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Annie Besant et la Société de Théosophie

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1 juin 2021

Annie Besant, née Wood en 1847, est une femme à la vie marquée par des engagements forts pour les droits des femmes et des plus faibles. Figure de proue de la Société de Théosophie entre 1889 et 1933, elle a mis sa plume, son énergie et sa force de conviction au service de ce mouvement spirituel et culturel, alors en cours de structuration.

Mme Annie Besant, photographie de presse, Agence Rol, 1927, Paris

La conversion

Théosophie, James Harden-Hickey, Paris, 1890

En 1889, le dirigeant de la Pall Mall Gazette, WT Scott demande à Annie Besant, collaboratrice de longue date, de faire une chronique de La Doctrine secrète d’Helena Petrovna Blavatsky. L’ouvrage, récemment publiée en Angleterre, n’est pas anodin : Helena Petrovna Blavatsky a fondé en 1875, avec le colonel Henry Steel Olcott et le journaliste et avocat William Q. Judge, la Société Théosophique à New-York. En 1882, la Société a établi son siège à Adyar en Inde et a rapidement gagné un rayonnement politique, culturel et religieux dans les zones où elle s’est implantée. À la suite de la publication de son article, Annie Besant rencontre Helena Petrovna Blavatsky, qui s’est fixée à Londres depuis 1887. Après deux entrevues, Annie Besant se déclare publiquement "théosophe".

Helena Petrovna Blavatsky et Henry Steel Olcott, Théosophie, James Harden-Hickey, Paris, 1890

Au moment de son adhésion à la Société de Théosophie, Annie Besant est une militante féministe et socialiste bien connue de l’opinion publique britannique. Après s’être séparée de son mari pasteur anglican et avoir perdu la foi, Annie Besant embrasse en 1874 le combat pour une société laïque en adhérant à la National Secular Society aux côté de Richard Bradlaugh. Femme politique, s’illustrant dans des combats pour la cause des femmes et des plus démunis, elle s’est aussi engagée en 1879 dans les activités de l’Irish National Land Ligue puis en 1885 auprès des socialistes de la Fabian Society

La conversion religieuse d’Annie Besant, admirée et controversée, notoirement athée, prend de cours l’opinion publique autant que ses amitiés politiques. Dans un opuscule intitulé Pourquoi je devins théosophe (1890), qui fait écho à son Pourquoi je suis socialiste publié en 1886, Annie Besant met en avant la cohérence de son parcours intellectuel au nom de la libre-pensée et auprès d’une Société de Théosophie dont la devise est : Il n’y a pas religion supérieure à la vérité.

Une force impérieuse me force à dire la vérité, telle qu’elle m’apparaît, que cette vérité plaise ou déplaise."

Annie Besant, présidente de la Société théosophique : un abrégé de sa vie, Aimée Blech, 1918

L’adhésion d’Annie Besant à la Société Théosophique se solde, en 1891, par son exclusion de la National Secular Society et de nombre des cercles intellectuels ou amicaux qu’elle fréquentait. Personna non grata en Angleterre, à partir de 1895 Annie Besant s’installe à Bénarès, où la Société Théosophique possède une petite antenne. En 1903, Pierre Lotti fait son portrait dans L’Inde (sans les anglais) au chapitre "La maison des sages" :

Une femme, une Européenne, échappée au tourbillon occidental a pris place et s’est hautement imposée parmi eux. Charmante encore de visage, sous sa chevelure blanche, elle vit là détachée du monde, pieds nus, frugale comme une épouse de brahme et austère comme une ascète. […]
– Nos dogmes, me disait-elle un moment plus tard, nos dogmes ? Mais nous n’en avons point. Parmi les « théosophes » (puisque tel est le nom qu’on nous donne), vous trouverez des bouddhistes, des brahmanes, des musulmans, des protestants, des catholiques, des orthodoxes ou même des gens comme vous, s’il vous plaît de vous faire recevoir des nôtres….
Alors pour être des vôtres, que faut-il ?
Prêter serment de considérer tous les hommes comme vos frères, sans distinction de caste ni de couleur ; de traiter avec les mêmes égards les plus humbles des ouvriers ou les princes. Prêter serment de rechercher par tous les moyens possible la vérité, dans le sens antimatérialiste. Il ne faut rien de plus."

