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Le style d’Elisabeth Vigée Lebrun, peintre de la reine (2)

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7 juin 2022

Le style d’Elisabeth Vigée Lebrun fait d’« un je ne sais quoi » plaît aux grands de ce monde, séduit la reine et la cour. De la gloire à l’exil, la quinzième et dernière académicienne, seule à traverser l’histoire, vient clore notre série de billets de blog Gallica sur Les femmes artistes à l’Académie.
 
Ce portrait qui représente la souveraine vêtue d’une simple robe blanche (gaulle) fit scandale au salon de 1783, aussitôt remplacé par Marie-Antoinette à la rose, plus conforme à l’image de la majesté royale (voir infra). Dans cette représentation audacieuse faisant fi des robes à paniers, perruques et autres corsets, la reine ainsi reléguée au rang d’une simple domestique « en chemise » choque une opinion publique attachée aux pompes de la cour et déjà beaucoup moins bienveillante à son égard. La légèreté de la tournure mise au point par Elisabeth Vigée Lebrun, approuvée dans le cercle protocolaire de la royauté, illustre un des aspects singuliers de son style.

Le style d’Elisabeth Vigée Le Brun : « un je ne sais quoi» qui plaît 

Nous l’avons vu, Elisabeth Vigée Lebrun a acquis une culture picturale approfondie retranscrite de façon sensible dans un certain nombre de tableaux. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’incroyable succès que rencontrent ses portraits auprès d’une clientèle de nobles, de bourgeois et d’artistes. Ces tableaux se vendent cher. La lecture de ses Conseils pour la peinture des portraits permet de comprendre certains procédés mis en œuvre par l’artiste qui vont bien au-delà de la seule capacité à saisir la ressemblance. « Avant de commencer, causez avec votre modèle ; essayez plusieurs attitudes… » pour des séances de poses courtes afin de ne pas ennuyer le modèle, préconise entre autres l’artiste. Le portrait de la Duchesse de Chartres croisée dans le jardin du Palais-Royal lance sa carrière de peintre auprès de l’aristocratie et plus particulièrement auprès des femmes. L’observation bienveillante de la nature humaine aspirant à se faire représenter sous son meilleur jour, conjuguée à la tradition bien française du portrait flatteur, lui insuffle une réponse parfaite pour les satisfaire :
 
Elisabeth Vigée Lebrun en possession de solides bases techniques met en place un certain nombre de recettes propices à pallier les défauts de physionomie et donner plus d’attrait à sa peinture de portraits que Diderot appelle « une caricature en beau » :
 
Le portrait de la baronne de Crussol atteste du « niveau de maîtrise et de raffinement où elle est parvenue. Sa gamme de gris n’a guère d’équivalent à part chez Goya ». Le visage laissé dans la pénombre en devient plus mystérieux et donne à la baronne un air rêveur, illustrant un des principes de travail de la portraitiste :
 
  
Madame Vigée-Lebrun. Madame Grand, princesse de Talleyrand
Mes portraits ; comment je les costume, Les Souvenirs d’Elisabeth Vigée Lebrun, Lettre IV
 
La portraitiste devient la coqueluche du Paris mondain. Préoccupée de répondre aux nombreuses sollicitations et faire tenir ensemble les différents registres de sa vie, Elisabeth Vigée Lebrun imagine une manière d’être et de se vêtir qui puisse concilier sa vocation d’artiste, son image de femme et son rôle de mère. En se référant à l’Antique, la peintre adopte un style de vêtements plus simples qui devient à la mode. Libérée de ses mouvements, elle peut passer aisément d’une activité à l’autre tout en conservant une allure élégante, légère et peu couteuse. De sorte qu’après une journée harassante de dix heures de dur labeur, elle peut paraître aux soirées en vogue, recevoir dans son salon et consacrer du temps à sa fille, sans plus de complication vestimentaire : « je dépensais extrêmement peu pour ma toilette : on me reprochais même trop de négligence car je ne portais que des robes blanches de mousseline ou de linon ». La peintre se représente un pinceau à la main dans une tenue modeste, agrémentée d’un simple bandeau de gaze noué dans les cheveux. Du reste, son apparence diffusée par des gravures et des autoportraits permet de l’identifier sans peine :
 
  
Madame Vigée Lebrun (Académie impériale de Saint-Pétersbourg)
Mme Vigée Lebrun par elle-même (Galerie des Offices, Florence)
Madame Vigée Lebrun peinte par elle-même (Galerie Saint-Luc à Rome)
 
Le portrait dit « à la grecque » que l’on retrouve dans le Portrait de Madame Sénéchal connaît grâce à elle une grande vogue. À rebours des atours de coquetterie, d’ostentation et d’artifice, la mode que lance Elisabeth Vigée Lebrun sans y penser, paradoxalement à ses convictions royalistes, a quelque chose de « révolutionnaire » dans l’esprit du temps qui tend vers plus de simplicité, de modestie et de naturel. Elisabeth Vigée Lebrun a réussi à convaincre la reine d’adopter cette tenue dite « en gaulle » . Ainsi faut-il aussi regarder le portrait plus tardif de Madame du Barry qui, « l’été comme l’hiver ne portait plus que des robes-peignoirs de percale ou de mousseline blanche » :
 

