Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-05-06
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 06 mai 1868 06 mai 1868
Description : 1868/05/06 (A3,N748). 1868/05/06 (A3,N748).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47177507
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
ri eeiîî. le numéro '
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le ~ Bttffléi»
....
ABONNEMENTS. — Trois mois. > six mois. Un al.
Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr. I
Départements.. fi il
Administrateur : E. DELSAUX. en ',
3- année. — MERCREDI 6 MAI 4868. —M' 748 1
Directeur-Propriétaire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 5 MAI 1868.
LES ROSES
Le soleil se lève, les lilas s'ouvrent ;• Te so-
leil monte, la rose fleurit. ^
Jane, — je voudrais vousparler de la rose,
comme j-e vous ai parlé des lilas.
C'est la plus belle et la plus universelle des
fleurs, de même que Marie est le plus uni-
versel et le plus beau des noms.
Depuis la Suède jusqu'au Sénégal, depuis
le Kamschatka jusqu'au Bengale, la rose
fleurit sous tous les climats, dans tous les
terrains...
La nature est riche. La rose est sa prodi-
galité.
On a voulu que l'Orient fût sa patrie. Mais
comment alors expliquer le mot de Guati-
mozin? Ce dernier empereur indien du Mexi-
que, vaincu par Fernand Cortez, était torturé
par ses bourreaux. Afin de lui raire avouer où
il cachait ses trésors, on l'avait étendu sur un
gril ardent en compagnie de son premier mi-
nistre. Celui-ci exhalait sa douleur en plain-
tes.
— Crois-tu donc, lui dit Guatimozin, que
je soie sur un lit de roses?
Il y a une rose de Montezuma, comme il y
a des roses du Caucase. Les Persans aména-
gent le rosier comme les Savoyards aména-
gent la vigne: ils le font monter en arbre. La
.double rose jaune étincelle sous le soleil de
Constantinople. Sur les monts Ourals, une
grande rose rougeâtre semble avoir gardé les
derniers reflets du soleil couchant. Les fellahs
de l'Egypte connaissent l'églantier. Rien de
commun à coup sur entre le rosier du Sahara,
qui pousse dans les sables, et le rosier de la
Grèce et de la Sicile, qui croit dans les ro-
chers. La rose sent le musc en Espagne; dans
les îles Baléares on dispose les rosiers en treil-
lage, et les fleurs ont l'air de venir s'offrir
d'elles-mêmes aux mains des senoras pen-
chées sur les balcons.
Faut-il parler de nos roses françaises : la
rose du midi, jaune aux pétales dorées, ou
rouge capucine, ou panachée rouge et jaune ;
la rose des Vosges, couleur canelle; la rose
pourpre de la Champagne ; la rose panachée
de Provins?...
Les roses de l'Amérique méritent une men-
tion. Les créoles de la Géorgie cueillent la
rose à cent feuilles pour la placer dans leurs
cheveux. Les rosiers de Bancks s'attachent
^aux parois des rochers. Le rosier de Virgi-
nîe, si on l'enlève aux bords du ruisseau na-
,tal (pour le transplanter dans un parterre,
languit et meurt. C'est l'histoire des carpes
de Marly : elles dépérissaient dans un bassin
' déinarbre.
./'- Elles sont comme moi, disait Mme de
' Maintenon, elles regrettent leur fange.
Mais les roses les plus sympathiques sont
celles qui poussent dans la neige, que ce soit
au Groënland ou sur les Alpes. La glace est
éternelle et le paysage désolé. L'homme, dans
ces déserts, se contente de peu. Sa cabane est
étroite ; son vêtement se compose de choses
humbles et fortes. Rien de riant dans la na-
ture, grandiose sans doute, mais sévère et
désolée, qui l'environne. Rien, si ce n'c:);t une
fleur. Pauvre petite rose pâle, solitn're sur ta
tige, toi qui apparais quand la neige se fond,
tu es douce au montagnard comme le premier
sourire d'un enfant!...
