Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-07-09
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 09 juillet 1868 09 juillet 1868
Description : 1868/07/09 (A3,N812). 1868/07/09 (A3,N812).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717814q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
|§ , cent. le Damèro
A BON KEM'E?
Pans a fr. 9 fr. ~ 1 S fr.
Dépctrterty?nts.. fi 1 1 ' ~ 99
Administrateur.: E. ~
.
3me année. — JEUDI 9 JUlUfT 18G8. — N° 812
1
Directeur -Propriétaire : J AN N 1 N.
Rédacteur en chef : A. DE DA',ATntER-BR-A6ELONNE.
. BUREAUX D'ABONNEMENT : », s*5h» Ih'.auo&.
Administration ; 13, ptape ilreda.
PARIS, 8 JUILLET 1868
LA TRAPPE ET LES TRAPPISTES
Un monastère va se fonder dans la Dor-
dogne.
A ce propos, chers lecteurs, j'ai une admi-
, Tabla histoire à vous raconter.'
Dans une vallée du Danphiné. bordée de
roches escarpées et de collines pierreuses, ou-
verte au vent du Nord, aride et pauvrement
douée paria la nature, s'élevait autrefois une
ahba'ye de l'Ordre de Citeaux. Jusqu'au
seiz ème siècle, cette abbaye avait flori. Vin-
relit les guerres de religion. Un chef cahi-
niste, le baron des Adrets, entra dans la
v-aîlée avec ses soldats, dispersa les religieux
Bt détruisit en partie leur demeure. L'abbaye
ne se releva pas de ce coup. En 4789, trois
religieux erraient seuls dans la vaste enceinte,
y menant une vie honnête, oisive, un peu
sauvage.
L'abbaye fut déclarée bien national et ven-
due. Les paysans dut voisinage s'en donnèrent
à cœur joie. Ils Avaient tWfuvé un magasin de
bois et de p errev. 09 enleva tout, jusqu'aux
plombs des toits, jusqu'aux gonds des portes,
jusqu'aux vitres des croisées. Uft garde-fo-
restier s'installa dans un coin dti, logis nu. La
chapelle devint une étable et la!;,,éacristie un
poulailler. En 1815, la dégradation était com-
plète. C'est alors qu'un des anciens religieux,
dom Augustin, vint visiter son monastère et
reconnut « son ami sous les haillons. » Dé-
ÎStrenx de retever l'ordre de Citeaux, i+
risa le Père Marie-Bernard à racheter tous ces
débris et quelques terres du voisinage. Ou
eut toute la vallée pour vingt-deux mille
francs. C'était trop cher encore, car cela ne
rapportait pas un sou.
Le 30 novembre de la même année, le père
Elienn,e quitta le monastère de la Val-Sainte,
près de Fribourg, et s'achemina vers le Dau-
phiné en quêtant le long de la route. Lorsqu'il
arriva au but de son voyage, il trouva instal-
lés un religieux, quatre frères convers et deux
novices. Le vieux moine jeta sur ce petit
groupe d'hommes dp bonne volonté un regard
de général d'armée sur ses soldats. Les vingt-
deux mille francs représentaient trente-cinq
hectares de terre, dont douze labourables, le
reste en prés eten taillis. Un gentilhomme;bien-
faisant, le comte de Broutet, prêta la somme.
père Etienne ont payer 783 francs r l'en-
rig'^ârement, 332 francs aux- hypothèques et
Hjk) francs au notaire. Ce n'était rien et c'était
Jfefttucoup. Car, ce déboursé fait, on e t bien
??de l'a Deine à trouver 30 francs pour acheter
des bêches et 50 francs pour acheter- des mar-
mites. Les mnrmi'es installées, il fallut met-
tre quelque chose dedans.- .
! e trésorier" du couvent fouilla dans les po-
ches de sa l'ob." Il lui restait 4 fr. 50 c.; et l'on
était huit. Bah! on frotta d'oignon,q,nelques
croùtes' de pain, et l'on adressa Une 'suppii-
que au roi Louis XVIII pour lui demander une
forêt. I.e roi refusa. Alors, on se tourna vers
les paysans du voisinage, Ces braves genè .se
firent moins prier. L'un donna de son orge,
les'autres de -leurs pommes de terre. Tous
prêtèrent leurs bras. Ôn cloua des p^ancïfrs
pour remplacer les yitres. On tendit des toiles
pour remplacer les cloisons. En faït de'bancs,
on prit des poutres. Quelques bottes de paille
servirent de lit. Une fLme généreuse envoya
un peu de b!é. On le sema, et, en attendant
la moisson, on vécut d'herbes, de racines et
de glands rôtis.
