Titre : Les Événements de Paris / rédacteur en chef : H. de Villemessant ; directeur : A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-06-18
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327716931
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 18 juin 1867 18 juin 1867
Description : 1867/06/18 (N13). 1867/06/18 (N13).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t512204811
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-34
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/12/2023
h
C r
I
Numéro 13
74
Paris et Départements : IO c. le numéro. ------------
Mardi 18 Juin 1867
LES
ÉVÉNEMENTS
DE PARIS
Le Journal paraît tous les jours» — Paris et Départements : Un mois, 4 fr.— Trois mois, K fr.—Six mois, 22 fr.— Un an, 40 fr. — Abonnements : rue Coq-Héron, 5, et rue Rossini, 3. —Adresser les mandats à M. A. DUMONT
r
d .CHRONIQUE
■ 1 -- hol 050 " j
L'événement du jour est 1 9 privée à Paris du loi d E-
gypte, Ismaïl.
Ce prince, âgé aujourd’hui de 37 ans; est né au Caire ;
il est le second fils d’Ibrahim pacha, et a succédé en
1863 à son oncle Saïd pacha, dont il adopta les vues or
ganisatrices et progressistes.
Il a fait beaucoup déjà pour la prospérité de son
pays et le goût éclairé qu’il montre pour les beaux-arts
et la grande industrie européenne promet à l’Egypte
un développement intellectuel qui ne tardera pas, sans
doute à faire éclore, dans cette mère-patrie de l’art
antique, une vaste et féconde période de renais
sance.
Le roi Ismaïl a pour tous les Français recommanda
bles par leur talent un accueil sympathique et des en
couragements efficaces.
Sa protection est acquise à tous les franco-égyptiens
dans lesquels il reconnaît une aptitude serieuse dans
quelque branche que ce soit, des arts ou des sciences,
qui lui paraît devoir profiter à l’accomplissement de ses
vues de régénération intellectuelle.
Pour n’en citer qu’un exemple, je prendrai un jeune
peintre d’avenir, M. Edouard Dufeu, dont les œuvres
déjà nombreuses et très méritantes ont trouvé auprès
du roi Ismaïl l’accès le plus favorable.
M. Dufeu, né en Egypte de parents français, est le
neveu du poète Agoub qui fit partie de la pleïade ro
mantique et dont les écrits abondent dans les recueils
littéraires publiés par l’école de 1830.
Déjà par l’entremise de M. E. Dufeu, Ismaïl Ier a été
mis au courant du mouvement des arts parisiens et il
est devenu un des appréciateurs les plus assidus de
cette jeune et active société d’artistes fondée par M.
Cadart et connue sous le titre de Société des Aqua-For-
tistes.
C’est sous l’inspiration du roi Ismaïl, que M. Edouard
Dufeu, qui compte parmi les membres distingués de
cette société, a entrepris un curieux et intéressant, al
bum d’eaux fortes, représentant les sites les plus carac
téristiques de l’Egypte, et les vues pittoresques des
villes du Caire et d’Alexandrie.
On prête à Ismaïl Tër l’idée d’ouvrir en Egypte des
collection d’œuvres d’art en cherchant toutefois à con
cilier le caractère des sujets et la donnée des composi
tions avec les prescriptions de l’islamisme qui, à les
prendre à la lettre, interdisent, dans une certaine li
mite, la représentation delà figure humaine.
Ces concessions intelligentes ne peuvent manquer de
répandre promptement le culte des beaux arts dans ces
régions qui les ont, pour ainsi dire, vues naître, il y a
« quarante siècles » et à en généraliser l’expression
qui est, de préférence a toute autre, la véritable lan
gue universelle.
Le roi d’Egypte a fait ses études à Paris, à l’école
égyptienne de la rue du Regard, et il les a continuées,
au point de vue purement militaire, à l’Ecole d’état-
major, où il étudiait encore lorsqu’éclata la révolution
de février. Il y avait alors pour condisciples Nubar-pa-
cha, et plusieurs autres jeunes égyptiens et arméniens
de distinction, dont il utilise aujourd’hui les talents
dans l’œuvre d’organisation et de civilisation qu il a en
treprise. Saïd-pacha, son prédécesseur dans le gouver
nement de l’Egypte, a fait à Paris un voyage qui avait
particulièrement défrayé la chronique du temps, par la
Feuilleton des ÉVÉNEMENTS du 48 juin
LÀ BIGAME
ROMAN DE MŒURS
XIII
LE JARDIN DES TUILERIES
À cette époque de l’année où en France les habitants
abandonnent la vie animée des grandes villes pour al
ler les uns dans leurs châteaux, les autres dans leurs
maisons de campagne, aux bains de mer ou dans les
établissements d’eaux, Paris, cette capitale du monde,
est assiégée par les étrangers et par les Anglais parti
culièrement, qui fuient l’existence monotone de leur
pays et viennent s’y retremper ou errer à l’aventure.
N’importe où vous vous rendez, vous êtes certain,
cher lecteur, de les rencontrer sur votre route, dans
les jardins du Palais-Royal, sur les boulevards, aux
abords des monuments publics, aux Tuileries et aux
musées, etc., etc.
. Les uns critiquent, les autres approuvent et c’est tou
jours avec cet air grave qui caractérise l’insulaire
d’outre-Manche.
A l’ombre des marronniers touffus du magnifique
jardin des Tuileries, par une chaude matinée de juil-
let, quelques dames anglaises étaient réunies.
Au centre de ce groupe, dont elle avait en quelque
sorte la présidence, se trouvait une femme aux joues
colorées qui pouvait avoir de quarante à cinquante ans,
et dont la toilette, d’une richesse extravagante, la dési
gnait comme devant appartenir à l’élite de la société.
Que l’on nous permette ici une petite digression.
Est-ce à tort ou à raison que l'on juge, en général,
les gens sur leur mise ?
Se forme-t-on une idée exacte de la société divisée
en deux camps bien distincts.
magnificence qui marqua les principaux épisodes de son
séjour.
