Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-08-15
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 15 août 1868 15 août 1868
Description : 1868/08/15 (A3,N849). 1868/08/15 (A3,N849).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47178510
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL - QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
%
S cent. le numéro"
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris « zr. fri 9 fr. IR@ fr.
Départements.. 6 IA se
Administrateur î E. DELSACX.
31" année. — SAMEDI 15 AOUT 4868. — N° 849
Directeur- Pr(,priétai taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATUIER-DRACr:LOHNE.
. BUREAUX D'ABONNEMENT : 9; rue Drouot,
ADMINISTRATION '. 13.. place Breda.
PARIS, 14 AOUT 1868
PHYSIONOMIES PARISIENNES
LA GRANDE DAME
- Le propre d'une révolution inachevée,
comme l'est celle de i789, c'est que la société
qui en sort se renouvelle incessamment, et
que l'observateur a peine à noter chacune de
ses métamorphoses, tant elles sont rappro-
chées. Ce gui était d'une vérité parfaite, il y a
vingt ans, semble une imagination à l'heure
qu'il est. Balzac a incarné la grande dame de
h Restauration dans trente types parfaitement
réels, dont, peut-être, on chercherait en vain
dix exemplaires sous le second Empire.
« Ménagère ou courtisane, » dit Proudhon,
pour résumer la femme. Et il a raison.
« Ménagère, courtisane, ou grande dame,»
disait Balzac. Et il n'avait pas tort.
Aujourd'hui, les femmes du faubourg Saint-
Germain sont « ménagères. » Je n'ai pas,
bien entendu, besoin d'insister pour que le
lecteur élargisse le sens du mot.
Ce que je veux dire, c'est que, dans le fau-
bourg Saint-Germain actuel, il n'y a pas plus
de quatre ou cinq de ces ménages à trois, ja-
dis si fréquente. Ce que je veux dire encore,
c'est que les sept ou huit grandes dames
compromises ont quitté leurs hôtels, non pour
aller cacher un bonheur illégal dans une au-
tre patrie, mais simplement pour s'affranchir
de toute contrainte. Degré par degré, trafi-
quant d'un reste d'influence, agiotant, s'en-
dettant, elles en sont arrivées à se perdre
tout à fait. Et il faut le dire, parce que c'est
la vérité, celles-là sont de très-grandes dames.
Mais elles sont, en même temps, des excep-
tions. La règle, c'est cette femme habillée dès
l'heure du déjeuner. Ce malin, elle a entendu
une messe basse. Tout ',,t l'heure elle s'occu-
pera de ses enfants et de sa maison; ou bien,
elle brodera un devant d'autel, elle fera de la
tapisserie destinée à quelque pièce d'ameuble-
ment, elle confectionnera quelque vêtement
pour les pauvres. Elle a son jour dans la se-
maine, et, les autres jours, elle va volontiers
chez ses amies ; mais elle assiste aussi aux
réunions de la Société des Amis de l'enfance,
et l'asile Chateaubriand la compte parmi ses
protectrices.
I Voici l'heure d'aller au bois. Quelquefois
son mari l'accompagne; le plus souvent, une
amie est assise auprès d'elle ; à défaut du
mari ou de l'amie, un petit enfant; jamais
une demoiselle de compagnie. Nul Vande-
nesse ne.galope à la portière de sa voiture ; à
l'entrée des allées latérales, nul de Marsay
n'attend qu'elle descende pour lui offrir son
bras. Vandcnesse et de MQrsay ont assez des
amours de leur monde. L'unique table de
whist des salons les fait sourire. Ils vont au
club fumer et jouer. Le soir, quand la grande
dame s'assied sur le devant de sa loge des
Italiens ou de l'Opéra, ils sont dans les petits
théâtres en train de tapager.
— Nos femme-!, maintenant, sont abandon- ,
nées avant la faute! disait devant moi le
comte de ***.
— S'ennuient-elles? lui demandai-je.
— Elles sont trop occupées pour s'ennuyer,
me répondit-il. Leurs enfants, leur maison,
les œuvres de dévotion prennent la meilleure
partie de leur temps. Les distractions absor-
bent le reste. Elles aussi vont aux petits
théâtres ; seulement, elles n'y vont que cinq
ou six fois par an, au printemps, en parties.