C'est surtout pour les pauvres gens que le
bon Diea a fait l'été, le soleil et les fleurs.
Jane, — je sais l'histoire de trois bouquets
de roses.
La première date de loin. Le héros en est
Socrate, un homme d-e bien d'Athènes.
Il sortait de la représentation d'une pièce
d'Aristophane, dans laquelle le poëte comique
avait raillé la philosophie et :e philosophe. Le
public s'était associé par ses applaudissements
à cette moquerie.
Socrate rencontre Aristophane. Il va droit
à lui et lui place brusquement sous le nez un
bouquet de roses qu'il tenait à la main. Les
épines piquent le poëte, qui se récrie :
— Fais pour ce bouquet comme j'ai fait
pour ta pièce, lui dit Socrate, et pardonne les
épines en faveur du parfum.
Ma seconde histoire se passe en 1794, quel-
ques jours avant le 9 thermidor.
Le général Hoche, révoqué de son comman-
dement, vient d'être écroué à la Conciergerie.
Les prisonniers sont nombreux. La solitude
leur pèse. Moyennant une petite pension, ils
prennent leurs repas en commun. Un rratin,
Hoche reçoit dans sa cal Iule un magnifique
bouquet de roses, envoi d'une amie inconnue.
A theure de la table d'hôte, il descend, son
bouquet à la main.
— Oh ! belles roses, général !.. Général,
donnez-m'en une, je vous prie L.
~ n'y avait pas que des prisonniers à la
Conciergerie ; il y avait aussi des prison-
nières.
Le jeune homme commença par elles sa
distribution. Et voilà qu'avec les fleurs, les
sourires et la gaieté semblent être entrés dans
la sombre prison.
Tout à coup la porte s'ouvre. Le geôlier se
range; un homme vêtu de noir paraît, un pa-
pier à la main, suivi de quelques soldats.
L'homme lit le papier. Ceux dont il pro-
nonce les noms sortent pour aller à la mort.
— J'emporte votre rose, citoyen ! dit une
jeune femme à Hoche !
— Moi aussi !...
•— Moi aussi!...
Ce jour-là, quand passa le tombereau qui
menait à la place de la Révolution, on vit
une those étrange :
-Les hommes qui allaient mourir tenaient
tops une rose entre leurs lèvres ; les femmes
avaient placé la rose dans leurs cheveux,..
Nous sommes dans !e Dauphinê.
Un poëte qu'on trouve bourgeois à Paris,
parce qu'il est naïf et naturel partout, se pro-
mène sur les bords du Rhône. Cet homme de
la nature est ici dans son cadre, au pied des
coteaux harmonieux, au bord du fleuve reten-
tissant...
Passe une paysanne, un panier plein de
roses à son bras.
Et lui, bien vite :
— Je vous achète vos ûeurs!
Quand il les a, il les réunit en bouquet, et il
sourit en se rappelant cet amant du moyen âge
qui veut cueillir une rose pour sa dame et qui
la cherche pendant vingt-deux mille vers de
huit pieds. Il fallut deux poëtes pour venir à
bout du Roman de la Rose.
— Oh ! qu'Horace en disait plus en moins
de mots !
Et notre Dauphinois, dans son coin de la
Gaule latine, se met à traduire l'ode du
poëte de Tibur.
Le soleil nous ramène, avec, les jours brûlants,
La soit que rien n'apaise.
Couchons-nous sous ces pins et ces peupliers blancs
Pour y boire à notre aise !
Esclave, rafraîchis ce Falerne échauffé
LA bas, dans l'eau courante;
Puis, apporte de5 fleurs : j'aime à boire coiffé
De la rose odorante !...
Pauvre Ponsard ! Il est mort à Pariai loin
des roses du Dauphiné !...
Jane, — je sais bien d'autres choses encore
sur les roses, — mais, comme je me garderai
de vous les dire!...
La rose est de tous les pays ; elle a tenu sa
place dans toutes les histoires; tous les
poëtes l'ont chantée.
