Exploitations forestières : des forêts à dompter
Ancien ingénieur des eaux et forêts, Armand Chartier a filmé avec un soin tout particulier les métiers de l’exploitation forestière et la manière dont les forêts ont été redessinées au cours des Trente glorieuses.
Le billet La forêt, un patrimoine très convoité montrait combien l'administration de la forêt a évolué au cours des siècles. Les films qu’Armand Chartier consacre à la forêt témoignent de la variété de ces actions.
La plupart des films dressent le constat d’un milieu plus hostile qu’il n’y paraît. Le climat difficile, les conditions de travail exigeantes mais aussi une certaine solitude sont autant de motifs récurrents.
Forêt et montagne
Skieurs forestiers (1947, 12 min) expose “les durs travaux de l’exploitation forestière” dans les forêts de haute montagne savoyarde :
Sur une musique jazzy de Daniel White et Henri Bourtayre, on suit le travail des bûcherons et gardes-forestiers dans la rigueur de l’hiver. Le ski est ici présenté comme l'indispensable moyen de transport pour aller au travail pendant six à huit mois dans l’année. On y apprend que le personnel forestier des Alpes suit un entraînement à ski spécial qui donne même lieu à des compétitions de ski entre gardes forestiers !
Autre curiosité : le système de téléphérique qui sert à acheminer les bûches coupées vers la vallée. Ce procédé très onéreux est rendu possible grâce à un système de subvention très particulier reposant sur une taxe prélevée chez tous les exploitants forestiers de France pour épauler les exploitations les plus difficiles. Armand Chartier va jusqu’à embarquer sa caméra sur une bûche pour nous faire vivre la descente de l’intérieur.
Une année en forêt
Comme dans Skieurs forestiers, le travail de coupe des arbres par les bûcherons est montré à l’écran avec une grande précision technique dans Chronique de Bercé (1976, 45 min) :
Après un prologue silencieux qui donne à voir la préparation technique de l’ouvrier émondeur sur le point d’escalader un arbre, la voix off d’un chef de secteur partage avec le spectateur son registre journalier. Cette chronique commencée un 15 octobre nous fait vivre une année du travail forestier, essentiellement en automne et en hiver. En effet, toute exploitation est interdite dans la forêt de Bercé (Sarthe) entre le 15 avril et le 15 juillet. Le printemps est la période dangereuse pour les émondeurs, la frondaison provoquant de nombreux accidents souvent mortels. Aussi le film est-il un témoignage précieux de ce métier “qui disparaît parce qu’il est dangereux”.
Le montage de Bernard Dartigues (assistant réalisateur de Jacques Demy et de Philippe de Broca, et lui-même réalisateur) fait alterner cette “tranche de vie professionnelle” avec des images de chasse à courre, de scènes domestiques mais aussi de nombreux plans de la nature : cime des arbres, passage d’un cerf, mouvement des feuilles, noisettes qui tombent au sol. C’est sans doute l’un des films les plus contemplatifs d’Armand Chartier.
Épouse de garde-forestier
Plus indirecte est la perception de la forêt dans Colette (1972, 26 min), l’un des treize portraits de la série La voix, évoquée dans notre précédent billet sur les agricultrices :
Colette habite depuis quatre ans dans une maison forestière où elle mène avec son mari, agent technique de l'office national des forêts, "une vie bien simple". Si c’est l’un des portraits les plus réussis de la série, c’est aussi celui où le mari occupe la place la plus importante. Colette n’a pas son permis de conduire et il n’y a pas de travail pour elle dans un endroit où on ne rencontre que des bûcherons. En revanche, elle connaît parfaitement les activités des gardes-forestiers. Sur l’air émouvant de “Mamy blue”, Colette décrit longuement du travail de son mari qu’elle vit par procuration, l’encourageant à passer des concours pour progresser professionnellement.
Forêts planifiées
Deux films inscrivent la plantation d'une forêt comme projet d'avenir.
La dot de Sylvie (1951, 27 min) s'appuie sur une vieille tradition rappelée dans le carton introductif : "Quand naît une fille, son père plante 1000 peupliers".
Dans ce film de fiction mais commandé par la Direction générale des eaux et forêts et le Fonds forestier national, la forêt de peupliers plantée le 14 juillet, jour de la naissance de Sylvie - prénom qui ne doit rien au hasard - croît à mesure que le bébé devient fillette puis jeune fille. Cette forêt deviendra son patrimoine le jour où elle décidera de se marier. Armand Chartier profite de la fiction pour délivrer des informations sur la parcelle, le choix des plants chez le pépiniériste ou encore le devenir des peupliers une fois abattus.
Vingt ans plus tard, dans La reverdie (1973, 27 min), c'est à l'échelle de plusieurs décennies que l'on assiste à une replanification de la forêt de grande envergure :
Ce film a été co-produit avec le service des forêts à l'occasion du 25e anniversaire du fonds forestier national. Il montre une politique active de reboisement du Tarn par l'intermédiaire du remembrement volontaire (concrètement, des échanges de parcelles entre propriétaires pour permettre la plantation de forêts).
Lancé en 1947, le mouvement a été dur à lancer mais "c'est l'avenir du Tarn" assure l'un des entrepreneurs en charge du projet. Les différents intervenants du film y sont tous favorables : "le pays sera plus joli" assure l'institutrice quand un pépiniériste loue les "belles taches de résineux parmi les cultures". Déjà un paysan prédit : "à l'époque de la pollution, les gens seront heureux de venir se reposer dans un coin vert". Les longs plans finaux en hélicoptère témoignent de ce reboisement glorieux.
Comme à son habitude, Armand Chartier remplit la commande du service des forêts tout en y apportant un grand savoir-faire et une touche plus personnelle. Les entretiens avec les fermiers du coin laissent entrevoir une condition difficile qui n'est pas sans évoquer les Profils paysans de Raymond Depardon : désertification des campagnes, fermes vouées à l'abandon, célibat, nécessité de recourir à la main-d’œuvre portugaise faute d'hommes jeunes dans les fermes. Et puis, il laisse à son fidèle complice, le compositeur François de Roubaix, le soin de composer pour le film une chanson entêtante et suave : La reverdie. Ce sera la seule chanson interprétée par François de Roubaix lui-même. Il mourra deux ans plus tard dans un tragique accident de plongée.
Aller plus loin
Quand la France des années 60 formait les paysans du futur (série Armand Chartier, billet n°1)
Intervention de l'état, réseaux agricoles... : les aides apportées aux agriculteurs (série Armand Chartier, billet n°2)
Réseaux agricoles d’après-guerre à l'écran (série Armand Chartier, billet n°3)
Et les vaches seront bien gardées, 1ère partie : l'élevage en mutation (série Armand Chartier, billet n°4)
Et les vaches seront bien gardées, 2ème partie : au temps de l'élevage intensif (série Armand Chartier, billet n°5)
Agricultrices, mères et filles (série Armand Chartier, billet n°6)
La forêt, un patrimoine très convoité (série Armand Chartier, billet n°7)
L'agriculture japonaise des années 1960 (série Armand Chartier, billet n°9)
Tourisme agricole au pays du soleil levant (série Armand Chartier, billet n°10)
Tous les films d’Armand Chartier sur Gallica
Répertoire du Service audiovisuel du ministère de l'agriculture aux archives nationales
Site de la cinémathèque du ministère de l'agriculture
Sur le compositeur François de Roubaix
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