Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-07-25
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 25 juillet 1868 25 juillet 1868
Description : 1868/07/25 (A3,N828). 1868/07/25 (A3,N828).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717830t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro 1 JOURNAL QUOTIDIEN * 5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. ---- Trois mois. Six mots. Un DII.
Paris 5 fr. a fr. i8 fr.
DéparU'un'Mt.:-.. c; 1 fl et
/1./ li/l1IisIHtleHr: : E. I)PLSIUX.
. 3tu année. - SAMEDI 25 JUILLET 1868. — ir 828
Direct ett,--Prorr, -iéla i re : J A ri N r jT.
Rédaffeur en cfu f : A. DK BA ,HA T 11 JE R-B IL"; E 1. 0'Nlt E.
Bt; BEAUX D'AP.Û.* X K % Rti't i ÏS|I strst
. ADMtKMTHjtTiCW ASS, place À*reda.
PARIS, 24 JUILLET 1868
LA CIGALE
Vv"v;',/
La saison où les théâtres Tont relâchât
aussi celle où se manifeste un des musiciens
de la nature.
La cigale remplit de son ramage les landes
brûlées et les broussailles arides.
Plus il fait chaud, plus elle chante. Et l'on
se demande, avec étonnement, comment un
si petit insecte peut faire autant de bruit..
Sa figure est bizarre. Sa tête en triangle,
ses grands yeux brillants, ses belles ailes
longues, gazées, veinées de brun, de rouge
et de vert, son petit corps conique et pointu,
tout en elle émerveille à la fois et fait sourire.
Rien de curieux comme son histoire. De
même que le papillon, la cigale passe par l'état
de larve et rampe avant de voler.
Les femelles pondent de quatre àcinq cents
œufs, qu'elles logent dans l'intérieur des
branches d'arbres, où elles les disposent par
tile à l'abri de la pluie et -du vent. A l'extré-
mité de l'abdomen, elles ont une sorte de
tarière, avec laquelle elles percent le bois pour
M ri ver jusqu'à la moelle.
Lorsque les petites cigales, sorties des œufs,
ant atteint la.grosseur du trou creusé par la ^
prière maternelle, elles passent par ce trou
tt descendent à terre, — munies de deux
jambes avec lesquelles elles fouillent le sol,
et d'une trompe qui leur sert à tirer des ra-
cines tn suc nourricier. Enfoncées sous la
terre, elles y demeurent cachées pendant un
an. Alors, elles remontent au jour, grimpent
sur quelque cime, et s'y cramponnent jusqu'à
que, la chaleur ayant desséché leur peau,
celle-ci s'ouvre par le dos et l'animal ailé
s'en échappe. On trouve souvent dans la cam-
pagne ces peaux de larve, et l'on croirait voir
un petit animal inanimé, grisâtre, assez pareil
à un fragment de parchemin...
J'ai dit que les cigales femelles pondaient
jusqu'à cinq cents œufs. La maternité est leur
seule mission.
Le chant est le privilége des mâles.
Deux espèces de timbales, dont toute la
• convexité est remplie de plis qui se touchent,
sont placées de chaque côté du ventre de ces
derniers.
Quand l'air qu'elles ont agité, dit Réàumur,
sort de la cellule de chaque timbale, il trouve
une voûte plate, un volet écailleux qui le ré-
fléchit dans une grande cavité où il est modi-
fié et rendu plus sonore. Cette cavité est di-
visée en deux par une espèce de cloison. Au
fond de chacune des parties formées par cette
division, est une membrane mince, si lisse,
si tendue, si transparente et si brillante,
qu'elle paraît un miroir, et que le nom lui en
a été donné même par les enfants...
Le chant de la cigale est le son de cet in-
strument.
La cigale, après avoir chanté tout l'été,
meurt quand viennent les premiers froids.
Du moins les savants le prétendent. Quant
aux poëtes, ils l'ont faite immortelle.
Elle est l'emblème de la poésie et elle a in-
spiré des chefs-d'œuvre.