A la campagne, elles jouent la comédie ; à la
ville, elles ont les concerts et les bals... C'est
là seulement qu'on apprécie bien la distance
qui sépare les femmes de la noblesse de celles
de la finance et de la haute bourgeoisie.
Leurs robes sont aussi larges, mais de cou-
leurs plus calmes; plus de diamants, moins
de fleurs naturelles ; peu de fantaisie en ma-
tière de bijoux : des perles et des diamants ;
par-dessus tout, cette aisance souveraine pro-
pre aux gens accoutumés à vivre dans le
même milieu, cette autorité que fiono# Ja^,;
naissance:— Bien des gens voudraient venir
ici, qui ne le peuvent pas; moi, j'y viens...
On ne se blase jamais complétemeut sur cette
petite joie...
Quelques portraits de grandes dames con-
æmporaines.
Madame d'A... a plus de quarante ans,
mais elle affiche dans sa coiffure et dans toute
sa toilette l'audace d'une pensionnaire; que
dis-je? elle affiche, — elle a. Grande, elle se"
tient droite à paraître plus grande encore. f-
Vous vous rappelez ce que disait Henri Heine:
de ce portrait par Calamatta, réprésentant :
M. Guizot debout, adossé à une paroi de !
pierre : « Un mouvement de plus en arrière, 7
il se ferait grand mal! « Madame d'A... fait
sans cesse ce mouvement, et elle a bien la ;
tête de plus que M. Guizot. Mais son maintien
est si gracieux et sà démarche si légère, qu'on |
lui pardonne l'espèce de défi de son front ren. i
vn:::é et de son côu tendu.
Elle a, du reste, le secret d'être familière
eïT Testant hautaine. Ses opinions sont des
plus accommodantes. Elle prend le monde
comme il est et les hommes comme ils sont.
Elle ne s'en fait pas une grosse idée. Seule-
ment, elle préfère causer avec eux qu'avec
les femmes, parce qu'elle a l'esprit indépen-
dant et que, ne se contraignant jamais, elle-
craint de choquer celles-ci. Se croyant tout '
«permis, elle dit tout, s'inquiétant peu dé b!es- '
ser les gens. Elle sait d'avance qu'on lui par-
donnera, pardonnant elle-même sans le moin- '
d|e dfort. , j
Nulle femme n'est plus recherchée. Elle le
slit, et.pourtant elle ne se fait jamais prier.
I»le va dans le monde parce qu'elle s'y plait,
drame elle resterait dans la retraite, si la re-
traite lui offrait le moindre charme. Pas l'om-
bée d'hypocrisie, ni dans son corssge, ni sur
sfn visage, ni dans son langage. C'est la
grande dame, sachant ce qu'elle vaut, et se
disant que le monde est encore bien heureux
dfen avoir comme cela.
t
«
p» *
Madame de B... est un peu plus jeune.
C'est un tout autre tempérament.
Celle-là ne laisse pas tout faire à la nature.
Elle a dû se dire, bien jeune, que, pour être
Aeupftusfe, il fallait y.«yettre du' sien, et elle
s'est taillé un petit patron pour toutes ses
actions à venir. Cette comparaison de patron
n'est-pas déplacée ; car Mme de B... est une
des plus grandes travailleuses du faubourg !
Saint-Germain.
Elle a un fond d'idées qu'elle se refuse
obstinément de grossir. Comme ces idées sont
en petit nombre, elle se figure qu'elles sont à
elle toute seule : — Je suis bien moi !... Cela
donne de l'autorité, surtout quand on est
riche, de bonne maison, et qu'on a été
jolie.
Madame de B... remplit Scrupuleusement
tons ses devoirs, si scrupuleusement qu'elle
ne distingue pas entre eux. Sa conscience est
comme le carnet de ce jeune homme qui allait
se marier ; on lisait sur la même page : « Aller
voir ma fiancée, souper avec Anna, consulter
mon notaire, acheter des dragées, etc., etc. »
Ainsi pratique madame de B... Elle attache
la même importance à une visite qu'à un ser-
mon, mais elle ne manque ni le sermon ni la
visite. Elle est sage, parce qu'il faut l'être, et
parce que la vie est plus facile ainsi.
