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Les affiches d'Alphonse Mucha (1) : portraits de Sarah Bernhardt

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Au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France est conservé un ensemble d'affiches réalisées par Alphonse Mucha (1860-1939) et entrées dans les collections patrimoniales essentiellement par le dépôt légal imprimeur. A l'occasion de la parution du livre-posters Alphonse Mucha, la Belle Époque de l’affiche, Sandrine Maillet, chargée de la collection, nous présente quelques-unes des plus belles pièces numérisées dans Gallica. Ce premier épisode est consacré aux affiches de théâtre réalisées pour la comédienne Sarah Bernhardt.
 
"La Dame aux camélias", lithographie en couleurs, 1896

Bonjour Sandrine Maillet. Le livre-posters dont vous êtes l'auteur s'intitule "Alphonse Mucha, La Belle Epoque de l'Affiche". Pouvez-vous expliquer ce titre ?

A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, l'affiche de grand format et en couleurs, destinée à annoncer des divertissements ou à promouvoir des produits de consommation (spectacles, expositions, articles divers, boissons...) recouvre  les murs et les palissades des villes. Un véritable âge d'or ! L'oeuvre parisienne de l'affichiste majeur de l'Art nouveau qu'est Alphonse Mucha (1860-1939), est associée à cette période efferverscente et à ses plaisirs, restée dans les mémoires comme une "Belle Epoque". Lui qui se rêvait peintre d’histoire et de sujets mythologiques sur de grandes toiles a paradoxalement accédé à la notoriété par ce médium fragile et dans l'air du temps.

Y-a-t-il une constante graphique dans son oeuvre d'affichiste ?

On retrouve des motifs végétaux et floraux imprégnés d’Art nouveau, des ornements, des éléments d’inspiration symboliste mêlés à des compositions byzantines, des tons pastel rehaussés d’or, de bronze et d’argent, un soin constant du détail. La figure centrale est le plus souvent celle d'une jeune femme aux longs cheveux virevoltants,  le visage se détachant sur un cercle, vêtue d'étoffes chamarrées, parée de bijoux. Il s'agit, en ce qui concerne les affiches de théâtre, d'un portrait idéalisé de Sarah Bernhardt (1844-1923), rencontre déterminante pour Mucha, à qui son oeuvre et sa carrière sont étroitement liées. Mucha réalise en effet sept affiches pour des pièces de théâtre mettant en vedette la tragédienne. Ces pièces sont, dans l'ordre chronologique, de La Dame aux camélias, Lorenzaccio, La Samaritaine, Médée, Hamlet, La Tosca, L’Aiglon.

Vous qualifiez en effet la première affiche réalisée par Mucha, Gismonda,  de "coup de maître qui le propulse de l'ombre à la lumière en quelques jours"...Que se passe-t-il exactement ?

Arrivé depuis sa Moravie natale (Empire austro-hongrois) à Paris, Mucha répond à diverses commandes, illustre des revues, des livres, des journaux, des couvertures de périodiques ou des calendriers. C'est à la fin 1894 que se produit le tournant de sa carrière : il est employé chez Lemercier lorsque Sarah Bernhardt  commande une affiche publicitaire pour la reprise, le 4 janvier 1895, au Théâtre de la Renaissance, de Gismonda, pièce de Victorien Sardou (1831-1908). Il se trouve alors que Mucha a déjà dessiné des scènes de ce drame byzantin dans le numéro spécial de Noël 1894 du Gaulois. Il semble donc le mieux à même de répondre à cette commande urgente, dans un délai très court.
 

Pour cette première composition, Mucha, s’appuie sur l'un de ses propres dessins qui représente Sarah Bernhardt à l’acte IV, la palme des rameaux à la main. Mais ce qu'il propose est très orginal : personnage en pied, ornements byzantins, tons pastel avec rehauts de bronze et d’argent, demi-cercle auréolant le visage, costume somptueux et lettres prises dans le motif., Faute de temps, l'affiche est inachevée dans sa moitié inférieure, ce qui ne l'empêche pas d'être très appréciée par Sarah Bernhardt. Il y a une véritable rencontre entre l'image magnifiée, sublimée qu'elle souhaite donner d'elle-même et le style de Mucha. Elle propose sur le champ à Mucha un contrat de six ans. Cette’affiche, tirée à 4 000 exemplaires, le fait accéder à une véritable reconnaissance en associant son nom à celui de « la Divine ». Il existe trois variantes de cette affiche, pour des tournées à l’étranger de Sarah Bernhardt, au Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles et aux États-Unis.

Pouvez-vous nous parler des autres affiches ?

Les sept autres affiches de théâtre imprimées chez Champenois voient le jour dans les années suivantes : La Dame aux camélias, Lorenzaccio, La Samaritaine, Médée, Hamlet, La Tosca, L'Aiglon.

En 1896, Sarah Bernhardt reprend La Dame aux camélias, pièce adaptée du roman d’Alexandre Dumas fils (1824-1895), au Théâtre de la Renaissance. Mucha opte pour des teintes douces et représente la tragédienne de profil, sur un fond mauvre constellé d'étoiles argentées. Les ornements allégoriques - coeurs et couronnes d'épines- font référence au drame passionnel, tandis qu'une main tient symboliquement une branche de camélia. Le costume blanc dont est vêtue Sarah Bernhardt a été dessiné par Mucha, qui a créé aussi ses bijoux de scène. Il existe deux variantes de cette affiche pour les tournées américaines de Sarah Bernhardt de 1905-1906 et de 1910-1911.
 


