Frédéric Soulié (1800-1847)
Ecrivain très célèbre au XIXe siècle, Fréderic Soulié (1800-1847) est l'un des maîtres du roman populaire. Ecrivain-journaliste, comme de nombreux hommes de lettres dans son siècle, il a publié ses fictions en feuilleton dans les journaux et est surtout resté comme l'auteur des Mémoires du Diable.
« Il était de ces hommes qui ne veulent rien devoir qu’à leur travail, qui font de la pensée un instrument d’honnêteté et du théâtre un lieu d’enseignement, qui respectent la poésie et le peuple en même temps, qui pourtant ont de l’audace […] Voulant travailler beaucoup, il travaillait vite, comme s’il sentait qu’il devait s’en aller de bonne heure ». Tel fut l’éloge prononcé par Victor Hugo le 28 septembre 1847, lors des funérailles de Frédéric Soulié.
Cet écrivain né à Foix le 23 décembre 1800 a suivi des études à Nantes, Poitiers et Paris, accompagnant son père, ancien professeur de philosophie devenu soldat de l’an II et poursuivi par des tracasseries administratives pour raisons politiques. Ayant des sympathies pour les révolutionnaires italiens (les Carbonari), Frédéric participe à une révolte estudiantine et est envoyé avec ses condisciples terminer ses études de droit à Rennes sous la surveillance de la police.
De retour dans la capitale en 1824, et ayant publié un recueil de vers passé totalement inaperçu (Amours françaises), il fréquente les salons littéraires, et devient l’ami d’Alexandre Dumas et de Jules Janin. Pour vivre, il prend la direction d’une scierie mécanique située près du Jardin des Plantes (1824-1828), puis travaille à la Bibliothèque de l’Arsenal. Très vite il se tourne vers le théâtre, et connaît un certain succès lors de la représentation de Roméo et Juliette, qu’il a librement adapté de Shakespeare. Mais l’année suivante il essuie son plus grave échec : Christine à Fontainebleau est assassinée par la critique (« rien ne lie les péripéties du drame […] la pièce marche par bonds, par saccades […] le but est manqué. »). Il va néanmoins continuer à écrire des drames : Clotilde (1832) ou Le Fils de la folle (1839).
« La révolution de 1830 arriva. J’y pris part, je me battis. Je suis décoré de juillet, ce qui ne prouve rien, mais enfin je me suis battu. » Dans ces années-là, Soulié se tourne vers le journalisme, assurant souvent la critique dramatique. C’est lui qui rédige le « feuilleton » du numéro un de La Presse de Girardin, premier quotidien à grand tirage. Surtout, il commence à y publier des romans. Dès 1832 parait Les deux cadavres, roman frénétique et historique situé dans l’Angleterre de Charles Ier. Il écrit alors tant et plus, avec parfois plusieurs récits simultanés dans des journaux concurrents. Les lecteurs peuvent ainsi voir régulièrement son nom dans les grands quotidiens, comme la Presse, le Journal des Débats, le Siècle. Tous ses romans y paraitront en feuilletons, et il devient un des écrivains les plus populaires du temps.
Le 14 octobre 1846 a lieu la première représentation de La Closerie des Genêts, adaptation théâtrale d’un de ses romans, La Comtesse de Monrion. Plus qu’un succès, c’est un triomphe, une revanche sur les blessures passées, et la critique lui prédit un avenir glorieux. Malheureusement Frédéric Soulié meurt l’année suivante, le 27 septembre 1847, d’une hypertrophie du cœur dans sa maison de Bièvres.
Cet auteur a beaucoup écrit, plus de 70 ouvrages en moins de vingt ans. A côté de nombreux recueils de nouvelles (Le port de Créteil ou Un été à Meudon), il reste surtout l’inventeur du roman-feuilleton, aux côtés d’Alexandre Dumas, Paul Féval et Eugène Sue, même s’il est le moins connu aujourd’hui. Il perfectionne la technique des intrigues à tiroir chère au roman picaresque du siècle précédent, et considère comme primordial le rythme narratif. Il amplifie les effets dramatiques : Les Deux cadavres ruissellent de sang, Le Maître d’école décrit un déshonneur familial, une recherche de paternité, tous les ingrédients qui feront le succès du roman de mœurs de la fin du siècle. Soulié met constamment en scène des rapts, des incestes, des trahisons, des séquestrations, etc. La conséquence en est parfois des personnages stéréotypés : femme fatale, bourgeois, forgerons, prêtre, patron d’usine, paysans, prostituées, soldats, assassins …. qui couvrent l’ensemble du spectre social, de l’humble cultivateur à la haute aristocratie.
Il complexifie à plaisir les intrigues aux dépens parfois du style, tout en restant très clair ; Jules Janin exprime bien cette intelligibilité de la narration en évoquant « cette magique puissance de résoudre avec une prestigieuse facilité les complications les plus surchargées ». Le peuple est toujours présent, à travers sa vie quotidienne, ses épuisantes journées de travail, sa paie misérable, ses révoltes (cf. Le Conseiller d’état). Pessimiste et moraliste, il met en accusation une société toute de façade, cachant ses turpitudes et ses Drames inconnus et sordides.
Ses romans déploient toute la palette des différentes thématiques à venir. Que ce soit le roman historique, comme ceux sur le Languedoc (Le Vicomte de Béziers ou Le Comte de Toulouse) et la Révolution française (Confession générale), le judiciaire dont on trouve les prémisses dans Eulalie Pontois, le fantastique qu’il adapte au contexte contemporain : Le Magnétiseur. C’est dans ce genre que se déploie son texte le plus célèbre, Les Mémoires du Diable. Ce roman écrit sur un ton étrange et ironique, chef d’œuvre du fantastique échevelé, patchwork de récits enchâssés mais presque autonomes, renoue avec bonheur le thème classique du pacte démoniaque. Satire féroce des mœurs, il mêle les motifs du mélodrame à ceux du roman noir : enfants abandonnés, incestes involontaires, fausses paternités. Ce fut l’ouvrage le plus vendu de son temps. Publié régulièrement tout au long du XIXe siècle, il disparaît des rayons des librairies pendant une soixantaine d’années, pour de nouveau être périodiquement réédité depuis les années 1950. Alexandre Dumas avait bien vu, dès sa parution, le potentiel formidable de ce texte (La Presse, 4 mars 1838) : « Il faut lire ce livre, qui sera le livre de l’époque ; il montrera dans des jours plus avancés à quel point de désenchantement, de dégoût et de mépris, l’homme en était venu pour l’homme en l’an de grâce 1838 […] Puis maintenant si nous parlons du style, il est complètement ce qu’il doit être tantôt une ironie méphistophélitique [sic], tantôt un récit simple et rapide, tantôt une peinture commune de mœurs vulgaires »
Roger Musnik – Département Littérature et art
Il existe un numéro spécial (n°26 printemps 2004) de l’excellente revue Le Rocambole consacré à Frédéric Soulié.
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