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Le dragon

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Animal fantastique hybride, malfaisant en Occident, bienfaisant en Orient, le dragon fascine. Ennemi du preux dans les romans de chevalerie, symbole impérial en Chine, il irrigue tant les mythologies que les romans de fantasy. Le calendrier asiatique lui consacre l'année qui commence.

Marco Polo, Livre des merveilles, 1400-1420

Un être hybride

Il ne faudrait pas parler du dragon mais des dragons, tant ses figures sont variées. L’animal est formé de parties d’animaux divers : corps de serpent, ailes de chauve-souris, cornes, griffes, etc. Cracheur de feu en Occident, le dragon est associé à l’eau en Orient. Deux caractères le distinguent : cette hybridité et sa grande taille. En un mot, c’est un monstre au sens étymologique : un être prodigieux. Son nom lui-même dérive du grec derkomai (regarder avec acuité).

Le dragon représente souvent les forces de la nature. En Mésopotamie, le dieu Marduk affronte Tiamat qui apparaît sous la forme d’un dragon ou d’un serpent, ces deux représentations étant souvent associée dans l’histoire du dragon. Le héros doit triompher du monstre symbole des forces du chaos, comme les dieux grecs qui affrontent Géants, Titans ou Typhon, créatures menaçant l’ordre du monde.

Jean de La Fontaine, Choix de fables de La Fontaine illustrées par un groupe des meilleurs artistes de Tokio, Tokyo, 1894

Les dragons grecs

Dans la mythologie grecque, des dragons jouent le rôle de gardien d’un lieu ou d’un objet fabuleux. Le dragon Ladon défend l’accès du jardin des Hespérides, célèbre pour les pommes d’or qui y poussent. Héraclès le terrasse pour accomplir son onzième travail. Sur le futur site de Thèbes en Béotie, un dragon, descendant d’Arès, empêche les compagnons de Cadmos d’accéder à une fontaine. Cadmos le tue et, à la demande d’Athéna, sème les dents du dragon. Il en sort des hommes armés, les Spartes, qui se mettent à se battre entre eux. Les cinq survivants seront les fondateurs de Thèbes avec Cadmos. À Delphes, Python, qualifié autant de serpent que de dragon, garde l’oracle du lieu mais est percé de flèches par Apollon, le dieu archer.

Maître de Sarum, Hennequin de Bruges, Apocalypse glosée, 1240-1250

La fin des temps

Jörmungand, un autre dragon ou serpent monstrueux de la mythologie scandinave, est si grand qu’il entoure le monde entier et finit par se mordre la queue. Thor le terrasse lors du Ragnarök avant de périr à son tour, empoisonné. Les Vikings ornent d’un dragon la proue de leurs drakkars. La Bible compte aussi des monstres qualifiés de dragon. La Septante, version grecque de l’Ancien Testament, appelle le Léviathan du nom de drakon. Mais la créature la plus célèbre est celle de l’Apocalypse de saint Jean. Un dragon rouge y symbolise le Mal mais y est vaincu par saint Michel.

James Gillray, Saint George and the Dragon. a Design for an Equestrian Statue, from the Original in Windsor-Castle, 1805

Saints et dragons

Les héros mythologiques terrassent les monstres, tel Héraclès ou Thésée débarrassant la Grèce de nombre d’entre eux. Les saints chrétiens prennent leur relève, et ceux appelés sauroctones viennent à bout de dragons serpentiformes. Le plus célèbre est ce même saint Michel, dont la statue domine le mont du même nom en Normandie. Vient ensuite saint Georges, dont la Légende dorée de Jacques de Voragine décrit comment il mate un dragon en Libye. Son histoire rappelle le récit de Persée et Andromède, lui-même dérivé de la mythologie égyptienne. Des saintes viennent également à bout de monstres, comme sainte Marguerite d’Alexandrie, avalée par un dragon dont elle s’extirpe en faisant le signe de croix. Sainte Marthe soumet la Tarasque, monstre vivant dans le Rhône et devenue le symbole de Tarascon. À Poitiers, sainte Radegonde vient à bout de la Grand’Goule tandis que saint Clément s’occupe du Graoully à Metz. À Paris, saint Marcel dompte un dragon à l’aide de son étole, symbolisant la domestication du cours capricieux de la Seine. Pour fêter cette victoire, les Parisiens promenaient, pour la fête des Rogations, un dragon factice et jetaient des bonbons et des gâteaux dans sa gueule.

