Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-07-04
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 04 juillet 1868 04 juillet 1868
Description : 1868/07/04 (A3,N807). 1868/07/04 (A3,N807).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717809d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QiTOTIDIEI^
S cent le numéro
5 ccn!. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris a fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. <5 il 29
Administrateur: E. DELSAUX.
i
3rno année. — SAMEDI 4 JUILLET 1868. —JV° 8û7
Directe-ur- Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATIIIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9. rime Drouot.
ADMINISTRATIF : 13, place Breda.
PARIS, 3 JUILLET 1868
LES PRÉFACES DE M. ALEXANDRE DUMAS FILS
HEUREUX ET BON !...
La librairie Michel Lévy méfnujonrd'hui
en vente le deuxième volume dttKtMâtré'COjtâ^
plet de M. A. Dumas fils.
L'auteur, dans cette nouvelle édition, a
fait précéder chaque pièc-e d'une préface iné-
dite. La poétique succède aux poëmes. Res-
pectueux envers lui-même, M. Dumas s'adresse
au public, lui expose ses idées et lui raconte
sa vie, en ayant soin d'ajouter que si la so-
:iëté applique ses idées, elle sera sauvée, et
jue si ses lecteurs suivent son exemple, ils
:eront heureux.
« Je suis heureux et bon, * dit-il en tête
lu premier volume de son Théâtre, et, dans
e courant du second, s'adressant à son ami
Charles Marchai : « Te souviens-tu de ton
premier mot chaque fois que tu rouvrais ma
porte : — Es-tü toujours complétement heu-
reux?... Et de ma réponse toujours la même:
— Complétement... »
Heureux et bon.
Dans notre époque troublée, où la fièvre ést
:e partage des uns et la mélancolie celui des
autres, il s'est trouvé un homme qui a osé
écrire ces mots en parlant de lui-même !...
— Qu'cst. ce'donc qu'être heureux?
— Qu'est-ce donc qu'être bon ?
Le bonheur consiste évidemment dans la
satisfaction des désirs. — J'ai vingt ans, je
?uis commis dans un magasin; je voudrais
épouser la fille de mon patron et devenir pa-
tron à mon tour. Je travaille pour atteindre
ce double but. L'espoir me fait supporter la
fatigue. Enfin, le père me donne sa fille, et le
commerçant me cède son fonds. Je suis heu-
reux... ,
La bonté consiste à se réjouir de tout ce qui
arrive de bien aux autres et à souffrir de
:ont ce qui leur arrive de mal. Si l'on est bon,
on peut donc avoir des moments de joie in-
Unie. Mais, comme dans ce monde la somme
du mal l'emporte sur celle du bien, on aura
également des heures de profonde tristesse.
On ne sera donc pas complétement heureux.
Que l'épicier, — renfermé dans le cercle
étroit d'une boutique, n'aimant que soi, ou
restreignant ses affections à sa famille, mais
confiné dans ce double égoïsme et indifférent
Îtout le reste de la nature et de l'humanité,
- que cet épicier, rond, rouge, épanoui,
oise ses bras sur sa poitrine, comme Napo-
on, et dise : — Je suis heureux !... Je le lui
pardonne, car chez lui le caractère et la des-
tinée sont en rapport exact.
Mais, qu'un poëte parle ainsi de même, je
ne le comprendrai jamais !...
Vous aimez une femme, — un moment
vient où vous en êtes aimé, où tout en vous et
autour de vous est au même diapason mer-
veilleux, où le même battement fait sauter
vos cœurs, où le même élan emporte vos
âmes, où le même feu divin circule dans vos
veines... L'extase vous ravit... Vous avez tout
oublié, et pourtant vous avez conscience de
votre allégresse. Vous ne dites pas : — Je suis
heureux! Vous l'êtes, et vous le traduisez par
un cri qui n'est pas un mot !..
Auriez-vous, monsieur, trouvé le moyen
de prolonger cet état au-delà de dix minutes?
Croyez-vous que les extases se renouvellent
comme les flots de la mer? Pouvez-vous les
tirer de votre cœur comme on tire une taba-
tière de sa poche? Alors vous êtes heureux.
Don Juan, Byron et Musset ne l'étaient
pas.