La fairrirte, dit-on, rend un pays désert.
A la fin dé 1816, les huit religieux étaient
viugt. Ils avaient refait la voûte de leur cha-
pelle et construit un pont. En 1848, ils avaient
une forge, des ateliers de charronnage et de
menuiserie. Les travaux de défrichement
pouvaient commencer. Partout foisonnaient
les piérres On les extirpa. Le sol miné de-
vint productif, il se couvrit de cultures, d'ar-
bres fruitiers et de mûriers. Bientôt !a pros-
péri té remplaça la gêne. Les paysans appri-
rent des religieux à cultiver des , terres
regardées comme stériles et indomptables.
" "Oefa 'iitWlt -ch nsi -jusqu'en ,4. A cette
époque le père Etienne, âgé de quatre-vingt-
dix ans, mais ferme encore, fut é!u abbé par
ses frères. Eu i837, il donna sa démission,
mais il ne s'éteignit qu'en 18 .0. La crosse en
bois revint à don Orcise, qui se trouva, pour
son entrêe en fonctions, en présence d'un
immense désastre. Un effroyable ouragan
vint ravager la vallée. Les ruisseaux se chan-
gèrent en torrents, les montagnes s'écroulè-
rent en avalanches, les ponts furent détruits.
les arbres arrachés, les to ;ts enlevés, les clô-
tures jetées au vent. Quatorze heures de
tempête avaient suffi pour détruire l'œuvre
de vingt-cinq années.
Deux ans suffirent à la refaire.
En 1842, l'abbaye comptait 160 religieux.
Elle commençait une ère de prospérité que
rien n'a interrompue.
Cette histoire, chers lecteurs, est celle ,de
la, Tra,ppe d*Aiguc bel le* , < -
C'e^t le triomphe ''de l'association et du
travail... ;
j ^
L'ordre de la Trappe date du douzième
HècM.
Danb l'origine la fameuse abbaye de la
Trappe— sur les confins de la Normandie,
près de Mortagne, — fut une abbaye comme
toutes les autres. Les abbés étaient de grands
seigneurs, riches, puissants, abusant de leur
puissance et de leur richesse. Mais au dix-
septième siècle, l'abbé de RancA entreprit de
régénérer l'ordre en le rarm'nant à ses pre-
mières coutumes. Il réussit, et, depuis 1663,
l'étroite observance de Citeaux s'est maintenue
sans interruption dans la communauté.
Qui ne connaît la journée d'un trappiste ?
A deux heures du matin les jours ordinai-
res, ^ une heure le dimanche, à minuit les
j01Hsfde fètes, les pères et les frères quittent
le dottoir. Ils se rendent à l'église, où ils
changent et psalmodient l'office nocturne.
Cet office finit à quatre heures. Péndant
l'heure qui lui succède, les religieux disent la
messe, la servent, ou lisent leurs prières.
A cinq heures, ils chantent Prime, ou as-
sistent à la messe de la. communauté dans les
grands jOU1;S. Ou bien ils entrent au chapitre
des coulpes,où chacun s'accuse des fautes ex
térieilres commises contre la règle.
A six heures, travail des mains jusqu'à
neuf. On rentre pouir, chanter Tierce, assister
à la grand'messe et chanter Sexte.
Dînera onze heures et demie. Le repas dure
t} nariMfHmlU1ws. Il «tsuivi de la méndjÊliiil»
c'est-à-dire du repos.
A une heure et demie, on se remet au tra-
vail.
A cinq heures,les Vêpres et un quart d'heure
d'oraison.
A six heures, le souper, suivi d'un repos
d'une demi-heure.
Une lecture en commun sous le cloître, les i
Complies et le Salve; Regina, mènent de sept
à huit heures.
A huit heures, on se couche.
Cette ordonnance est celle de l'été. Elle
subit quelques modifications pendant l'hiver,
surtout au moment du Carême, où l'on ne
fait qu'un repas.
La nourriture est celle des plus pauvres
paysans. Ni viande, ni poisson, ni œufs, ni
beurre. -.