Liber evangeliorum ad usum Ecclesiae metropolitanae Parisiensis, 1753

Dragons et chevaliers

Dans l’Occident médiéval, la littérature regorge de dragons. Les romans de chevalerie dressent la figure du chevalier comme Lancelot ou Ségurant partant affronter le dragon qui ravage un pays, menace une princesse ou garde un trésor. Le père du roi Arthur se nomme Uther Pendragon, c’est-à-dire « tête de dragon », ce qui signifie chef de guerre. L’animal sert d’enseigne dans les armées romaines du Bas-Empire. Geoffroy de Monmouth raconte comment le roi Vortigern demande l’aide de Merlin au sujet une tour. Les fondations de celle-ci se révèlent abriter le combat entre un dragon blanc et un dragon rouge. Ce dernier triomphe et sera pris comme emblème par Uther Pendragon puis par les Gallois. Les bestiaires médiévaux font une place au dragon, considéré alors comme un être réel et non une créature mythique. Il y est décrit par Pline comme l’ennemi de l’éléphant.

Li Roumans du bon chevalier Tristan, filz au bou roy Meliodus de Loenois » translaté par « LUCE DE GAST », XVème siècle

Le dragon asiatique

Dans le même temps, en Asie, le dragon est vu comme un symbole des forces naturelles. Gardien du point cardinal de l’Est, il est associé au printemps. Il apporte la pluie, qui peut être bénéfique pour faire pousser les récoltes, ou néfaste quand les fleuves débordent. Cela lui donne un caractère ambivalent. Doté d’une longue vie, il parcourt les cieux et les eaux, tenant sa perle magique entre ses griffes. Sa figure composite incorpore plusieurs animaux : cornes du cerf, corps de serpent, serres d’aigle, pattes du tigre, oreilles de bœuf, etc. La puissance qui lui est associée en a fait un symbole de l’empereur en Chine, tandis que le phénix était celui de l’impératrice. La robe impériale arborait un grand dragon à cinq griffes, réservé à l’empereur. Quand, dans les années 1980, quatre pays marqués par la culture chinoise se sont distingués par leur dynamisme économique, ils ont été appelés les quatre dragons asiatiques.

San lūñ do kam ūi kue, 1674

Le retour du dragon

Quand les premiers paléontologues au XIXème siècle tentent de reconstituer les fossiles de dinosaures, ils s’inspirent des images de dragons. Au même moment, Richard Wagner reprend l’histoire des Nibelungen dans sa Tétralogie. Il y montre son héros Siegfried qui tue le dragon Fafnir et se baigne dans son sang pour devenir invulnérable. Malheureusement pour lui, une feuille tombe alors sur son épaule, et ce point faible causera sa perte. La figure du dragon, qui n’avait pas disparu, va faire un grand retour dans la littérature populaire grâce à des œuvres comme celle de Tolkien qui les compare implicitement aux chars qu’il a connus durant la Grande Guerre. Le dragon devient alors un incontournable des romans de fantasy, influençant le cinéma, les jeux vidéo ou la bande dessinée, comme dans la série Dragon Ball. D’autres facettes apparaissent, plus positives : compagnon du héros dans Peter et Elliott le dragon, ou mascotte du village sur l’île de Beurk dans le film Dragons, il suit la trajectoire d’autres animaux comme l’ours qui, de roi des animaux et divinité révérée, est devenu l’ami qui accompagne les enfants. Le dragon a encore une longue vie devant lui.

Arthur Rackham, Siegfried et le Crépuscule des dieux, par Richard Wagner, Paris, 1911

Pour aller plus loin

Retrouvez d’autres animaux fêtés par les calendriers asiatiques : le rat, le tigre et le lapin.
Absalon (Patrick), Canard (Frédérik), Les dragons : des monstres au pays des hommes, 2006

Commentaires

Soumis par BEELDENS le 13/02/2024

J'avais bien entendu des images de Saint Georges terrassant un dragon mais je ne savais pas beaucoup plus à ce sujet.
Merci pour ce billet érudit, accessible et passionnant

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