Vos préfaces dénotent une préoccupation
sociale que l'on ne saurait trop louer. Vous
vous occupez du sort des femmes sans for-
tune et de celui des enfants sans père. C'est
bien. Mais vous n'avez pas à coup sûr la pré-
tention de croire que vos livres seront immé-
diatement convertis en lois. En attendant, les
douleurs que vous dépeignez si bien conti-
nueront à torturer des milliers et des milliers
d'êtres; les injustices contre lesquelles vous
vous élevez si éloquemment continueront à
en frapper des mil!iers et des milliers d'au-
tres. Est-ce que, vous faisant une cuirasse
de préfaces, vous demeurerez désormais in-
sensible aux coups du malheur d'autrui ?
— J'ai payé ma dette la plume à la main,
direz-vous peut-être, je suis quitte.
Quitte ! Alors vous ressembleriez au ban-
quier qui inscrit chaque hiver sur ses livres :
« Tant de bons de pain pour les pauvres. » Ce
banquier paye sa dette à la charité. Il n'est
pas charitable.
Vous ne seriez pas bon !...
Voilà pour l'homme. j
A l'écrivain maintenant.
Au sommet de l'art dramatique se tiennent
r,es créateurs de génie, Molière, Goethe, Sha-
kespeare, qui ont pris une passion, un senti-
ment, une idée, et qui l'ont incarné dans un
type vivant : l'hypocrisie dans Tartufe par
exemple, l'ambition dans Macbeth, l'amour
dans Roméo et Juliette, le premier amour
d4us Marguerite...
"Après eux viennent ces poëtes, grands en-
core, quoique moins grands, Corneille, Ra-
cine, Voltaire, qui se sont appliqués à ressus-
citer des événements et des hommes,en conser-
vant aux uns leur vérité, aux autres leurs
caractères.
Je passe sur quelques exceptions contem-
PQraines, Victor Hugo et votre père, qui ont
marché sur la route dé Shakespeare, Ponsard,
qui a suivi celle de Corneille... et j'arrive à un
troisième groupe où se révèle l'originalité du
théâtre d'aujourd'hui.
Je parle de ces observateurs bien doués qui
ont étudié les mœurs et les hommes de leur
temps, mais auxquels le génie a manqué pour
résumer en quelques grandes figures littérai-
res la société qu'ils ont voulu peindre. —
Gens épris du détail, de l'épisode, de l'excep-
tion et des jolis mots, Balzacs réduits par le
procédé Colas, ils passent leur vie à faire des
Meissonnier. Mais ils en font d'excellents. 1
C'est au premier rang de ceux-là, monsieur, |
que je trouve votre nom, côte à côte avec les
noms de MM. Emile Augier, Octave Feuillet,
Théodore Barrière...
Vous représentez tous pour moi le tiers-état
fi théâtre. Vous ne prenez pas l'humanité de
ut, dans son ensemble et dans les grands
types qui la résument. Mais, du seuil de votre
maison, en fumant vôtre cigare, vous saisis-
sez bien la physionomie des gens qui passent.
Parfois même, la fumée forme un petit brouil-
lard, et vous voyez poétique à ce moment-là.
Vous avez vos spécialités. La bourgeoisie
du turf et des châteaux revient à M. Feuillet,
celle de l'étude et du palais à M. Augier; celle
des coulisses et de l'atelier vous appartient
par droit de conquête. M. Barrière, moins
spécialiste, se laisse démoder... Celui-là ce-
pendant a eu des coups d'ailes...
Eh bien ! monsieur, est-ce qu'à de certains
jours, le surlendemain d'un grand succès par
exemple, vous ne vous laissez pas aller à un
abattement profond, en pensant à Shakes- i
peare ou à Molière? Est-ce que vous ne vouî
dites pas : — Combien ce qu'on applaudit,
combien ce qu'on acclame est loin d'eux !...
Vous devez vousle dire, ayant un gitnd ts*
lent; — et alors, ô poëte, vous devez souffrir,
car il n'est pas de tourment plus effroyable •
que de sentir ce qui est grand et de ne pou-
voir JI atteindre, comme disait Montaigne.