On a beaucoup parlé, en tr’ au très somptuosités, d’un
merveilleux service à café, dans le goût oriental, aussi
précieux par la délicatesse du travail que par la ri
chesse de la matière, et dont il fit hommage à l’Empe
reur, à la suite d’une collation dans son palais de l’ave
nue de l’Impératrice.
Ibrahim-Pacha, surnommé le vainqueur, le héros
de la bataille de Nézib, visita aussi Paris sous le règne
du roi Louis-Philippe.
Pendant le séjour qu’il fit chez nous, il trouva mainte
occasion —dans ses visites réitérées à nos principaux
établissements scientifiques — d’étonner les savants
qui les dirigeaient par l’étendue et la variété de ses corn
naissances.
Ibrahim produisit une vive impression sur le public
parisien. Sa gloire récente était alors dans tout son
éclat et se mêlait au souvenir tant soit peu légendaire
de ses exploits terribles de la guerre de Morée.
Tout le monde voulait voir ce prince qu’avait de
vancé chez nous une réputation que n’auraient pas
désavouée les fastes merveilleux de l’histoire d’Orient
où la poésie, le surnaturel et les exagérations pittores
que de l’absolutisme coudoient à chaque pas la réalité.
Aussi fut-on fort étonné de trouver à ce héros de
plusieurs actions où se révélait une énergie de carac
tère qui allait jusqu’à la cruauté, l’aspect de bonhom-
mie et de jovialité d’un bon bourgeois tout-à-fait étran
ger aux grandeurs de là terre.
La taille d’Ibrahim était au-dessous de la moyenne;
son embonpoint déjà, très saillant lorsqu’il nous visita,
paraissait devoir s’accroître encore.
Sa tournure n’annonçait rien de grave, et quoiqu’elle
eût l’aisance que donne l’habitude du commandement
et la désinvolture qui s’acquiert dans les exercices vio
lents, elle était loin d’offrir la distinction native qu’on
remarque dans toute la personne d’Ismaïl I er .
Au premier abord, sa figure avait un caractère de
douceur et de gaîté qui déroutait ceux qui avaient lu
son histoire militaire.
Qu’on se représente une face épanouie, mobile où
flamboyaient des yeux gris d’une vivacité insaisissable
et parfois caressants comme ceux d’une femme ; une
bouche prête à sourire et s’élargissant, à la moindre
saillie qui lui échappait, en un rire franc et commu
nicatif ; des traits légèrement effacés et marqués de
taches de rousseur et l’on aura l’ensemble de la phy
sionomie de ce personnage remarquable à tant de
titres.
- Sa mise était très simple. Je me rappelle l’avoir vu
deux ou trois fois, en 1846, invariablement revêtu
d’une veste grise à peine agrémentée par quelques or
nements en soutache verte, d’une culotte bouffante de
même couleur et d’une sous-veste ou gilet vert foncé.
Il portait des bottes en maroquain rouge et était coiffé
d’un fez à gland bleu.
Un grand sabre, très recourbé, avec une poignée de
corne sculptée pendait à son côté, suspendu à un cor
don de soie tressée qu’il portait en bandouillère.
On ne reconnaissait guère l'importance de sa per
sonnalité qu’au cortège d’officiers dont il était accom
pagné.
On vantait beaucoup la simplicité de sa vie, sobre et
réglée et la modération de ses habitudes. Au camp, sa
tente ne se distinguait, en quoi que ce fût, de celle des
moindres officiers.
A l’époque de sa vie où il joua un grand rôle mili
taire, — il avait alors de trente à trente à trente-cinq
ans. — Ibrahim-Pacha avait été atteint d’une affection
cérébrale intermittente dont les effets se manifestaient
Telle femme somptueusement vêtue et qu’emporte au
trot de ses superbes coursiers una calèche sortie des
ateliers d'un de nos meilleurs carrossiers n’exciterait
pas l’envie de tous ceux qui la regardent passer, si
l’on avait l’idée de ses souffrances morales; car elle
aussi aspire à un but qu’hélas! elle est dans l’impossi
bilité d’atteindre.
Son ambition l’entraîne vers un cercle dont elle ne
peut franchir la barrière qui en défend l’entrée.
Aussi sa position peut sans exagération être assimi
lée à celle de Lazare, admis seulement a prétendre aux
restes de la table de Grésus.
Ici bas, n’est-il pas de coutume de viser plus haut
que soi et de regarder presque avec dédain celui ou
celle qui, malgré ses efforts n’a pu atteindre le même
degré de l’échelle sociale.
Combien de simples artisans, enfants de la famille
des vrais travailleurs font fi du petit boutiquier, qui ne
manque pas de les narguer à son tour, et de plus oonsi-
dèreavec une certaine pitié l’homme qui, quoique por
teur d’un nom illustré jadis par ses ancêtres, n’a aucun
moyen d’existence.
Celui-ci de son côté préfère souvent à l’appât de la
fortune qu’il pourrait avoir en se livrant à des opéra
tions commerciales ou en se mettant au service des
autres, sa pauvreté et son titre qui parfois date de loin
dansP’histoire.’
Les gens aisés considèrent avec hauteur, tout en les
recevant chez eux et leur faisant bonne mine les par
venus qui, à force d’argent, ont réussi à se frayer un
passago dans le monde élevé qui ne s’est jamais in-
quiété de leurs mérites personnels.
Enfin, au-dessus de tout cela, nous trouvons la véri
table noblesse; celle qui se mêle à la société des sou
verains et exclut de son cercle quiconque ne porte pas
un titre authentique.
L’homme est ainsi fait et le sera toujours. Il passe
toutes les heures de sa vie à gravir l’un après l’autre
les degrés de l’échelle sociale, cherchant sans cesse à
s’élever dans la persuasion que les richesses et les
grandeurs font le bonheur sur la terre, et si parfois il
rencontre, sur sa route un obstacle infranchissable, il
doit s’estimer heureux que le pied ne lui ait pas man
qué dans son ascension périlleuse et qu'il ne se soit
trouvé précipité plus bas que le point d’où il est parti.