N'allez pas, après cela, la croire sèche, in-
signifiante encore moins. Cette femme, qui
ne se livre jamais, qui sait toujours ce qu'elle
fait et ce qu'elle dit, est charmante précisé-
ment à cause de cela. •
Sans inquiétude sur le fond, elle donnera à
la forme tous ses soins. Sa méthode dispa-
raîtra sous une vivacité que vous auriez prise
pour de l'étourderie il y a dix ans. Quand,
avec sa tournure élégante, sa longue taille,
son visage animé, elle s'avancera vers vous;
quand, après avoir su vous écouter, elle émet-
tra pour vous une de ses iddes, vous la trou-
verez la plus spirituelle des femmes; si elle
fait un geste, vous lui trouverez de l'en-
train...
1
i Madame de I)..., blonde, rose, grRci&use,
vive, impétueuse, dit tout ce qui lui passe par
: la tête. Mais si elle ne réprime jamais ses
pensées, il .n'en est pas de même de ses
actions. On l'entend, elle vous renverse; on
l'observe, elle vous édifie. Rien de piquant
comme cette constante contradiction.
Madame d'E... est tout sentiment, tnais
elle s'en cache. Un ridicule la frappe : elle ne
le raille pas, par charité. Elle apprend une
belle action : elle ne dit rien, mais ses yeux
se-mouillent. Elle est toute en dedans-,"c&mrne
madame de D... est toute en dehors. Aux
heures de tristesse rêveuse, elle prie. Sa
tenue la trahit pourtant; on voit qu'elle se
tient à quatre pour ne pas dire à ses amis : —
Je suis heureuse, ou je souffre, ou voici ce
que j'éprouve'... Mais elle ne le dit pas,
Mme de F... est adorablement belle avec
ses cheveux noirs ondulés et son teint de -
blonde. Elle sera victime de son imagination.
Sa nature est de celles que le calme tue, qui
veulent se sentir vivre et qui préfèrent la souf-
france à l'engourdissement. Comme elle a
pâli, quelques bonnes âmes veulent absolu-
ment qu'elle ait quelque chagrin caché. Eh 1
! mon Dieu, elle s'ennuie...
i
I - TONY RÉVILLON
LA FEMME IMMORTELLE
mess=""58 PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XL
Tandis que ces choses-là se passaient à 1 in-
térieur de l'hôtel, notre ami le chevalier de Cas-
tirac cuvait son vin ou plutôt était encore sous
l'étreinte de cette léthargie violente dans laquelle
51 avait été plongé en même temps que le mar-
grave.
Ccrnrad, l'intendant vêtu d'écarlate,avait ponc-
tuellement exécuté les ordres du margrave et
* [Voir les numéros jçarus depuisJe 21 juia. /
fait porter le Gascon dans le ruisseau de la rue
Saint-Honoré.
On l'avait couché tout de son long, la tête
vers le mur, les pieds tournés vers la chaussée
et, en s'en allant, les deux pages qui avaient
été chargés de cette besogne avaient eu l'huma-
nité de lui poser une lanterne sur le ventre, afin
que quelque carrosse attardé ne l'écrasât point.
Celà se passait environ une heure après que les
gens du guet avaient fait leur ronde et, par con-
séquent, la rue était déserte.
A quatre heures dun'avait passé par là,ou, tout au moins, fait atten-
tion à la lanterne qui servait de phare au Gas-
con, quand une litière déboucha par la rue des i
Bons-Enfants.
Les porteurs de cette litière paraissaient pres-
sés et allaient un bon train, lorsque le premier
se heurta aux jambes inertes du chevalier.
— Hé ! ditril, qu'est-ce que cela ?
En même temps il s'arrêta.
L'autre porteur en fit autant, et tous deux dé-
posèrent la litière sur ses quatre pieds.
Sans doute la litière était vide, car personne
ne réclama.
Alors les deux porteurs, qui étaient de grands
et robustès laquais vêtus d'une livrée sombre,
se penchèrent sur le dormeur, ei la conversation
, suivante s'établit entre eux ;
* * ' -J
-r Crois-tu qu'il est ivre ? dit le premier.
— On dirait qu'il est mort, fit l'autre.
— Les morts n'ont pas d'héritiers, reprit le
premier.
L'autre le regarda.
— Crois-tu, reprit celui qui avait émis cette
singulière opinion, que nous avons fait une mau.