Et si Shakespeare et Molière n'existaient
pas, est-ce que vous n'auriez pas à leur place
votre propre conscience? Est-ce que, quand
vous avez conçu, l'exécution arrive jamais a
la hauteur de l'idée?....
Heureux !... Les écrivains comme vous ne •
le sont pas.Je les défie de l'être ! Car l'œuvre,
chez eux, quelque achevée qu'elle soit, reste
inférieure à la pensée....
Les privilégiés, dans la littérature et dans
les arts, sont les hommes de génie, et les sots,
— deux espèces qui produisent une œuvre
comme un pommier produit des pommes, et
qui s'adorent dans leur verger.
Hors de là, pas de salut. On se démène ou
l'on s'assied suivant son tempérament, mais
on souffre.
Vous vous démeniez autrefois. Vous vous
êtes assis.
Croyez-moi, monsieur, la bonté ne dépend
ni du bonheur, ni du malheur, mais d'uns
disposition naturelle propre aux âmes d'élite.
Donc, en admettant que vous soyiez bon. vous
ne l'êtes pas parce que vous êtes heun'ux.
Quant au bonheur, il n'est ni permanent,
ni périodique. On ne le trouve ni au prin-
temps comme les fraises, ni en automne
comme,les raisins, ni en tout temps comme
les mauvais livres. Non, c'est une fleur rare,
située sur une Alpe, qu'on ne cueille qu'au
prix d'titi long et dur voyage et qui se fane
presqu'aussitôt qu'on l'a détachée...
Heureux et bon !..
Vous ne demeurez pas sur le Mont-Bk-nc!
TONY RÉVILLON.
LA CUEILLETTE
J'ai là, sous les yeux, un petit livre tout à fait
en situation. Il est intitule : La Rage; moyens de la
prévenir, et il a pour auteur un de nos plus vail-
lants confrères de la presse populaire, M. E. Mu-
raour. Je vote à M. Muraour une muselière d'hon-
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
14
XV
devenons un peu en arrière, maintenant, et
suivons le marquis de la Roche-Lambert quittant
le Palais-Royal.
De même qu'il y a des volcans couronnés de
neige, il est des vieillards qui ont gardé sous
leurs cheveux blancs toute la fougue, toutes les
ardeurs de la jeunesse.
Tel était le marquis de la Roche-Lambert.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
Après une jeunesse orageuse passée à la cour
du grand roi, le marquis s'était retiré en pro-
vince.
Une jeune femme qu'il avait beaucoup aimée,
une grande fortune, lui avaient fait oublier pen-
dant un certain temps Paris et Versailles.
Mais, un matin, le patriarche s'était éveillé
veuf, avec des fils mariés et vivant loin de
lui.
Alors le jeune homme avait reparu dans le-
vieillard, et il s'était dit :
— Mes fils n'ont pas besoin de moi ; je suis
vert encore, j'ai pour le moins vingt ans de vie:
allons nous amuser un peu à la cour.
Comment Dubois, ce laquais devenu cardinal,
était-il le parent du noble marquis de la Roche-
Lambert?
C'était incompréhensible à première vue ;
mais, en cherchant bien, on trouvait que le père
dudit Dubois avait épousé une demoiselle aussi
pauvre que noble et qui était petite cousine du
marquis.
Ce dernier, qui avait longtemps fait fi d'une
semblable parenté, s'en était souvenu lors de ce
retour de jeunesse inattendu.
Dubois était cardinal, premier ministre, ami
du Régent, et le marquis s'était dit :
— Voilà un homme qui semble fait tout ex-
près pour m'appeler son cousin^
Donc le marquis était venu à Paris; il avait vu
Dubois, il lui avait ouvert sa bourse, et, Du-
bois qui était toujours endetté avait accepté
sans scrupule.
Voilà comment le marquis de la Roche-Lam-
bert s'était trouvé l'un des commensaux du Ré-
gent cette nuit-là.
On sait le reste de l'aventure.
Le marquis s'était enivré de ses propres sou-
venirs, puis, avec cet amour-propre que les
vieillards partagent avec les enfants, il avait
tenu à prouver au Régent que tout ce qu'il avait
avancé était parfaitement vrai et que le chevalier
d'Esparron était l'amant d'une femme vampire,
d'une goule, comme on disait alors.