[ Il y a même des savants qui l'ont décrite,
| — les malheureux!...
[ Est-ce qu'on décrit une, rose? On la tient
dans sa main, on la regarde, et l'on a le sen-
timent du beau.
Admirer, sentir, aimer, tout est là.
Quant à décrire, si l'on a ie temps...
TONY RÉVILLON.
LA CUEILLETTE
Je reçois d'affligeantes nouvelles sur l'état de
santé d'un écrivain qui, sous le pseudonyme de
Timon, eut l'honneur de donner à la France de
1830 l'unique rival de Paul-Louis Courrier, et dont
la verve pamphlétaire fit trembler sur leur piédestal
tels grands hommes du jour plus ou moins sur-
faits.
Voici ce que m'écrit un des amis de cet éminent
publiciste, aujourd'hui membre du ëér.'at.
M. de Cormenin est très-gravement, malade;
mais maigre l'affaiblissement physique qui en
résulte, sou esprit a conservé toute sa vigueur et
toute sa lucidité. Dimanche, à deux heures,
l'abbé Nibelle. vicaire de Saint-Louis en l'l1e,
son enfant d'adoption, lui a, sur sa ■ demande,
donné l'extrême-onction, et a reçu communica-
tion de ses dernières volontés, qu'il fera con-
naître en temps opportun.
Avant d'être administré, M. de (-,ormenin s'é-
tait confessé à M. l'aumônier de Beaujon, son
directeur. " *
Lundi matin l'abbé Tribelle lui a porté le saint
viatique, et l'a trouvé calrile, quoique toujours
bien faible.
Si c'est la fin, elle est adnrrable et digne
d une vie dont un petit cercle intime a pu seul
apprécier entièrement la vertueuse simplicité.
lVI. de Cormenin est entré, adepuis le 6 janvier
! dernier, dans sa quatre-vingt-unième année.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XI
£NO 183
Le révérend Peters Town sembla vouloir
profiter de la stupeur de l'abbé Samuel pour
rontinuer :
— Voyez-vous cette ville immense? C'est
Londres, la capitale des trois royaumes et du
monde entier, car où que vous alliez, au fond
des déserts, sur le moindre rescif perdu au
milieu de l'océan, flotte le drapeau britannique.
Londres est la maîtresse du monde, et deux
pouvoirs se partagent cette royauté, la noblesse
et le clergé.
Le lord chancelier commande à l'un, l'arche-
vêque de Canterbury est le chef de l'autre.
Voulez-vous être un jour celui qui gouverne
sous les lambris de Lambeth palace?
— Je ne vous comprends pas,dit enfin l'abbé
Samuel.
Vous avez le front vaste des hommes que
Dieu fait rois par la pensée, vous devez être
ambitieux,continua le révérend Peters Town.
Abandonnez ce culte suranné, cette église
vermoulue que vous avez condamnée chez nous
à l'obscurité et au silence ; nous vous tendons la
main, venez avec nous.
La stupeur du jeune prêtre avait fait place à
l'indignation; mais cette indignation était muette
et contenue à ce point que le révérend Peters
Town put croire que la tentation le mordait au
cœur.
— Jusqu'à présent, poursuivit-il, quel a été
votre lot ? vous avez vécu pauvrement, obscu-
rément, prêchant votre foi à des mendiants, ser-
vant une cause perdue d'avance.
Venez à nous et nous vous ferons grand et fort,
[ vous serez, riche et puissant, et vous deviendrez
un de ces deux maîtres du monde dont je vous
parlais tout à l'heure.
Enfin la voix de l'abbé Samuel se fit jour à
travers sa gorge crispée.
— Mais c'est une apostasie que vous me de-
mandez ! s'écria-t-il.
— Non point une apostasie, mais une con-
viction, dit le prêtre anglican avec audace.
Soudain l'abbé Samuel qui, d'abord avait re-
culé, fit yn pas vers lui.
A son tour, il prit la main du prêtre anglican
et lui dit :
— Je vous ai écouté, écoutez-moi à votre
tour.
