Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1892-05-07
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 07 mai 1892 07 mai 1892
Description : 1892/05/07 (N4554,A14). 1892/05/07 (N4554,A14).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75250014
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/07/2012
'"epai-,remaL~c-iiLts, :Zcj cent. SAMEDI 7 MAI 1892
QUATORZIÈME ANNÉE. — NUMÉRO 4554 Un ISTuméro : Paris, 155 cent. — JL?oparxernx^ii ts, 20 oent;: SAMEDI 7 MAI 1892
A. DUMOKT. Fondateur
Adresser toutes lettres et mandats à
II. M ALBERT, administrateur du journal
ABONNEMENTS
PABIS DBPABTBXSHTS
mots. 4 fr. 50 1 mois 6 te,
-.mois 13 fr. 50 3 mois 16 te
mois 26 fr. - 6mois. 31 fr
Un an.; 50 fr. - Un an. 60»
Étranger (voir à la quatrième page)
PUBLICITÉ DE I" ET DE 2e PAGE
.e, EUE GLUCK (COIN DU BOULEVARD HAUSSJUn)
PLACE DE L'OPÉRA
Amuser les gens qui passent, leur plaire aujourd' hut et recommencer
le lendemain. — J. jasis, préface de Gil Blas.
A. DUMONT, Fondateup
S'adresser, pour la rèdaction, à
M.JULES GUÉRIN, RÉDACTEUR EN CHEJ-"
Les manuscrits ne sont pas rendus
EXACTION ET ADMINISTRATION- : 8, rue Glûafc
ANNONCES, RÉCLAMES ET FAITS-DIVERS
Paul Dolliagen et Cie
16, EUE DB LA Q-BASGS-BATSLLÀAÎ
et an Gil Blas -
S, sua GLUCIt (COIN DU BOULEVARD HAU331U>I*i
PLAGE DE L'OPÉRA.
SOMMAIRE
MÉMOIRES D'UN COOHER. — J. Rtcarà.
Du ROLE DES ACTRICES. Maurice Barrés.
LE SALON DE 1892 AUX CHAMP-DE-MARS. — René
Maizeroy.
COULISSES DE LA FINANCE. — Don Caprice.
PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS. — Léon Bernard-
Derosne.
PROPOS DE COULISSES. — Gaultier-Garguille.
FEUILLETON : CLAUDINE LAMOUR : Camille Le-
monnier.
Mémoires d'un Cochcr
[Fragment ramassé sur le tapis d'une
victoria de grande remise, prise au
stationnement de la rue Scribe, le
long de l'Opéra).
Lundi, 2 mai. — Ça va assez bien en
ce moment, les affaires. Encore deux
ans comme ça et surtout si les actions
de la Société anonyme des laminoirs à
coulisses continuent à monter, je pour-
rai me retirer, acheter la petite maison
de Suresnes, et ne plus m'occuper que
de littérature. On a tant à raconter
quand on a été pendant vingt-sept ans
cocher, et qu'on a de l'intelligence pour
remarquer les choses !
Ainsi aujourd'hui. La femme de cham-
bre de madame Juliette de Crécœur est
venue me prendre à quatre heures. Très
bonne cliente madame de Crécœur. Jo-
lie et pas encore trop dans la circula-
tion. Au Bois on se retourne beaucoup
— et ça flatte toujours un cocher quand
on se retourne beaucoup sur sa cliente.
Service régulier ; je connais bien ses
habitudes : monter et descendre l'ave-
nue des Acacias une fois, puis, par la
route des lacs, toucher à cinq heures et
demie toquant au Chalet de la Cascade.
Alors, arrive notre monsieur : un brun,
pas trop rasta cependant. Il est bien
élevé, car tandis qu'ils s'installent à
boire des choses avec des pailles, jamais
il ne manque de me faire offrir par le
garçon ce que je voudrai prendre. Moi
je suis un homme d'hygiène, je me mé-
fie de ces boissons de patrons; ça détra-
que les estomacs, et quand on a l'esto-
mac détraqué on devient triste. — C'est
encore une remarque que j'ai eu l'occa-
sion de faire. Aussi, je n'accepte jamais
qu'un petit verre de malaga ou de
coca.
Ensuite Juliette — pas besoin de dire
madame dans ces notes sans-façon —
remonte dans ma Victoria, le brun re-
prend la voiture de cercle qui l'a ame-
né, et, l'un suivant l'autre, nous filons
sur le restaurant convenu. Je débarque
ma cliente, le brun me paye, et de plus
— c'est une des raisons qui expliquent
le faible que j'ai pour Juliette — il me
donne dix francs de pourboire. En ce
temps de République bourgeoise et pan-
née, c'est pas commun de recevoir dix
francs de pourboire pour trois heures de
travail.
Par exemple, aujourd'hui, il y a eu
changement de programme. En mon-
tant les Acacias, nous avons croisé un
petit maigrichon dans un boghei à train
jaune. Cheval assez propre, mais attelé
beaucoup trop court.
Le petit maigrichon a fait un signe de
tête, puis Juliette m'a piqué son om-
brelle dans le dos, en me disant :
- Suivez cette voiture.
Et elle me montrait le boghei à train
jaune. J'ai pu tourner tout de suite ; un
camarade à qui j'ai cligné de l'œil m'a
fait place dans la file. Il y avait une
vraie purée à ce moment-là.
A l'allée du Tir aux Pigeons, le bo-
riheiJile sur la gauche. Je suis. Nous
sortons du Bois, et voilà que nous arrê-
tons à Neuilly, devant une espèce de
ca(é-restaurant. Pas chic. Jamais je
n'ai mené personne la.
, Il faut croire cependant que le petit
maigriot et Juliette s'y sont bien trou-
vés, car elle n'est ressortie qu'après une
pause de trois quarts d'heure. Elle était
très rouge, et les deux petites cornes
qu'elle avait sur son chapeau étaient ra-
battues comme si elle s'était cognée con-
tre un plafond — ou encore, assise des-
sus.
Le petit était remonté dans son bog-
hei — c'est un boursier, à ce que m'a
dit son groom qui, sur mon conseil, avait
rallongé les traits d'un point. Et il fal-
lait voir, en démarrant, comme le che-
val trottait plus librement.
Alors, voila Juliette qui me dit, en re-
grimpant, d'un air très pressé :
— Vivement ! à la Cascade.
Moi qui connais la manœuvre, je lui
fais observer, en touchant convenable-
ment le bord de mon chapeau :
- C'est qu'il est près de six heures,
maintenant.
Elle me comprenait bien.
— Ça ne fait rien ! On m'aura atten-
due. Marchons bon train.
Je file par Saint-James. Ce n'était pas
le plus droit, mais je n'avais pas à crain-
dre les embarras de voitures.
Nous arrivons lestement au café de la
Cascade. Il était six heures dix. Per-
sonne. Juliette demande ; il n'y avait
pas cinq minutes que notre monsieur
brun était parti. Ce qu'elle paraissait
nerveuse !
— Allez par le plus court à l'avenue
du Bois, puis vous retournerez vers les
Acacias. Vous reconnaîtrez bien ce
monsieur avec qui je me trouve ici ha-
bituellement ?
Si je reconnaîtrai un client à dix
francs de pourboire. Ah ! il a eu chaud,
mon pauvre cheval. Monter, redescen-
dre l'avenue du Bois, regarder au pa-
villon Chinois, faire l'allée des Acacias
au grand trot entre les files, prendre
l'avenue de la Reine-Marguerite, de-
mander à Armenonville, revenir encore
au Chinois. Tout cela en pas plus d'une
demi-heure. Et le monsieur brun tou-
jours impossible à découvrir !
Derrière mon dos, je sentais Juliette
qui s'agitait comme si elle avait eu le tic
de l'ours.
Enfin, je reprends du côté de l'Arc de
l'Etoile ; il était sept heures moins un
quart. J'étais refait de mes dix francs
habituels, je sentais bien ça. Aussi,
quelle idée avaitjeue Juliette, une femme
qui se tient si bien à l'ordinaire, d'aller
perdre du temps comme ça avec ce mai-
griot — un pas grand'chose de sérieux,
m'avait dit son groom.
Du reste, cela ne me regarde pas. Je
conduisles gens, mais ne suis pas chargé
de leur conduite. Ce que j'en dis, c'est
pour l'observation.
— En descendant les Champs-Elysées,
vous m'arrêterez au bureau télégraphi-
que, me dit ma cliente. Je vais envoyer
une bleue.
Epatement! Au moment où je venais
d'arrêter devant le télégraphe, et com-
me Juliette descendait, voilà une autre
voiture qui arrête roue a roue avec moi,
et notre monsieur brun qui en sort.
Lui aussi, sans aucun doute, allait écrire
sa bleue.
Juliette le voit, saute sur lui et, sans
faire une ni deux, lui flanque un grand
coup d'ombrelle en lui disant :
— C'est comme ça que vous me faites
poser !
— Comment, ma chère?. mais c'est
moi. c'est moi qui.