Pierre Loti en officier, peinture, Marie Delphin

Bien que la Société de Théosophie se voie parfois accusée d’imposture ou de charlatanisme, Annie Besant embrasse pleinement ses objectifs qui sont de former le noyau d’une fraternité universelle de l’humanité, sans distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ; d’encourager l’étude comparée des religions, des philosophies et des sciences ; d’étudier les lois inexpliquées de la nature et les pouvoirs latents dans l'homme. Traduisant ces grandes lignes en une myriade d’écrits et d’actions, Annie Besant gravit rapidement les échelons de la Société de Théosophie. Elle devient en 1907 présidente de la Société et le restera jusqu’à son décès en 1933.

Fonder une fraternité universelle et aborder nouvelle ère

Annie Besant ne cessera d’entrelacer, dans ses écrits ou ses actions, spiritualité et questions sociales. Elle veux mettre La Vie spirituelle à la portée de tous et médiatise dans ses ouvrages des concepts issus des philosophies orientales. Ainsi du Karma, car la raison d’être de chacun serait le résultat d’une dette karmique, accumulée dans les vies passées de l’individu, et dont il faudrait s’acquitter dans cette vie. Cette forme de justice immanente serait aussi, pour Annie Besant, une chance d’apprentissage et d’évolution de chaque âme vers la perfection.

Le Message théosophique et social, 7 août 1921, Paris

Le Dharma est envisagé par Annie Besant comme le devoir propre à chacun, sa mission de vie. C’est cette éthique spirituelle individuelle qu’Annie Besant mobilise, par exemple dans La Réincarnation et les problèmes sociaux, pour expliciter le devoir moral des âmes "plus avancées" à aider les âmes plus jeunes. Il s’agit de rendre la seva, un mot sanskrit qui désigne un service désintéressé, et d’ancrer ainsi le socle de la fraternité universelle dans le don de soi. Mettant en pratique ses idées, en 1908, elle fonde le Theosophical order of service, déclinaison caritative des activités de la Société de Théosophie en Inde. Elle écrit, dans Le Message théosophique et social du 7 août 1921 :

Luttes pour acquérir la force, non pour être fort vous-même mais pour que le monde soit plus fort.
Luttes pour acquérir la sagesse, non pour être sage vous-même mais pour que le monde soit plus sage.
Luttes pour acquérir la pureté, non pour être pur vous-même mais pour que le monde approche de plus près la pureté divine."

Il faut rappeler qu’Annie Besant est une femme instruite : ayant reçu une solide éducation de la part d’Ellen Marryat, sa bienfaitrice. Par la suite, inlassable voyageuse, porte-parole de la Société de Théosophie, elle se montre capable de faire des conférences dans de nombreuses langues. En 1911, elle fait ainsi en français une conférence en Sorbonne dédiée au message de Giordano Bruno, martyr de la libre-pensée.

Illustrations de Explicatio Triginta Sigillorum..., de Giordano Bruno, Londres, 1583

Toujours à la recherche de la vérité, passionnée de sciences, Annie Besant rappelle dans la plupart de ses écrits des faits scientifiques à l’appui de ses démonstrations. Avide lectrice autodidacte, chercheuse infatigable, elle commence des études supérieures lorsque l’université de Londres s’ouvre aux femmes. Elle passe brillamment ses examens en botanique, physique ou étude de la lumière, avant d’être découragée en 1883 de passer sa licence, pour des raisons largement politiques. Plus tard, au contact de la Société Théosophique, elle continue de se cultiver, apprend le sanskrit et propose même une traduction de la Bhâgava-Gîta, le chant du bienheureux, un texte littéraire et philosophique extrait du Mahabharatâ, le grand poème épique hindou.

Arjuna sur son char avec son cocher, Krishna, avant la bataille ; extrait de la Bhagavat-Gîta

Forte de sa formation scientifique et littéraire, Annie Besant fait de l’éducation des deux sexes un axe fort de son action politique autant que de sa pensée. En Inde, elle va s’engager pour l’éducation des filles, fonder le collège hindou de Bénarès en 1898 et participe à la mise en place de l’Université hindoue de Bénarès en 1916. Annie Besant met au service de la Société de Théosophie ses talents de pédagogue et son éducation scientifique pour retracer l’histoire ou expliciter les croyances de la Société Théosophique dans son Introduction à la Théosophie ou dans sa présentation de La Théosophie et son œuvre dans le monde. Régulièrement invitée par la branche française de la Société de Théosophie, en 1910, Annie Besant appelle de ses vœux  La Fin d’un cycle l’avènement d’une nouvelle ère religieuse, scientifique et sociale et exhorte même directement, en français dans le texte,  les "enfants de la France mère de nos idée sublimes de liberté et de fraternité" :

C’est à cette France idéaliste que je fais appel et que je dis : relève-toi du matérialisme qui te souille ! Inscris encore sur ton oriflamme les mots Devoir et Spiritualité et marche en tête de l’humanité, de l’humanité qui va vers la Perfection !"

