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Une invention culinaire du Second Empire : la margarine

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Mal-aimée des tables françaises, la margarine est pourtant née dans ce pays. Tout débuta en 1869 sous l'impulsion de l'empereur Napoléon III qui avait souhaité la création d'un produit de substitution au beurre ordinaire, moins cher et qui se conserve bien pour la marine et les classes peu aisées.

Bien qu'il soit désormais tombé dans l'oubli, l'inventeur fut une célébrité en son temps : il se nommait Hippolyte (ou Hypolite) Mège-Mouriès, né à Draguignan en 1817, décédé à Neuilly-sur-Seine en 1880. Ayant suivi des études de pharmacie à Paris, ce chimiste dans l'âme mena tout au long de sa vie des recherches dans le domaine agro-alimentaire, en particulier sur les produits à base de céréales ce qui lui valut la légion d'honneur le 23 juillet 1861. Relevant le défi impérial, il effectua des essais sur les vaches de la Ferme impériale dans le bois de Vincennes, observa le processus de création du lait, et parvint à reproduire en laboratoire un beurre artificiel à base de graisse de bœufs, d'eau et de mamelles riches en pepsine (alors que la margarine actuelle ne contient plus que des éléments végétaux). Le brevet d'invention, n° 86-480, fut déposé en France le 15 juillet 1869. Mège-Mouriès se lança dans sa production en créant une petite usine à Poissy. Mais la guerre franco-prussienne éclata en 1870 et ralentit la commercialisation.
Le "beurre de bœuf" obtint le droit de mise sur le marché en avril 1872 après enquête du Conseil d'Hygiène et de Salubrité de la Seine menée auprès de savants et "d'experts de la halle aux beurres". Mais une condition fut requise : en aucun cas la margarine ne devait être nommée beurre. Dans un premier temps il semble que la modicité du prix (la margarine coûtait entre 1,20 et 1,40 franc la livre alors que le beurre s'achetait entre 3 et 8 francs comme le souligne un petit article de presse de 1874 intitulé "Curiosité") ait apporté un certain succès à l'ersatz graisseux qui avait trouvé de fervents partisans, au point qu'il y eut des contrefaçons qui fit entrer le faux-beurre dans la catégorie des faits-divers. Mais son mode de fabrication en étonnait certains et son goût (fort en cuisson) en écœurait d'autres. Rapidement on se demanda si ce produit industrialisé était bien digeste pour un estomac, en particulier pour les malades car les hôpitaux de Paris en faisaient une grande consommation. En 1879 l'Académie de Médecine fut saisie par le ministre de l'Intérieur pour se pencher sur le "cas Margarine" et plus particulièrement sur ses capacités à être assimilée par le corps humain. Les médecins conclurent "qu'une partie seulement était digestible, et que c'était donc une perte d'argent et une perte alimentaire". De plus, la graisse animale utilisée (bœufs, porcs) n'était pas toujours (loin s'en faut) de première qualité, les produits importés de l'étranger recelaient parfois de terribles surprises, comme ce lot en provenance des Etats-Unis dans lequel on détecta du plomb, de la craie, de la vaseline et de la houille !
Le scandale sanitaire éclata, il fallut légiférer. Un projet de loi réglementant strictement l'appellation du terme beurre au beurre de vache et rejetant la vente de la margarine en-dehors des boutiques de produits laitiers, fut débattu à l'Assemblée nationale le 3 mars 1896, puis au Sénat l'année suivante. Les débats furent vifs et passionnés, menés essentiellement par les élus des départements de l'Ouest, premiers producteurs nationaux de beurre, qui obtinrent l'ostracisation de la margarine par la loi du 16 avril 1897.

Mais pendant ce temps-là, la margarine prit son envol à l'étranger notamment dans les pays du nord de l'Europe et des Amériques. Bien vite des chercheurs parvinrent à résoudre le problème de l'utilisation de la graisse de bœufs (chère et peu pratique) par l'utilisation d'huiles végétales (bon marché et aisées à intégrer à la composition). Les Pays-Bas en particulier développèrent une industrie à grande échelle qui émerveilla le journaliste de la revue Le Panthéon de l'industrie en juillet 1891. Le rêve de Mège-Mouriès s'accomplissait, mais hors des frontières nationales. La légende raconte une fin cruelle pour cet inventeur. Sur son lit de mort, il se serait écrié : "Non vraiment, rien ne vaut le beurre !".

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter la bibliographie thématique de la Fondation Napoléon.

 

Chantal Prévot,
Fondation Napoléon
 

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