- Est-ce que je n'ai pas le droit d'être
de cinq minutes en retard ?. Vous ne
pouviez pas m'attendre un peu ?. Mon
imbécile de femme de chambre avait
laissé échapper Kiss. Vous devez bien
comprendre que je ne pouvais pas sortir
sans que ma chienne fût retrouvée.
Mais vous avez si peu de cœur !. Vous
tenez si peu à moi !.
— Mais je vous assure, ma chérie.
j'ai attendu trois quarts d'heure.
— C'est pas vrai !
— Parole !.j'allais vous télégraphier.
- Allons donc!. vous ne pensiez
déjà plus a moi !. et je viens de battre
tout le Bois pour vous rejoindre. Moi
aussi j'allais vous télégraphier !
- Enfin, dit le monsieur brun qui
avait l'air content tout de même, puis-
que nous n'avons plus besoin ni l'un ni
1 autre d'entrer dans ce bureau, si nous
allions dîner?. Voulez-vous, chez Voi-
sin ?
— Soit. mais, vous savez, je vous en
veux beaucoup.
Cinq minutes après nous arrêtions
rue Cambon devant le restaurant. Le
monsieur brun renvoie sa voiture, aide
Juliette à descendre, et se met à me
payer. Alors, au moment où il m'allon-
geait ses dix francs, madame lui dit avec
un drôle de petit sourire :
— Il a à moitié claqué son cheval pour
te retrouver. vrai, aujourd'hui, tu
Eeux bien lui donner un louis de pour-
bire.
Ces femmes ! ça a-t-il assez de fil !..
Et mon ami Victor qui est en maison,
dit que les dames du monde sont encore
plus.
J. RICARD.
(Reproduction interdite.)
♦
Nouvelles et Echos
AUJOURD'HUI
A deux heures, courses à Maisons-Laf-
fitte. Pronostics du Gil Blas :
Prix du Château : Fil-de-Fer.
Prix de Capeyron : Feu-Follet.
Prix d'Orsay : Brin d'Amour.
Prix Malgache : Trajan.
Prix de Ricquebourg : Coriolan.
M. le président de la République, accom-
pagné de madame Carnot, a visité hier le
Salon du Champ-de-Mars. M. Carnot s'est
particulièrement intéressé à l'admirable en-
voi de M. Alfred Stevens, et à celui de son
fils, M. Léopold Stevens, dont la première
exposition révèle un très remarquable ta-
lent. Les tableaux de MM. Puvis de Cha-
vannes, Cazin, Béraud, et l'incomparable
exposition de céramique de M. Carfiès ont
eu aussi un très grand et très légitime suc-
cès. A la section de gravure, M. le prési-
dent s'est arrêté longuement devant le re-
remarquable portrait de M. E. Meissonier
et a chaudement félicité l'auteur, M. Fer-
nand Desmoulins, l'aquafortiste bien connu.
Dans le monde :
Chez la comtesse de Riancey, les récep-
tions de jour du samedi seront pendant tout
le mois de mai, agrémentées de musique,
de quatre à sept heures. Il n'y a pas d'invi-
tation spéciale et toutes les personnes qui
sont en relation avec l'aimable traîtresse de
maison y soriï priées.
On parle aussi d'une soirée dansante qui
aurait lieu dans le courant de mai et qui,
donnée en l'honneur dêTa charmante made-
moiselle de Riantey, serait exclusivement
blanche.
X
Très brillante matinée chez madame Dié-
mer avec le violoniste Sarasate. Le pro-
gramme comprenait trois morceaux seule-
ment, mais qui, par leur choix et par la ma-
nière dont ils ont été exécutés, peuvent
passer pour le type idéal de la musique de
chambre. Un quintette de Brahms, le quin-
tette de la Truite de Schubert, ont été ren-
dus dans la suprême perfection par Diemer,
Sarasate, Van Waefelghem, Delsart, de
Bailly, Rémy. Mais ce qui a littéralement
transporté l'auditoire, c'est la grande so-
nate de Beethoven, pour piano et violon,
dédiée à Kreutzer. Le duo de Sarasate et de
Diemer a trouvé des accents d'une douceur
exquise en même temps que des éclats de
virtuosité éblouissante.
Cette sublime musique, interprétée ainsi,
est peut-être ce qu'on peut entendre de plus
beau !
X
Les habitués du lundi soir chez la mar-
quise de Blocqueville, feront bien d'ê-
tre fidèles au poste le 9 mai ; ils auront
le plaisir d'écouter VEtincelle de Pailleron,
jouée par la marquise de Toulongeon, par
M. Joseph Pastré, et par une artiste de l'O-
déon, mademoiselle Rose Syma.
Le mardi 10, soirée musicale très intime
chez la vicomtesse de Trédern ; le mercredi
11, comédie chez la comtesse d'Hulst de
Bellune ; le jeudi 12, matinée chez madame
Beulé où l'on fera de la musique et où,
peut-être, aura-t-on la surprise d'une comé-
die ; le soir, concert chez la marquise de
Saint-Paul où l'on fera de la musique tous
les jeudis jusqu'au 2 juin inclusivement;
le samedi 14, concert chez M. Vanden Boss-
che, un des célibataires les plus somptueu-
sement logés de Paris ; le lundi 16, bal chez
madame Lambert-ChamDv.
INSTANTANÉS
J.-F. RAFFAELLI
Une figure de volonté, dans une barbe bien
taillée, une barbe de fleuve correct. Jadis, le
peintre de la vie extra-muros, des paysages
vert-de-gris et vert-de-plaie, des arbres dé-
gingandés crispés sur des horizons de fu-
mée, sur des ciels de suie, sur des lointains
de misère et de labeur, le révélateur des êtres
et des choses de la Banlieue dont il a su ren-
dre la grâce singulière, les heures désolées et
poignantes. Aujourd'hui, bien que revenant
souvent à ses premières amours hors barrière,
après des êtes à Jersey, flirte avec les élé-
gances britanniques et parisiennes, s'amenuise
à portraicturer de frêles fillettes, se féminise
parmi les dentelles et les fleurs, s'aristocratise
dans la hautaine silhouette de M. de Gon-
court. Triomphe au Champ-de-Mars en maî-
tre, qui ne s'endort pas dans le succès. Signe
particulier : écrit, parle et chante, a confé-
rencié en Belgique, publié des brochures d'art,
collaboré au « Figaro" et joua à l'ancien
Théâtre-Lyrique aux heures noires de la jeu-
nesse.
Qui donc avait dit que le vicomte de
T. était parti pour les Indes ? Quelle er-
reur ! Je l'ai rencontré hier aux Folies-Ber-
gère, il est à faire peur ; quel dégel, grand
Dieu ! Le cheveu rendu noir à force d'art et
de cosmétique au plomb, est devenu d'une
rareté excessive. Le teint est brouillé et
jauni, les joues pendent flasques et mal dis-
simulées sous d'épais favoris trop noirs,
l'œil est gonflé.
Dire que cet homme a fait des passions et
surtout des malheureuses ! Et puis toujours
seul. une, deux, trois comme dans la
Favorite. Pas un ami, pas un compagnon.
Faut-il qu'il ait mauvais caractère pour être
ainsi isolé.
On parle beaucoup, dans le monde finan-
cier d'une petite débauche faite hier à mi-
nuit, dans un cabinet particulier d'un grand
cabaret des boulevards, par M.X. en com-
pagnie de deux damoiselles de haut lignage
cythéréen.
On a tort de croire que les lits militaires
sont pour quelque chose dans cette noce.
L'âge respectable de l'une des dames qui
soupaient avec M. le baron S. prouve
d'une manière évidente qu'il n'était nulle-
ment question d'un voyage au pays du Ten-
dre.
Les mauvaises langues seules peuvent
propager ce racontar.
Ce soir, chez madame Jf Ricard, dernière
réception de la saison.
Ce soir aux Folies-Bergère, représenta-
tion de gala pour les adieux des Sheffer.
Madame Bonnaire prêtera son concours
et Aristide Bruant se fera entendre dans son
répertoire.
La feuille de location sera close à six
heures.
NOUVELLES A LA MAIN
Perpignan vient de rentrer à Paris retour
de Nice, où il a vu le carnaval ; il raconte à
son ami Caran d'Ache les incidents de la
fête niçoise :
— Figurez-vous, dit-il, que le jour de la
bataille de confetti, il y a tant de monde
dans les rues que personne n'ose sortir de
chez soi.
A
Un joli mot de Massenet.
L'autre jour, un compositeur d'opérettes
lui disait :
— Il ne faut plus de maîtres ni de doc-
trines, Tout cela écrase l'individualité.
— Parfaitement, répondit l'auieur de
Werther. Plus de pères : tous des fils.
LE DIABLE BOITEUX.
DUR OLE DES ACTRICES
Un des caractères les plus frappants
des rues de Paris, c'est le sérieux amour,
l'amour poussé jusqu'à la dévotion, que
font voir les passants arrêtés à considé-
rer « les actrices » à la devanture des
papetiers.