Pans le principe on -ne buvait qufi de Vents;
nnlflIH'll'hl]i, suivant le pays, on distribue aux
religieux un peu de vin, de cidre ou de
bière.
Les. Pères" prient et dirigent leq 1I'UVill! X.
Les Frères, occupes aux taches les- plus pé-
n'hies, sont dispensés de l'office de nuit et
reçoivent, le matin, un peu de soupe ou quel-
ques onces de p,«iin.
Tout ceci n'est rien. Nous vovons «tes
hommes, réunis psr une foi eommuie, éloi-
gnés du monde par une vocation profonde ou
par des chagrins inconsolables, se réunir .
pour prier et pour travailler en commun.
Chacun apporte sa quote-part d'intelligence,
de science ou d'efforts. Ceux qui ont été
avocats sYccupenl du contentieux; eenx qui
ont été médecins soignent les mIJ !:Ides, Les
maçons construisent les murs, hvi artistes
ornent l'église. La. plupart cu'tivert la terre;
car !es Trappes sont surtout des colonies
agricoles...
Mais deux choses particulières à Finsti!u-
tion, deux choses terribles signaler t la Trappe
comme un objet d'admiration et d'elîroi, Ces
deux choses sont le silence et lo renonce-
ment.
— Frère, il faut mourir!....
Tel est le salut que les Trappistes échan-
gent entre eux! En dehors de ce mot qui leur
rappelle le néant des choses humaines, ils në .
se disent rien.
Rien !... Concevez-vous cela? Ceux qui ont
des regrets ou des re.mords ne peuvent les con-
fier à -leur ami. Ceux qui ont une famille ne
peuvent parler de cette famille. Ce besoin
d'épanchement propre à tous les êtres hu-
mains, qui fait jaillir des cœtws à certaines
teures la causerie dans un élan, — ee besoin
doit être comprimé. On ne peut ni pleurer à
deux sur les choses tristes, ni échanger le pro-
pos innocent accompagné d'un sourire qu'a-
mènent les choses gaies.
Se taire! Toujours se taire?... C'est la
règle, et la règle est une loi, et la loi est un
dogme 1...
Quant au renoncement, je sais nue anec-
dote qui vous en dira plus que tous les dis-
cours. „ ♦
Un brave curé des environs de ' Valence
était allé voir un de ses amis, trappiste à Ai-
gnebelle.
Ce dernier, pour une fois, avait obtenu de
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XIX
19
-«'obscurité, nous l'avons dit, régnait dans. la
chambre où se trouvaient le marquis de la Ro-
ehe-Lambert et l'intendant.
Mais, à l'accent sarcastiqua de ce dernier, on
devinait que son visage devait avoir une expres-
lioti infernale.
- —■ Monsieur le marquis, dit-il, la chose n'est
Voir les numéros parus depuis le 21 jtcitj6
[ pas commune, n'est-ce pas ? Un serviteur qui
parle de son maître aussi peu révérencieuse-
ment que moi ?
— En effet, dit le marquis, cela n'est pas
très-fréquent ; mais continuez, de grâce, cher
monsieur Conrad.
. - Je ne veux pourtant pas que vôus me ju-
giez mal, monsieur, et c'est pour cela que je
vais tout de suite vous dire que l'histoire que je
vais vous raconter, je la tiens de mon père.
— Ah!
— Mon père était comme moi au service du
margrave, et il m'a laissé des mémoires.
— Eh bien 1 fit le marquis avec impatience,
voyons les mémoires de monsieur votre père.
— Je.jcommence donc. Mon père et le mar-
grave étaient à peu près du même âge.
Ils arrivèrent ensemble à Paris et comme le
margrave était pauvre comme Job, tout servi-
teur qu'il était, mon père était un peu son
ami.
Ils venaient à Paris, le prince pour revendi-
quer certaine indemnité de guerre qui avait été
stipulée, en faveur de la famille à la suite de la
guerre de trente ans, mais qui n'avait jamais été
payée ; mon père, s'attachant à la mauvaise for-
tune de ce souverain sans souveraineté et espé-
| rant des jours meilleurs. -
[ Au bout de six mois de démarches de toute j
nature, le prince-margrave de Lansbourg-Nas-
sau n'avait encore rien obtenu.
Il avait vu les ministres qui l'avaient renvoyé
au roi et le roi qui l'avait renvoyé à ses minis-
tres.
Les écus devenaient rares dans sa bourse, et
le jour où cette bourse serait complétement sec
était proche.