Anacréon lui a consacré une ode, La Fon-
taine une fable, et cette fable a eu le privi-
lége de passionner les critiques et d'être com-
mentée tour à tour par Rousseau et par La-
martine.
C'est la première du recueil. Ses vers sont
les premiers qu'apprennent et répètent les
petits enfants. I!s se gravent dans la mémoire
et ils y restent. Je suis convaincu que pas un
de vous, chers lecteurs, ne manquera en ce
moment d'éloigner "de lui le journal et de ré-
cité?," les yeux fermes, la Cigale et la Fourmi.
La cigale, ayant chanté
Tout 1 été,
S*} trouât. fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui pré.er
Quelque grain, pour subsister |
Jusqu'à la saison nouvelle : '
— Je vous pairai, lui dit -elle,
Avant l'oùt, foi d'animal,
Intérèt et principal.
La fourmi n'est pas prêteuse;
C'est là son moindre défaut.
— Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
— Nuit et jour, à tout venant,
Je chantais, ne vcus déplnisc.
— Vous chantiez! J'en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant.
Jamais morceau plus charmant n'a soulevé
plus de critiques.
Tout à l'heure j'ai nommé Rousseau.
« Quelle horrible leçon pour l'enfance! dit
le phrlo&ophe. Le plu- odieux de tons les
monstres serait un enfant avare et dur, qui
saurait ce^qu'on lui demande et ce qu'il re-
fuse. La 'fourmi fait plus encore : elle lui
apprend à railler dans ses refus !.. »
A prendre le texte de La Fontaine au pied de
la lettre, Rousseau aurait raison. Mais il ap-
partient. au maître de commenter ce texte et
d'en rétablir l'esprit dans sa vérité.
Dans la belle édition illustrée des Fables
publiée par la maison Hachette, Gustave Doré
a symbolisé la fourmi par une grosse fer-
mière de l'Alsace, debout sur le seuil de sa
ferme, au milieu de ses petits enfants. La ci-
gale, une bohémienne, une chanteuse des
chemins, maigre, hâlée, à peine vêtue, sa
guitare en sautoir, implore un abri et un
morceau de pain.
Rien de faux et de désolant comme une
telle interprétation. Eh ! quoi ! une femme,
tfne mère, refuserait l'aumône à une autre
femme et donnerait à ses enfants l'exemple
du refus!...
Oh! que je sais une plus raisonnable glose
de la fable de La Fontaine, et qu'ainsi expli-
quée elle nous apparaîtra plus belle !...
| La cigale, depuis Anacréon, représente la
; poésie. : .
| Eh bien! c'est le poëte que La Fontaine a
mit en scène en y-mettant hrcig&ier —
Du temps de Molière et de La Fontaine, les
écrivains — quelque grands qu'ils fussent —
ne se croyaient pas comme aujourd'hui des de-
mi-dieux. Quand ils soufft'aient,ils ne se plai-
saient pas, comme nous autres, à étaler leurs
souffrances dans leurs livres. Non. Ces esprits
supérieurs, doués de cet admirable sens criti-
que qui est le propre du génie, aimaient à se
juger et à se railler, au lieu de se plaindre.
Voyez Molière amoureux. Sa femme est jeune
et il est vieux. Elle est aimable et il est bourru.
Elle écoate les galants et il en souffre jusqu'à
en mourir. Va-t-il se lamenter tout haut et
sangloter dans ses vers ?... Non. Il se mettra
tour à tour en scène, sous les noms d'Ar-
nolphe et d'Alceste, et il fera rire le public à
ses dépens.
— Ah ! poëte, tu vois tout, tu comprends
tout, et tu es assez bête pour ne pouvoir te
détacher de l'homme qui crier ÔTÎ ion... AifJ(
du moins le mérite de trouver crf homirx1 j"-
dicn'e fit de t'en moquer. Q'iandf hr- rl11r:1:'> bien
rr tout haut, tu rentreras chez foi. et. pos;iHl
tes coudes sur ta table, tu pleure-sas éperdu...