2==== =
au dehors par des mouvements convulsifs et des into
nations de voix bruyantes et saccadées.
On prétend que ces accès asssez courts d’ailleurs pro
duisaient chez lui une taciturnité dont rien ne pouvait
le tirer. C’est dans ces moments, dit-on, que son carac
tère acquérait une inflexibilité en même temps qu’une
irascibilité à laquelle on attribue l’inexorable sévérité
dont certains actes de sa vie publique et militaire ont
porté la terrible empreinte.
Il était brave à la façon des preux. A ce sujet, un of
ficier français qui joua un rôle dans la guerre de Morée,
rapporte qu’à un dîner ckez Khourgis bey, un italien
porta après la santé du roi de France, celle de cet Ibra
him qu’il nomma dans son toast : la fleur des paladins.
Lors de son voyage à Paris, Ibrahim-pacha était ac-
compagé d’un personnage qui lui disputa une grande
partie de l’intérêt et de la curiosité des Parisiens.
C’était M. Sève, ex-colonel de l’armée française et
organisateur des forces militaires de l’Egypte, sous le
nom de Soliman-bey.
Le colonel Sève, une des grandes figures de l’histoire
de la régénération de l’Egypte, était le fils d’un meu
nier de Lyon. Il avait fait avec éclat les dernières cam
pagnes de la grande armée et s’était surtout fait re
marquer par la témérité toute romanesque de sa bra
voure.
Il y a des traits dans sa vie qui pourraient fournir de
détails incroyables à un curieux roman d’aventures.
Il aimait à rappeler un épisode de sa jeunesse qui a
tout l’imprévu d’une composition romanesque.
Etant en 1812 adjudant-major aux chasseurs à cheval
de la garde impériale, sa valeur impétueuse le jeta au
milieu de la cavalerie anglaise qui venait de débar
quer en Espagne.
L’inexpérience des localités qui empêchait ces troupes
de prévoir les embûches qui favorisait la configuration
du paysage excita la témérité, du'ieune officier.
A plusieurs reprises il rompit et traversa les escadrons
ennemis, jusqu’à ce que, séparé de sa troupe et démonté
par un coup de feu, il fut fait prisonnier.
Conduit en Angleterre, il ne tarda pas à devenir
l’âme d’un projet audacieux qui exigeait, pour être mis
à exécution, une énergie sans seconde et le plus froid
mépris de la mort.
Au moment décisif et lorsqu’il touchait pour ainsi
dire à la délivrance, un dissentiment très vif éclata
entre lui et l’un des conjurés que le hasard avait fait
son compagnon de chambre.
Delà discussion à l’insulte il n’y eut que l'espace
d’un geste, et ces deux hommes unis par l’infortune et
par les liens sacrés d’une conspiration conçue pour le
salut commun, en furent réduits à se voir forcés de
tourner l’un contre l’autre des armes que le soin de
reconquérir leur liberté avait mis dans leurs mains.
Dans leur propre chambre, sans témoins, adossés
contre la muraille, ils se battirent, et le commandant
Sève fut traversé de part en part d’un coup d’épée.
Sa vigoureuse constitution, soutenue d’ailleurs par
l’espoir du succès de ses projets, triompha prompte
ment de l’état dans lequel l’avait mis sa blessure.
Huit jours ne s’étaient pas écoulés qu’il avait repris
’exécution de sa périlleuse entreprise.
Mais pour échapper à sa prison, il lui fallait de l’ar
gent, et surtout des moyens de défense et la possibilité
de gagner les côtes à l’abri des poursuites de ses enne
mis.
L’amour, en cette occurence, vint à son secours.
Il s’était fait aimer d’une jeune personne riche qui
se dévoua pour le sauver. Elle n’ignorait pas qu’elle
allait, en le servant, perdre sans retour, ou du moins
Acceptons donc la fortune comme elle vient, et per
suadons-nous que c’est le seul et unique moyen de pas
ser, sans souci, notre court séjour ici-bas.
Rappelons-nous que l’envie a de tous temps fait des
criminels,
Revenons à présent à notre société assemblée dans
le jardin des Tuileries et surtout à la présidente.
C’était une de nos connaissances, madame Grosve-
nor, arrivée depuis quelque temps à Paris avec ses
petites, comme elle désignait ses filles, pour y rester
jusqu’à la fin de la belle saison.
Elle avait retrouvé à son hôtel, et pendant ses pro
menades, des amies depuis longtemps oubliées, avec
lesquelles elle s’était hâtée de nouer de nouveaux liens ;
puis d'autres, informées du lieu de sa résidence, et que
nous avons déjà en partie présentées au lecteur, étaien t
venues lui rendre visite avec le plus grand empres
sement.
Aussi, chaque matin, dès que le soleil resplendissait
de tout son éclat, le rendez-vous était-il où nous les
trouvons, etcomme nous avons déjà pu juger des ten
dances particulières de madame Grosvenor, en tout ce
qui touchait tel ou tel sujet scandaleux, nous pouvons
nous faire une idée à peu près exacte de la réputation
dont elle jouissait et ne pas nous étonner de la manière
dont on déchirait à belles dents tous ceux dont il était
question.
Parmi les nouvelles privilégiées de la femme de sir
Lucien Grosvenor, il y avait la baronne Clarty et ses
deux filles revenues d’Italie depuis peu de jours, en
compagnie du baron qui, avec ses deux fils, avait
préféré rester à l’hôtel.
— Avouez, ma chère, disait madame Howard, amie
inséparable de madame Grosvenor, avouez, je le ré
pète, que ce fut un grand bonheur pour lord Stratton,
d’être ainsi délivré de cette. femme qui ne pouvait
plus convenir ni à son rang dans la société, ni à sa
dignité de gentilhomme.