Mais, un matin, le prince, qui était sorti de
très-bonne heure, revint à la méchante auberge
où il logeait et où on lui avait fait comprendre
qu'on ne pouvait plus le garder, tout rayonnant
de joie et d'espoir, il frappa sur l'épaule de mon
père et lui dit :
— Nous allons devenir riches. <
Mon père crut que la fameuse indemnité de
guerre allait être- payée; mais il n'en était pas
question.
Il s'agissait bien de cela, en vérité! .
Et cependant le prince tira de»son escarcelle
une pile de louis et il paya ee qu'il devait à
l'auberge, à la grande joie et à la courte honte
de l'hôtelier qui lui avait refusé crédit.
Puis il commanda à mon père de réunir leurs
hardes, de fermer leurs valises et de s'apprêter
à partir.
Mon père demanda s'ils quittaient Paris, mais
le margrave ne lui répondit pas. i
Ils attendirent la nui'. <
I Quand le couvre-feu fut sonné , tous deux
quittèrent l'hôtellerie à pied.
Mon père portait les valises sur son dos et le
pri ce ne dédaigna pas de se charger de quelquet
menus paquets.
Ils descendirent aiasi jU&q508 au bord 33e
l'eau. -, j ,
Là, le prince mit deux doigts sur sa bouche kt
fit entendre un coup de sifflet.
Alors une barque se détacha le J:\ tive oppo-
sée, traversa lentement le fleuve et vint aecostar
à leurs p eds.
Cette barque était montée par doux hommes
dont le vidage était couvert d'un loup de velours
noir.
Sans douter qu'ils attendaient le prinee et sam
compagnon, car ils ne dirent pas un mot et aus-
sitôt que ceux-ci furent embarqués, ils poussè-
rent au large. '
Moii père voulut encore demander oû jlg al-
laient ; mais le prince lui imposa silence, et la
barque descendit au fil de l'eau.
Une demi-heùrè après, elle passait tous Je
pont Saint-Michel et venait raser les marailles
grises d'une vieille maison dont les assises plon-
geaient dans le fleuve. ^ ^ .
Alors, elle s'arrêta.
En même temps, une fenêtre qtjl était prett-!.
que au ifiveau de l'eaa s'ouvrit.
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
|§ , cent. le Damèro
A BON KEM'E?
Pans a fr. 9 fr. ~ 1 S fr.
Dépctrterty?nts.. fi 1 1 ' ~ 99
Administrateur.: E. ~
.
3me année. — JEUDI 9 JUlUfT 18G8. — N° 812
1
Directeur -Propriétaire : J AN N 1 N.
Rédacteur en chef : A. DE DA',ATntER-BR-A6ELONNE.
. BUREAUX D'ABONNEMENT : », s*5h» Ih'.auo&.
Administration ; 13, ptape ilreda.
PARIS, 8 JUILLET 1868
LA TRAPPE ET LES TRAPPISTES
Un monastère va se fonder dans la Dor-
dogne.
A ce propos, chers lecteurs, j'ai une admi-
, Tabla histoire à vous raconter.'
Dans une vallée du Danphiné. bordée de
roches escarpées et de collines pierreuses, ou-
verte au vent du Nord, aride et pauvrement
douée paria la nature, s'élevait autrefois une
ahba'ye de l'Ordre de Citeaux. Jusqu'au
seiz ème siècle, cette abbaye avait flori. Vin-
relit les guerres de religion. Un chef cahi-
niste, le baron des Adrets, entra dans la
v-aîlée avec ses soldats, dispersa les religieux
Bt détruisit en partie leur demeure. L'abbaye
ne se releva pas de ce coup. En 4789, trois
religieux erraient seuls dans la vaste enceinte,
y menant une vie honnête, oisive, un peu
sauvage.
L'abbaye fut déclarée bien national et ven-
due. Les paysans dut voisinage s'en donnèrent
à cœur joie. Ils Avaient tWfuvé un magasin de
bois et de p errev. 09 enleva tout, jusqu'aux
plombs des toits, jusqu'aux gonds des portes,
jusqu'aux vitres des croisées. Uft garde-fo-
restier s'installa dans un coin dti, logis nu. La
chapelle devint une étable et la!;,,éacristie un
poulailler. En 1815, la dégradation était com-
plète. C'est alors qu'un des anciens religieux,
dom Augustin, vint visiter son monastère et
reconnut « son ami sous les haillons. » Dé-
ÎStrenx de retever l'ordre de Citeaux, i+
risa le Père Marie-Bernard à racheter tous ces
débris et quelques terres du voisinage. Ou
eut toute la vallée pour vingt-deux mille
francs. C'était trop cher encore, car cela ne
rapportait pas un sou.