Madame Vigée Lebrun. Madame Du Barry (collection Duveen Brothers. New York)

Elisabeth Vigée Lebrun entretient une relation suivie avec Madame du Barry avec laquelle elle échange une correspondance lors de son séjour en Italie. Parmi les portraits de la comtesse qu’elle réalise, le dernier resté inachevé de « cette tête charmante que menaçait déjà le couperet » est jugé comme « un des meilleurs ouvrages de notre amie ». Les leçons vestimentaires de Madame Lebrun plaisent par leur négligé artiste. Madame de Staël en apprécie le style qu’elle applique à Corinne : « Elle était vêtue sans aucune recherche mais toujours pittoresquement ». À son tour, Elisabeth Vigée Lebrun peint « sous le costume antique » Madame de Stael en Corinne : la transposition lui permet de substituer la vivacité d’un caractère à une physionomie jugée sans harmonie. « Madame de Staël n’était pas jolie, mais l’animation de son visage pouvait lui tenir lieu de beauté ». Ce portrait sera néanmoins peu prisé de sa destinataire. La chronique réunit les deux femmes pareillement glorifiées dans « Le panthéon des femmes illustres ». La peintre a souvent recours au procédé en faveur de la représentation allégorique ou mythologique à des fins d’idéalisation du modèle. S’inscrit dans cette veine le portrait de « la plus jolie femme de Paris », Laure de Bonneuil, comtesse Reynaud de Saint Jean d’Angely, une des participantes au fameux « souper grec » :
 
Le Portrait de Madame Gramont Caderousse en vendangeuse donne matière à un verset élogieux et rencontre l’approbation de la critique en regard de la liberté prise avec l’étiquette académique :
 

Henri Roujon. Madame Vigée-Lebrun, La Revue hebdomadaire, 1er janvier 1912

Celui de Madame Hart, née Emma Lyon, maitresse puis femme de l’ambassadeur d’Angleterre à Naples, inspire de nouveaux tableaux mythologiques à la portraitiste en exil, tels Lady Hamilton en Sibylle ou Lady Hamilton en Bacchante. Une autre version de Bacchante, exposée au Salon de 1785, se voit néanmoins reprocher un défaut de connaissances anatomiques. Il faut ici rappeler comme circonstance atténuante l’interdiction faite aux académiciennes d’assister au cours de modèles vivants. Quoi qu’il en soit l’ensemble de la formule picturale ne reçoit pas a posteriori l’agrément de la critique :  
 
Mais au temps de la portraitiste, le succès que remportent les œuvres d’Elisabeth Vigée Lebrun aux salons du Louvre est immédiat. En 1783, dans la compétition qui l’oppose aux autres académiciennes, « Pâris adjuge la pomme à Madame Lebrun ». Qu’on en juge plutôt :
 

Au salon de 1787, « Madame Lebrun se distingue toujours de ses confrères par le goût et par la grâce infinie qui règnent dans tous ses ouvrages », qui ne manquent pas d’inspirer les poètes. Remontons le cours du temps jusqu’en 1908, à l’exposition du Lyceum où le talent de Madame Vigée Lebrun peut en fin de compte se définir ainsi : 

Peindre la Reine et la cour

  
Le style d’Elisabeth Vigée Lebrun plaît à Marie-Antoinette. L’artiste devient à vingt-trois ans peintre de la reine, prenant ainsi la succession de La Tour et de Nattier comme portraitiste historiographe de la cour de France. De 1779 à 1789, Elisabeth Vigée Lebrun réalise une trentaine de portraits de la reine, peint ses enfants ainsi que des familiers de la cour. Ses portraits sont offerts à ceux « dont les services méritèrent ce précieux témoignage de bienveillance et de gratitude », tels le Marquis de Moustier, Ministre de France aux États-Unis d’Amérique ou Madame de Touzel, gouvernante de ses enfants. De nombreuses illustrations de la reine réalisées par Elisabeth Vigée Lebrun sont conservées au département des estampes et de la photographie parmi lesquelles un des premiers portraits d’apparat destiné à la cour de Vienne peint en 1799 :
 

« À la première séance, l’air imposant de la reine m’intimida d’abord prodigieusement ; mais Sa Majesté me parla avec tant de bonté que sa Grâce si bienveillante dissipa bientôt cette impression ». Ce portrait plusieurs fois réalisé par l’artiste finit d’assoir sa réputation et lui procure toute la clientèle nouvelle de la cour de Versailles. C’est dans les années 1781 et 1782 qu’elle exécute les portraits les plus célèbres des favorites de la reine, ceux de Madame Elisabeth, de la princesse de Lamballe, de la duchesse de Polignac et de sa fille La duchesse de Guiche :

Au cours des rendez-vous de travail qui avaient lieu dans le cabinet privé de la reine, une relation plus étroite s’établit entre les deux jeunes femmes nées la même année. Elles partagent les mêmes goûts pour la musique  et le théâtre, ainsi qu’un semblable sentiment maternel :
 