"aise journée, hei^i^^
— Dam ! répliqua l'autre, jijuand on est loué
par le président Boisfleury, on ne doit pas s'at*
tendre à autre chose.
Un mot suffira pour expliquer ces dernières
paroles.
A cette époque, on louait une li.ière absolu-
ment comme une voiture; et, de ,IIoême qu'il y
avait des gens qui avaient trois, quatre, jusqu'à
dix carrosses numérotés, à l'usage des seigneurs
et de tous ceux qui n'avaient pas un équipage à
eux, de même il se trouvait des industriels qui
louaient à l'heure, à la demi-journée ou à la
soirée des chaises à porteurs.
Or, les deux drôles qui venaient de prononcer
le nom du président Boisfleury appartenaient
à une industrie de ce genre, et ils n'avaient de
plus clair bénéfice que les pourboires que leur
donnait un client généreux, la location de la
chaise à porteur étant payée directement à celui
qui en était le prepriétaire.. i
Or, le pæ8ident Boisfleury n'était pas précisa
ment un client généreux.
Membre du Parlement, président de la cham-
bre criminelle, maître Boisfleury était signalé
dans la rue de la Vrillière, qu'il habitait depuis
un quart de siècle, pour le dernier cuistre de
France et de Navarre.
C'était un petit homme entre deux âges, sec,
bilieux, au teint olivâtre, possédé d'un amour
immodéré de la justice, et que ses fonctions re-
doutables avaient habitué à voir des coupables
partout.
Il était garçon, vivait mal avec une vieille
servante, faisait maigre cbère et menait une
vraie vie d'anachorète.
Les malfaiteurs tremblaient quand il montait
sur son siège; les bourgeois de son quartier se
livraient à mille plaisanteries sur son avarice,
mais personne au monde n'eût osé dire que lé
président Boisfleury n'était pas l'homme le plus
honnête et le juge le plus intègre -de France.
Or, ce soir-là, le président avait eu beaucoup
de visites à faire.
Il était allé saluer plusieurs de ses confrères
qui prenaient l'hiver gaiement et donnaient des
bals et des fêtes, et n'avait regagné son modeste
logis que vers trois heures du matin. 1
Pour cela, il avait lqué une chaise, et quand^
U avait congédié les deux porteurs, ligr W&î
[texte illisible]
JOURNAL - QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
%
S cent. le numéro"
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris « zr. fri 9 fr. IR@ fr.
Départements.. 6 IA se
Administrateur î E. DELSACX.
31" année. — SAMEDI 15 AOUT 4868. — N° 849
Directeur- Pr(,priétai taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATUIER-DRACr:LOHNE.
. BUREAUX D'ABONNEMENT : 9; rue Drouot,
ADMINISTRATION '. 13.. place Breda.
PARIS, 14 AOUT 1868
PHYSIONOMIES PARISIENNES
LA GRANDE DAME
- Le propre d'une révolution inachevée,
comme l'est celle de i789, c'est que la société
qui en sort se renouvelle incessamment, et
que l'observateur a peine à noter chacune de
ses métamorphoses, tant elles sont rappro-
chées. Ce gui était d'une vérité parfaite, il y a
vingt ans, semble une imagination à l'heure
qu'il est. Balzac a incarné la grande dame de
h Restauration dans trente types parfaitement
réels, dont, peut-être, on chercherait en vain
dix exemplaires sous le second Empire.
« Ménagère ou courtisane, » dit Proudhon,
pour résumer la femme. Et il a raison.
« Ménagère, courtisane, ou grande dame,»
disait Balzac. Et il n'avait pas tort.
Aujourd'hui, les femmes du faubourg Saint-
Germain sont « ménagères. » Je n'ai pas,
bien entendu, besoin d'insister pour que le
lecteur élargisse le sens du mot.
Ce que je veux dire, c'est que, dans le fau-
bourg Saint-Germain actuel, il n'y a pas plus
de quatre ou cinq de ces ménages à trois, ja-
dis si fréquente. Ce que je veux dire encore,
c'est que les sept ou huit grandes dames
compromises ont quitté leurs hôtels, non pour
aller cacher un bonheur illégal dans une au-
tre patrie, mais simplement pour s'affranchir
de toute contrainte. Degré par degré, trafi-
quant d'un reste d'influence, agiotant, s'en-
dettant, elles en sont arrivées à se perdre
tout à fait. Et il faut le dire, parce que c'est
la vérité, celles-là sont de très-grandes dames.