Il y eut un frémissement général dans le groupe. On
connaissait madame Howard et sa lange de vipère, et
l’on s’attendait à l’entendre ajouter quelque atroce mé
chanceté dont hélas presque tout son auditoire se ré
jouissait à l’avance.
Autour de cet essaim couraient et jouaient de
beaux enfants, plus loin d’autres personnages indiffé
m oreeeseesanes cn asese=.=z=ac=====ox== r===================o===========
»
pour bien longtemps, celui à qui elle aurait voulu vouer
sa vie.
Surmontant la faiblesse et la timidité de son sexe,
elle n’hésita pas à se rendre seule, de nuit, dans un bois
écarté, où se réunissaient à certaines heures, des ban
dits moitié contrebandiers, moitié voleurs.
Elle leur porta de l’argent et obtint d’eux qu’ils em
mèneraient le commandant Sève dans une de leurs
expéditions, et qu’ils l’aideraient à s’embarquer pour-
la France. ...... .......
Ce qui eut lieu en effet.
Sève devint colonel-et aide de camp du maréchal
Grouchy.
Après le licenciement de l’armée de la Loire, pauvre,
sans emploi, repoussé partout à cause des idées dontil
se montrait un des ardents propagateurs, il alla cher
cher fortune en Orient, et débarqua un beau jour dans
le port d’Alexandrie avec un vieil habit sur le dos et 27
francs dans sa poche.
C’est de ce point qu’il partit pour devenir bientôt
bey et général en chef dans l’armée égyptienne.
Avant de lui confier les grands emplois, Méhemet-
Ali lui déclara qu’il n’y aurait rien de fait tant qu’il ne
serait pas musulman ; mais comme il avait de la tolé
rance et qu’il savait juger la valeur des hommes,
voyant que le colonel Sève hésitait il lui dit : « Conser
vez dans votre âme l’idée d’un Dieu comme vous l’en •
tendez, et dès demain annoncez au chef de la prière
l’intention de vous faire musulman. Cela suffira. »]
Puis, se mettant à sourire et se penchant à son oreille,
il ajouta :
« — Quant à la cérémonie, cela se passera entre vous
et moi, et ne tirera pas à conséquence. »
C’est ainsi qu’en changeant de religion pour assure r
son avenir, le nouveau sectateur de Mahomet sauva du
moins les apparences.
Pour toute formalité, le colonel Sève prit un turban,
forma un harem et assista aux prières de la Mosquée.
Pendant son voyage à Paris, en 1846, Soliman-Bey
avait revêtu le costume turc dans sa pureté primitive,
et, malgré l’élégance de sa tournure, son air martial et
l’aisance avec laquelle il portait le cafetan, le large
pantalon flottant et un riche turban de cachemire, je
n’oserais affirmer que, sauf le soleil dans le dos, il n’a
vait aucune ressemblance avec les Turcs d’opéra-co
mique.
Ce qui, du reste, ne l’avait pas empêché d’être un
très grand général et un puissant organisateur.
ALBERT DE LA FIZELIÈBE
•==-===-==----=------====--=---=-===--9==
Tablettes Parisiennes
Y
LES FRANÇAIS JUGÉS PAR LES AUTRES
Nous avions d’abord l’intention de publier à jour fixe
la série d’articles que nous avons entrepris sous ce li
tre, mais nous avons trouvé à la réalisation de ce pro-
jet un obstacle auquelles nous aurions dû songer- ave3
un peu de réflexion. — C’est que la matière peut man
quer. On ne trouve pas tous les jours dans lesjournau c
étrangers des articles consacrés à la France et aux
Français, et d’une allure telle, qu’il soit intéressant
d’en extraire le suc et l’essence. Les attaques ou L ;
marques d’estime ne sont pas si fréquentes, et il per. j
se passer plusieurs jours de suite sans qu’il se trouve
rien qui vaille la peine d’être cité.
Nous modifierons donc sur ce point notre programm 2
primitif, et nous attendrons que l’occasion s’en pr. -
sente pour traduire et reproduire.
rents se prélassaient sur les sièges, suivant avec inté -
ret les faits et gestes de leurs petits héritiers et sou-
riant, malgré eux, de la conversation animée do ;
étrangères, dont ils ne comprenaient pas un mot.
Sur une chaise derrière lady Grosvenor et lui tour
nant le dos, se tenait une femme, simplement vêtue, et
dont le visage était caché par un épais voile noir.
Elle paraissait complètement indifférente à tout
ce qui se passait autour d’elle.
À quelques pas, sur un banc, était un individu ai
maintien et à la tournure suspects, jouant négligem
ment avec une canne à pomme d’or et tenant à 11
main une tabatière de même métal, luxe qui ne man
quait pas d’éveiller l’attention si l’on portait un ins
tant les yeux sur sa mise peu recherchée se corn -
posant d’un chapeau à moitié cassé, d’un paletot mar
ron foncé déjà hors de service et d’une paire de gros
souliers ferrés.
Sa physionomie offrait à la vue un aspect assez bi -
zarre, ses cheveux et ses favoris étaient épais et d’u i
rouge très marqué, une moustache bien fournie ca-
chait sa lèvre supérieure, et sur son nez reposait une
paire de lunettes vertes.
Evidemment ces dernières ne lui étaient pas d’une
grande utilité, car, par moments, il les abaissait un
peu et dirigeait alors ses regards perçants sur Lady
Grosvenor et son auditoire.
Au nom de Lord Stratton la jeune femmeque nous
avons mentionnée plus haut tressaillit, ramena le s
plis de son voile, et après s’être retournée, reprit sa
position rêveuse et mélancolique.
En même temps l’homme au paletot marron sourit
malicieusement.
Lady Glarty était une ancienne modiste, douée au
trefois d’une grande beauté, et que le baron avait
épousée dans un accès de passion pendant son séjour
à Londres.
Rendons lui justice en ajoutant que toujours elle
avait fait honneur à son époux, au titre qu’il por
tait, et été tour à tour excellente femme et mère dé.
vouée.