La Voie de l'occultiste, A. Besant et C. W. Leadbeater, Adyar, Paris, 1927-1928

La même année, Annie Besant adopte Jiddhu Krishnamurti. Le jeune homme, issu d’une famille de brahmanes, a été "découvert" sur une plage par Charles W. Leadbeater qui anime les cercles de la Société de Théosophie en Inde aux côté d’Annie Besant. Fils d’un employé indien de la Société de Théosophie, Jiddhu Krisnamurti est déclaré être une possible incarnation de l’instructeur pour Le Monde de demain qu’Annie Besant décrit dans ses ouvrages. Sa mère adoptive se consacre à son éducation et à son évolution spirituelle pendant plusieurs années avant de l’envoyer à Londres, juste avant que n’éclate le premier conflit mondial.

J. Krishnamurti (Pacific), photographie de presse, Agence Rol, 1928

Le culte rendu à Krisnamurti par la Société de Théosophie en Inde s’accompagne, en 1911, de la fondation de l’ordre de l’Étoile d’Orient. Cet évènement crée une rupture avec les branches allemande et hongroise de la Société Théosophique et engage le schisme avec son secrétaire, Rudoph Steiner, auteur notamment de L’Initiation ou la connaissance des mondes supérieurs. Il fonde peu après le mouvement de l’anthroposophie, commence à développer sa pensée propre sur La Science occulte et développe sa Philosophie de la liberté.

Le Journal, Paris, 13 janvier 1926

Les Lois inexpliquées de la nature et les pouvoirs de l’homme

Les interrogations sur les limites du matérialisme et de la connaissance scientifique fondent l’intérêt d’Annie Besant pour les projets de la Société Théosophique et sa propre recherche. La religion commence là où science et philosophie deviennent impuissantes à expliciter la réalité sensible. Or l’explicitation des phénomènes psychiques, l’hypnose, les états modifiés de conscience et, de manière générale, tous les phénomènes que la physique ou la biologie de l’époque peinent à expliquer, semblent tenir la science en échec. Annie Besant entreprend à travers ses écrits d’expliciter Le Pouvoir de la pensée.

La Sagesse antique, publications théosophiques, Paris, 1905

Dans ce champ de la connaissance, la méditation, le yoga ou d’autres techniques de transformation de la conscience font partie du protocole expérimental. Annie Besant rédige ainsi par exemple un ouvrage sur La Chimie occulte : série d’observations faites sur les éléments chimiques au moyen de la clairvoyance, dont une traduction peut être trouvée en français à la fin du volume La Sagesse antique : exposé sommaire de l’enseignement théosophique.

La Société de Théosophie est en effet une des premières institutions culturelles à acclimater  "la" yoga pour un public occidental, par exemple en publiant Raja Yoga, l’œuvre phare de Swami Vivekananda, qui marque un tournant dans l’élaboration et la médiatisation contemporaine du yoga. Annie Besant, quant à elle, popularise pour le grand public des éléments de l’enseignement ésotérique du yoga dans La Construction de l’Univers. Yoga – Symbolisme ou Le Soi et ses enveloppes, qui détaillent une vision non matérielle du corps ou plutôt des corps dont les humains seraient constitués. Plus encore, dans son Introduction à la Yoga, présentée comme un prélude à l’étude des Yoga-Sutras de Patanjali, Annie Besant présente la yoga comme le moyen d’accéder à une véritable science de l’esprit.

Les Formes-pensées, Annie Besant et C. W. Leadbeater, Paris, 1905

L’ouvrage sur Les Formes-pensées, rédigé avec Charles W. Leadbeater, est peut-être le document le plus abouti de cette recherche dans et au moyen de la conscience. À travers des techniques d’observation de l’aura des pensées et des émotions, le duo propose des correspondances entre couleurs et sentiments, ainsi que des représentations imagées des vibrations colorées émanant des émotions ressenties et se déployant dans l’espace. Cet ouvrage très richement illustré semble avoir joué un rôle important dans la genèse de l’art abstrait chez les avant-gardes européennes, par exemple chez Piet Mondrian ou Wassily Kandinsky.