Le bonhomme La Fontaine, lui, n"Ï1-"ëlrt pas
l'humeur larmoyante, mais il l'aval çaotefse
et railleuse. Il ne savait guère compter «t il
dépensait volontiers son fonds avec son
venu. Que de fois. pressé par le besruTt, i! mst
demander place à la table d'un ami ! Que (le
fois il fut sans logis que celui des autreaT Que
de fois aussi il dut faire appel à la bourse d*»s-
millionnaires de son temps!... Le-ô miliitln,
naires, ne sont jamais bien généreux. Tin jour
que le. vieux bohème de Château-Thierry ,
avait éprouvé un refus, il descendit, le
gros, l'escalier du traitant insensible aux
poëtes, et'passa devant le suisse en rêléttant
à peine ses larme6. Mais. quand il fut daaaht
rue, il se prit à songer aux bonnes gens qui
t'aimaient, et son attendrissement tourna ^ity
à l'ironie.
— Bah! se dit-ii, c'est le sort du rirnsop
d'être repoussé par ceux qui manient les éCtlS.
Homère, aveugle, fut accueilli à coups <'&
pierre par les Sa-miens inhospitaliers. Q'm-
conque sent et pense a contre lui le commua
1 des hommes qui ne comprennent ni le senti-
ment ni la pensée. Homère, debout en face-
des flots- retentissants, confiait sa ph\Ïnte ;m.x
brises d'Ionie. Moi, je ne suis qu'un pauvre
fabuliste et je. n'ai pas-le droit de me montrer
indigna. Ponrtarrt je dirai mon mot, et la e-j.-
gale maigre et poétique entendra, au seuil de
mon œuvre, le refus de la grosse fourmi stu-
pide.
De là la fable, il l'appui de laquelle tanS
d'exemples sont venus depuis.
Que de poètes, en effet, incompris, repous-
sés, succombant à l'excès des privations et
des douleurs!...
Que de penseurs aussi!.. Savez-vous quel
est 'le pendant de la Cigale de La Fontaine?..
Ce sont Les Fous de Béranger.
Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous.
Si des rangs sortent quelques hommes.,
Tous nous crions : — A bas les foua!
On les persécute, on les tue;
Sauf, après un lent examen,
A leur dresser une statue
Pour la gloire du genre humain.
LA
FEMME IMMORTELLE
35 PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XXXIV
Maître Guillaume Laurent, le paisible bour-
geois, avait reculé précipitamment, mais il n'a-
vait pas laissé échapper le flambeau qu'il
portait à la main, et il n'avait poussé aucun
cri.
— Ah I coquin, disait le marquis, cette fois
ta parleras.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin»'
-
Guillaume reculait toujours, et il arriva ainsi
dans cette salle où il avait reçu, quelques jours
auparavant, la visite du vieil amoureux.
— Marquis, marquis, dit alors le chevalier de
Castirac, je vois que le bonhomme ne paraît pas
vouloir nous opposer la moindre résistance. Par
conséquent, je ctbis que nous pouvons remettre
l'épée au fourreau.
— Oui ; mais le drôle parlera ! répéta le mar-
! quis.
Guillaume, la sueur au front, hors d'haleine,
s'était adossé au mur, après avoir toutefois placé
son flambeau sur la cheminée.
Le marquis remit l'épée au fourreau, mais, en
même temps, il ferma la porte.
Puis il se planta devant le bourgeois.
— Ça, drôle, dit-il, causons un peu. Tu m'as ;
dit que cette maison t'appartenait?
— Oui, monseigneur. ;
— Depuis plus de vingt ans ?
— Oui, monseigneur,
— Tu as fait le niais avec moi, et tu as pré-
tendu que tu n'avais pas de locataire.
Guillaume ne répondit pao.
— Tu avais même l'air de ti bonne foi, quand
nous visitions les cavas que je suis sorti per-
suadé que tu ne savais absolument rien.
Un sourire glissa alors sur les lèvres de Guil-
laume, qui paraissait se remettre d'un premier
moment d'effroi.
Le marquis continua:
Cependant, au lieu de m'en aller, je suis resté
dans la rue et me suis mis en observation de-
vant ta maison. Peu après, un gentilhomme s'est
présenté, il a mis une clé dans la serrure
et...