Mais elle aimait à parler mal des gens, à critiquer la
position de celle-ci, à déchirer la réputation de celui-
là sans merci ni pitié, et surtout à s’attaquer à tous
J
C r
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Numéro 13
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Paris et Départements : IO c. le numéro. ------------
Mardi 18 Juin 1867
LES
ÉVÉNEMENTS
DE PARIS
Le Journal paraît tous les jours» — Paris et Départements : Un mois, 4 fr.— Trois mois, K fr.—Six mois, 22 fr.— Un an, 40 fr. — Abonnements : rue Coq-Héron, 5, et rue Rossini, 3. —Adresser les mandats à M. A. DUMONT
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d .CHRONIQUE
■ 1 -- hol 050 " j
L'événement du jour est 1 9 privée à Paris du loi d E-
gypte, Ismaïl.
Ce prince, âgé aujourd’hui de 37 ans; est né au Caire ;
il est le second fils d’Ibrahim pacha, et a succédé en
1863 à son oncle Saïd pacha, dont il adopta les vues or
ganisatrices et progressistes.
Il a fait beaucoup déjà pour la prospérité de son
pays et le goût éclairé qu’il montre pour les beaux-arts
et la grande industrie européenne promet à l’Egypte
un développement intellectuel qui ne tardera pas, sans
doute à faire éclore, dans cette mère-patrie de l’art
antique, une vaste et féconde période de renais
sance.
Le roi Ismaïl a pour tous les Français recommanda
bles par leur talent un accueil sympathique et des en
couragements efficaces.
Sa protection est acquise à tous les franco-égyptiens
dans lesquels il reconnaît une aptitude serieuse dans
quelque branche que ce soit, des arts ou des sciences,
qui lui paraît devoir profiter à l’accomplissement de ses
vues de régénération intellectuelle.
Pour n’en citer qu’un exemple, je prendrai un jeune
peintre d’avenir, M. Edouard Dufeu, dont les œuvres
déjà nombreuses et très méritantes ont trouvé auprès
du roi Ismaïl l’accès le plus favorable.
M. Dufeu, né en Egypte de parents français, est le
neveu du poète Agoub qui fit partie de la pleïade ro
mantique et dont les écrits abondent dans les recueils
littéraires publiés par l’école de 1830.
Déjà par l’entremise de M. E. Dufeu, Ismaïl Ier a été
mis au courant du mouvement des arts parisiens et il
est devenu un des appréciateurs les plus assidus de
cette jeune et active société d’artistes fondée par M.
Cadart et connue sous le titre de Société des Aqua-For-
tistes.
C’est sous l’inspiration du roi Ismaïl, que M. Edouard
Dufeu, qui compte parmi les membres distingués de
cette société, a entrepris un curieux et intéressant, al
bum d’eaux fortes, représentant les sites les plus carac
téristiques de l’Egypte, et les vues pittoresques des
villes du Caire et d’Alexandrie.
On prête à Ismaïl Tër l’idée d’ouvrir en Egypte des
collection d’œuvres d’art en cherchant toutefois à con
cilier le caractère des sujets et la donnée des composi
tions avec les prescriptions de l’islamisme qui, à les
prendre à la lettre, interdisent, dans une certaine li
mite, la représentation delà figure humaine.
Ces concessions intelligentes ne peuvent manquer de
répandre promptement le culte des beaux arts dans ces
régions qui les ont, pour ainsi dire, vues naître, il y a
« quarante siècles » et à en généraliser l’expression
qui est, de préférence a toute autre, la véritable lan
gue universelle.
Le roi d’Egypte a fait ses études à Paris, à l’école
égyptienne de la rue du Regard, et il les a continuées,
au point de vue purement militaire, à l’Ecole d’état-
major, où il étudiait encore lorsqu’éclata la révolution
de février. Il y avait alors pour condisciples Nubar-pa-
cha, et plusieurs autres jeunes égyptiens et arméniens
de distinction, dont il utilise aujourd’hui les talents
dans l’œuvre d’organisation et de civilisation qu il a en
treprise. Saïd-pacha, son prédécesseur dans le gouver
nement de l’Egypte, a fait à Paris un voyage qui avait
particulièrement défrayé la chronique du temps, par la
Feuilleton des ÉVÉNEMENTS du 48 juin
LÀ BIGAME
ROMAN DE MŒURS
XIII
LE JARDIN DES TUILERIES
À cette époque de l’année où en France les habitants
abandonnent la vie animée des grandes villes pour al
ler les uns dans leurs châteaux, les autres dans leurs
maisons de campagne, aux bains de mer ou dans les
établissements d’eaux, Paris, cette capitale du monde,
est assiégée par les étrangers et par les Anglais parti
culièrement, qui fuient l’existence monotone de leur
pays et viennent s’y retremper ou errer à l’aventure.
N’importe où vous vous rendez, vous êtes certain,
cher lecteur, de les rencontrer sur votre route, dans
les jardins du Palais-Royal, sur les boulevards, aux
abords des monuments publics, aux Tuileries et aux
musées, etc., etc.
. Les uns critiquent, les autres approuvent et c’est tou
jours avec cet air grave qui caractérise l’insulaire
d’outre-Manche.
A l’ombre des marronniers touffus du magnifique
jardin des Tuileries, par une chaude matinée de juil-
let, quelques dames anglaises étaient réunies.
Au centre de ce groupe, dont elle avait en quelque
sorte la présidence, se trouvait une femme aux joues
colorées qui pouvait avoir de quarante à cinquante ans,
et dont la toilette, d’une richesse extravagante, la dési
gnait comme devant appartenir à l’élite de la société.
Que l’on nous permette ici une petite digression.
Est-ce à tort ou à raison que l'on juge, en général,
les gens sur leur mise ?
Se forme-t-on une idée exacte de la société divisée
en deux camps bien distincts.
magnificence qui marqua les principaux épisodes de son
séjour.