Le 30 novembre de la même année, le père
Elienn,e quitta le monastère de la Val-Sainte,
près de Fribourg, et s'achemina vers le Dau-
phiné en quêtant le long de la route. Lorsqu'il
arriva au but de son voyage, il trouva instal-
lés un religieux, quatre frères convers et deux
novices. Le vieux moine jeta sur ce petit
groupe d'hommes dp bonne volonté un regard
de général d'armée sur ses soldats. Les vingt-
deux mille francs représentaient trente-cinq
hectares de terre, dont douze labourables, le
reste en prés eten taillis. Un gentilhomme;bien-
faisant, le comte de Broutet, prêta la somme.
père Etienne ont payer 783 francs r l'en-
rig'^ârement, 332 francs aux- hypothèques et
Hjk) francs au notaire. Ce n'était rien et c'était
Jfefttucoup. Car, ce déboursé fait, on e t bien
??de l'a Deine à trouver 30 francs pour acheter
des bêches et 50 francs pour acheter- des mar-
mites. Les mnrmi'es installées, il fallut met-
tre quelque chose dedans.- .
! e trésorier" du couvent fouilla dans les po-
ches de sa l'ob." Il lui restait 4 fr. 50 c.; et l'on
était huit. Bah! on frotta d'oignon,q,nelques
croùtes' de pain, et l'on adressa Une 'suppii-
que au roi Louis XVIII pour lui demander une
forêt. I.e roi refusa. Alors, on se tourna vers
les paysans du voisinage, Ces braves genè .se
firent moins prier. L'un donna de son orge,
les'autres de -leurs pommes de terre. Tous
prêtèrent leurs bras. Ôn cloua des p^ancïfrs
pour remplacer les yitres. On tendit des toiles
pour remplacer les cloisons. En faït de'bancs,
on prit des poutres. Quelques bottes de paille
servirent de lit. Une fLme généreuse envoya
un peu de b!é. On le sema, et, en attendant
la moisson, on vécut d'herbes, de racines et
de glands rôtis.
La fairrirte, dit-on, rend un pays désert.
A la fin dé 1816, les huit religieux étaient
viugt. Ils avaient refait la voûte de leur cha-
pelle et construit un pont. En 1848, ils avaient
une forge, des ateliers de charronnage et de
menuiserie. Les travaux de défrichement
pouvaient commencer. Partout foisonnaient
les piérres On les extirpa. Le sol miné de-
vint productif, il se couvrit de cultures, d'ar-
bres fruitiers et de mûriers. Bientôt !a pros-
péri té remplaça la gêne. Les paysans appri-
rent des religieux à cultiver des , terres
regardées comme stériles et indomptables.
" "Oefa 'iitWlt -ch nsi -jusqu'en ,4. A cette
époque le père Etienne, âgé de quatre-vingt-
dix ans, mais ferme encore, fut é!u abbé par
ses frères. Eu i837, il donna sa démission,
mais il ne s'éteignit qu'en 18 .0. La crosse en
bois revint à don Orcise, qui se trouva, pour
son entrêe en fonctions, en présence d'un
immense désastre. Un effroyable ouragan
vint ravager la vallée. Les ruisseaux se chan-
gèrent en torrents, les montagnes s'écroulè-
rent en avalanches, les ponts furent détruits.
les arbres arrachés, les to ;ts enlevés, les clô-
tures jetées au vent. Quatorze heures de
tempête avaient suffi pour détruire l'œuvre
de vingt-cinq années.
Deux ans suffirent à la refaire.
En 1842, l'abbaye comptait 160 religieux.
Elle commençait une ère de prospérité que
rien n'a interrompue.
Cette histoire, chers lecteurs, est celle ,de
la, Tra,ppe d*Aiguc bel le* , < -
C'e^t le triomphe ''de l'association et du
travail... ;
j ^
L'ordre de la Trappe date du douzième
HècM.
Danb l'origine la fameuse abbaye de la
Trappe— sur les confins de la Normandie,
près de Mortagne, — fut une abbaye comme
toutes les autres. Les abbés étaient de grands
seigneurs, riches, puissants, abusant de leur
puissance et de leur richesse. Mais au dix-
septième siècle, l'abbé de RancA entreprit de
régénérer l'ordre en le rarm'nant à ses pre-
mières coutumes. Il réussit, et, depuis 1663,
l'étroite observance de Citeaux s'est maintenue
sans interruption dans la communauté.
Qui ne connaît la journée d'un trappiste ?
A deux heures du matin les jours ordinai-
res, ^ une heure le dimanche, à minuit les
j01Hsfde fètes, les pères et les frères quittent
le dottoir. Ils se rendent à l'église, où ils
changent et psalmodient l'office nocturne.
Cet office finit à quatre heures. Péndant
l'heure qui lui succède, les religieux disent la
messe, la servent, ou lisent leurs prières.
A cinq heures, ils chantent Prime, ou as-
sistent à la messe de la. communauté dans les
grands jOU1;S. Ou bien ils entrent au chapitre
des coulpes,où chacun s'accuse des fautes ex
térieilres commises contre la règle.
A six heures, travail des mains jusqu'à
neuf. On rentre pouir, chanter Tierce, assister
à la grand'messe et chanter Sexte.
Dînera onze heures et demie. Le repas dure
t} nariMfHmlU1ws. Il «tsuivi de la méndjÊliiil»
c'est-à-dire du repos.
A une heure et demie, on se remet au tra-
vail.
A cinq heures,les Vêpres et un quart d'heure
d'oraison.
A six heures, le souper, suivi d'un repos
d'une demi-heure.
Une lecture en commun sous le cloître, les i
Complies et le Salve; Regina, mènent de sept
à huit heures.
A huit heures, on se couche.
Cette ordonnance est celle de l'été. Elle
subit quelques modifications pendant l'hiver,
surtout au moment du Carême, où l'on ne
fait qu'un repas.
La nourriture est celle des plus pauvres
paysans. Ni viande, ni poisson, ni œufs, ni
beurre. -.
Pans le principe on -ne buvait qufi de Vents;
nnlflIH'll'hl]i, suivant le pays, on distribue aux
religieux un peu de vin, de cidre ou de
bière.
Les. Pères" prient et dirigent leq 1I'UVill! X.
Les Frères, occupes aux taches les- plus pé-
n'hies, sont dispensés de l'office de nuit et
reçoivent, le matin, un peu de soupe ou quel-
ques onces de p,«iin.
Tout ceci n'est rien. Nous vovons «tes
hommes, réunis psr une foi eommuie, éloi-
gnés du monde par une vocation profonde ou
par des chagrins inconsolables, se réunir .
pour prier et pour travailler en commun.
Chacun apporte sa quote-part d'intelligence,
de science ou d'efforts. Ceux qui ont été
avocats sYccupenl du contentieux; eenx qui
ont été médecins soignent les mIJ !:Ides, Les
maçons construisent les murs, hvi artistes
ornent l'église. La. plupart cu'tivert la terre;
car !es Trappes sont surtout des colonies
agricoles...
Mais deux choses particulières à Finsti!u-
tion, deux choses terribles signaler t la Trappe
comme un objet d'admiration et d'elîroi, Ces
deux choses sont le silence et lo renonce-
ment.
— Frère, il faut mourir!....
Tel est le salut que les Trappistes échan-
gent entre eux! En dehors de ce mot qui leur
rappelle le néant des choses humaines, ils në .
se disent rien.
Rien !... Concevez-vous cela? Ceux qui ont
des regrets ou des re.mords ne peuvent les con-
fier à -leur ami. Ceux qui ont une famille ne
peuvent parler de cette famille. Ce besoin
d'épanchement propre à tous les êtres hu-
mains, qui fait jaillir des cœtws à certaines
teures la causerie dans un élan, — ee besoin
doit être comprimé. On ne peut ni pleurer à
deux sur les choses tristes, ni échanger le pro-
pos innocent accompagné d'un sourire qu'a-
mènent les choses gaies.
Se taire! Toujours se taire?... C'est la
règle, et la règle est une loi, et la loi est un
dogme 1...
Quant au renoncement, je sais nue anec-
dote qui vous en dira plus que tous les dis-
cours. „ ♦
Un brave curé des environs de ' Valence
était allé voir un de ses amis, trappiste à Ai-
gnebelle.
