, s'accompagnant ou non de la voix, parfois guidés par un jeune garçon qui tend son chapeau pour demander l'aumône. Ils vaguent dans les villes ou les campagnes, prêtent à la moquerie, s'échinant à produire les accords les plus entraînants possible pour emporter la conviction : sauf à être sourd, on ne peut les ignorer et dans le pire des cas, on leur donne pour ne plus les entendre.

La Bienfaisance Ingénieuse


Page de couverture du Valentin Haüy n° 51, 1998,
illustration de l’article p. 44 Musée Valentin Haüy.

Cette estampe illustre un fait "historique" qui s'est déroulé le 5 Messidor, an 10 (24 juin 1802). La légende en détaille les circonstances :

Pradère, Persuir, Elleviou et son épouse se promenaient par une belle soirée, au boulevard de la Madeleine, un aveugle artiste ambulant sollicitait par les accords de son piano l'attention et la commisération publique, la journée n'avait pas été heureuse, le brave homme s'en plaignait. Pradère l'entend, son esprit lui suggère un projet que son cœur ne désavoue pas, le moyen est goûté : Madame Elleviou baisse son voile, son mari et Persuir enfoncent leur chapeau ; Pradère au piano appelle par son talent la curiosité des passants, qu'il fixe en accompagnant la joli voix de ses deux amis ; et grâce à l'attrayante quêteuse, 36 francs de produit dédommagent le vieillard d'une journée jusqu'alors infructueuse. On a des raisons de croire que dans le décompte il y a eu tricherie mais quelle tricherie… ! Une aussi douce pitié n'humilie point celui qui en est l'objet, et disposent tous les cœurs en faveur de ceux qui l'exercent d’une manière si pittoresque, si noble et surtout aussi généreuse !

Le piano, dont l'usage est plutôt réservé aux salons bourgeois, n'apparaît pas a priori comme l'instrument idéal pour la pratique d'une musique ambulante, même si celui-ci est petit et probablement plus léger qu'aujourd’hui. Et cet aveugle n'a rien à voir avec les pauvres hères précédemment évoqués. Il est qualifié d'artiste, comme Pradère, Persuir et Elleviou, connus en leur temps, qui n'hésitent pas à se porter à sa rescousse. Des sentiments confraternels circulent entre les personnages, signe que les temps ont changé.
 

Valentin Haüy


Concert extraordinaire donné par des aveugles à la foire Saint-Ovide,
photographie d’une estampe ancienne.

Valentin Haüy incarne cette mutation, et la scène qu'il présente comme le déclic de sa vocation au service des aveugles est également sonore. Le "Grand Concert Extraordinaire de la foire Saint-Ovide" de 1771, place Louis XV,  n'a de musical que le titre. C’est une parodie qui ridiculise des aveugles de l'hospice des Quinze-Vingts. Devant cette atteinte à l'humanité, Valentin Haüy se promet de démontrer que les aveugles peuvent, si on leur en donne les moyens, s'instruire et "exécuter des concerts harmonieux". Il fonde une école où Louis Braille sera scolarisé et concevra vers 1825 un procédé tactile pour coder tous les caractères de la langue écrite, dont la notation musicale. Le braille permet dès lors d'enseigner aux aveugles une  musique savante. Mais ceci est une autre histoire.

 

Pour en savoir plus sur l'association Valentin Haüy :

 

Noëlle Roy
Conservatrice du musée Valentin Haüy
Responsable de la bibliothèque Valentin Haüy

Commentaires

Soumis par Wilfrid le 25/06/2017

L'association Valentin HAÜY au service des aveugles et des malvoyants telle que je l'ai découverte par moi-même lors d'une mission humanitaire m'a vraiment permi de me sentir plus près de ces personnes et de me rendre compte des difficultés que tout un chacun semblait vivre au quotidien. La musique faisait en effet partie des activités occupationnelles qui étaient proposées dans le centre mais pas que. Il y avait également du chant étant donné que tout le monde ne savait pas forcément se servir d'un instrument. Par ailleurs, les cours de braille proposés par le professeur Jean, lui même aveugle, m'a fait observé la compléxité d'un tel système, pourtant assimilable et parfaitement à la portée de tous avec un peu d'exercice et d'entraînement. C'est sans doute vrai, selon mon point de vue, en tout cas, que compte-tenu de leur privation totale de vue, certaines personnes aveugles, mais pas toutes, développent des capacités au travers de leurs autres sens, l'ouïe, le toucher, l'odorat entre autre. J'ai côtoyé des personnes qui scupltaient des objets magnifiques avec de l'argile, d'autres qui avaient un don pour la musique.

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