Est-ce pour leur beauté que nos con-
citoyens admirent si fort les actrices
des vitrines ? Elles ne sont pas toutes
extrêmement belles, et mieux vaudrait
alors regarder les jeunes femmes qui
passent a la même minute dans la rue
et qui joignent a une allure le plus sou-
vent fort agréable, l'incontestable mé-
rite d'être en chair et en os.
Est-ce pour leur talent ? Mais la gran-
de majorité de ces jeunes,,photographié es
des vitrines n'ont aucune valeur dra-
matique ni comique.
Qu'est-ce alors ? Le problème se Ipose
avec tant d'insistance, à chaque bouti-
que de photographie, qu'il vaut qu'on
l'étudié.
X
Aristote — un publiciste qui eut des
lumières sur toutes choses et qui fit de
la critique théâtrale d'une façon aussi
magistrale, quoique moins pédagogique
que M. Sarcey, — écrivit que nous al-
lions au théâtre pour nous débarrasser
de nos passions, « pour nous purger »,
disait-il.
Et, d'après ce mot, je vois bien qu'A-
ristote, comme tous les Parisiens, en at-
tendant l'Odéon-Batignolles sur la place
des Français, ou, les jours de pluie,
dans les passages, se fût plu à contem-
pler les vitrines.
Il eût apprécié nos actrices parisien-
nes, les félicitant, dans son langage un
peu lourd, d'être celles qui purgent les
habitants de cette ville.
Et voici comment.
Dans ce milieu commercial qu'on ap-
pelle la vie parisienne, nous n'avons
guère que le temps d'être intelligents.
Aucun homme ne s'y laisse dominer par
sa sentimentalité jusqu'à lui sacrifier
des heures accaparées par les besognes
ordinaires. Aussi, pour prendre un
exemple, quel Parisien, passé l'âge de sa
première communion, s'astreindrait aux
heures fixes d'un rendez-vous quoti-
dien?
Toutefois on a sa petite fleur bleue.
Elle est si vivace la sentimentalité, que
même dans cet air parisien elle fleurit
parfois sur nos cœurs. C'est alors qu'in-
tervient l'actrice.
Moyennant les quelques francs d'un
fauteuil d'orchestre, nous trouvons le
dégagement assuré et périodique de ces
vieilles sensibilités indéracinables.
L'actrice ! voilà son rôle parisien. Elle
est celle vers qui montent les soupirs
de Paris, les vagues désirs de tendresse
et de paroles amoureuses, celle qui dé-
barrasse chacun de ces sentiments af-
fleurant parfois encore sur ces âmes si
gouailleuses pourtant et ankylosées.
X
Que nous importent dès lors les ima-
ginations des poètes, le rôle bien ou mal
interprété ! Nous avons besoin seule-
ment de grâce, de sourires et d'une fa-
çon de tendresse, pendant deux heures
de notre digestion du soir : tendresse
que d'ailleurs nous pouvons partager
avec la foule des autres spectateurs.
Toute notre exigence, c'est que ce gen-
til sentiment nous soit donné sans autre
effort que d'entrer après notre journée
terminée dans une salle de spectacle.
Que le rôle nous cache le moins possi-
ble celle que nous venons voir, l'Actrice,
notre maîtresse, la maîtresse de tous
ceux qui vivent comme il faut vivre au-
jourd'hui. ",
Ce que nous aimons en elle, c'est toute
elle. Qu'elle ne prenne pas la peine de
s'oublier ni de -se faire oublier sous le
personnage créé par le poète. Pourquoi
donc ces jeunes femmes prendraient-
elles ce souci, quand tout Paris ne les
aime rien tant qu'en leur déshabillé !
Quelques arriérés peuvent bien leur
demander de reproduire, sitôt qu'elles
entrent en scène, la conception de l'au-
teur, de devenir la création de quelque
divin poète; ils attendent qu'à telle
scène principale elle leur donne le fris-
son qu'a mis dans ce rôle un homme de
génie. Exigences superflues! Notre joie,
la joie de Paris, c'est de voir l'actrice au
théâtre, à la ville, où que ce soit, à la
vitrine des papetiers même.
X
Elle-même, à quoi songe-t-elle ?
A nous séduire, tout simplement. Et
pour cela, elles ont mille ressources
d'amantes.
Le maréchal de Richelieu, qui avait
de l'expérience, raconte que, tout jeune,
il comprit combien le don des larmes est
persuasif en amour. Il eut grand soin.
d'en faire usage en plus d'une occasion-
Ainsi font nos actrices en scène.
C'est encore à mourir qu'elles excel-
lent. Les petites ouvrières, qui ont par-
fois des lueurs, ont saisi ce genre d'at-
tendrissement, mais leurs réchauds
sont très disgracieux. L'actrice est une
maîtresse qui a su déblayer l'amour de
ses parties imparfaites. Elle a tout per-
fectionné, ses attitudes, ses pleurs, ses
enfantillages, ses suicides, ses morts
(c'est cela seulement qu'elle prend dans
ses rôles et c'est tout cela qui constitue la
passion) sont excessifs et rapides, comme
doivent être toutes choses pour nous
plaire.
Puis nous savons que des camarades
l'attendent dans sa loge où elle causera
et sans doute rira. Et cela nous amuse
qu'ayant été hautaine, tragique ou dou-
loureuse, elle devienne soudain une
femme pratique et banale, reflet exact
de notre sentimalité qui, elle non plus,
ne peut se soutenir plus de deux heu-
res.
X
Les délicats, les esthéticiens bougon,
nent. Ils regrettent que, satisfaites d'ê-
tre rieuses, mélancoliques, appétissan-
tes et nues le plus possible, les actrices
de nos vitrines se soucient si peu d'in-
terpréter les visions des poètes.
Mais qu'ils comprennent donc, ces
critiques retardataires, que nos actrices
ont certes autant d'attitudes que Ra-
chel, autant de vibration que Desclée,
enfin qu'elles possèdent, sans en avoir
l'air, toute l'érudition du Conservatoire.
Si elles en usent autrement, ce n'est
pas infériorité de métier, mais intelli-
gence plus complète, respect du but que
leur imposent les perfectionnements de
l'époque.
Il fallait nos actrices telles qu'elles
sont aujourd'hui à cette majorité tou-
jours grandissante, à ce monde d'indus-
triels en tous genres que nous sommes,
marchands de lorgnettes ou de compli-
ments.
Morcellés en d'infinies préoccupations,
tiraillés par mille nécessités, obligés
perpétuellement pour persévérer dans
l'existence d'appartenir aux choses et
aux hommes, nous avons perdu l'habi-
tude de vivre,ef ût-ce un seul instantané
vie intérieure et personnelle ; nous
avons aussi perdu l'habitude et le besoin
de ressentir comme d'inspirer des émo-
tions profondes. Par contre nous dési-
rons trouver aisément auprès de noua
les signes extérieurs de ces émotions.
(C'est pour une transformation analo-
gue que les estomacs fatigués qui se
refusent à digérer de véritables nourri-
tures ont besoin de se donner à toute
heure l'illusion d'un repas.)
Il nous faut des tendresses à l'améri-
caine instantanées et précises. Les atti-
tudes amoureuses, les sourires coquets
affichés aux vitrines et regardés en pas-
sant deux minutes mettent dans notre
vie juste ce qu'il nous faut de féminilité.
Voilà le rôle des actrices de Paris, voilà
la raison du succès des vitrines. Les
Parisiens s'y débarrassent d'attendris-
sements difficiles à supprimer complè-
tement mais bien encombrants dans
une vie un peu chargée.
MAURICE BARRÈS
-
DERNIERS COURS DE LA BOURSE
3 0/0, 97 15
Extérieure, 59 13/32
Turc, 20 %1\ 1/2
Banq. Ottom. 571 25
Rio, 400
Tharsis, 124 37
Hongrois, 93 1/4
Portugais, 27 5/16
Alpines, f40
Egypte, 495
tE nw 11 m
AU CHAMP-DE-MARS
I
L'ART DÉCORATIF
C'est presque de chic, comme disent
les peintres, qu'on pourrait analyser et
décrire l'effort de travail, les tendances
soit vers de nouvelles formules esthéti-
ques, soit vers les maîtrises lointaines,
les inquiétudes tâtonnantes, les auda-
ces, les virtuosités dont la résultante
s'étale en ce nouveau déballage de ta-
bleaux.
La plupart des « arrivés » semblent
comme quelque notable commerçant
avoir une marque de fabrique, se répè-
tent et ayant trouvé un jour le bon filon,
s'épuisent à l'exploiter, ne s'aventurent
ni plus loin, ni plus haut, dédaignent la
joie angoissante du rêve.
Les « arrivants » usent les vieux sou-
liers de leurs patrons, s'émasculent en
de lamentables décalques, n'accusent
aucune vaillance, aucune chimère, sont
presque tous des sous-quelqu'un.
0 cette déroute de faux nez, de mas-
ques qui traîne à la suite des maîtres,
les anémiés qui râclent la palette de Pu-
vis de Chavannes, les faux luministes
qui s'embarbouillent dans les violets,
Tes rouges et les jaunes de Besnard, les
faiseurs de portraits qui s'essoufflent à
parodier Wisthler, les maladroits aui
ne sentent pas ce qu'il y a d'idéallté
unique, de vu et de rêvé dans les étran-
ges impressions de Carrière, qui le cari-
caturent en le copiant !