Car, à cette époque, le vampirisme avait déjà ^
joué un grand rôle.
Les gens qui s'abreuvaient de sang humain
n'étaient pas des êtres de pure invention, si on
en croyait tous les bruits de la ville et de la
cour, et on citait même un prince du sang qui
ne devait sa beauté et sa vigueur qu'à des bains
tièdes mélangés de sang de taureau et de sang
humain.
Les princes aussi jouaient un rôle , en dépit
du scepticisme qui régnait à la cour.
Il n'y avait pas un quartier de Paris qui ne
renfermât deux ou trois alchimistes essayant de
faire de l'or, et pour le moins une sibylle aui
voyait l'avenir à travers une carafe ou dans un
reste de marc de café.
Cela explique donc le succès qu'avait eu le
récit du marquis, succès encore augmenté pai
l'arrivée du chevalier d'Esparron.
Mais le triomphe même avait eu pour le vieil-
lard des suites funestes.
Après avoir endormi le chevalier, après avoir
mis son cou à nu et montré la piqûre du vam-
pire, le marquis avait pris le médaillon et l'avait
montré au Régent.
Ce médaillon représentait cette créature idéale
de beauté que le marquis accusait de s'être
gorgée de sang humain, qu'on avait brûlée, il
y avait quarante ans, et qui, cependant,ressusci-
tée de ses cendres, était tdujours jeune et tou-
jours belle. '
Et le marquis, en contemplant ce médaillon,
avait senti comme une tempête d'amour monter
de son coeur à son cerveau, et il s'était dit, CIl
descendant ce petit escalier dans lequel monsei-
gneur Philippe d'Orléans l'avait poussé :
— Il faut que je la retrouve, il faut que je la
revoie... et, si elle veut, je l'épouserai.
Il s'en allait donc, la tête brûlante, les yeux
enflammés, son vieux cœur bondissant dans sa
poitrine, et il se disait, tout en longeant la r»,
Saint-Honore «
JOURNAL QiTOTIDIEI^
S cent le numéro
5 ccn!. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris a fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. <5 il 29
Administrateur: E. DELSAUX.
i
3rno année. — SAMEDI 4 JUILLET 1868. —JV° 8û7
Directe-ur- Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATIIIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9. rime Drouot.
ADMINISTRATIF : 13, place Breda.
PARIS, 3 JUILLET 1868
LES PRÉFACES DE M. ALEXANDRE DUMAS FILS
HEUREUX ET BON !...
La librairie Michel Lévy méfnujonrd'hui
en vente le deuxième volume dttKtMâtré'COjtâ^
plet de M. A. Dumas fils.
L'auteur, dans cette nouvelle édition, a
fait précéder chaque pièc-e d'une préface iné-
dite. La poétique succède aux poëmes. Res-
pectueux envers lui-même, M. Dumas s'adresse
au public, lui expose ses idées et lui raconte
sa vie, en ayant soin d'ajouter que si la so-
:iëté applique ses idées, elle sera sauvée, et
jue si ses lecteurs suivent son exemple, ils
:eront heureux.
« Je suis heureux et bon, * dit-il en tête
lu premier volume de son Théâtre, et, dans
e courant du second, s'adressant à son ami
Charles Marchai : « Te souviens-tu de ton
premier mot chaque fois que tu rouvrais ma
porte : — Es-tü toujours complétement heu-
reux?... Et de ma réponse toujours la même:
— Complétement... »
Heureux et bon.
Dans notre époque troublée, où la fièvre ést
:e partage des uns et la mélancolie celui des
autres, il s'est trouvé un homme qui a osé
écrire ces mots en parlant de lui-même !...
— Qu'cst. ce'donc qu'être heureux?
— Qu'est-ce donc qu'être bon ?