— Monseigneur, dit alors Guillaume, il est
inutile que vous alliez plus loin. Je sais le
J reste.
— Bon ! fit le marquis, alors tu sais tout ?
— Tout absolument.
— Et tu parleras?
Guillaume regarda le chevalier de Castirac.
— Ce jeune homme est voire ami sans doute,
fit-il.
— Je m'en vante, dit le Ga!scon. |
— Alors je puis parler devant lui?
— Sans doute.
Le bourgeois parut alors subitement trans-
figuré
Une lueur de sourire lui vint aux lèvres et
son visage niais s'éclaira d'une expression de
finesse; en même temps, il prit une chaise et se
mit à califourchon dessus, sans plus de respect
pour un homme à qui, jusque-là il avait prodi-
gué du monseianeur.
Mais le marquis paraissait si pressé de savoir
qu'il passa sur ce manque de convenances.
— Monsieur le marquis, reprit alors Guil-
laume, un gentilhomme de province aussi riche
que vous ne saurait n'être pas chasseur.
— Après? fit le n;arqurs.
- Qui dit chasseur dit un peu braconnier, et
Votre Seigneurie doit savoir comment on pose
des collets pour le lièvre et le lapin. *•
— Sans doute, je le sais. Mais où veux-tu en
venir?
— Le lièvre et le lapin courent tète baissa:
la bécasse, plus circonspecte, poursuivit Guil-
laume, lève de temps en temps la tête et si.
d'aventure, elle voit un pe:it carreau de papier
blanc attaché à un bâton, elle rebroussa che-
min.
Mais que me chantes-tu donc là, drôle?
- Attendez encore, monseigneur. Le bout
de papier dont je parle a été placé là par ufi
braconnier qui fait fi de la bécasse. et De veut
pas qu'elle se prenne dans le collet qu'il réserve
à un lièvre.
— As-tu bientôt fini de me conter des sor-.
nettes! s'écria le marquis, impatienté.
— J'ai fini, dit Guillaume. Cette maison res,*
semble à un collet, monseigneur
— Boni
| —i Et je suis le morceau île papier blanc.
5 cent. le numéro 1 JOURNAL QUOTIDIEN * 5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. ---- Trois mois. Six mots. Un DII.
Paris 5 fr. a fr. i8 fr.
DéparU'un'Mt.:-.. c; 1 fl et
/1./ li/l1IisIHtleHr: : E. I)PLSIUX.
. 3tu année. - SAMEDI 25 JUILLET 1868. — ir 828
Direct ett,--Prorr, -iéla i re : J A ri N r jT.
Rédaffeur en cfu f : A. DK BA ,HA T 11 JE R-B IL"; E 1. 0'Nlt E.
Bt; BEAUX D'AP.Û.* X K % Rti't i ÏS|I strst
. ADMtKMTHjtTiCW ASS, place À*reda.
PARIS, 24 JUILLET 1868
LA CIGALE
Vv"v;',/
La saison où les théâtres Tont relâchât
aussi celle où se manifeste un des musiciens
de la nature.
La cigale remplit de son ramage les landes
brûlées et les broussailles arides.
Plus il fait chaud, plus elle chante. Et l'on
se demande, avec étonnement, comment un
si petit insecte peut faire autant de bruit..
Sa figure est bizarre. Sa tête en triangle,
ses grands yeux brillants, ses belles ailes
longues, gazées, veinées de brun, de rouge
et de vert, son petit corps conique et pointu,
tout en elle émerveille à la fois et fait sourire.
Rien de curieux comme son histoire. De
même que le papillon, la cigale passe par l'état
de larve et rampe avant de voler.
Les femelles pondent de quatre àcinq cents
œufs, qu'elles logent dans l'intérieur des
branches d'arbres, où elles les disposent par
tile à l'abri de la pluie et -du vent. A l'extré-
mité de l'abdomen, elles ont une sorte de
tarière, avec laquelle elles percent le bois pour
M ri ver jusqu'à la moelle.
Lorsque les petites cigales, sorties des œufs,
ant atteint la.grosseur du trou creusé par la ^
prière maternelle, elles passent par ce trou
tt descendent à terre, — munies de deux
jambes avec lesquelles elles fouillent le sol,
et d'une trompe qui leur sert à tirer des ra-
cines tn suc nourricier. Enfoncées sous la
terre, elles y demeurent cachées pendant un
an. Alors, elles remontent au jour, grimpent
sur quelque cime, et s'y cramponnent jusqu'à
que, la chaleur ayant desséché leur peau,
celle-ci s'ouvre par le dos et l'animal ailé
s'en échappe. On trouve souvent dans la cam-
pagne ces peaux de larve, et l'on croirait voir
un petit animal inanimé, grisâtre, assez pareil
à un fragment de parchemin...
J'ai dit que les cigales femelles pondaient
jusqu'à cinq cents œufs. La maternité est leur
seule mission.
Le chant est le privilége des mâles.
Deux espèces de timbales, dont toute la
• convexité est remplie de plis qui se touchent,
sont placées de chaque côté du ventre de ces
derniers.
Quand l'air qu'elles ont agité, dit Réàumur,
sort de la cellule de chaque timbale, il trouve
une voûte plate, un volet écailleux qui le ré-
fléchit dans une grande cavité où il est modi-
fié et rendu plus sonore. Cette cavité est di-
visée en deux par une espèce de cloison. Au
fond de chacune des parties formées par cette
division, est une membrane mince, si lisse,
si tendue, si transparente et si brillante,
qu'elle paraît un miroir, et que le nom lui en
a été donné même par les enfants...
Le chant de la cigale est le son de cet in-
strument.
La cigale, après avoir chanté tout l'été,
meurt quand viennent les premiers froids.
Du moins les savants le prétendent. Quant
aux poëtes, ils l'ont faite immortelle.
Elle est l'emblème de la poésie et elle a in-
spiré des chefs-d'œuvre.
Anacréon lui a consacré une ode, La Fon-
taine une fable, et cette fable a eu le privi-
lége de passionner les critiques et d'être com-
mentée tour à tour par Rousseau et par La-
martine.
C'est la première du recueil. Ses vers sont
les premiers qu'apprennent et répètent les
petits enfants. I!s se gravent dans la mémoire
et ils y restent. Je suis convaincu que pas un
de vous, chers lecteurs, ne manquera en ce
moment d'éloigner "de lui le journal et de ré-
cité?," les yeux fermes, la Cigale et la Fourmi.
La cigale, ayant chanté
Tout 1 été,
S*} trouât. fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui pré.er
Quelque grain, pour subsister |
Jusqu'à la saison nouvelle : '
— Je vous pairai, lui dit -elle,
Avant l'oùt, foi d'animal,
Intérèt et principal.
La fourmi n'est pas prêteuse;
C'est là son moindre défaut.
— Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
— Nuit et jour, à tout venant,
Je chantais, ne vcus déplnisc.
— Vous chantiez! J'en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant.
Jamais morceau plus charmant n'a soulevé
plus de critiques.
Tout à l'heure j'ai nommé Rousseau.
« Quelle horrible leçon pour l'enfance! dit
le phrlo&ophe. Le plu- odieux de tons les
monstres serait un enfant avare et dur, qui
saurait ce^qu'on lui demande et ce qu'il re-
fuse. La 'fourmi fait plus encore : elle lui
apprend à railler dans ses refus !.. »
A prendre le texte de La Fontaine au pied de
la lettre, Rousseau aurait raison. Mais il ap-
partient. au maître de commenter ce texte et
d'en rétablir l'esprit dans sa vérité.
Dans la belle édition illustrée des Fables
publiée par la maison Hachette, Gustave Doré
a symbolisé la fourmi par une grosse fer-
mière de l'Alsace, debout sur le seuil de sa
ferme, au milieu de ses petits enfants. La ci-
gale, une bohémienne, une chanteuse des
chemins, maigre, hâlée, à peine vêtue, sa
guitare en sautoir, implore un abri et un
morceau de pain.
Rien de faux et de désolant comme une
telle interprétation. Eh ! quoi ! une femme,
tfne mère, refuserait l'aumône à une autre
femme et donnerait à ses enfants l'exemple
du refus!...
Oh! que je sais une plus raisonnable glose
de la fable de La Fontaine, et qu'ainsi expli-
quée elle nous apparaîtra plus belle !...
| La cigale, depuis Anacréon, représente la
; poésie. : .
| Eh bien! c'est le poëte que La Fontaine a
mit en scène en y-mettant hrcig&ier —
Du temps de Molière et de La Fontaine, les
écrivains — quelque grands qu'ils fussent —
ne se croyaient pas comme aujourd'hui des de-
mi-dieux. Quand ils soufft'aient,ils ne se plai-
saient pas, comme nous autres, à étaler leurs
souffrances dans leurs livres. Non. Ces esprits
supérieurs, doués de cet admirable sens criti-
que qui est le propre du génie, aimaient à se
juger et à se railler, au lieu de se plaindre.
Voyez Molière amoureux. Sa femme est jeune
et il est vieux. Elle est aimable et il est bourru.
Elle écoate les galants et il en souffre jusqu'à
en mourir. Va-t-il se lamenter tout haut et
sangloter dans ses vers ?... Non. Il se mettra
tour à tour en scène, sous les noms d'Ar-
nolphe et d'Alceste, et il fera rire le public à
ses dépens.
— Ah ! poëte, tu vois tout, tu comprends
tout, et tu es assez bête pour ne pouvoir te
détacher de l'homme qui crier ÔTÎ ion... AifJ(
du moins le mérite de trouver crf homirx1 j"-
dicn'e fit de t'en moquer. Q'iandf hr- rl11r:1:'> bien
rr tout haut, tu rentreras chez foi. et. pos;iHl
tes coudes sur ta table, tu pleure-sas éperdu...
Le bonhomme La Fontaine, lui, n"Ï1-"ëlrt pas
l'humeur larmoyante, mais il l'aval çaotefse
et railleuse. Il ne savait guère compter «t il
dépensait volontiers son fonds avec son
venu. Que de fois. pressé par le besruTt, i! mst
demander place à la table d'un ami ! Que (le
fois il fut sans logis que celui des autreaT Que
de fois aussi il dut faire appel à la bourse d*»s-
millionnaires de son temps!... Le-ô miliitln,
naires, ne sont jamais bien généreux. Tin jour
que le. vieux bohème de Château-Thierry ,
avait éprouvé un refus, il descendit, le
gros, l'escalier du traitant insensible aux
poëtes, et'passa devant le suisse en rêléttant
à peine ses larme6. Mais. quand il fut daaaht
rue, il se prit à songer aux bonnes gens qui
t'aimaient, et son attendrissement tourna ^ity
à l'ironie.
— Bah! se dit-ii, c'est le sort du rirnsop
d'être repoussé par ceux qui manient les éCtlS.
Homère, aveugle, fut accueilli à coups <'&
pierre par les Sa-miens inhospitaliers. Q'm-
conque sent et pense a contre lui le commua
1 des hommes qui ne comprennent ni le senti-
ment ni la pensée. Homère, debout en face-
des flots- retentissants, confiait sa ph\Ïnte ;m.x
brises d'Ionie. Moi, je ne suis qu'un pauvre
fabuliste et je. n'ai pas-le droit de me montrer
indigna. Ponrtarrt je dirai mon mot, et la e-j.-
gale maigre et poétique entendra, au seuil de
mon œuvre, le refus de la grosse fourmi stu-
pide.
De là la fable, il l'appui de laquelle tanS
d'exemples sont venus depuis.
Que de poètes, en effet, incompris, repous-
sés, succombant à l'excès des privations et
des douleurs!...
Que de penseurs aussi!.. Savez-vous quel
est 'le pendant de la Cigale de La Fontaine?..
Ce sont Les Fous de Béranger.
Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous.
Si des rangs sortent quelques hommes.,
Tous nous crions : — A bas les foua!
On les persécute, on les tue;
Sauf, après un lent examen,
A leur dresser une statue
Pour la gloire du genre humain.