Et devant cette stagnation attristante,
comme on se sent porté à admirer, à
louanger, à mettre aux places d'honneur
les courageux et fervents artistes qui,
patiemment, préparent l'art décoratif
d'aujourd'hui et de demain, travaillent
sans trêve et nous émerveillent par leurs
œuvres personnelles où se révèle la
fièvre de briser les moules anciens, d'an-
noblir et d'affiner les décors de la vie
intime, comme on délaisse toutes les
aunes de toile stérilement salies pour
étudier une à une ces incomparables
pièces de collection, ces grès, ces faïen-
ces aux teintes hallucinantes, ces verre-
ries divines, ces meubles qui évoquent
des recoins de palais en lesquels fleurit
et s'alanguit la grâce suprême de quel-
que amoureuse trop adorée.
Voici les grès flammés de Jean Car-
riès, - cet oseur et ce chercheur dont on
racontera un jour, comme une légende,
la vie de travail amère, les incessantes
luttes, l'entêtement superbe, — les va-
ses d'où semble s'égoutter, en longues
larmes d'or, quelque philtre magique,
les larves et les gnômes comme échap-
pés d'un sabbat démoniaque, bavant,
se contournant, dardant leur regara
atone on ne sait où, gonflant leur ven-
tre grumeleux, aux verdissures livides,
les statuettes ingénues, exguises, sym-
boliques, et où l'on dirait que le sculp-
teur a pétri son rêve dans l'argile, les
bustes d'enfants qu'imprègne comme
une douceur d'aurore naissante, les mas-
ques tragiques, sinistres, et les effigies
narquoises, risibles, comme) arrachées
d'un portail de cathédrale gothique ou
d'une maison de thé.
Plus loin, l'adorable meuble aux pâles
colorations, où des hortensias d'un rose
et d'un vert indécis frissonnent, se dé-
florent, mettent dans le bois comme des
dolences de crépuscule automnal, ce
meuble d'une modernité intense que
rêva et esquissa le comte de Montes-
quiou,- le décadent esthète dont Huys-
mans fit son inoubliable Jean des Essein-
tes — et que marqueta Emile Gallé, les
plats si curieux de Delaherche aux bleus
éblouissants, aux teintes délicieusement
embrumées et fânées, où des plumes de
paon chatoient, où s'étalent, comme un
signe de kabbale, d'héraldiques feuilles
de marronnier, la table sculptée que
soutiennent les quatre éléments, par
François-Rupert Carabin, les orfèvre-
ries superbes d'Aubé et de Dampt, les
bois bizarres décorés au fer chaud
d'Henri Guérard, les émaux de Fernand
Thesmar, les somptueuses faïences de
Clément Massier, qui ont comme des
reflets d'incendie, comme des luisances
de pierres précieuses, et les magnifi-
ques vitraux de Léon Fargue.
Et enfin arrêtons-nous devant les ver-
reries de Gallé, qui sont l'enchantement
des yeux, qui font penser aux changean-
tes colorations de la mer, aux mélanco-
lies des crépuscules, aux pâleurs des
blondes et aux fleurs exilées dont les
corolles s'étiolent loin du soleil natal.
Quelles suggestions se dégagent de
ces veilleuses d'automne, de ce vase de
tristesse où de violettes ancolies s'épa-
nouissent en un bleu de houle, de ces
urnes en cristal purpurin ombré de vert
où volètent des noctuelles, de ces flacons
comme taillés en une améthyste et où
l'on rêverait d'enfermer à jamais l'o-
deur subtile et ensorceleuse de quel-
que belle maîtresse aux cheveux d'or !
*
L'Etat ne se décidera-t-il pas à recon-
naître sérieusement cette poussée d'art
nouveau et à l'encourager ?
II
LES ŒUVRES
J.-N. Wisthler. — Puvis de Chavannes. — J.
Sargent. — Stevens. — Carrière. — Rafaelli.
— Sisley. — Dannat. — Boldini. — Jeanniot.
— Helleu. 1
• Sur des fonds d'un bleu dur, qui sem-
blent une muraille magique de lapis-lazu-
li, parmi les vagues ténèbres se profilent
indàcisement les architectures féeriques
de Saint-Marc, la tour de l'Horloge, un
morceau de place avec un grouillis de
passants et de tremblantes lueurs de
réverbères. Et l'on dirait d'un beau re-
liquaire orfévré par des mains angéli-
ques et où sommeille en paix le Graal,
1 on a la sensation de frôler quelque cho-
se de mystérieux et d'auguste, d être en
une ville de songe et de nostalgie où le
passé s'éternise.
- Tel est ce nocturne bleu et or, de M.
J.-M. Wisthler, qui apparaîtra aux sen-
sitifs comme le joyau inestimable de
cette exposition si mêlée.
Et pourtant, combien me ravissent
encore la symphonie en gris et vert, cet
océan à peine lumineux que bornent de
mauves nuées flottant comme de légères
écharpes de gaze dans un ciel lai-
teux, cette grève solitaire, ces voiles
qui s'éploient blanches, frêles ainsi que
des ailes de goéland et le merveilleux
portrait de lady Meux, d'une si discrète
harmonie avec ses tons nacrés, sa bou-
che qui a l'air d'une petite fleur de haie,
ses yeux inquiétants où se lit la joie de
vivre, la chimère de tout savoir, et cette
robe d'un gris de perle sur laquelle des
rubans d'un rose tané epandent comme
des effeuillements de pétales. C'est la
vie même notée sens effort, sans men-
songe, sans recherche par un artiste
subtil et admirable et peut-être le plus
grand, le plus personnel de notre
temps.
M. Puvis de Chavannes continue la
série de ses impressionnantes peintures
décoratives où revit l'âme mystique des
primitifs.
Des collines bleues piquetées de ta-
ches neigeuses, de lointaines forêts qui
frissonnent dans la sérénité rose d'une
fin de jour hibernal, et là-bas, sur une
route que cache à demi le fin treillis
violet des branches de peupliers, des
cavaliers qui reviennent de quelque fa-
rouche battue, précédés de leur meute
et sonnant de l'oliphant à pleine gorge.
Puis, aux premiers plans, des bûche-
rons qui jettent bas un grand arbre et en
un débris de temple, des misereux qui
s'abritent contre les aiguilles cinglantes
de la bise, qui se réchauffent à la flamme
d'un brasier.
Ainsi M. Puvis de Chavannes a-t-il
allégorisè l'hiver, tueur des roses et des
pauvres gens, et cette œuvre nouvelle
est ainsi que les autres panneaux des
saisons qui ornent l'Hôtel de Ville,
émouvante, emplie d'au delà, de solen-
nité paisible, presque sacrée, élève et
trouble l'âme comme certaines psal-
modies d'orgue, comme les lents cou-
chers de soleil sur la mer et les aveux
tendres dans une nuit de lune.
Toutes les chaudes sensualités de
l'Espagne, les attirances qui émanent
d'un corps souple, onduleux de manola,
de ce sourire prometteur qui donne le
vertige et qui évoque en l'esprit, le pro-
verbe andalou : « L'homme est d'étoupe,
la femme de feu, le diable passe et souf-
fie»,les ténèbres pleines de lueurs d'une
toison épaisse et soyeuse de belle fille
brune, la morbidesse voluptueuse, com-
me étudiée des poses, ce qu'on appelle à
Grenade le « meneo », se retrouvent
dans le superbe portrait de la Carmen-
cita, la divine danseuse dont Paris fut
naguère affolé.
Elle vibre, elle rayonne, elle semble
avec sa tête ravissante aux grande yeux
cernés, embués de langueurs., aux lé-
vres rouges autant qu'un piment écar-
late et comme meurtries de baisers li-
bertins, son cou flexible, ses cheveux
où est piquée une fleur, émerger de sa
robe de soie jaune aux cassures enso-
leillées ainsi que d'un radieux bouquet
de jonquilles. Et ses tout petits pieds
chaussés de mules effilées paraissent
impatients de s'envoler en quelque déli-
rante ^abanejra, cependant que les cas-
tagnettes et les guitares répondent aux
claquements rythmiques des mains.
C est là une œuvre magistrale et l'on
croirait que M. J. &argent, ce maître de
la couleur, a broyé du soleil sur sa pa-
lette.
Une mère entourée de ses deux petits
enfants, et qui les étreint. les câline
doucement, cependant que leurs beaux
yeux ingénus gi closent remplissent
déjà de rêves et que les frissonnantes
ombres du soir envahissent la chambre.
montent comme une marée, mettent'
quelque chose de mystérieux, d'angéli-
que, dans ce baiser fervent, heureux
entre tous les baisers. Puis, au fond de
la pièce obscure, l'aïeule, qui sommeille
déjà et que contemple silencieusement
un autre baby aux joues potelées et
trouées de fossettes. Et, sur tout cela,
comme une bénédiction qui plane, com-
me un grand et doux recueillement,
comme un parfum de béatitude in-
finie.