Le bonheur consiste évidemment dans la
satisfaction des désirs. — J'ai vingt ans, je
?uis commis dans un magasin; je voudrais
épouser la fille de mon patron et devenir pa-
tron à mon tour. Je travaille pour atteindre
ce double but. L'espoir me fait supporter la
fatigue. Enfin, le père me donne sa fille, et le
commerçant me cède son fonds. Je suis heu-
reux... ,
La bonté consiste à se réjouir de tout ce qui
arrive de bien aux autres et à souffrir de
:ont ce qui leur arrive de mal. Si l'on est bon,
on peut donc avoir des moments de joie in-
Unie. Mais, comme dans ce monde la somme
du mal l'emporte sur celle du bien, on aura
également des heures de profonde tristesse.
On ne sera donc pas complétement heureux.
Que l'épicier, — renfermé dans le cercle
étroit d'une boutique, n'aimant que soi, ou
restreignant ses affections à sa famille, mais
confiné dans ce double égoïsme et indifférent
Îtout le reste de la nature et de l'humanité,
- que cet épicier, rond, rouge, épanoui,
oise ses bras sur sa poitrine, comme Napo-
on, et dise : — Je suis heureux !... Je le lui
pardonne, car chez lui le caractère et la des-
tinée sont en rapport exact.
Mais, qu'un poëte parle ainsi de même, je
ne le comprendrai jamais !...
Vous aimez une femme, — un moment
vient où vous en êtes aimé, où tout en vous et
autour de vous est au même diapason mer-
veilleux, où le même battement fait sauter
vos cœurs, où le même élan emporte vos
âmes, où le même feu divin circule dans vos
veines... L'extase vous ravit... Vous avez tout
oublié, et pourtant vous avez conscience de
votre allégresse. Vous ne dites pas : — Je suis
heureux! Vous l'êtes, et vous le traduisez par
un cri qui n'est pas un mot !..
Auriez-vous, monsieur, trouvé le moyen
de prolonger cet état au-delà de dix minutes?
Croyez-vous que les extases se renouvellent
comme les flots de la mer? Pouvez-vous les
tirer de votre cœur comme on tire une taba-
tière de sa poche? Alors vous êtes heureux.
Don Juan, Byron et Musset ne l'étaient
pas.
Vos préfaces dénotent une préoccupation
sociale que l'on ne saurait trop louer. Vous
vous occupez du sort des femmes sans for-
tune et de celui des enfants sans père. C'est
bien. Mais vous n'avez pas à coup sûr la pré-
tention de croire que vos livres seront immé-
diatement convertis en lois. En attendant, les
douleurs que vous dépeignez si bien conti-
nueront à torturer des milliers et des milliers
d'êtres; les injustices contre lesquelles vous
vous élevez si éloquemment continueront à
en frapper des mil!iers et des milliers d'au-
tres. Est-ce que, vous faisant une cuirasse
de préfaces, vous demeurerez désormais in-
sensible aux coups du malheur d'autrui ?
— J'ai payé ma dette la plume à la main,
direz-vous peut-être, je suis quitte.
Quitte ! Alors vous ressembleriez au ban-
quier qui inscrit chaque hiver sur ses livres :
« Tant de bons de pain pour les pauvres. » Ce
banquier paye sa dette à la charité. Il n'est
pas charitable.
Vous ne seriez pas bon !...
Voilà pour l'homme. j
A l'écrivain maintenant.
Au sommet de l'art dramatique se tiennent
r,es créateurs de génie, Molière, Goethe, Sha-
kespeare, qui ont pris une passion, un senti-
ment, une idée, et qui l'ont incarné dans un
type vivant : l'hypocrisie dans Tartufe par
exemple, l'ambition dans Macbeth, l'amour
dans Roméo et Juliette, le premier amour
d4us Marguerite...
"Après eux viennent ces poëtes, grands en-
core, quoique moins grands, Corneille, Ra-
cine, Voltaire, qui se sont appliqués à ressus-
citer des événements et des hommes,en conser-
vant aux uns leur vérité, aux autres leurs
caractères.
Je passe sur quelques exceptions contem-
PQraines, Victor Hugo et votre père, qui ont
marché sur la route dé Shakespeare, Ponsard,
qui a suivi celle de Corneille... et j'arrive à un
troisième groupe où se révèle l'originalité du
théâtre d'aujourd'hui.
