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Clémence Robert (1797- 1872)

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14 novembre 2018

Clémence Robert (1797-1872) est une feuilletoniste qui a écrit dans les années 1840-1865 près d’une centaine de romans, essentiellement des récits historiques, avec énormément de succès, à l’égal d’un Alexandre Dumas ou d’un Eugène Sue. Les Quatre sergents de La Rochelle accompagnèrent la révolution de 1848. Mais la fin des années 1860 vit pâlir son étoile et elle est bien oubliée de nos jours.

 

 « Si j’étais née pauvre, je me serais efforcée de gagner mon pain dans la littérature, et si le ciel m’eût fait naitre princesse, écrire aurait été mon seul bonheur. »

 
Cette profession de foi est signée Clémence Robert. Cette auteure de littérature populaire est née Antoinette-Henriette-Clémence Robert le 6 décembre 1797 à Macon. Son père, juge au tribunal civil de la même ville, possédait une grande bibliothèque, et la légende raconte que, petite fille, Clémence amenait un fauteuil dans la pièce pour pouvoir accéder aux volumes de Rousseau, Montesquieu et Voltaire situés sur les étagères supérieures et qu’elle lisait en cachette quand le magistrat était en session. Ces lectures auraient fortifié un sentiment républicain qui se développera par la suite. À la mort de son géniteur, Clémence a 30 ans. Avec sa mère, elle monte alors à Paris, où son frère Henri, de deux ans son aîné, va profiter du petit héritage apporté par les deux femmes pour fonder sa propre entreprise et inventer un certain nombre d’horloges nautiques et des compteurs de précision. Au départ la vie est difficile, et la jeune femme s’investit pour faire des recherches sur l’Histoire de France, ce qui lui profitera par la suite, au profit du marquis de Jouffroy d'Abbans qui avait l’intention d’écrire sur le sujet, pendant trois longues années. Mais celui-ci devient insolvable et ses biens sont saisis. Heureusement, son frère Henri est entretemps devenu prospère et Clémence peut se tourner alors vers la littérature.

 

La fille de Satan / Librairie du Journal du Dimanche, 1876

Elle commence par écrire de la poésie dans diverses revues, notamment dans la Sylphide et dans le Journal des Femmes, comme « le Luxembourg », « le Froid », « les Tuileries » et « Une fleur à Paris le 5 juin 1832 ». Surtout, elle fait la connaissance d’autres écrivains qui l’aideront pour ses débuts, notamment Sénancour, qui note en 1836 ses « qualités naissantes ». C’est sa traduction d’un roman polonais, Les Ukrainiennes de Gorczyński et Malczewski, qui en 1835 la fait connaître. Puis, grâce à des critiques littéraires et à des auteurs, comme Amable Tastu ou Virginie Ancelot, l’éditeur Ambroise Dupont lui demande un roman. Ce sera Une famille s’il-vous-plait ! Sans grand succès. Mais malgré cet échec, elle continue, et L’abbé Olivier, édité en 1839, suscite un certain intérêt. Dès lors, elle publie dans de très nombreux journaux, surtout des romans historiques : La duchesse de Chevreuse et Jeanne la Folle dans la Presse, Le marquis de Pombal, l'Amant de la Reine et William Shakespeare dans le Siècle. Sa prose se retrouve également dans La Patrie, l'Esprit public, la Liberté, le Globe, l'Estafette, la République, le Pays, le Constitutionnel, dans des journaux de province comme le Phare de la Loire, et jusqu’à des quotidiens de Bruxelles ou de Londres.
 

 
En 1845, sa mère disparait. Elle se retire un temps à l’Abbaye-aux-bois, « seule et triste », selon l’expression de Pierre Larousse. Mais cela ne dure pas. À la révolution de 1848 elle va prendre sa part. Ayant fait la connaissance de la féministe Eugénie Niboyet, elles vont animer, de mars à mai 1848, le journal La Voix des femmes, où Clémence s’occupe particulièrement de questions sociales, salaires de misère ou nécessité pour les filles pauvres de se prostituer pour survivre. Mais l’échec du mouvement ruine tous ses rêves, qu’elle transposera alors dans ses romans populaires.