Un de ces tableaux enfin qui vous re-
muent d'on ne sait quel émoi mysté-
rieux et ineffable, qui vous font battre
plus fort le cœur, songer aux heures
lointaines où l'on se blottissait dans les
jupes maternelles, où l'on ignorait la
vie et qui classera déifnitivement parint
les maîtres M. Carrière.
RENÉ MAIZEROI
CA suivre).
QUATORZIÈME ANNÉE. — NUMÉRO 4554 Un ISTuméro : Paris, 155 cent. — JL?oparxernx^ii ts, 20 oent;: SAMEDI 7 MAI 1892
A. DUMOKT. Fondateur
Adresser toutes lettres et mandats à
II. M ALBERT, administrateur du journal
ABONNEMENTS
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mots. 4 fr. 50 1 mois 6 te,
-.mois 13 fr. 50 3 mois 16 te
mois 26 fr. - 6mois. 31 fr
Un an.; 50 fr. - Un an. 60»
Étranger (voir à la quatrième page)
PUBLICITÉ DE I" ET DE 2e PAGE
.e, EUE GLUCK (COIN DU BOULEVARD HAUSSJUn)
PLACE DE L'OPÉRA
Amuser les gens qui passent, leur plaire aujourd' hut et recommencer
le lendemain. — J. jasis, préface de Gil Blas.
A. DUMONT, Fondateup
S'adresser, pour la rèdaction, à
M.JULES GUÉRIN, RÉDACTEUR EN CHEJ-"
Les manuscrits ne sont pas rendus
EXACTION ET ADMINISTRATION- : 8, rue Glûafc
ANNONCES, RÉCLAMES ET FAITS-DIVERS
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16, EUE DB LA Q-BASGS-BATSLLÀAÎ
et an Gil Blas -
S, sua GLUCIt (COIN DU BOULEVARD HAU331U>I*i
PLAGE DE L'OPÉRA.
SOMMAIRE
MÉMOIRES D'UN COOHER. — J. Rtcarà.
Du ROLE DES ACTRICES. Maurice Barrés.
LE SALON DE 1892 AUX CHAMP-DE-MARS. — René
Maizeroy.
COULISSES DE LA FINANCE. — Don Caprice.
PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS. — Léon Bernard-
Derosne.
PROPOS DE COULISSES. — Gaultier-Garguille.
FEUILLETON : CLAUDINE LAMOUR : Camille Le-
monnier.
Mémoires d'un Cochcr
[Fragment ramassé sur le tapis d'une
victoria de grande remise, prise au
stationnement de la rue Scribe, le
long de l'Opéra).
Lundi, 2 mai. — Ça va assez bien en
ce moment, les affaires. Encore deux
ans comme ça et surtout si les actions
de la Société anonyme des laminoirs à
coulisses continuent à monter, je pour-
rai me retirer, acheter la petite maison
de Suresnes, et ne plus m'occuper que
de littérature. On a tant à raconter
quand on a été pendant vingt-sept ans
cocher, et qu'on a de l'intelligence pour
remarquer les choses !
Ainsi aujourd'hui. La femme de cham-
bre de madame Juliette de Crécœur est
venue me prendre à quatre heures. Très
bonne cliente madame de Crécœur. Jo-
lie et pas encore trop dans la circula-
tion. Au Bois on se retourne beaucoup
— et ça flatte toujours un cocher quand
on se retourne beaucoup sur sa cliente.
Service régulier ; je connais bien ses
habitudes : monter et descendre l'ave-
nue des Acacias une fois, puis, par la
route des lacs, toucher à cinq heures et
demie toquant au Chalet de la Cascade.
Alors, arrive notre monsieur : un brun,
pas trop rasta cependant. Il est bien
élevé, car tandis qu'ils s'installent à
boire des choses avec des pailles, jamais
il ne manque de me faire offrir par le
garçon ce que je voudrai prendre. Moi
je suis un homme d'hygiène, je me mé-
fie de ces boissons de patrons; ça détra-
que les estomacs, et quand on a l'esto-
mac détraqué on devient triste. — C'est
encore une remarque que j'ai eu l'occa-
sion de faire. Aussi, je n'accepte jamais
qu'un petit verre de malaga ou de
coca.
Ensuite Juliette — pas besoin de dire
madame dans ces notes sans-façon —
remonte dans ma Victoria, le brun re-
prend la voiture de cercle qui l'a ame-
né, et, l'un suivant l'autre, nous filons
sur le restaurant convenu. Je débarque
ma cliente, le brun me paye, et de plus
— c'est une des raisons qui expliquent
le faible que j'ai pour Juliette — il me
donne dix francs de pourboire. En ce
temps de République bourgeoise et pan-
née, c'est pas commun de recevoir dix
francs de pourboire pour trois heures de
travail.
Par exemple, aujourd'hui, il y a eu
changement de programme. En mon-
tant les Acacias, nous avons croisé un
petit maigrichon dans un boghei à train
jaune. Cheval assez propre, mais attelé
beaucoup trop court.
Le petit maigrichon a fait un signe de
tête, puis Juliette m'a piqué son om-
brelle dans le dos, en me disant :
- Suivez cette voiture.
Et elle me montrait le boghei à train
jaune. J'ai pu tourner tout de suite ; un
camarade à qui j'ai cligné de l'œil m'a
fait place dans la file. Il y avait une
vraie purée à ce moment-là.
A l'allée du Tir aux Pigeons, le bo-
riheiJile sur la gauche. Je suis. Nous
sortons du Bois, et voilà que nous arrê-
tons à Neuilly, devant une espèce de
ca(é-restaurant. Pas chic. Jamais je
n'ai mené personne la.
, Il faut croire cependant que le petit
maigriot et Juliette s'y sont bien trou-
vés, car elle n'est ressortie qu'après une
pause de trois quarts d'heure. Elle était
très rouge, et les deux petites cornes
qu'elle avait sur son chapeau étaient ra-
battues comme si elle s'était cognée con-
tre un plafond — ou encore, assise des-
sus.
Le petit était remonté dans son bog-
hei — c'est un boursier, à ce que m'a
dit son groom qui, sur mon conseil, avait
rallongé les traits d'un point. Et il fal-
lait voir, en démarrant, comme le che-
val trottait plus librement.
Alors, voila Juliette qui me dit, en re-
grimpant, d'un air très pressé :
— Vivement ! à la Cascade.
Moi qui connais la manœuvre, je lui
fais observer, en touchant convenable-
ment le bord de mon chapeau :
- C'est qu'il est près de six heures,
maintenant.
Elle me comprenait bien.
— Ça ne fait rien ! On m'aura atten-
due. Marchons bon train.
Je file par Saint-James. Ce n'était pas
le plus droit, mais je n'avais pas à crain-
dre les embarras de voitures.
Nous arrivons lestement au café de la
Cascade. Il était six heures dix. Per-
sonne. Juliette demande ; il n'y avait
pas cinq minutes que notre monsieur
brun était parti. Ce qu'elle paraissait
nerveuse !
— Allez par le plus court à l'avenue
du Bois, puis vous retournerez vers les
Acacias. Vous reconnaîtrez bien ce
monsieur avec qui je me trouve ici ha-
bituellement ?
Si je reconnaîtrai un client à dix
francs de pourboire. Ah ! il a eu chaud,
mon pauvre cheval. Monter, redescen-
dre l'avenue du Bois, regarder au pa-
villon Chinois, faire l'allée des Acacias
au grand trot entre les files, prendre
l'avenue de la Reine-Marguerite, de-
mander à Armenonville, revenir encore
au Chinois. Tout cela en pas plus d'une
demi-heure. Et le monsieur brun tou-
jours impossible à découvrir !
Derrière mon dos, je sentais Juliette
qui s'agitait comme si elle avait eu le tic
de l'ours.
Enfin, je reprends du côté de l'Arc de
l'Etoile ; il était sept heures moins un
quart. J'étais refait de mes dix francs
habituels, je sentais bien ça. Aussi,
quelle idée avaitjeue Juliette, une femme
qui se tient si bien à l'ordinaire, d'aller
perdre du temps comme ça avec ce mai-
griot — un pas grand'chose de sérieux,
m'avait dit son groom.
Du reste, cela ne me regarde pas. Je
conduisles gens, mais ne suis pas chargé
de leur conduite. Ce que j'en dis, c'est
pour l'observation.
— En descendant les Champs-Elysées,
vous m'arrêterez au bureau télégraphi-
que, me dit ma cliente. Je vais envoyer
une bleue.
Epatement! Au moment où je venais
d'arrêter devant le télégraphe, et com-
me Juliette descendait, voilà une autre
voiture qui arrête roue a roue avec moi,
et notre monsieur brun qui en sort.
Lui aussi, sans aucun doute, allait écrire
sa bleue.
Juliette le voit, saute sur lui et, sans
faire une ni deux, lui flanque un grand
coup d'ombrelle en lui disant :
— C'est comme ça que vous me faites
poser !
— Comment, ma chère?. mais c'est
moi. c'est moi qui.