On a beaucoup parlé, en tr’ au très somptuosités, d’un
merveilleux service à café, dans le goût oriental, aussi
précieux par la délicatesse du travail que par la ri
chesse de la matière, et dont il fit hommage à l’Empe
reur, à la suite d’une collation dans son palais de l’ave
nue de l’Impératrice.
Ibrahim-Pacha, surnommé le vainqueur, le héros
de la bataille de Nézib, visita aussi Paris sous le règne
du roi Louis-Philippe.
Pendant le séjour qu’il fit chez nous, il trouva mainte
occasion —dans ses visites réitérées à nos principaux
établissements scientifiques — d’étonner les savants
qui les dirigeaient par l’étendue et la variété de ses corn
naissances.
Ibrahim produisit une vive impression sur le public
parisien. Sa gloire récente était alors dans tout son
éclat et se mêlait au souvenir tant soit peu légendaire
de ses exploits terribles de la guerre de Morée.
Tout le monde voulait voir ce prince qu’avait de
vancé chez nous une réputation que n’auraient pas
désavouée les fastes merveilleux de l’histoire d’Orient
où la poésie, le surnaturel et les exagérations pittores
que de l’absolutisme coudoient à chaque pas la réalité.
Aussi fut-on fort étonné de trouver à ce héros de
plusieurs actions où se révélait une énergie de carac
tère qui allait jusqu’à la cruauté, l’aspect de bonhom-
mie et de jovialité d’un bon bourgeois tout-à-fait étran
ger aux grandeurs de là terre.
La taille d’Ibrahim était au-dessous de la moyenne;
son embonpoint déjà, très saillant lorsqu’il nous visita,
paraissait devoir s’accroître encore.
Sa tournure n’annonçait rien de grave, et quoiqu’elle
eût l’aisance que donne l’habitude du commandement
et la désinvolture qui s’acquiert dans les exercices vio
lents, elle était loin d’offrir la distinction native qu’on
remarque dans toute la personne d’Ismaïl I er .
Au premier abord, sa figure avait un caractère de
douceur et de gaîté qui déroutait ceux qui avaient lu
son histoire militaire.
Qu’on se représente une face épanouie, mobile où
flamboyaient des yeux gris d’une vivacité insaisissable
et parfois caressants comme ceux d’une femme ; une
bouche prête à sourire et s’élargissant, à la moindre
saillie qui lui échappait, en un rire franc et commu
nicatif ; des traits légèrement effacés et marqués de
taches de rousseur et l’on aura l’ensemble de la phy
sionomie de ce personnage remarquable à tant de
titres.
- Sa mise était très simple. Je me rappelle l’avoir vu
deux ou trois fois, en 1846, invariablement revêtu
d’une veste grise à peine agrémentée par quelques or
nements en soutache verte, d’une culotte bouffante de
même couleur et d’une sous-veste ou gilet vert foncé.
Il portait des bottes en maroquain rouge et était coiffé
d’un fez à gland bleu.
Un grand sabre, très recourbé, avec une poignée de
corne sculptée pendait à son côté, suspendu à un cor
don de soie tressée qu’il portait en bandouillère.
On ne reconnaissait guère l'importance de sa per
sonnalité qu’au cortège d’officiers dont il était accom
pagné.
On vantait beaucoup la simplicité de sa vie, sobre et
réglée et la modération de ses habitudes. Au camp, sa
tente ne se distinguait, en quoi que ce fût, de celle des
moindres officiers.
A l’époque de sa vie où il joua un grand rôle mili
taire, — il avait alors de trente à trente à trente-cinq
ans. — Ibrahim-Pacha avait été atteint d’une affection
cérébrale intermittente dont les effets se manifestaient
Telle femme somptueusement vêtue et qu’emporte au
trot de ses superbes coursiers una calèche sortie des
ateliers d'un de nos meilleurs carrossiers n’exciterait
pas l’envie de tous ceux qui la regardent passer, si
l’on avait l’idée de ses souffrances morales; car elle
aussi aspire à un but qu’hélas! elle est dans l’impossi
bilité d’atteindre.
Son ambition l’entraîne vers un cercle dont elle ne
peut franchir la barrière qui en défend l’entrée.
Aussi sa position peut sans exagération être assimi
lée à celle de Lazare, admis seulement a prétendre aux
restes de la table de Grésus.
Ici bas, n’est-il pas de coutume de viser plus haut
que soi et de regarder presque avec dédain celui ou
celle qui, malgré ses efforts n’a pu atteindre le même
degré de l’échelle sociale.
Combien de simples artisans, enfants de la famille
des vrais travailleurs font fi du petit boutiquier, qui ne
manque pas de les narguer à son tour, et de plus oonsi-
dèreavec une certaine pitié l’homme qui, quoique por
teur d’un nom illustré jadis par ses ancêtres, n’a aucun
moyen d’existence.
Celui-ci de son côté préfère souvent à l’appât de la
fortune qu’il pourrait avoir en se livrant à des opéra
tions commerciales ou en se mettant au service des
autres, sa pauvreté et son titre qui parfois date de loin
dansP’histoire.’
Les gens aisés considèrent avec hauteur, tout en les
recevant chez eux et leur faisant bonne mine les par
venus qui, à force d’argent, ont réussi à se frayer un
passago dans le monde élevé qui ne s’est jamais in-
quiété de leurs mérites personnels.
Enfin, au-dessus de tout cela, nous trouvons la véri
table noblesse; celle qui se mêle à la société des sou
verains et exclut de son cercle quiconque ne porte pas
un titre authentique.
L’homme est ainsi fait et le sera toujours. Il passe
toutes les heures de sa vie à gravir l’un après l’autre
les degrés de l’échelle sociale, cherchant sans cesse à
s’élever dans la persuasion que les richesses et les
grandeurs font le bonheur sur la terre, et si parfois il
rencontre, sur sa route un obstacle infranchissable, il
doit s’estimer heureux que le pied ne lui ait pas man
qué dans son ascension périlleuse et qu'il ne se soit
trouvé précipité plus bas que le point d’où il est parti.