Des scènes plus intimes peintes sans grande innovation ni grande conviction (1) et (2) répondent à la commande. Respectant la physionomie du modèle sans chercher à recomposer ses traits un peu irréguliers, l’artiste parvient à inscrire son sujet dans une harmonie d’ensemble. La reine n’échappe pas au désir de l’artiste de recourir à des effets plus naturels : « j’étais ravie, quand j’obtenais la confiance de mes modèles, de pouvoir draper à ma fantaisie » :

Ces portraits qui permettent à la reine d’avoir « cet air leste et délibéré, cette aisance qu’Elle préfère à la gêne de la représentation et qui chez Elle ne fait point tort à la noblesse de son rôle » donnent de Marie-Antoinette une image plus sensible, plus libre et plus moderne. Les séances de pose nécessaires à leur réalisation nous font part des relations de bonne intelligence et de la confiance établie entre les deux femmes. La représentation de Marie-Antoinette par Elisabeth Vigée Lebrun « est aujourd’hui considérée généralement comme étant l’image la plus vraie ». Tous ces portraits reflètent sans aucun doute les sentiments d’admiration et de respect retranscrit par la portraitiste dans ses Souvenirs, du reste déjà présents dès sa première rencontre avec la reine :
 
Nous l’avons vu, ce style léger, davantage centré sur la personnalité du modèle, est unanimement rejeté par l’opinion publique qui ne reconnaît plus sa souveraine (voir supra). Au salon de 1787, l’enjeu de la représentation repose sur la réhabilitation d’une reine tombée en disgrâce. En portant cette ambition, la réception du Portrait de Marie-Antoinette entourée de ses enfants fait trembler de crainte la portraitiste qui ne peut se résoudre à faire acte de présence au salon mais obtient néanmoins « le suffrage général » :
 
Peint au cours d’une des dernières séances de pose, le tableau est le seul qui fut directement commandé par la direction des bâtiments du roi et reproduit en tapisserie de haute lisse. L’œuvre lui vaut les compliments du roi : « Je ne me connais pas en peinture mais vous me la faite aimer ». Marie-Antoinette quant à elle « avouait tout bonnement qu’elle ne voyait dans un portrait que le seul mérite de la ressemblance ». Durant son exil, le culte de la reine survit aux années tragiques, l’artiste réalise de mémoire un portrait de la reine ; sous le règne de Bonaparte elle porte encore le deuil exprimé dans la peinture de Marie-Antoinette montant au ciel. Précédé de sa renommée, son talent sera grandement sollicité dans les cours européennes quand bien même son œuvre sous l’Ancien régime peut apparaître comme définitivement aboutie :
 
De son périple en Europe nous nous limiterons à présenter une tête de jeune fille. Ce portrait distingué par ce qu’il exprime de spiritualité angélique à la De Vinci confirme de façon plus secrète la grande sensibilité artistique de la célèbre portraitiste :
 
« Sa longue carrière a vu tomber et se succéder tour à tour l’Ancien Régime, la République, l’Empire et la Restauration, sans que son talent ne cessa d’être pour elle une source d’honneur et de fortune » :
 
En fin de chaque volume de ses Souvenirs, Elisabeth Vigée Lebrun rédige elle-même le catalogue de ses œuvres : « liste des tableaux et des portraits que j’avais faits avant de quitter la France en 1789 », « liste de mes portraits », « liste de mes portraits faits à Pétersbourg ». Pour plus de clarté, Pierre de Nolhac établit une liste des œuvres de Madame Vigée-Le Brun ayant figuré de son vivant aux expositions. La plupart des grands musées possèdent une ou plusieurs de ses toiles. Ses portraits prisés des collectionneurs s’échangent dans de nombreuses ventes et successions
 
Si on a pu écrire que La femme artiste n’existe pas, être peintre et le faire savoir comme l’ambitionne Elisabeth Vigée Lebrun dans son parcours couronné de succès semble bien prouver le contraire. Mais sa seule gloire ne doit pas laisser ignorer le talent des quatorze académiciennes qui l’ont précédée : Catherine Duchemin et les sœurs Boulogne, Anne-Renée Strésor, Dorothée Masse et Catherine Perrot, Élisabeth-Sophie Chéron, Rosalba Carriera, Marguerite Haverman, Marie-Thérèse Reboul, Madame Therbusch, Anne-Vallayer Coster, Marie-Suzanne Roslin, Adélaïde Labille-Guiard (1) et (2). Toutes les académiciennes, sans compter celles laissées dans l’ombre, affirment à leur manière un désir de reconnaissance. De ces premières tentatives d’émancipation au sein d’un bastion viril fortement misogyne (15 femmes sur 188 artistes répertoriés), la place des femmes artistes reste à confirmer et leur combat semble ne faire que commencer : 

Comme une histoire sans cesse à réécrire, des études récentes s’emploient à réhabiliter ces femmes artistes pour la plupart oubliées. La bibliothèque numérique Gallica constitue en l’occurrence un précieux creuset de ressources propres à redonner aux femmes artistes une plus juste place dans l’histoire de l’art.

Pour aller plus loin :

Pour en savoir plus, vous pouvez aussi consulter :

 
 

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