Un air de Hongrie
De janvier à juin 2022, à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, la Bibliothèque nationale de France organise en partenariat avec Radio France une Saison musicale européenne qui mettra à l'honneur, en une vingtaine de concerts, des œuvres de compositeurs européens du XVIIe au XXe siècle pour lesquelles la BnF possède dans ses collections des sources essentielles. Tout au long de cette saison, Gallica vous propose de découvrir en détail quelques-unes de ces pièces exceptionnelles.
Le Grand Auditorium de la Bibliothèque nationale de France propose ce vendredi 4 février un concert placé sous les couleurs magyares, avec au programme cinq compositeurs hongrois ou d'origine hongroise : des frères Doppler (Franz, 1821-1883, et Karl, 1825-1900) à Paul Arma (1904-1987), en passant par Franz Liszt (1811-1886) et Béla Bartók (1881-1945). Ce concert rend par ailleurs hommage, pour le centenaire de sa naissance, au flûtiste Jean-Pierre Rampal (1922-2000) qui fut le dédicataire et l'interprète d'un grand nombre d'œuvres de Paul Arma, dont la Suite paysanne hongroise inscrite au programme.
Le département de la Musique de la BnF conserve dans ses collections les manuscrits autographes de la plupart des œuvres interprétées lors de cette soirée. En particulier, ceux des deux pièces pour piano de Liszt, la Ballade n°1 S. 170 et la Berceuse S. 174.
La première Ballade de Liszt fut conçue en France, en 1845. L'humeur du musicien était alors portée vers la tristesse et la mélancolie (il venait de se séparer de sa compagne la comtesse Marie d'Agoult) ; il écrit ainsi à un ami, le 21 décembre 1845 : "Si j'avais à vous parler de moi, je ne pourrais vous dire que ce que vous savez : c'est que je suis mortellement triste, et que mes seules heures passables ce sont mes heures de travail […]. Ce matin j'ai fait 5 ou 6 pages qui ne me déplaisent point – j'appellerai cela peut-être Dernières illusions ! C'est triste comme trente-six bonnets de nuit !..." Une première ébauche manuscrite de cette pièce, la future Ballade, porte en effet le titre Dernières illusions. Les titres que Liszt donne à d'autres pièces écrites à cette époque sont dans le même ton : Litanies de Marie, Consolation…
Le manuscrit de la Ballade n°1 conservé à la BnF, sous la cote MS-172, n'est pas l'ébauche de 1845 mentionnée précédemment mais un manuscrit plus tardif, achevé en 1849 et envoyé par Liszt pour gravure à l'éditeur Kistner, de Leipzig. Chargé de ratures, de repentirs et de collettes, ce manuscrit porte les traces du travail intensif qu'y a consacré Liszt. L'œuvre est publiée par Kistner au printemps 1849, avec une dédicace au prince Eugen Wittgenstein, un neveu de la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein, nouvelle compagne du compositeur depuis 1847.
Également au programme, la Berceuse de Liszt, écrite sur l'exemple très clair de Chopin, existe en deux versions différentes. La plus connue d'entre elles est la deuxième, datée de 1863, à la fois fidèle à son modèle chopinien par sa construction et très lisztienne par ses traits de virtuosité éclatants. Le manuscrit autographe de cette version figure dans le fonds des Archives Goethe & Schiller de Weimar.
Mais le manuscrit que conserve le département de la Musique de la BnF, sous la cote MS-154, est celui de la première version de l'œuvre. Celle-ci fut conçue par Liszt en 1854, pour une occasion bien particulière : lors du mariage de l'Empereur François-Joseph d'Autriche et de la duchesse Elisabeth "Sissi" de Bavière, célébré à Vienne en avril 1854, on offrit au couple impérial un album de huit pièces pour piano signées des plus grands compositeurs virtuoses de l'époque, l'Elisabeth-Fest-Album ; la Berceuse était la contribution de Liszt à cet ensemble. Cette version originale de l'œuvre frappe par son caractère nettement plus simple et dépouillé que celui de la version de 1863. Le manuscrit autographe de Liszt, qui a servi pour la gravure à l'éditeur viennois Haslinger, comprend, comme celui de la Ballade, un certain nombre de corrections et de repentirs.
Également au programme du concert de ce 4 février figurent deux œuvres de Paul Arma (1904-1987). Né à Budapest, cet artiste aux multiples talents, pianiste, compositeur mais aussi sculpteur et peintre, fut chef d'orchestre en Allemagne à partir de 1931, organisateur de la vie musicale au Bauhaus de Dessau, avant de fuir le nazisme en 1933 et de gagner la France où il passa le reste de sa vie. Son pays d'adoption lui doit, entre autres, une œuvre exceptionnelle d'ethnomusicologue : après avoir recueilli avec son épouse entre 1940 et 1944, dans la clandestinité, des chants de résistants, maquisards, partisans et prisonniers de guerre, témoignages précieux d'une période de l'histoire de France, il mena ensuite à partir de 1946 des enquêtes de terrain sur les différents folklores musicaux du pays, dont il fit paraître à New York une anthologie sonore, pionnière du genre (Folk Music of France, Ethnic Folkways Library, 1951).
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