2==== =
au dehors par des mouvements convulsifs et des into
nations de voix bruyantes et saccadées.
On prétend que ces accès asssez courts d’ailleurs pro
duisaient chez lui une taciturnité dont rien ne pouvait
le tirer. C’est dans ces moments, dit-on, que son carac
tère acquérait une inflexibilité en même temps qu’une
irascibilité à laquelle on attribue l’inexorable sévérité
dont certains actes de sa vie publique et militaire ont
porté la terrible empreinte.
Il était brave à la façon des preux. A ce sujet, un of
ficier français qui joua un rôle dans la guerre de Morée,
rapporte qu’à un dîner ckez Khourgis bey, un italien
porta après la santé du roi de France, celle de cet Ibra
him qu’il nomma dans son toast : la fleur des paladins.
Lors de son voyage à Paris, Ibrahim-pacha était ac-
compagé d’un personnage qui lui disputa une grande
partie de l’intérêt et de la curiosité des Parisiens.
C’était M. Sève, ex-colonel de l’armée française et
organisateur des forces militaires de l’Egypte, sous le
nom de Soliman-bey.
Le colonel Sève, une des grandes figures de l’histoire
de la régénération de l’Egypte, était le fils d’un meu
nier de Lyon. Il avait fait avec éclat les dernières cam
pagnes de la grande armée et s’était surtout fait re
marquer par la témérité toute romanesque de sa bra
voure.
Il y a des traits dans sa vie qui pourraient fournir de
détails incroyables à un curieux roman d’aventures.
Il aimait à rappeler un épisode de sa jeunesse qui a
tout l’imprévu d’une composition romanesque.
Etant en 1812 adjudant-major aux chasseurs à cheval
de la garde impériale, sa valeur impétueuse le jeta au
milieu de la cavalerie anglaise qui venait de débar
quer en Espagne.
L’inexpérience des localités qui empêchait ces troupes
de prévoir les embûches qui favorisait la configuration
du paysage excita la témérité, du'ieune officier.
A plusieurs reprises il rompit et traversa les escadrons
ennemis, jusqu’à ce que, séparé de sa troupe et démonté
par un coup de feu, il fut fait prisonnier.
Conduit en Angleterre, il ne tarda pas à devenir
l’âme d’un projet audacieux qui exigeait, pour être mis
à exécution, une énergie sans seconde et le plus froid
mépris de la mort.
Au moment décisif et lorsqu’il touchait pour ainsi
dire à la délivrance, un dissentiment très vif éclata
entre lui et l’un des conjurés que le hasard avait fait
son compagnon de chambre.
Delà discussion à l’insulte il n’y eut que l'espace
d’un geste, et ces deux hommes unis par l’infortune et
par les liens sacrés d’une conspiration conçue pour le
salut commun, en furent réduits à se voir forcés de
tourner l’un contre l’autre des armes que le soin de
reconquérir leur liberté avait mis dans leurs mains.
Dans leur propre chambre, sans témoins, adossés
contre la muraille, ils se battirent, et le commandant
Sève fut traversé de part en part d’un coup d’épée.
Sa vigoureuse constitution, soutenue d’ailleurs par
l’espoir du succès de ses projets, triompha prompte
ment de l’état dans lequel l’avait mis sa blessure.
Huit jours ne s’étaient pas écoulés qu’il avait repris
’exécution de sa périlleuse entreprise.
Mais pour échapper à sa prison, il lui fallait de l’ar
gent, et surtout des moyens de défense et la possibilité
de gagner les côtes à l’abri des poursuites de ses enne
mis.
L’amour, en cette occurence, vint à son secours.
Il s’était fait aimer d’une jeune personne riche qui
se dévoua pour le sauver. Elle n’ignorait pas qu’elle
allait, en le servant, perdre sans retour, ou du moins
Acceptons donc la fortune comme elle vient, et per
suadons-nous que c’est le seul et unique moyen de pas
ser, sans souci, notre court séjour ici-bas.
Rappelons-nous que l’envie a de tous temps fait des
criminels,
Revenons à présent à notre société assemblée dans
le jardin des Tuileries et surtout à la présidente.
C’était une de nos connaissances, madame Grosve-
nor, arrivée depuis quelque temps à Paris avec ses
petites, comme elle désignait ses filles, pour y rester
jusqu’à la fin de la belle saison.
Elle avait retrouvé à son hôtel, et pendant ses pro
menades, des amies depuis longtemps oubliées, avec
lesquelles elle s’était hâtée de nouer de nouveaux liens ;
puis d'autres, informées du lieu de sa résidence, et que
nous avons déjà en partie présentées au lecteur, étaien t
venues lui rendre visite avec le plus grand empres
sement.
Aussi, chaque matin, dès que le soleil resplendissait
de tout son éclat, le rendez-vous était-il où nous les
trouvons, etcomme nous avons déjà pu juger des ten
dances particulières de madame Grosvenor, en tout ce
qui touchait tel ou tel sujet scandaleux, nous pouvons
nous faire une idée à peu près exacte de la réputation
dont elle jouissait et ne pas nous étonner de la manière
dont on déchirait à belles dents tous ceux dont il était
question.
Parmi les nouvelles privilégiées de la femme de sir
Lucien Grosvenor, il y avait la baronne Clarty et ses
deux filles revenues d’Italie depuis peu de jours, en
compagnie du baron qui, avec ses deux fils, avait
préféré rester à l’hôtel.
— Avouez, ma chère, disait madame Howard, amie
inséparable de madame Grosvenor, avouez, je le ré
pète, que ce fut un grand bonheur pour lord Stratton,
d’être ainsi délivré de cette. femme qui ne pouvait
plus convenir ni à son rang dans la société, ni à sa
dignité de gentilhomme.
Il y eut un frémissement général dans le groupe. On
connaissait madame Howard et sa lange de vipère, et
l’on s’attendait à l’entendre ajouter quelque atroce mé
chanceté dont hélas presque tout son auditoire se ré
jouissait à l’avance.