- Est-ce que je n'ai pas le droit d'être
de cinq minutes en retard ?. Vous ne
pouviez pas m'attendre un peu ?. Mon
imbécile de femme de chambre avait
laissé échapper Kiss. Vous devez bien
comprendre que je ne pouvais pas sortir
sans que ma chienne fût retrouvée.
Mais vous avez si peu de cœur !. Vous
tenez si peu à moi !.
— Mais je vous assure, ma chérie.
j'ai attendu trois quarts d'heure.
— C'est pas vrai !
— Parole !.j'allais vous télégraphier.
- Allons donc!. vous ne pensiez
déjà plus a moi !. et je viens de battre
tout le Bois pour vous rejoindre. Moi
aussi j'allais vous télégraphier !
- Enfin, dit le monsieur brun qui
avait l'air content tout de même, puis-
que nous n'avons plus besoin ni l'un ni
1 autre d'entrer dans ce bureau, si nous
allions dîner?. Voulez-vous, chez Voi-
sin ?
— Soit. mais, vous savez, je vous en
veux beaucoup.
Cinq minutes après nous arrêtions
rue Cambon devant le restaurant. Le
monsieur brun renvoie sa voiture, aide
Juliette à descendre, et se met à me
payer. Alors, au moment où il m'allon-
geait ses dix francs, madame lui dit avec
un drôle de petit sourire :
— Il a à moitié claqué son cheval pour
te retrouver. vrai, aujourd'hui, tu
Eeux bien lui donner un louis de pour-
bire.
Ces femmes ! ça a-t-il assez de fil !..
Et mon ami Victor qui est en maison,
dit que les dames du monde sont encore
plus.
J. RICARD.
(Reproduction interdite.)
♦
Nouvelles et Echos
AUJOURD'HUI
A deux heures, courses à Maisons-Laf-
fitte. Pronostics du Gil Blas :
Prix du Château : Fil-de-Fer.
Prix de Capeyron : Feu-Follet.
Prix d'Orsay : Brin d'Amour.
Prix Malgache : Trajan.
Prix de Ricquebourg : Coriolan.
M. le président de la République, accom-
pagné de madame Carnot, a visité hier le
Salon du Champ-de-Mars. M. Carnot s'est
particulièrement intéressé à l'admirable en-
voi de M. Alfred Stevens, et à celui de son
fils, M. Léopold Stevens, dont la première
exposition révèle un très remarquable ta-
lent. Les tableaux de MM. Puvis de Cha-
vannes, Cazin, Béraud, et l'incomparable
exposition de céramique de M. Carfiès ont
eu aussi un très grand et très légitime suc-
cès. A la section de gravure, M. le prési-
dent s'est arrêté longuement devant le re-
remarquable portrait de M. E. Meissonier
et a chaudement félicité l'auteur, M. Fer-
nand Desmoulins, l'aquafortiste bien connu.
Dans le monde :
Chez la comtesse de Riancey, les récep-
tions de jour du samedi seront pendant tout
le mois de mai, agrémentées de musique,
de quatre à sept heures. Il n'y a pas d'invi-
tation spéciale et toutes les personnes qui
sont en relation avec l'aimable traîtresse de
maison y soriï priées.
On parle aussi d'une soirée dansante qui
aurait lieu dans le courant de mai et qui,
donnée en l'honneur dêTa charmante made-
moiselle de Riantey, serait exclusivement
blanche.
X
Très brillante matinée chez madame Dié-
mer avec le violoniste Sarasate. Le pro-
gramme comprenait trois morceaux seule-
ment, mais qui, par leur choix et par la ma-
nière dont ils ont été exécutés, peuvent
passer pour le type idéal de la musique de
chambre. Un quintette de Brahms, le quin-
tette de la Truite de Schubert, ont été ren-
dus dans la suprême perfection par Diemer,
Sarasate, Van Waefelghem, Delsart, de
Bailly, Rémy. Mais ce qui a littéralement
transporté l'auditoire, c'est la grande so-
nate de Beethoven, pour piano et violon,
dédiée à Kreutzer. Le duo de Sarasate et de
Diemer a trouvé des accents d'une douceur
exquise en même temps que des éclats de
virtuosité éblouissante.
Cette sublime musique, interprétée ainsi,
est peut-être ce qu'on peut entendre de plus
beau !
X
Les habitués du lundi soir chez la mar-
quise de Blocqueville, feront bien d'ê-
tre fidèles au poste le 9 mai ; ils auront
le plaisir d'écouter VEtincelle de Pailleron,
jouée par la marquise de Toulongeon, par
M. Joseph Pastré, et par une artiste de l'O-
déon, mademoiselle Rose Syma.
Le mardi 10, soirée musicale très intime
chez la vicomtesse de Trédern ; le mercredi
11, comédie chez la comtesse d'Hulst de
Bellune ; le jeudi 12, matinée chez madame
Beulé où l'on fera de la musique et où,
peut-être, aura-t-on la surprise d'une comé-
die ; le soir, concert chez la marquise de
Saint-Paul où l'on fera de la musique tous
les jeudis jusqu'au 2 juin inclusivement;
le samedi 14, concert chez M. Vanden Boss-
che, un des célibataires les plus somptueu-
sement logés de Paris ; le lundi 16, bal chez
madame Lambert-ChamDv.
INSTANTANÉS
J.-F. RAFFAELLI
Une figure de volonté, dans une barbe bien
taillée, une barbe de fleuve correct. Jadis, le
peintre de la vie extra-muros, des paysages
vert-de-gris et vert-de-plaie, des arbres dé-
gingandés crispés sur des horizons de fu-
mée, sur des ciels de suie, sur des lointains
de misère et de labeur, le révélateur des êtres
et des choses de la Banlieue dont il a su ren-
dre la grâce singulière, les heures désolées et
poignantes. Aujourd'hui, bien que revenant
souvent à ses premières amours hors barrière,
après des êtes à Jersey, flirte avec les élé-
gances britanniques et parisiennes, s'amenuise
à portraicturer de frêles fillettes, se féminise
parmi les dentelles et les fleurs, s'aristocratise
dans la hautaine silhouette de M. de Gon-
court. Triomphe au Champ-de-Mars en maî-
tre, qui ne s'endort pas dans le succès. Signe
particulier : écrit, parle et chante, a confé-
rencié en Belgique, publié des brochures d'art,
collaboré au « Figaro" et joua à l'ancien
Théâtre-Lyrique aux heures noires de la jeu-
nesse.
Qui donc avait dit que le vicomte de
T. était parti pour les Indes ? Quelle er-
reur ! Je l'ai rencontré hier aux Folies-Ber-
gère, il est à faire peur ; quel dégel, grand
Dieu ! Le cheveu rendu noir à force d'art et
de cosmétique au plomb, est devenu d'une
rareté excessive. Le teint est brouillé et
jauni, les joues pendent flasques et mal dis-
simulées sous d'épais favoris trop noirs,
l'œil est gonflé.
Dire que cet homme a fait des passions et
surtout des malheureuses ! Et puis toujours
seul. une, deux, trois comme dans la
Favorite. Pas un ami, pas un compagnon.
Faut-il qu'il ait mauvais caractère pour être
ainsi isolé.
On parle beaucoup, dans le monde finan-
cier d'une petite débauche faite hier à mi-
nuit, dans un cabinet particulier d'un grand
cabaret des boulevards, par M.X. en com-
pagnie de deux damoiselles de haut lignage
cythéréen.
On a tort de croire que les lits militaires
sont pour quelque chose dans cette noce.
L'âge respectable de l'une des dames qui
soupaient avec M. le baron S. prouve
d'une manière évidente qu'il n'était nulle-
ment question d'un voyage au pays du Ten-
dre.
Les mauvaises langues seules peuvent
propager ce racontar.
Ce soir, chez madame Jf Ricard, dernière
réception de la saison.
Ce soir aux Folies-Bergère, représenta-
tion de gala pour les adieux des Sheffer.
Madame Bonnaire prêtera son concours
et Aristide Bruant se fera entendre dans son
répertoire.
La feuille de location sera close à six
heures.
NOUVELLES A LA MAIN
Perpignan vient de rentrer à Paris retour
de Nice, où il a vu le carnaval ; il raconte à
son ami Caran d'Ache les incidents de la
fête niçoise :
— Figurez-vous, dit-il, que le jour de la
bataille de confetti, il y a tant de monde
dans les rues que personne n'ose sortir de
chez soi.
A
Un joli mot de Massenet.
L'autre jour, un compositeur d'opérettes
lui disait :
— Il ne faut plus de maîtres ni de doc-
trines, Tout cela écrase l'individualité.
— Parfaitement, répondit l'auieur de
Werther. Plus de pères : tous des fils.
LE DIABLE BOITEUX.
DUR OLE DES ACTRICES
Un des caractères les plus frappants
des rues de Paris, c'est le sérieux amour,
l'amour poussé jusqu'à la dévotion, que
font voir les passants arrêtés à considé-
rer « les actrices » à la devanture des
papetiers.