 

 

Le Journal à cinq centimes publie Les Quatre sergents de La Rochelle. Affiche, 1870

Elle qui admire à la fois George Sand et Eugène Sue publie à tour de bras : quelques textes contemporains, comme Garibaldi, une vie romancée de l’homme politique et révolutionnaire italien, ou le Saltimbanque. Mais la grosse majorité de sa production va vers les récits historiques : son plus grand succès, Les Quatre sergents de La Rochelle, qui relate la répression de la Restauration contre ces soldats républicains en 1822, mais aussi Latude ou les mystères de la Bastille : roman de cape et d’épée,  Mandrin, Le Tribunal secret, Les Souterrains de Saint-Denis, Le Batard du roi, Les Nuits de la forêt, Le Magicien de la barrière d’Enfer, Les Amants du Père-Lachaise ou Exili l’empoisonneur. Elle va jusqu’à créer des journaux plus ou moins éphémères pour se diffuser elle-même, comme La Semaine en 1859 ou Le Siècle illustré en 1861.
 

Le Siècle illustré publie les Nuits de la forêt. Affiche

Elle écrit ainsi plus de cent romans en un peu plus de vingt ans. Elle est publiée à l’égal des plus grands feuilletonistes de son temps, Frédéric Soulié, Paul Féval, Alexandre Dumas ou encore Eugène Sue, dont elle se voulait la disciple. Certains de ses romans rencontrent un succès considérable : Les Mendiants de Paris connaissent quatorze rééditions dont la première comprend près de 50 000 ex. Quant aux Quatre sergents de La Rochelle, qui accompagnent la Révolution de 1848, il en connait douze, dont la plupart dans des collections populaires à vingt centimes.


Clémence Robert (n°151) parmi les quelques femmes de lettres représentées dans le Panthéon Nadar, 1854

Ses romans sont construits autour de quelques personnages principaux et axés chacun sur une idée forte : justice, charité, amour, défense des humbles, luttes contre les tyrans. Le héros, en marge de la société, combat le Mal en une lutte parfois violente et toujours manichéenne. Ses personnages, souvent représentatifs des courants de son époque, sont souvent des démunis pourvus de qualités exceptionnelles ou des courtisanes rachetées par l’amour. Elle dose savamment le mystère, multiplie les sociétés secrètes, accumule les coups de théâtre, emportant l’action dans un rythme forcené vers un dénouement parfois heureux, mais pas toujours. Elle se veut socialiste, et décrit une société où une plèbe admirable combat des élites dépravées et corrompues. Ses textes se veulent les dépositaires de la volonté et des désirs du peuple qui ont culminé en 1848. Et pour cela elle utilise surtout l’Histoire.
 

Le Magicien de la barrière d'enfer, grand roman hisorique, publié dans Le Passe-Temps. Affiche

Elle publie un certain nombre de romans sous un titre dans la presse puis sous un autre en volume(s). Par exemple Jeanne de Castille (La Presse, 1843) se transforme en Jeanne-la-Folle ; William Shakespeare 1843 est publié en 1859 sous le titre Le Poète de la mer ; les Tombeaux de Saint-Denis 1845 revient sous le titre Les Souterrains de Saint-Denis en 1859 ; Pauvre diable (1846) est réimprimé sous le titre La Misère (1860). En 1856 Eugène de Mirecourt écrit un petit volume sur Clémence Robert dans sa série Les Contemporains. Il s'agit plutôt d'un écrit à charge : « ses romans de mœurs excellent par l’inobservation, l’invraisemblance et la maladresse ». Il doit cependant lui reconnaître « de véritables qualités dramatiques, une grande facilité de dialogue, une puissance d’intérêt qu’il est impossible de méconnaître ».
 
Mais ses écrits sont très liés aux années 1840-1860. La société changeant, elle se retrouve peu à peu en porte-à-faux, et dans les années 1860, elle passe de mode. Elle ralentit donc sa production jusqu’à l’arrêter complètement. Elle emménage dans un petit appartement où elle s’enferme peu à peu, seule (ses amis sont morts), et où elle meurt le 1er décembre 1872, à près de 75 ans. Pendant plus d’une dizaine d’années ses livres seront réédités, puis elle va tomber petit à petit dans l’oubli. La dernière édition de son grand succès, Les quatre sergents de La Rochelle, date de 1906.
 
Le but de Clémence Robert était l’engagement politique et surtout social. Elle se méfiait des beaux romans, vides d’enseignements et écrivait :
 

« La littérature n’ayant qu’un mérite purement littéraire est un simple divertissement de l’esprit. […] Mais les écrivains qui ont le sentiment de l’avenir voient que le temps de ces fêtes est passé, et ils chargent la littérature de porter sa pierre à l’édifice social. »

 
 

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