Mais elles sont, en même temps, des excep-
tions. La règle, c'est cette femme habillée dès
l'heure du déjeuner. Ce malin, elle a entendu
une messe basse. Tout ',,t l'heure elle s'occu-
pera de ses enfants et de sa maison; ou bien,
elle brodera un devant d'autel, elle fera de la
tapisserie destinée à quelque pièce d'ameuble-
ment, elle confectionnera quelque vêtement
pour les pauvres. Elle a son jour dans la se-
maine, et, les autres jours, elle va volontiers
chez ses amies ; mais elle assiste aussi aux
réunions de la Société des Amis de l'enfance,
et l'asile Chateaubriand la compte parmi ses
protectrices.
I Voici l'heure d'aller au bois. Quelquefois
son mari l'accompagne; le plus souvent, une
amie est assise auprès d'elle ; à défaut du
mari ou de l'amie, un petit enfant; jamais
une demoiselle de compagnie. Nul Vande-
nesse ne.galope à la portière de sa voiture ; à
l'entrée des allées latérales, nul de Marsay
n'attend qu'elle descende pour lui offrir son
bras. Vandcnesse et de MQrsay ont assez des
amours de leur monde. L'unique table de
whist des salons les fait sourire. Ils vont au
club fumer et jouer. Le soir, quand la grande
dame s'assied sur le devant de sa loge des
Italiens ou de l'Opéra, ils sont dans les petits
théâtres en train de tapager.
— Nos femme-!, maintenant, sont abandon- ,
nées avant la faute! disait devant moi le
comte de ***.
— S'ennuient-elles? lui demandai-je.
— Elles sont trop occupées pour s'ennuyer,
me répondit-il. Leurs enfants, leur maison,
les œuvres de dévotion prennent la meilleure
partie de leur temps. Les distractions absor-
bent le reste. Elles aussi vont aux petits
théâtres ; seulement, elles n'y vont que cinq
ou six fois par an, au printemps, en parties.
A la campagne, elles jouent la comédie ; à la
ville, elles ont les concerts et les bals... C'est
là seulement qu'on apprécie bien la distance
qui sépare les femmes de la noblesse de celles
de la finance et de la haute bourgeoisie.
Leurs robes sont aussi larges, mais de cou-
leurs plus calmes; plus de diamants, moins
de fleurs naturelles ; peu de fantaisie en ma-
tière de bijoux : des perles et des diamants ;
par-dessus tout, cette aisance souveraine pro-
pre aux gens accoutumés à vivre dans le
même milieu, cette autorité que fiono# Ja^,;
naissance:— Bien des gens voudraient venir
ici, qui ne le peuvent pas; moi, j'y viens...
On ne se blase jamais complétemeut sur cette
petite joie...
Quelques portraits de grandes dames con-
æmporaines.
Madame d'A... a plus de quarante ans,
mais elle affiche dans sa coiffure et dans toute
sa toilette l'audace d'une pensionnaire; que
dis-je? elle affiche, — elle a. Grande, elle se"
tient droite à paraître plus grande encore. f-
Vous vous rappelez ce que disait Henri Heine:
de ce portrait par Calamatta, réprésentant :
M. Guizot debout, adossé à une paroi de !
pierre : « Un mouvement de plus en arrière, 7
il se ferait grand mal! « Madame d'A... fait
sans cesse ce mouvement, et elle a bien la ;
tête de plus que M. Guizot. Mais son maintien
est si gracieux et sà démarche si légère, qu'on |
lui pardonne l'espèce de défi de son front ren. i
vn:::é et de son côu tendu.
Elle a, du reste, le secret d'être familière
eïT Testant hautaine. Ses opinions sont des
plus accommodantes. Elle prend le monde
comme il est et les hommes comme ils sont.
Elle ne s'en fait pas une grosse idée. Seule-
ment, elle préfère causer avec eux qu'avec
les femmes, parce qu'elle a l'esprit indépen-
dant et que, ne se contraignant jamais, elle-
craint de choquer celles-ci. Se croyant tout '
«permis, elle dit tout, s'inquiétant peu dé b!es- '
ser les gens. Elle sait d'avance qu'on lui par-
donnera, pardonnant elle-même sans le moin- '
d|e dfort. , j
Nulle femme n'est plus recherchée. Elle le
slit, et.pourtant elle ne se fait jamais prier.