Est-ce pour leur beauté que nos con-
citoyens admirent si fort les actrices
des vitrines ? Elles ne sont pas toutes
extrêmement belles, et mieux vaudrait
alors regarder les jeunes femmes qui
passent a la même minute dans la rue
et qui joignent a une allure le plus sou-
vent fort agréable, l'incontestable mé-
rite d'être en chair et en os.
Est-ce pour leur talent ? Mais la gran-
de majorité de ces jeunes,,photographié es
des vitrines n'ont aucune valeur dra-
matique ni comique.
Qu'est-ce alors ? Le problème se Ipose
avec tant d'insistance, à chaque bouti-
que de photographie, qu'il vaut qu'on
l'étudié.
X
Aristote — un publiciste qui eut des
lumières sur toutes choses et qui fit de
la critique théâtrale d'une façon aussi
magistrale, quoique moins pédagogique
que M. Sarcey, — écrivit que nous al-
lions au théâtre pour nous débarrasser
de nos passions, « pour nous purger »,
disait-il.
Et, d'après ce mot, je vois bien qu'A-
ristote, comme tous les Parisiens, en at-
tendant l'Odéon-Batignolles sur la place
des Français, ou, les jours de pluie,
dans les passages, se fût plu à contem-
pler les vitrines.
Il eût apprécié nos actrices parisien-
nes, les félicitant, dans son langage un
peu lourd, d'être celles qui purgent les
habitants de cette ville.
Et voici comment.
Dans ce milieu commercial qu'on ap-
pelle la vie parisienne, nous n'avons
guère que le temps d'être intelligents.
Aucun homme ne s'y laisse dominer par
sa sentimentalité jusqu'à lui sacrifier
des heures accaparées par les besognes
ordinaires. Aussi, pour prendre un
exemple, quel Parisien, passé l'âge de sa
première communion, s'astreindrait aux
heures fixes d'un rendez-vous quoti-
dien?
Toutefois on a sa petite fleur bleue.
Elle est si vivace la sentimentalité, que
même dans cet air parisien elle fleurit
parfois sur nos cœurs. C'est alors qu'in-
tervient l'actrice.
Moyennant les quelques francs d'un
fauteuil d'orchestre, nous trouvons le
dégagement assuré et périodique de ces
vieilles sensibilités indéracinables.
L'actrice ! voilà son rôle parisien. Elle
est celle vers qui montent les soupirs
de Paris, les vagues désirs de tendresse
et de paroles amoureuses, celle qui dé-
barrasse chacun de ces sentiments af-
fleurant parfois encore sur ces âmes si
gouailleuses pourtant et ankylosées.
X
Que nous importent dès lors les ima-
ginations des poètes, le rôle bien ou mal
interprété ! Nous avons besoin seule-
ment de grâce, de sourires et d'une fa-
çon de tendresse, pendant deux heures
de notre digestion du soir : tendresse
que d'ailleurs nous pouvons partager
avec la foule des autres spectateurs.
Toute notre exigence, c'est que ce gen-
til sentiment nous soit donné sans autre
effort que d'entrer après notre journée
terminée dans une salle de spectacle.
Que le rôle nous cache le moins possi-
ble celle que nous venons voir, l'Actrice,
notre maîtresse, la maîtresse de tous
ceux qui vivent comme il faut vivre au-
jourd'hui. ",
Ce que nous aimons en elle, c'est toute
elle. Qu'elle ne prenne pas la peine de
s'oublier ni de -se faire oublier sous le
personnage créé par le poète. Pourquoi
donc ces jeunes femmes prendraient-
elles ce souci, quand tout Paris ne les
aime rien tant qu'en leur déshabillé !
Quelques arriérés peuvent bien leur
demander de reproduire, sitôt qu'elles
entrent en scène, la conception de l'au-
teur, de devenir la création de quelque
divin poète; ils attendent qu'à telle
scène principale elle leur donne le fris-
son qu'a mis dans ce rôle un homme de
génie. Exigences superflues! Notre joie,
la joie de Paris, c'est de voir l'actrice au
théâtre, à la ville, où que ce soit, à la
vitrine des papetiers même.
X
Elle-même, à quoi songe-t-elle ?
A nous séduire, tout simplement. Et
pour cela, elles ont mille ressources
d'amantes.
Le maréchal de Richelieu, qui avait
de l'expérience, raconte que, tout jeune,
il comprit combien le don des larmes est
persuasif en amour. Il eut grand soin.
d'en faire usage en plus d'une occasion-
Ainsi font nos actrices en scène.
C'est encore à mourir qu'elles excel-
lent. Les petites ouvrières, qui ont par-
fois des lueurs, ont saisi ce genre d'at-
tendrissement, mais leurs réchauds
sont très disgracieux. L'actrice est une
maîtresse qui a su déblayer l'amour de
ses parties imparfaites. Elle a tout per-
fectionné, ses attitudes, ses pleurs, ses
enfantillages, ses suicides, ses morts
(c'est cela seulement qu'elle prend dans
ses rôles et c'est tout cela qui constitue la
passion) sont excessifs et rapides, comme
doivent être toutes choses pour nous
plaire.
Puis nous savons que des camarades
l'attendent dans sa loge où elle causera
et sans doute rira. Et cela nous amuse
qu'ayant été hautaine, tragique ou dou-
loureuse, elle devienne soudain une
femme pratique et banale, reflet exact
de notre sentimalité qui, elle non plus,
ne peut se soutenir plus de deux heu-
res.
X
Les délicats, les esthéticiens bougon,
nent. Ils regrettent que, satisfaites d'ê-
tre rieuses, mélancoliques, appétissan-
tes et nues le plus possible, les actrices
de nos vitrines se soucient si peu d'in-
terpréter les visions des poètes.
Mais qu'ils comprennent donc, ces
critiques retardataires, que nos actrices
ont certes autant d'attitudes que Ra-
chel, autant de vibration que Desclée,
enfin qu'elles possèdent, sans en avoir
l'air, toute l'érudition du Conservatoire.
Si elles en usent autrement, ce n'est
pas infériorité de métier, mais intelli-
gence plus complète, respect du but que
leur imposent les perfectionnements de
l'époque.
Il fallait nos actrices telles qu'elles
sont aujourd'hui à cette majorité tou-
jours grandissante, à ce monde d'indus-
triels en tous genres que nous sommes,
marchands de lorgnettes ou de compli-
ments.
Morcellés en d'infinies préoccupations,
tiraillés par mille nécessités, obligés
perpétuellement pour persévérer dans
l'existence d'appartenir aux choses et
aux hommes, nous avons perdu l'habi-
tude de vivre,ef ût-ce un seul instantané
vie intérieure et personnelle ; nous
avons aussi perdu l'habitude et le besoin
de ressentir comme d'inspirer des émo-
tions profondes. Par contre nous dési-
rons trouver aisément auprès de noua
les signes extérieurs de ces émotions.
(C'est pour une transformation analo-
gue que les estomacs fatigués qui se
refusent à digérer de véritables nourri-
tures ont besoin de se donner à toute
heure l'illusion d'un repas.)
Il nous faut des tendresses à l'améri-
caine instantanées et précises. Les atti-
tudes amoureuses, les sourires coquets
affichés aux vitrines et regardés en pas-
sant deux minutes mettent dans notre
vie juste ce qu'il nous faut de féminilité.
Voilà le rôle des actrices de Paris, voilà
la raison du succès des vitrines. Les
Parisiens s'y débarrassent d'attendris-
sements difficiles à supprimer complè-
tement mais bien encombrants dans
une vie un peu chargée.
MAURICE BARRÈS
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AU CHAMP-DE-MARS
I
L'ART DÉCORATIF
C'est presque de chic, comme disent
les peintres, qu'on pourrait analyser et
décrire l'effort de travail, les tendances
soit vers de nouvelles formules esthéti-
ques, soit vers les maîtrises lointaines,
les inquiétudes tâtonnantes, les auda-
ces, les virtuosités dont la résultante
s'étale en ce nouveau déballage de ta-
bleaux.
La plupart des « arrivés » semblent
comme quelque notable commerçant
avoir une marque de fabrique, se répè-
tent et ayant trouvé un jour le bon filon,
s'épuisent à l'exploiter, ne s'aventurent
ni plus loin, ni plus haut, dédaignent la
joie angoissante du rêve.
Les « arrivants » usent les vieux sou-
liers de leurs patrons, s'émasculent en
de lamentables décalques, n'accusent
aucune vaillance, aucune chimère, sont
presque tous des sous-quelqu'un.
0 cette déroute de faux nez, de mas-
ques qui traîne à la suite des maîtres,
les anémiés qui râclent la palette de Pu-
vis de Chavannes, les faux luministes
qui s'embarbouillent dans les violets,
Tes rouges et les jaunes de Besnard, les
faiseurs de portraits qui s'essoufflent à
parodier Wisthler, les maladroits aui
ne sentent pas ce qu'il y a d'idéallté
unique, de vu et de rêvé dans les étran-
ges impressions de Carrière, qui le cari-
caturent en le copiant !