La Dame aux camélias, lithographie en couleurs, 1896

« Au charivari des couleurs, il a opposé l’affiche claire et blanche comme un lis. Et cela seul, avec cependant la grâce d’un profil, la distinction d’une attitude comme cette inoubliable effigie de La Dame aux camélias, suffit à arrêter et à séduire. »

Charles Saunier (1865-1941) , La Plume , 1897

Mucha représente aussi Sarah Bernhardt dans des rôles masculins : Lorenzaccio, Hamlet et L’Aiglon. L'affiche dessinée par Mucha pour la représentation de Lorenzaccio, drame d'Alfred de Musset (1810-1857), du 3 décembre 1896 s’appuie sur une photographie d’un modèle d’atelier – car au début de sa carrière, Mucha n'a pas les moyens financiers suffisants pour rémunérer des modèles. Le personnage, cheveux courts, habillé du costume sombre du prince, pose dans une attitude songeuse, préméditant sans doute le meurtre du duc Alexandre de Médicis. En haut de l’affiche, on distingue la mâchoire acérée d’un dragon mêlée au blason des Médicis qui symbolise la tyrannie, en bas le corps transpercé par l’épée évoque le dénouement tragique. Il existe trois variantes de différentes couleurs correspondant aux tirages destinés à la vente et aux tournées américaines de 1896, 1905-1906, 1910-1911, 1913 et 1916.

Dès l'année suivante, en 1897, Mucha réalise l’affiche de La Samaritaine, pièce d’Edmond Rostand (1868-1918), pour la première du 14 avril au théâtre de la Renaissance. Sarah Bernhardt est cette fois représentée en Photine, jeune fille de Samarie, dans la scène de la rencontre avec le Christ. Les noms écrits s'intègrent parfaitement au graphisme : dans une première auréole de mosaïques étoilées, le nom de Jéhovah apparaît en caractères hébraïques, celui de Sarah Bernhardt s’inscrit dans un second cercle tout aussi majestueux. La couverture de la première édition de la pièce publiée chez Charpentier et Fasquelle en 1897 reproduit l’affiche en monochrome. Il existe deux variantes, l’une destinée aux tournées et l’autre aux collectionneurs.
 

Le 29 octobre 1898, Sarah Bernhardt créé le rôle de Médée, dans la tragédie en trois actes de Catulle Mendès (1841-1909) écrite expréssement pour elle et inspirée d'Euripide, au Théâtre de la Renaissance, juste avant l’ouverture du théâtre Sarah-Bernhardt. Les yeux épouvantés de l'héroïne, la dague sanguinolente et le corps à ses pieds confèrent à cette affiche tout son aspect tragique. Les références à l'Antiquité sont nombreuses :  forme en "Delta" de la lettre « D », décor en mosaïques dans les cartouches et couronne de fer entourant la tête. Le bracelet en forme de serpent a été dessiné par Mucha et a servi de modèle au grand joaillier Georges Fouquet (1862-1957). Mucha lui dessina d’autres bijoux de scènes et créa le décor de sa bijouterie rue Royale, à Paris, en 1900.

 

 

S’appuyant sur des photographies du spectacle, Mucha dessine Sarah Bernhardt de profil et en pied dans son costume d’Hamlet, un des grands rôles masculins, avec Lorenzaccio et L’Aiglon, qu’elle porte à la scène. La Tragique histoire de Hamlet, drame en 12 tableaux de William Shakespeare (1564-1616) est adaptée à la demande de la comédienne par Eugène Morand 1853-1930) et Marcel Schwob (1867-1905). L’affiche réalisée pour la première du 20 mai 1899 au Théâtre Sarah Bernhardt, aujourd’hui Théâtre de la Ville, annonce de manière elliptique l’histoire tragique du prince du Danemark : dans le bandeau du bas repose le corps inerte d’Ophélie et dans le demi-cercle du haut se devine une scène spectrale sur les remparts d’Elseneur.
Une version monochrome de l’affiche est reproduite sur la couverture du supplément illustré du Figaro de mai 1899. Elle existe aussi au format carte postale annonçant la tournée américaine de 1905-1906

 
Drame en cinq actes et six tableaux, La Tosca de Victorien Sardou (1831-1908) est représentée pour la première fois en novembre 1887 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris. Régulièrement jouée, la pièce écrite pour Sarah Bernhardt est reprise le 21 janvier 1899 à l’occasion de l’inauguration du Théâtre Sarah Bernhardt - salle dans laquelle la comédienne se produit désormais. Une photographie de l’Atelier Nadar où Sarah Bernhardt porte son costume de scène sert sans doute de modèle à Mucha. La particularité de cette affiche est son format inférieur aux habituelles affiches de théâtre. La variante annonçant les tournées américaines de 1905-1906 comporte des parties dessinées d’une autre main que celle de Mucha.

 

Pour continuer l'exploration de cet ensemble d'affiches, rendez-vous le mois prochain, où paraîtrra un deuxième billet consacré aux affiches commerciales d'Alphonse Mucha.

Voir aussi

La sélection Gallica  sur les portraits d'artistes de la scène (XVIIIe-XXe siècle)

Les billets de blog  Sarah Bernhardt : portraits et représentations d'une vedette, consacré aux photographies (1) puis aux affiches et caricatures (2)  figurant la Divine

Le billet de blog  L'affiche, "estampe des murs au musée populaire de la rue" sur les collections d'affiches numérisées du Département des Estampes et de la photographie

Et ailleurs

Le livre-posters dont est tiré ce billet : Alphonse Mucha, la Belle Epoque de l'affiche, par Sandrine Maillet, BnF Editions, 2020.

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