I»le va dans le monde parce qu'elle s'y plait,
drame elle resterait dans la retraite, si la re-
traite lui offrait le moindre charme. Pas l'om-
bée d'hypocrisie, ni dans son corssge, ni sur
sfn visage, ni dans son langage. C'est la
grande dame, sachant ce qu'elle vaut, et se
disant que le monde est encore bien heureux
dfen avoir comme cela.
t
«
p» *
Madame de B... est un peu plus jeune.
C'est un tout autre tempérament.
Celle-là ne laisse pas tout faire à la nature.
Elle a dû se dire, bien jeune, que, pour être
Aeupftusfe, il fallait y.«yettre du' sien, et elle
s'est taillé un petit patron pour toutes ses
actions à venir. Cette comparaison de patron
n'est-pas déplacée ; car Mme de B... est une
des plus grandes travailleuses du faubourg !
Saint-Germain.
Elle a un fond d'idées qu'elle se refuse
obstinément de grossir. Comme ces idées sont
en petit nombre, elle se figure qu'elles sont à
elle toute seule : — Je suis bien moi !... Cela
donne de l'autorité, surtout quand on est
riche, de bonne maison, et qu'on a été
jolie.
Madame de B... remplit Scrupuleusement
tons ses devoirs, si scrupuleusement qu'elle
ne distingue pas entre eux. Sa conscience est
comme le carnet de ce jeune homme qui allait
se marier ; on lisait sur la même page : « Aller
voir ma fiancée, souper avec Anna, consulter
mon notaire, acheter des dragées, etc., etc. »
Ainsi pratique madame de B... Elle attache
la même importance à une visite qu'à un ser-
mon, mais elle ne manque ni le sermon ni la
visite. Elle est sage, parce qu'il faut l'être, et
parce que la vie est plus facile ainsi.
N'allez pas, après cela, la croire sèche, in-
signifiante encore moins. Cette femme, qui
ne se livre jamais, qui sait toujours ce qu'elle
fait et ce qu'elle dit, est charmante précisé-
ment à cause de cela. •
Sans inquiétude sur le fond, elle donnera à
la forme tous ses soins. Sa méthode dispa-
raîtra sous une vivacité que vous auriez prise
pour de l'étourderie il y a dix ans. Quand,
avec sa tournure élégante, sa longue taille,
son visage animé, elle s'avancera vers vous;
quand, après avoir su vous écouter, elle émet-
tra pour vous une de ses iddes, vous la trou-
verez la plus spirituelle des femmes; si elle
fait un geste, vous lui trouverez de l'en-
train...
1
i Madame de I)..., blonde, rose, grRci&use,
vive, impétueuse, dit tout ce qui lui passe par
: la tête. Mais si elle ne réprime jamais ses
pensées, il .n'en est pas de même de ses
actions. On l'entend, elle vous renverse; on
l'observe, elle vous édifie. Rien de piquant
comme cette constante contradiction.
Madame d'E... est tout sentiment, tnais
elle s'en cache. Un ridicule la frappe : elle ne
le raille pas, par charité. Elle apprend une
belle action : elle ne dit rien, mais ses yeux
se-mouillent. Elle est toute en dedans-,"c&mrne
madame de D... est toute en dehors. Aux
heures de tristesse rêveuse, elle prie. Sa
tenue la trahit pourtant; on voit qu'elle se
tient à quatre pour ne pas dire à ses amis : —
Je suis heureuse, ou je souffre, ou voici ce
que j'éprouve'... Mais elle ne le dit pas,
Mme de F... est adorablement belle avec
ses cheveux noirs ondulés et son teint de -
blonde. Elle sera victime de son imagination.
Sa nature est de celles que le calme tue, qui
veulent se sentir vivre et qui préfèrent la souf-
france à l'engourdissement. Comme elle a
pâli, quelques bonnes âmes veulent absolu-
ment qu'elle ait quelque chagrin caché. Eh 1
! mon Dieu, elle s'ennuie...
i
I - TONY RÉVILLON
LA FEMME IMMORTELLE
mess=""58 PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XL
Tandis que ces choses-là se passaient à 1 in-
térieur de l'hôtel, notre ami le chevalier de Cas-
tirac cuvait son vin ou plutôt était encore sous
l'étreinte de cette léthargie violente dans laquelle
51 avait été plongé en même temps que le mar-
grave.