L'élan tempéré, Kandinsky, huile sur carton, 1944.

Trouver la source de toutes les religions

Conformément au projet de la Société de Théosophie, Annie Besant se propose de redécouvrir par l’étude et la publication de textes religieux la source commune à laquelle puiseraient toutes les religions. En une forme originale de syncrétisme, Annie Besant propose un Précis universel de religion et de morale qui entend faire une étude textuelle comparative des textes religieux et moraux des traditions chrétienne, juive, musulmane, hindoue ou bouddhiste. Il s’agit de fonder non seulement une croyance unique, une croyance qui rassemble plus qu’elle ne sépare, mais aussi une morale rationnelle, une religion qui a des bases scientifiques.

Dans cette perspective, le clergé avec ses dogmes, ses intercessions et ses rites semble un facteur de séparation d’avec le divin. Tout au contraire, la foi personnelle, intime, mystique et morale, guiderait chacun vers une vie meilleure. Annie Besant marque son intérêt pour les courants religieux mystiques en publiant des ouvrages sur le Christianisme ésotérique ou sur Les religions pratiquées actuellement dans l’Inde. En 1907, elle fonde un comité international sur les traditions mystiques. Elle s’intéresse à décrypter Les Mystères et à percer les secrets de la relation émotionnelle qui relie directement le mystique au divin.

L'Écho du merveilleux, 1 septembre 1910, Paris

Toujours pédagogue, Annie Besant détaille dans Le Sentier du disciple et Le Sentier des initiés les étapes sur le chemin de l’initiation selon la Société de Théosophie. Au contraire, La Lumière sur le sentier se veut un manuel pratique pour l’aspirant théosophe. Elle décrit de plus dans un de ses ouvrages Les Trois Sentiers conduisant à l’union divin ce sont la Jnana, la connaissance, la Bakti, la dévotion, et le Karma, l’action.

Parmi les chemins qui lui sont proposées, Annie Besant choisit résolument celui de l’action. Ainsi, en 1913, Annie Besant, femme et britannique, éternelle protectrice des plus faibles et des plus pauvres, se plonge dans le combat politique pour l’indépendance de l’Inde et des Indiens. Elle va rapidement se faire une place dans la vie politique indienne jusqu’à être la première femme élue présidente du parti du Congrès. Elle continuera à y œuvrer pour les droits des femmes, des enfants et des travailleurs. Elle s’effacera néanmoins face à l’aura grandissante de Gandhi dans les années 30.

Gandhi, rebelle indou, photographie de presse, Agence Rol, 1921

Toujours plus investie dans ses missions politiques, Annie Besant s’est éloignée d’une Société de Théosophie dont Krisnamurti révèle les limites en 1930 au congrès de la Société de Théosophie. En effet, il refuse le culte qui lui est rendu et dissout l’ordre de l’étoile d’Orient.

Annie Bessant et Krishnamurti (Pacific), photographie de presse, Agence Rol, 1927

En 1933, celle que Krishnamurti nomme affectueusement "Amma" décède en Inde. Au cours d’une vie hors normes, elle a côtoyé et nourri les grands courants politiques et culturels de son époque. Auréolée en Inde d’une gloire immense et d’un grand respect, Annie Besant laisse à la postérité un parcours et une œuvre protéiformes.

Elsa Bres,
Bibliothèque Sainte Genevièvre

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Commentaires

Soumis par Pamela Weber le 12/06/2021

Merci pour cet aperçu d'une femme incroyablement impliqué dans la vie à la fois personnelle, spirituelle et en même temps sociale et politique. Je dirais qu'elle a choisi non seulement la voie de l'action, mais aussi clairement celle de la connaissance, avec toutes ces publications et réflexions ! Hâte de découvrir certains de ces textes que je ne connais pas.

Soumis par Muriel Pécastai... le 11/08/2021

Bravo pour cet excellent article sur Annie Besant. J'ai particulièrement apprécié que vous montriez la cohérence de son parcours intellectuel, spirituel et politique. C'était l'objet de la biographie que je lui ai consacrée et que vous m'avez fait le plaisir de citer. Il est bon de rappeler que la bibliothèque Ste Geneviève dispose d'un fonds théosophique très riche, qui mériterait d'être encore plus exploré par de jeunes chercheur.e.s.

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