Je parle de ces observateurs bien doués qui
ont étudié les mœurs et les hommes de leur
temps, mais auxquels le génie a manqué pour
résumer en quelques grandes figures littérai-
res la société qu'ils ont voulu peindre. —
Gens épris du détail, de l'épisode, de l'excep-
tion et des jolis mots, Balzacs réduits par le
procédé Colas, ils passent leur vie à faire des
Meissonnier. Mais ils en font d'excellents. 1
C'est au premier rang de ceux-là, monsieur, |
que je trouve votre nom, côte à côte avec les
noms de MM. Emile Augier, Octave Feuillet,
Théodore Barrière...
Vous représentez tous pour moi le tiers-état
fi théâtre. Vous ne prenez pas l'humanité de
ut, dans son ensemble et dans les grands
types qui la résument. Mais, du seuil de votre
maison, en fumant vôtre cigare, vous saisis-
sez bien la physionomie des gens qui passent.
Parfois même, la fumée forme un petit brouil-
lard, et vous voyez poétique à ce moment-là.
Vous avez vos spécialités. La bourgeoisie
du turf et des châteaux revient à M. Feuillet,
celle de l'étude et du palais à M. Augier; celle
des coulisses et de l'atelier vous appartient
par droit de conquête. M. Barrière, moins
spécialiste, se laisse démoder... Celui-là ce-
pendant a eu des coups d'ailes...
Eh bien ! monsieur, est-ce qu'à de certains
jours, le surlendemain d'un grand succès par
exemple, vous ne vous laissez pas aller à un
abattement profond, en pensant à Shakes- i
peare ou à Molière? Est-ce que vous ne vouî
dites pas : — Combien ce qu'on applaudit,
combien ce qu'on acclame est loin d'eux !...
Vous devez vousle dire, ayant un gitnd ts*
lent; — et alors, ô poëte, vous devez souffrir,
car il n'est pas de tourment plus effroyable •
que de sentir ce qui est grand et de ne pou-
voir JI atteindre, comme disait Montaigne.
Et si Shakespeare et Molière n'existaient
pas, est-ce que vous n'auriez pas à leur place
votre propre conscience? Est-ce que, quand
vous avez conçu, l'exécution arrive jamais a
la hauteur de l'idée?....
Heureux !... Les écrivains comme vous ne •
le sont pas.Je les défie de l'être ! Car l'œuvre,
chez eux, quelque achevée qu'elle soit, reste
inférieure à la pensée....
Les privilégiés, dans la littérature et dans
les arts, sont les hommes de génie, et les sots,
— deux espèces qui produisent une œuvre
comme un pommier produit des pommes, et
qui s'adorent dans leur verger.
Hors de là, pas de salut. On se démène ou
l'on s'assied suivant son tempérament, mais
on souffre.
Vous vous démeniez autrefois. Vous vous
êtes assis.
Croyez-moi, monsieur, la bonté ne dépend
ni du bonheur, ni du malheur, mais d'uns
disposition naturelle propre aux âmes d'élite.
Donc, en admettant que vous soyiez bon. vous
ne l'êtes pas parce que vous êtes heun'ux.
Quant au bonheur, il n'est ni permanent,
ni périodique. On ne le trouve ni au prin-
temps comme les fraises, ni en automne
comme,les raisins, ni en tout temps comme
les mauvais livres. Non, c'est une fleur rare,
située sur une Alpe, qu'on ne cueille qu'au
prix d'titi long et dur voyage et qui se fane
presqu'aussitôt qu'on l'a détachée...
Heureux et bon !..
Vous ne demeurez pas sur le Mont-Bk-nc!
TONY RÉVILLON.
LA CUEILLETTE
J'ai là, sous les yeux, un petit livre tout à fait
en situation. Il est intitule : La Rage; moyens de la
prévenir, et il a pour auteur un de nos plus vail-
lants confrères de la presse populaire, M. E. Mu-
raour. Je vote à M. Muraour une muselière d'hon-
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
14
XV
devenons un peu en arrière, maintenant, et
suivons le marquis de la Roche-Lambert quittant
le Palais-Royal.
De même qu'il y a des volcans couronnés de
neige, il est des vieillards qui ont gardé sous
leurs cheveux blancs toute la fougue, toutes les
ardeurs de la jeunesse.