Ccrnrad, l'intendant vêtu d'écarlate,avait ponc-
tuellement exécuté les ordres du margrave et
* [Voir les numéros jçarus depuisJe 21 juia. /
fait porter le Gascon dans le ruisseau de la rue
Saint-Honoré.
On l'avait couché tout de son long, la tête
vers le mur, les pieds tournés vers la chaussée
et, en s'en allant, les deux pages qui avaient
été chargés de cette besogne avaient eu l'huma-
nité de lui poser une lanterne sur le ventre, afin
que quelque carrosse attardé ne l'écrasât point.
Celà se passait environ une heure après que les
gens du guet avaient fait leur ronde et, par con-
séquent, la rue était déserte.
A quatre heures du
tion à la lanterne qui servait de phare au Gas-
con, quand une litière déboucha par la rue des i
Bons-Enfants.
Les porteurs de cette litière paraissaient pres-
sés et allaient un bon train, lorsque le premier
se heurta aux jambes inertes du chevalier.
— Hé ! ditril, qu'est-ce que cela ?
En même temps il s'arrêta.
L'autre porteur en fit autant, et tous deux dé-
posèrent la litière sur ses quatre pieds.
Sans doute la litière était vide, car personne
ne réclama.
Alors les deux porteurs, qui étaient de grands
et robustès laquais vêtus d'une livrée sombre,
se penchèrent sur le dormeur, ei la conversation
, suivante s'établit entre eux ;
* * ' -J
-r Crois-tu qu'il est ivre ? dit le premier.
— On dirait qu'il est mort, fit l'autre.
— Les morts n'ont pas d'héritiers, reprit le
premier.
L'autre le regarda.
— Crois-tu, reprit celui qui avait émis cette
singulière opinion, que nous avons fait une mau.
"aise journée, hei^i^^
— Dam ! répliqua l'autre, jijuand on est loué
par le président Boisfleury, on ne doit pas s'at*
tendre à autre chose.
Un mot suffira pour expliquer ces dernières
paroles.
A cette époque, on louait une li.ière absolu-
ment comme une voiture; et, de ,IIoême qu'il y
avait des gens qui avaient trois, quatre, jusqu'à
dix carrosses numérotés, à l'usage des seigneurs
et de tous ceux qui n'avaient pas un équipage à
eux, de même il se trouvait des industriels qui
louaient à l'heure, à la demi-journée ou à la
soirée des chaises à porteurs.
Or, les deux drôles qui venaient de prononcer
le nom du président Boisfleury appartenaient
à une industrie de ce genre, et ils n'avaient de
plus clair bénéfice que les pourboires que leur
donnait un client généreux, la location de la
chaise à porteur étant payée directement à celui
qui en était le prepriétaire.. i
Or, le pæ8ident Boisfleury n'était pas précisa
ment un client généreux.
Membre du Parlement, président de la cham-
bre criminelle, maître Boisfleury était signalé
dans la rue de la Vrillière, qu'il habitait depuis
un quart de siècle, pour le dernier cuistre de
France et de Navarre.
C'était un petit homme entre deux âges, sec,
bilieux, au teint olivâtre, possédé d'un amour
immodéré de la justice, et que ses fonctions re-
doutables avaient habitué à voir des coupables
partout.
Il était garçon, vivait mal avec une vieille
servante, faisait maigre cbère et menait une
vraie vie d'anachorète.
Les malfaiteurs tremblaient quand il montait
sur son siège; les bourgeois de son quartier se
livraient à mille plaisanteries sur son avarice,
mais personne au monde n'eût osé dire que lé
président Boisfleury n'était pas l'homme le plus
honnête et le juge le plus intègre -de France.
Or, ce soir-là, le président avait eu beaucoup
de visites à faire.
Il était allé saluer plusieurs de ses confrères
qui prenaient l'hiver gaiement et donnaient des
bals et des fêtes, et n'avait regagné son modeste
logis que vers trois heures du matin. 1
Pour cela, il avait lqué une chaise, et quand^
U avait congédié les deux porteurs, ligr W&î
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