Ce dernier, pour une fois, avait obtenu de
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XIX
19
-«'obscurité, nous l'avons dit, régnait dans. la
chambre où se trouvaient le marquis de la Ro-
ehe-Lambert et l'intendant.
Mais, à l'accent sarcastiqua de ce dernier, on
devinait que son visage devait avoir une expres-
lioti infernale.
- —■ Monsieur le marquis, dit-il, la chose n'est
Voir les numéros parus depuis le 21 jtcitj6
[ pas commune, n'est-ce pas ? Un serviteur qui
parle de son maître aussi peu révérencieuse-
ment que moi ?
— En effet, dit le marquis, cela n'est pas
très-fréquent ; mais continuez, de grâce, cher
monsieur Conrad.
. - Je ne veux pourtant pas que vôus me ju-
giez mal, monsieur, et c'est pour cela que je
vais tout de suite vous dire que l'histoire que je
vais vous raconter, je la tiens de mon père.
— Ah!
— Mon père était comme moi au service du
margrave, et il m'a laissé des mémoires.
— Eh bien 1 fit le marquis avec impatience,
voyons les mémoires de monsieur votre père.
— Je.jcommence donc. Mon père et le mar-
grave étaient à peu près du même âge.
Ils arrivèrent ensemble à Paris et comme le
margrave était pauvre comme Job, tout servi-
teur qu'il était, mon père était un peu son
ami.
Ils venaient à Paris, le prince pour revendi-
quer certaine indemnité de guerre qui avait été
stipulée, en faveur de la famille à la suite de la
guerre de trente ans, mais qui n'avait jamais été
payée ; mon père, s'attachant à la mauvaise for-
tune de ce souverain sans souveraineté et espé-
| rant des jours meilleurs. -
[ Au bout de six mois de démarches de toute j
nature, le prince-margrave de Lansbourg-Nas-
sau n'avait encore rien obtenu.
Il avait vu les ministres qui l'avaient renvoyé
au roi et le roi qui l'avait renvoyé à ses minis-
tres.
Les écus devenaient rares dans sa bourse, et
le jour où cette bourse serait complétement sec
était proche.
Mais, un matin, le prince, qui était sorti de
très-bonne heure, revint à la méchante auberge
où il logeait et où on lui avait fait comprendre
qu'on ne pouvait plus le garder, tout rayonnant
de joie et d'espoir, il frappa sur l'épaule de mon
père et lui dit :
— Nous allons devenir riches. <
Mon père crut que la fameuse indemnité de
guerre allait être- payée; mais il n'en était pas
question.
Il s'agissait bien de cela, en vérité! .
Et cependant le prince tira de»son escarcelle
une pile de louis et il paya ee qu'il devait à
l'auberge, à la grande joie et à la courte honte
de l'hôtelier qui lui avait refusé crédit.
Puis il commanda à mon père de réunir leurs
hardes, de fermer leurs valises et de s'apprêter
à partir.
Mon père demanda s'ils quittaient Paris, mais
le margrave ne lui répondit pas. i
Ils attendirent la nui'. <
I Quand le couvre-feu fut sonné , tous deux
quittèrent l'hôtellerie à pied.
Mon père portait les valises sur son dos et le
pri ce ne dédaigna pas de se charger de quelquet
menus paquets.
Ils descendirent aiasi jU&q508 au bord 33e
l'eau. -, j ,
Là, le prince mit deux doigts sur sa bouche kt
fit entendre un coup de sifflet.
Alors une barque se détacha le J:\ tive oppo-
sée, traversa lentement le fleuve et vint aecostar
à leurs p eds.
Cette barque était montée par doux hommes
dont le vidage était couvert d'un loup de velours
noir.
Sans douter qu'ils attendaient le prinee et sam
compagnon, car ils ne dirent pas un mot et aus-
sitôt que ceux-ci furent embarqués, ils poussè-
rent au large. '
Moii père voulut encore demander oû jlg al-
laient ; mais le prince lui imposa silence, et la
barque descendit au fil de l'eau.
Une demi-heùrè après, elle passait tous Je
pont Saint-Michel et venait raser les marailles
grises d'une vieille maison dont les assises plon-
geaient dans le fleuve. ^ ^ .
Alors, elle s'arrêta.
En même temps, une fenêtre qtjl était prett-!.
que au ifiveau de l'eaa s'ouvrit.
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