Tel était le marquis de la Roche-Lambert.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
Après une jeunesse orageuse passée à la cour
du grand roi, le marquis s'était retiré en pro-
vince.
Une jeune femme qu'il avait beaucoup aimée,
une grande fortune, lui avaient fait oublier pen-
dant un certain temps Paris et Versailles.
Mais, un matin, le patriarche s'était éveillé
veuf, avec des fils mariés et vivant loin de
lui.
Alors le jeune homme avait reparu dans le-
vieillard, et il s'était dit :
— Mes fils n'ont pas besoin de moi ; je suis
vert encore, j'ai pour le moins vingt ans de vie:
allons nous amuser un peu à la cour.
Comment Dubois, ce laquais devenu cardinal,
était-il le parent du noble marquis de la Roche-
Lambert?
C'était incompréhensible à première vue ;
mais, en cherchant bien, on trouvait que le père
dudit Dubois avait épousé une demoiselle aussi
pauvre que noble et qui était petite cousine du
marquis.
Ce dernier, qui avait longtemps fait fi d'une
semblable parenté, s'en était souvenu lors de ce
retour de jeunesse inattendu.
Dubois était cardinal, premier ministre, ami
du Régent, et le marquis s'était dit :
— Voilà un homme qui semble fait tout ex-
près pour m'appeler son cousin^
Donc le marquis était venu à Paris; il avait vu
Dubois, il lui avait ouvert sa bourse, et, Du-
bois qui était toujours endetté avait accepté
sans scrupule.
Voilà comment le marquis de la Roche-Lam-
bert s'était trouvé l'un des commensaux du Ré-
gent cette nuit-là.
On sait le reste de l'aventure.
Le marquis s'était enivré de ses propres sou-
venirs, puis, avec cet amour-propre que les
vieillards partagent avec les enfants, il avait
tenu à prouver au Régent que tout ce qu'il avait
avancé était parfaitement vrai et que le chevalier
d'Esparron était l'amant d'une femme vampire,
d'une goule, comme on disait alors.
Car, à cette époque, le vampirisme avait déjà ^
joué un grand rôle.
Les gens qui s'abreuvaient de sang humain
n'étaient pas des êtres de pure invention, si on
en croyait tous les bruits de la ville et de la
cour, et on citait même un prince du sang qui
ne devait sa beauté et sa vigueur qu'à des bains
tièdes mélangés de sang de taureau et de sang
humain.
Les princes aussi jouaient un rôle , en dépit
du scepticisme qui régnait à la cour.
Il n'y avait pas un quartier de Paris qui ne
renfermât deux ou trois alchimistes essayant de
faire de l'or, et pour le moins une sibylle aui
voyait l'avenir à travers une carafe ou dans un
reste de marc de café.
Cela explique donc le succès qu'avait eu le
récit du marquis, succès encore augmenté pai
l'arrivée du chevalier d'Esparron.
Mais le triomphe même avait eu pour le vieil-
lard des suites funestes.
Après avoir endormi le chevalier, après avoir
mis son cou à nu et montré la piqûre du vam-
pire, le marquis avait pris le médaillon et l'avait
montré au Régent.
Ce médaillon représentait cette créature idéale
de beauté que le marquis accusait de s'être
gorgée de sang humain, qu'on avait brûlée, il
y avait quarante ans, et qui, cependant,ressusci-
tée de ses cendres, était tdujours jeune et tou-
jours belle. '
Et le marquis, en contemplant ce médaillon,
avait senti comme une tempête d'amour monter
de son coeur à son cerveau, et il s'était dit, CIl
descendant ce petit escalier dans lequel monsei-
gneur Philippe d'Orléans l'avait poussé :
— Il faut que je la retrouve, il faut que je la
revoie... et, si elle veut, je l'épouserai.
Il s'en allait donc, la tête brûlante, les yeux
enflammés, son vieux cœur bondissant dans sa
poitrine, et il se disait, tout en longeant la r»,
Saint-Honore «
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.7%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.7%.
- Collections numériques similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
- Auteurs similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k4717809d/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k4717809d/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k4717809d/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k4717809d/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k4717809d
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k4717809d
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k4717809d/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest