Paris dans la deuxième moitié du XIXe siècle : les dessins de la collection Chauvet
Les dessins de la collection Chauvet récemment numérisés nous font visiter le Paris de la deuxième moitié du XIXe siècle, Paris qui se transforme selon les plans du baron Haussmann. Chauvet croque sur le motif, à la mine de plomb, sur papier ou sur calque parfois, des vues, des scènes et des architectures qu’il enrichit ensuite en atelier, ajoutant des personnages ou des détails supplémentaires puisés dans la presse du moment, rehaussant le trait à l’aquarelle, à la gouache ou à l’encre.
Jules-Adolphe Chauvet, né à Péronne en 1828 et encore actif en 1906, fut un peintre et un dessinateur prolifique, tout en assurant son gagne-pain par des emplois salariés, d’abord comme engagé volontaire et sous-officier aux Chasseurs d’Afrique dont il démissionna en 1855 pour entrer dans l’administration des Petites voitures. Toutefois la création artistique dut être sa vraie vocation puisqu’il suivit dans sa jeunesse, de 15 à 18 ans, une formation dans l’atelier de Cicéri et ne cessa jamais de produire dessins et illustrations. Il réalisa entre autres des vignettes pour L’Eloge de la folie d’Erasme, pour une réédition de Manon Lescaut, 102 figures galantes pour les Mémoires de Casanova, 3000 dessins demandés par les bibliophiles pour truffer leur exemplaire. Il proposa aussi des modèles pour des chromos, des ex-libris, des couvertures de programme de théâtre, des titres de romance, des cartons d’invitation, des menus. Lorsqu’il dessine les paysages parisiens, la minutie du graphisme et la précision des légendes permettent de reconstituer précisément le vieux et le nouveau du XIXe siècle, les démolitions et nouvelles perspectives voulues par Haussmann. Chauvet n’est pas le seul dessinateur de cette collection topographique ; on relève aussi les signatures de Ottin, Clerget, Varin, Gobaut, Saffrey, Jourdain, Blatter, Jacquet, Prévost, Jolimont… Des noms qui, pour quelques uns, figurent aussi dans la collection de dessins réunie par Destailleur. Au sein des collections du département des Estampes et de la photographie, la collection Chauvet vient également s’ajouter, concernant la représentation de Paris sur Gallica, aux dessins et plans du fonds Robert de Cotte, aux eaux-fortes de Martial ou de Meryon, aux célèbres photographies d’Atget ou aux clichés d’agences de presse.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8455988f
La cohérence de la collection Chauvet, outre son sujet unique, Paris et ses environs, tient à la volonté de son premier possesseur, Auguste Lesouëf. C’est lui qui a passé commande à Chauvet et qui a probablement acheté en vente publique les dessins portant d’autres signatures. Pierre Champion, son neveu par alliance, dans la monographie manuscrite qu’il a consacrée à Auguste Lesouëf, amateur explique qu’il « fit faire par Chaumet [sic] une suite de dessins et aquarelles représentant les aspects du vieux Paris, ses démolitions ». Ces représentations du Paris contemporain complètent un ensemble déjà réuni sur le sujet, des plans, des gravures de mœurs. Lesouëf est un amoureux de Paris qu’il parcourt de jour ou de nuit, à pied ou sur l’impériale d’un omnibus. Cette passion lui a même été fatale puisqu’il succombe à ses blessures le 15 août 1906, après avoir été renversé quelques jours plus tôt par un fiacre débouchant de la rue Charlot alors qu’il se promenait sur le boulevard Beaumarchais où il occupe un appartement au troisième étage d’une banale maison de rapport. Ce logement est le refuge encombré du collectionneur qui a amassé sa vie durant livres, manuscrits, médailles, dessins et estampes, objets d’Extrême-Orient, jeux, poupées de toutes les nations, modèles de construction et de navires… Un grand catalogue sur fiches de ces trésors barre le passage dans un couloir. Lesouëf a constitué une collection éclectique et considérable : 17 500 numéros pour les gravures, 18 000 volumes, 35 incunables…
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84572647
Auguste Lesouëf, né le 16 août 1829, est le fils d’un fondeur d’or et d’argent, homme d’affaires avisé et parcimonieux, à la tête d’une confortable fortune de 2 millions de francs à sa mort en 1857, qui avait déjà constitué une intéressante bibliothèque. Sa mère, fille d’un orfèvre, gaie et cultivée, parle à son fils de ses amis peintres et libraires. L’héritage pécuniaire et culturel, un caractère curieux et passionné, expliquent la vocation du collectionneur. Champion déclare que les acquisitions de Lesouëf, homme sans vanité ni goût ostentatoire, restent mystérieuses. On sait cependant qu’il fréquente des amateurs, des bibliothécaires comme Léopold Delisle, des libraires comme Honoré Champion (père de l’auteur de la monographie). Il reçoit tous les catalogues de ventes publiques, sans jamais y assister. On relève par exemple dans le catalogue de la vente de la collection Destailleur de 1896 annoté par Lesouëf, que celui-ci a acquis certains lots, comme les numéros 578, 601 ou 610, contenant des dessins sur Paris et pour certains des œuvres de Chauvet. L’auteur de la notice sur Chauvet dans l’Inventaire du fonds français après 1800 insinue même que celui-ci aurait fourni à Destailleur des dessins et aquarelles, soi-disant du XVIIIe siècle… L’enquête est en cours ! On note aussi dans l’inventaire de l’œuvre de Chauvet cinq dessins de la maison d’Edmond de Goncourt à Auteuil. Nous sommes dans un petit monde de collectionneurs où ceux qui partagent une même passion se connaissent.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84568692
La Bibliothèque nationale a largement bénéficié de l’œuvre de ces amateurs puisqu’elle a hérité de leurs riches collections, celle de Destailleur et celle de Lesouëf. À sa mort en 1906, la collection d’Auguste Lesouëf, qui n’a pas eu d’enfants, revient à sa sœur, madame Anne-Léontine Smith, et à ses nièces Jeanne et Madeleine, qui épousera Pierre Champion venu dresser l’inventaire des collections. Sur un rapport favorable du conservateur Jean Babelon qui déclare que « les collections Lesouëf sont scientifiquement et artistiquement de la plus haute importance », celles-ci sont données à la Bibliothèque nationale par un décret du 30 juillet 1913. En 1980, pour des raisons de conservation, la totalité de la collection Smith-Lesouëf est transférée dans différents départements de la Bibliothèque nationale.
Monique Moulène
Département des estampes et de la photographie
Publié initialement le 29 mai 2012.
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