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Le Tour de France de Gallica, étape 9 : Nantua

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9 juillet 2017

Pour la première fois cette année, une étape du Tour partira de Nantua. Mais cette ville n’a pas attendu le Tour pour accéder à une renommée mondiale…

F. Hugo d'Alési. Chemins de Fer de Paris-Lyon-Méditerranée. Nantua... (1904)

En 1837 dans son Voyage en France, Stendhal est radical : « Rien de triste comme le lac et la ville de Nantua ; cela doit avoir un genre de beauté quand le pays est couvert de quatre pieds de neige et parcouru par les loups ».  

En 1853, Harriet Beecher-Stowe surtout connue pour La Case de l’Oncle Tom n’est pas plus tendre dans ses Souvenirs heureux. Voyage en Angleterre, en France et en Suisse, du moins au début de son commentaire : « A Nantua, ville salle, avec une misérable auberge ». Mais elle change d’avis dès qu’elle parle de nourriture :

« nous dînâmes vers les deux heures, d’une façon délicieuse ; l’on nous servit une soupe faite avec des crevettes ; je me trompe, ce n’était pas de la soupe, mais un potage ; pas même un potage ; non, c’était une espèce de consommé crémeux, onctueux, mousseux, ou comme il vous plaira de l’appeler. Sancho Pança ne dévora jamais avec plus d’appétit son olla podrida. Vive mon hôte de l’agréable auberge de Nantua ! »

La saleté de Nantua est aussi relevée, mais avec davantage de nuances par Girault de Saint-Fargeau dans son Guide pittoresque, portatif et complet du voyageur en France : contenant les relais de poste, dont la distance a été convertie en kilomètres, et la description des villes, bourgs, villages...

On ne voit en fait guère que Camille Lebrun qui en 1857 ouvre La Famille Aubry sur une affirmation élogieuse et enthousiaste ; et encore, elle porte plus sur la localisation que sur l’esthétique de la ville : « Nantua est une des villes de France les plus agréablement situées »… Il faudra attendre encore un peu pour que, le tourisme aidant, les charmes de Nantua soient enfin reconnus.

Mais revenons à Beecher-Stowe : ce qui la fait changer d’avis, c’est ce qu’elle mange. On peut d’ailleurs mettre en doute la précision de ses souvenirs : il est plus probable qu’elle aura mangé des écrevisses plutôt que des crevettes. Les écrevisses sont en effet ce qui a fait, notamment à travers la sauce Nantua, la gloire de la ville !

Ainsi quand en 1900 Le Petit Français illustré : journal des écoliers et des écolières fait découvrir les beautés de la région de Nantua :

 « Et voilà que quelque chose de plus bleu encore nous apparaît tout à coup par la portière du wagon ; un miroir immobile où se reflète profondément l’azur d’en haut ; un saphir enchâssé dans une montagne verte et rose. C’est le lac de Nantua.
Le lac ! Les écrevisses ! Que de gens ne connaissaient de Nantua que ce que leur en ont appris les menus des restaurants ! Et qui me dit que chez vous-mêmes, mes jeunes amis, ce nom n’éveille pas, au lieu des émotions du beau et des rêves d’idéal, de vagues et prosaïques idées de pêche, voire de gastronomie ? »

Les écrevisses (dont Jacques Callot représente un spécimen étonnemment méditatif) pullulent ou du moins pullulaient dans le lac de Nantua.

nantua_ecrevisse.jpg
Jacques Callot. Une écrevisse regardant le soleil (1629-1630)

Elles ont en effet disparu, ce qui réjouirait presque Le Petit Français illustré, soucieux de préserver ses lecteurs du péché de gourmandise : « Dans ce cas-là vous seriez bien punis ! Nantua, en effet, a toujours son lac, mais le lac n’a plus ses écrevisses. On raconte dans le pays que dernièrement on a retiré dudit lac le dernier des "ces petits poissons rouges qui avancent en reculant" ». Cet « excellent crustacé » (ce qui est tout de même plus juste que « poisson »…) a en effet été victime d’une épidémie et les tentatives de réintroduction ont échoué.

Mais cela ne freine pas, en 1883, l’imagination du « populaire et fécond », mais aujourd’hui bien oublié Alexis Bouvier, qui nous propose une scène pantagruélique dans « Tempête dans un couvent », le quatrième chapitre de la troisième partie de son roman La Petite duchesse. Dans un couvent quasi assiégé, on s’apprête à préparer de quoi manger. Dom Gadouin ne sait que faire ; Constant intervient : « Toi, fais les fameuses écrevisses à la Nantua et montre-moi la recette… ». Il s’exécute : « Je vais vous donner le secret de mon écrevissière […] C’est un de nos pères qui, sur les bords du lac de Nantua, les fît goûter aux habitants qui, émerveillés, les baptisèrent du nom  du pays où ils avaient pris les écrevisses ». Il enchaîne :

« Bien… Je prends donc cent écrevisses, uniquement du pays, et bien vivantes surtout ; je les fais cuire dans une casserole, moitié eau et moitié vin blanc ; quand cela est en ébullition, je les précipite et les laisse dix minutes ; je les sors de là, les décoquille, c’est-à-dire que je mets la chair de côté ».

Vient ensuite avec une irréprochable pédagogie l’explication de la préparation du beurre d’écrevisse ; la conclusion s’impose d’elle-même :

« Lorsque vous aurez goûté cela, vous comprendrez que le Seigneur mérite bien les temples qu’on lui bâtit et les prières qu’on lui adresse… Il est impossible de nier la divinité. Gloria tibi Domine.
-- Amen ! fit le chœur ».

Mais que les écrevisses viennent de Nantua ou d’ailleurs, la ville a légué son nom à une façon de préparer les écrevisses qui a sa place aux plus belles tables ; témoin ce menu offert par le Président Loubet au roi d’Angleterre le 2 mai 1903 :

nantua_menu.jpg
Auguste Escoffier. Le Livre des menus... (1912)

Edouard VII dut apprécier puisque cinq ans plus tard on lui servit une autre variation d’écrevisses Nantua. Mais il n’est pas sûr que tels menus soient conseillés pour les cyclistes. Quoiqu’il arriva bien à Jacques Anquetil de manger des huîtres avant une course… et de la gagner !

Commentaires

Soumis par Michèle RAGOT le 03/11/2017

Merci pour ces informations précises et ... succulentes pour les écrevisses.
Dommage qu'elles me parviennent après un séjour d'une journée à Nantua en septembre 2017. Demandant au restaurateur lors du dîner si les quenelles étaient aux écrevisses. Il pouffe : non, il n'y en a plus depuis longtemps. A quoi sont-elles faites alors, au brochet ? Oui, mais il ne vient pas d'ici...
Le roi d'Angletterre a eu bien de la chance ...

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