Et devant cette stagnation attristante,
comme on se sent porté à admirer, à
louanger, à mettre aux places d'honneur
les courageux et fervents artistes qui,
patiemment, préparent l'art décoratif
d'aujourd'hui et de demain, travaillent
sans trêve et nous émerveillent par leurs
œuvres personnelles où se révèle la
fièvre de briser les moules anciens, d'an-
noblir et d'affiner les décors de la vie
intime, comme on délaisse toutes les
aunes de toile stérilement salies pour
étudier une à une ces incomparables
pièces de collection, ces grès, ces faïen-
ces aux teintes hallucinantes, ces verre-
ries divines, ces meubles qui évoquent
des recoins de palais en lesquels fleurit
et s'alanguit la grâce suprême de quel-
que amoureuse trop adorée.
Voici les grès flammés de Jean Car-
riès, - cet oseur et ce chercheur dont on
racontera un jour, comme une légende,
la vie de travail amère, les incessantes
luttes, l'entêtement superbe, — les va-
ses d'où semble s'égoutter, en longues
larmes d'or, quelque philtre magique,
les larves et les gnômes comme échap-
pés d'un sabbat démoniaque, bavant,
se contournant, dardant leur regara
atone on ne sait où, gonflant leur ven-
tre grumeleux, aux verdissures livides,
les statuettes ingénues, exguises, sym-
boliques, et où l'on dirait que le sculp-
teur a pétri son rêve dans l'argile, les
bustes d'enfants qu'imprègne comme
une douceur d'aurore naissante, les mas-
ques tragiques, sinistres, et les effigies
narquoises, risibles, comme) arrachées
d'un portail de cathédrale gothique ou
d'une maison de thé.
Plus loin, l'adorable meuble aux pâles
colorations, où des hortensias d'un rose
et d'un vert indécis frissonnent, se dé-
florent, mettent dans le bois comme des
dolences de crépuscule automnal, ce
meuble d'une modernité intense que
rêva et esquissa le comte de Montes-
quiou,- le décadent esthète dont Huys-
mans fit son inoubliable Jean des Essein-
tes — et que marqueta Emile Gallé, les
plats si curieux de Delaherche aux bleus
éblouissants, aux teintes délicieusement
embrumées et fânées, où des plumes de
paon chatoient, où s'étalent, comme un
signe de kabbale, d'héraldiques feuilles
de marronnier, la table sculptée que
soutiennent les quatre éléments, par
François-Rupert Carabin, les orfèvre-
ries superbes d'Aubé et de Dampt, les
bois bizarres décorés au fer chaud
d'Henri Guérard, les émaux de Fernand
Thesmar, les somptueuses faïences de
Clément Massier, qui ont comme des
reflets d'incendie, comme des luisances
de pierres précieuses, et les magnifi-
ques vitraux de Léon Fargue.
Et enfin arrêtons-nous devant les ver-
reries de Gallé, qui sont l'enchantement
des yeux, qui font penser aux changean-
tes colorations de la mer, aux mélanco-
lies des crépuscules, aux pâleurs des
blondes et aux fleurs exilées dont les
corolles s'étiolent loin du soleil natal.
Quelles suggestions se dégagent de
ces veilleuses d'automne, de ce vase de
tristesse où de violettes ancolies s'épa-
nouissent en un bleu de houle, de ces
urnes en cristal purpurin ombré de vert
où volètent des noctuelles, de ces flacons
comme taillés en une améthyste et où
l'on rêverait d'enfermer à jamais l'o-
deur subtile et ensorceleuse de quel-
que belle maîtresse aux cheveux d'or !
*
L'Etat ne se décidera-t-il pas à recon-
naître sérieusement cette poussée d'art
nouveau et à l'encourager ?
II
LES ŒUVRES
J.-N. Wisthler. — Puvis de Chavannes. — J.
Sargent. — Stevens. — Carrière. — Rafaelli.
— Sisley. — Dannat. — Boldini. — Jeanniot.
— Helleu. 1
• Sur des fonds d'un bleu dur, qui sem-
blent une muraille magique de lapis-lazu-
li, parmi les vagues ténèbres se profilent
indàcisement les architectures féeriques
de Saint-Marc, la tour de l'Horloge, un
morceau de place avec un grouillis de
passants et de tremblantes lueurs de
réverbères. Et l'on dirait d'un beau re-
liquaire orfévré par des mains angéli-
ques et où sommeille en paix le Graal,
1 on a la sensation de frôler quelque cho-
se de mystérieux et d'auguste, d être en
une ville de songe et de nostalgie où le
passé s'éternise.
- Tel est ce nocturne bleu et or, de M.
J.-M. Wisthler, qui apparaîtra aux sen-
sitifs comme le joyau inestimable de
cette exposition si mêlée.
Et pourtant, combien me ravissent
encore la symphonie en gris et vert, cet
océan à peine lumineux que bornent de
mauves nuées flottant comme de légères
écharpes de gaze dans un ciel lai-
teux, cette grève solitaire, ces voiles
qui s'éploient blanches, frêles ainsi que
des ailes de goéland et le merveilleux
portrait de lady Meux, d'une si discrète
harmonie avec ses tons nacrés, sa bou-
che qui a l'air d'une petite fleur de haie,
ses yeux inquiétants où se lit la joie de
vivre, la chimère de tout savoir, et cette
robe d'un gris de perle sur laquelle des
rubans d'un rose tané epandent comme
des effeuillements de pétales. C'est la
vie même notée sens effort, sans men-
songe, sans recherche par un artiste
subtil et admirable et peut-être le plus
grand, le plus personnel de notre
temps.
M. Puvis de Chavannes continue la
série de ses impressionnantes peintures
décoratives où revit l'âme mystique des
primitifs.
Des collines bleues piquetées de ta-
ches neigeuses, de lointaines forêts qui
frissonnent dans la sérénité rose d'une
fin de jour hibernal, et là-bas, sur une
route que cache à demi le fin treillis
violet des branches de peupliers, des
cavaliers qui reviennent de quelque fa-
rouche battue, précédés de leur meute
et sonnant de l'oliphant à pleine gorge.
Puis, aux premiers plans, des bûche-
rons qui jettent bas un grand arbre et en
un débris de temple, des misereux qui
s'abritent contre les aiguilles cinglantes
de la bise, qui se réchauffent à la flamme
d'un brasier.
Ainsi M. Puvis de Chavannes a-t-il
allégorisè l'hiver, tueur des roses et des
pauvres gens, et cette œuvre nouvelle
est ainsi que les autres panneaux des
saisons qui ornent l'Hôtel de Ville,
émouvante, emplie d'au delà, de solen-
nité paisible, presque sacrée, élève et
trouble l'âme comme certaines psal-
modies d'orgue, comme les lents cou-
chers de soleil sur la mer et les aveux
tendres dans une nuit de lune.
Toutes les chaudes sensualités de
l'Espagne, les attirances qui émanent
d'un corps souple, onduleux de manola,
de ce sourire prometteur qui donne le
vertige et qui évoque en l'esprit, le pro-
verbe andalou : « L'homme est d'étoupe,
la femme de feu, le diable passe et souf-
fie»,les ténèbres pleines de lueurs d'une
toison épaisse et soyeuse de belle fille
brune, la morbidesse voluptueuse, com-
me étudiée des poses, ce qu'on appelle à
Grenade le « meneo », se retrouvent
dans le superbe portrait de la Carmen-
cita, la divine danseuse dont Paris fut
naguère affolé.
Elle vibre, elle rayonne, elle semble
avec sa tête ravissante aux grande yeux
cernés, embués de langueurs., aux lé-
vres rouges autant qu'un piment écar-
late et comme meurtries de baisers li-
bertins, son cou flexible, ses cheveux
où est piquée une fleur, émerger de sa
robe de soie jaune aux cassures enso-
leillées ainsi que d'un radieux bouquet
de jonquilles. Et ses tout petits pieds
chaussés de mules effilées paraissent
impatients de s'envoler en quelque déli-
rante ^abanejra, cependant que les cas-
tagnettes et les guitares répondent aux
claquements rythmiques des mains.
C est là une œuvre magistrale et l'on
croirait que M. J. &argent, ce maître de
la couleur, a broyé du soleil sur sa pa-
lette.
Une mère entourée de ses deux petits
enfants, et qui les étreint. les câline
doucement, cependant que leurs beaux
yeux ingénus gi closent remplissent
déjà de rêves et que les frissonnantes
ombres du soir envahissent la chambre.
montent comme une marée, mettent'
quelque chose de mystérieux, d'angéli-
que, dans ce baiser fervent, heureux
entre tous les baisers. Puis, au fond de
la pièce obscure, l'aïeule, qui sommeille
déjà et que contemple silencieusement
un autre baby aux joues potelées et
trouées de fossettes. Et, sur tout cela,
comme une bénédiction qui plane, com-
me un grand et doux recueillement,
comme un parfum de béatitude in-
finie.
Un de ces tableaux enfin qui vous re-
muent d'on ne sait quel émoi mysté-
rieux et ineffable, qui vous font battre
plus fort le cœur, songer aux heures
lointaines où l'on se blottissait dans les
jupes maternelles, où l'on ignorait la
vie et qui classera déifnitivement parint
les maîtres M. Carrière.
RENÉ MAIZEROI
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