LA
FEMME IMMORTELLE
35 PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XXXIV
Maître Guillaume Laurent, le paisible bour-
geois, avait reculé précipitamment, mais il n'a-
vait pas laissé échapper le flambeau qu'il
portait à la main, et il n'avait poussé aucun
cri.
— Ah I coquin, disait le marquis, cette fois
ta parleras.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin»'
-
Guillaume reculait toujours, et il arriva ainsi
dans cette salle où il avait reçu, quelques jours
auparavant, la visite du vieil amoureux.
— Marquis, marquis, dit alors le chevalier de
Castirac, je vois que le bonhomme ne paraît pas
vouloir nous opposer la moindre résistance. Par
conséquent, je ctbis que nous pouvons remettre
l'épée au fourreau.
— Oui ; mais le drôle parlera ! répéta le mar-
! quis.
Guillaume, la sueur au front, hors d'haleine,
s'était adossé au mur, après avoir toutefois placé
son flambeau sur la cheminée.
Le marquis remit l'épée au fourreau, mais, en
même temps, il ferma la porte.
Puis il se planta devant le bourgeois.
— Ça, drôle, dit-il, causons un peu. Tu m'as ;
dit que cette maison t'appartenait?
— Oui, monseigneur. ;
— Depuis plus de vingt ans ?
— Oui, monseigneur,
— Tu as fait le niais avec moi, et tu as pré-
tendu que tu n'avais pas de locataire.
Guillaume ne répondit pao.
— Tu avais même l'air de ti bonne foi, quand
nous visitions les cavas que je suis sorti per-
suadé que tu ne savais absolument rien.
Un sourire glissa alors sur les lèvres de Guil-
laume, qui paraissait se remettre d'un premier
moment d'effroi.
Le marquis continua:
Cependant, au lieu de m'en aller, je suis resté
dans la rue et me suis mis en observation de-
vant ta maison. Peu après, un gentilhomme s'est
présenté, il a mis une clé dans la serrure
et...
— Monseigneur, dit alors Guillaume, il est
inutile que vous alliez plus loin. Je sais le
J reste.
— Bon ! fit le marquis, alors tu sais tout ?
— Tout absolument.
— Et tu parleras?
Guillaume regarda le chevalier de Castirac.
— Ce jeune homme est voire ami sans doute,
fit-il.
— Je m'en vante, dit le Ga!scon. |
— Alors je puis parler devant lui?
— Sans doute.
Le bourgeois parut alors subitement trans-
figuré
Une lueur de sourire lui vint aux lèvres et
son visage niais s'éclaira d'une expression de
finesse; en même temps, il prit une chaise et se
mit à califourchon dessus, sans plus de respect
pour un homme à qui, jusque-là il avait prodi-
gué du monseianeur.
Mais le marquis paraissait si pressé de savoir
qu'il passa sur ce manque de convenances.
— Monsieur le marquis, reprit alors Guil-
laume, un gentilhomme de province aussi riche
que vous ne saurait n'être pas chasseur.
— Après? fit le n;arqurs.
- Qui dit chasseur dit un peu braconnier, et
Votre Seigneurie doit savoir comment on pose
des collets pour le lièvre et le lapin. *•
— Sans doute, je le sais. Mais où veux-tu en
venir?
— Le lièvre et le lapin courent tète baissa:
la bécasse, plus circonspecte, poursuivit Guil-
laume, lève de temps en temps la tête et si.
d'aventure, elle voit un pe:it carreau de papier
blanc attaché à un bâton, elle rebroussa che-
min.
Mais que me chantes-tu donc là, drôle?
- Attendez encore, monseigneur. Le bout
de papier dont je parle a été placé là par ufi
braconnier qui fait fi de la bécasse. et De veut
pas qu'elle se prenne dans le collet qu'il réserve
à un lièvre.
— As-tu bientôt fini de me conter des sor-.
nettes! s'écria le marquis, impatienté.
— J'ai fini, dit Guillaume. Cette maison res,*
semble à un collet, monseigneur
— Boni
| —i Et je suis le morceau île papier blanc.
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