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La sprezzatura ou l'expression de soi par le style

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10 mai 2024

Le Livre du courtisan (1528) décrit ce que serait le « courtisan idéal », non seulement dans la manière de se comporter, mais surtout dans sa façon d'être. Loin de l’image du « flatteur », le Courtisan de Castiglione réunit toutes les qualités que l’époque de la Renaissance exige d’un homme.

Portrait de Baldassare Castiglione par Raphaël

Baldassare Castiglione (1478-1529), écrivain et diplomate, est né un 6 décembre, à Casatico, dans le marquisat de Mantoue. Il fait des études classiques à Venise et à Milan, avant de rejoindre la cour des Gonzague à Mantoue. Pour Gonzague, il part à Rome rencontrer Guidobaldo Ier de Montefeltro, duc d'Urbin, dont il rejoint la cour en 1504. Dirigée par la duchesse Elisabeth Gonzague et sa belle-sœur Maria Emilia Pia, la cour d’Urbino est alors la cour la plus brillante et la plus raffinée d'Italie, c’est un carrefour culturel ou l’on y croise artistes et hommes de lettres, tels que Pietro Bembo ou Michel-Ange...  Quand le pape Léon X est élu, Castiglione est envoyé à Rome comme ambassadeur d'Urbino. Il se lie d’amitié avec de nombreux artistes et écrivains, c’est à ce moment qu’il fait la rencontre de Raphaël qui a peint son portrait, et de Giulio Romano qui a dessiné la chapelle destinée à accueillir son tombeau en l'église Santa Maria delle Grazie à Curtatone, près de Mantoue.
 

Il libro del cortegiano, del conte Baldesar Castiglione, Venise, 1533.

Dans Le Livre du courtisan de Baldassare Castiglione, il est proposé le modèle d’une figure idéale d’existence authentique qui prend forme au gré de multiples conversations qui ont lieu dans une petite cour raffinée du nord de l’Italie, au début du XVIe siècle. Bien que les protagonistes de ces conversations soient issus de l’aristocratie d’Urbino, petite principauté italienne à l’apogée de la Renaissance, Le Livre du courtisan n’est en rien un manuel de civilité à l’usage d’une caste soucieuse de défendre ses privilèges. Le Courtisan de Castiglione ne se veut aucunement le représentant d’une classe, il se présente plutôt comme un modèle d’homme universel, au même titre que l’homme magnanime chez Aristote et que le sage chez le stoïcien :

 

 

                          Aristote, Ethiques, traduction française de Nicolas Oresme, dernier quart du XIVe siècle

 

ou que l’orateur cicéronien :

 Le texte de Castiglione est imprégné des ouvrages de ces maîtres. En lisant Le Livre du courtisan, on s’aperçoit que ce qui intéresse Castiglione n’est pas la courtisanerie comme « profession », mais bien plutôt la capacité d’un individu à exceller dans tous les domaines : la danse, l’équitation, les arts, les lettres, la langue et bien sûr la conversation. Mais cet ensemble de qualités ne suffirait à le définir, car le Courtisan doit aussi être un ascète, qui se tient à l’écart des ambitions du siècle, en sorte que même dans sa recherche de la bonne réputation, il se doit de demeurer désintéressé. Tout en se soumettant aux codes de la cour, il ne conserve qu’un seul but, être lui-même. Le Courtisan de Castiglione aura la hardiesse de contredire son prince aussi souvent que cela sera nécessaire et n’usera avec lui d’aucune flatterie dont l’effet est toujours de rendre les puissants plus présomptueux et donc moins aptes à gouverner. Rien n’est plus éloigné du Courtisan que la volonté de s’élever au plus près du prince par intérêt personnel. Il est étonnant de constater dans ce livre à quel point les considérations de réussite sont tenues à l’écart.

Il Libro del cortegiano, Venise, 1528

Il faut remarquer que le livre n’est pas constitué de dialogues, mais de conversations qui se déroulent sur plusieurs soirées. Les conversations sont enjouées, ludiques, ponctuées de jeux de mots. Contrairement au dialogue, la conversation ne progresse pas vers un but défini, elle est plus ouverte, elle distrait plutôt qu’elle ne vise à instruire. Bien que ces conversations virent parfois à la joute verbale, il n’y a pas de vainqueur, le rire tient souvent lieu de réponse :

 La sorte de facétie qui tient de l’ironie semble très convenable aux grands personnages, parce qu’elle est grave et pleine de sel, et qu’on peut en user dans les choses joyeuses et aussi dans les choses sérieuses.

 C’est grâce à la juxtaposition des points de vue que naît une vérité. Contrairement au dialogue ou à l’exposé, la conversation ne procède pas par synthèse, mais par contraste et opposition. La principale caractéristique de la conversation est d’être dépourvue de règles, c’est ce qui lui procure sa liberté. Cette constante improvisation est en fait liée à l’enjeu principal de l’ouvrage, à cette qualité du Courtisan qui les dépasse et les contient toutes : la grâce. La grâce est en effet la qualité principale du Courtisan, elle couronne toutes les autres. La grâce est située au sommet des perfections humaines parce qu’elle harmonise notre être intérieur et extérieur. C’est pourquoi la grâce chez Castiglione n’est pas un simple ornement, mais le lieu de l’être-soi véritable, un équilibre spirituel. Au début de l’ouvrage, le personnage du comte Canossa définit ce type de grâce comme sprezzatura, qui en plus de l’équilibre parfait entre le sensible et l’intelligible, exprime aussi la désinvolture. La sprezzatura a beau être une désinvolture délibérément entretenue, un savant laisser-aller, telle la magnanimité aristotélicienne, c’est une morale en acte : « L’art donc qui enseigne à distinguer cette vérité du faux peut s’apprendre ; et la vertu, par laquelle nous choisissons ce qui est véritablement bon, et non ce qui en a faussement l’apparence, peut s’appeler vraie science, et science plus utile à la vie humaine que nulle autre, parce qu’elle ôte l’ignorance, de laquelle, comme j’ai dit, tous les maux procèdent. » (Traductions Alain Pons.)
 

Le parfait courtisan du comte Baltasar Castillonois, Paris, 1585

 

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