Autour de cet essaim couraient et jouaient de
beaux enfants, plus loin d’autres personnages indiffé
m oreeeseesanes cn asese=.=z=ac=====ox== r===================o===========
»
pour bien longtemps, celui à qui elle aurait voulu vouer
sa vie.
Surmontant la faiblesse et la timidité de son sexe,
elle n’hésita pas à se rendre seule, de nuit, dans un bois
écarté, où se réunissaient à certaines heures, des ban
dits moitié contrebandiers, moitié voleurs.
Elle leur porta de l’argent et obtint d’eux qu’ils em
mèneraient le commandant Sève dans une de leurs
expéditions, et qu’ils l’aideraient à s’embarquer pour-
la France. ...... .......
Ce qui eut lieu en effet.
Sève devint colonel-et aide de camp du maréchal
Grouchy.
Après le licenciement de l’armée de la Loire, pauvre,
sans emploi, repoussé partout à cause des idées dontil
se montrait un des ardents propagateurs, il alla cher
cher fortune en Orient, et débarqua un beau jour dans
le port d’Alexandrie avec un vieil habit sur le dos et 27
francs dans sa poche.
C’est de ce point qu’il partit pour devenir bientôt
bey et général en chef dans l’armée égyptienne.
Avant de lui confier les grands emplois, Méhemet-
Ali lui déclara qu’il n’y aurait rien de fait tant qu’il ne
serait pas musulman ; mais comme il avait de la tolé
rance et qu’il savait juger la valeur des hommes,
voyant que le colonel Sève hésitait il lui dit : « Conser
vez dans votre âme l’idée d’un Dieu comme vous l’en •
tendez, et dès demain annoncez au chef de la prière
l’intention de vous faire musulman. Cela suffira. »]
Puis, se mettant à sourire et se penchant à son oreille,
il ajouta :
« — Quant à la cérémonie, cela se passera entre vous
et moi, et ne tirera pas à conséquence. »
C’est ainsi qu’en changeant de religion pour assure r
son avenir, le nouveau sectateur de Mahomet sauva du
moins les apparences.
Pour toute formalité, le colonel Sève prit un turban,
forma un harem et assista aux prières de la Mosquée.
Pendant son voyage à Paris, en 1846, Soliman-Bey
avait revêtu le costume turc dans sa pureté primitive,
et, malgré l’élégance de sa tournure, son air martial et
l’aisance avec laquelle il portait le cafetan, le large
pantalon flottant et un riche turban de cachemire, je
n’oserais affirmer que, sauf le soleil dans le dos, il n’a
vait aucune ressemblance avec les Turcs d’opéra-co
mique.
Ce qui, du reste, ne l’avait pas empêché d’être un
très grand général et un puissant organisateur.
ALBERT DE LA FIZELIÈBE
•==-===-==----=------====--=---=-===--9==
Tablettes Parisiennes
Y
LES FRANÇAIS JUGÉS PAR LES AUTRES
Nous avions d’abord l’intention de publier à jour fixe
la série d’articles que nous avons entrepris sous ce li
tre, mais nous avons trouvé à la réalisation de ce pro-
jet un obstacle auquelles nous aurions dû songer- ave3
un peu de réflexion. — C’est que la matière peut man
quer. On ne trouve pas tous les jours dans lesjournau c
étrangers des articles consacrés à la France et aux
Français, et d’une allure telle, qu’il soit intéressant
d’en extraire le suc et l’essence. Les attaques ou L ;
marques d’estime ne sont pas si fréquentes, et il per. j
se passer plusieurs jours de suite sans qu’il se trouve
rien qui vaille la peine d’être cité.
Nous modifierons donc sur ce point notre programm 2
primitif, et nous attendrons que l’occasion s’en pr. -
sente pour traduire et reproduire.
rents se prélassaient sur les sièges, suivant avec inté -
ret les faits et gestes de leurs petits héritiers et sou-
riant, malgré eux, de la conversation animée do ;
étrangères, dont ils ne comprenaient pas un mot.
Sur une chaise derrière lady Grosvenor et lui tour
nant le dos, se tenait une femme, simplement vêtue, et
dont le visage était caché par un épais voile noir.
Elle paraissait complètement indifférente à tout
ce qui se passait autour d’elle.
À quelques pas, sur un banc, était un individu ai
maintien et à la tournure suspects, jouant négligem
ment avec une canne à pomme d’or et tenant à 11
main une tabatière de même métal, luxe qui ne man
quait pas d’éveiller l’attention si l’on portait un ins
tant les yeux sur sa mise peu recherchée se corn -
posant d’un chapeau à moitié cassé, d’un paletot mar
ron foncé déjà hors de service et d’une paire de gros
souliers ferrés.
Sa physionomie offrait à la vue un aspect assez bi -
zarre, ses cheveux et ses favoris étaient épais et d’u i
rouge très marqué, une moustache bien fournie ca-
chait sa lèvre supérieure, et sur son nez reposait une
paire de lunettes vertes.
Evidemment ces dernières ne lui étaient pas d’une
grande utilité, car, par moments, il les abaissait un
peu et dirigeait alors ses regards perçants sur Lady
Grosvenor et son auditoire.
Au nom de Lord Stratton la jeune femmeque nous
avons mentionnée plus haut tressaillit, ramena le s
plis de son voile, et après s’être retournée, reprit sa
position rêveuse et mélancolique.
En même temps l’homme au paletot marron sourit
malicieusement.
Lady Glarty était une ancienne modiste, douée au
trefois d’une grande beauté, et que le baron avait
épousée dans un accès de passion pendant son séjour
à Londres.
Rendons lui justice en ajoutant que toujours elle
avait fait honneur à son époux, au titre qu’il por
tait, et été tour à tour excellente femme et mère dé.
vouée.
Mais elle aimait à parler mal des gens, à critiquer la
position de celle-ci, à déchirer la réputation de celui-
là sans merci ni pitié, et surtout à s’attaquer à tous
J
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