Il était transfiguré en parlant ainsi.
Ce jeune homme, pâle et chétif en apparence,
avait grandi tout à coup ; son œil bleu, si doux et
si triste d'ordinaire, lançait des éclairs, sa voix
était devenue sonore et vibrante, et le révérend
Peters Town, ce grand dominateur de conscien-
ces, courba la tête sous ce regard plein d'é-
clairs.
— Ecoutez-moi, répéta l'abbé Samuel, écou-
tez-moi 1
Et, lui aussi, il s'avança vers la balustrade et
il promena un long regard sur la ville colossale
accroupie comme un monstre aux misions d yeux
et de têtes sur les deux rives de la Tamise.
— Oui, dit-il alors, vous avez raison : à vous
les palais aux dômes d'or, à vous le fleuve sur
lequel passent les grands navires aux opu-
lentes cargaisons, à vous là puissance-commer-
ciale du monde et les biens de la terre.
Vous m'avez montré Lambeth Palace, et le
Parlement, et Westminster... ' •'
Eh bien! regardez plus loin encore, sur la
gauche, au milieu de ces pauvres maisons en-
fermées de Southwark ? Voyez-vous cette hum-
ble église? Voyez vous ce clocher qui monte
dans le ciel brumeux, c'est Saint-George.
Saint George est notre temple - à nous, et il
est l'égal de Saint-Pierre de Rome, l'a vieille
basilique, et l'autel où nous montons est le
même que celui où montaient les' premiers
prêtres chrétiens, il y a dix-huit cents ans.
La doctrine que vous prêchez est d'hier, et
pourtant vous êtes aussi divisés que des frères
ennemis, et chacun de vous a une foi nouvelle,
et chacun veut être pontife et avoir ses disci-
ples.
Nous, nous n'avons qu'un autel, comme nous
n'avons qu'un chef.
Vous placez dans vos temples tout 'n'-éuf$ lçp.
statues de vos grands hommes; mais nous, à.
travers les siècles, à travers les âges ba rbares,
nous avons conservé les œuvres des maîtres, (jui-
étaient grands surtout parce qu'ils croyaient.
Que notre église soit la cathéciçal? or-"~ejll%m
Voir le numéro du 22 novembre.
ri eeiîî. le numéro '
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le ~ Bttffléi»
....
ABONNEMENTS. — Trois mois. > six mois. Un al.
Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr. I
Départements.. fi il
Administrateur : E. DELSAUX. en ',
3- année. — MERCREDI 6 MAI 4868. —M' 748 1
Directeur-Propriétaire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 5 MAI 1868.
LES ROSES
Le soleil se lève, les lilas s'ouvrent ;• Te so-
leil monte, la rose fleurit. ^
Jane, — je voudrais vousparler de la rose,
comme j-e vous ai parlé des lilas.
C'est la plus belle et la plus universelle des
fleurs, de même que Marie est le plus uni-
versel et le plus beau des noms.
Depuis la Suède jusqu'au Sénégal, depuis
le Kamschatka jusqu'au Bengale, la rose
fleurit sous tous les climats, dans tous les
terrains...
La nature est riche. La rose est sa prodi-
galité.
On a voulu que l'Orient fût sa patrie. Mais
comment alors expliquer le mot de Guati-
mozin? Ce dernier empereur indien du Mexi-
que, vaincu par Fernand Cortez, était torturé
par ses bourreaux. Afin de lui raire avouer où
il cachait ses trésors, on l'avait étendu sur un
gril ardent en compagnie de son premier mi-
nistre. Celui-ci exhalait sa douleur en plain-
tes.
— Crois-tu donc, lui dit Guatimozin, que
je soie sur un lit de roses?
Il y a une rose de Montezuma, comme il y
a des roses du Caucase. Les Persans aména-
gent le rosier comme les Savoyards aména-
gent la vigne: ils le font monter en arbre. La
.double rose jaune étincelle sous le soleil de
Constantinople. Sur les monts Ourals, une
grande rose rougeâtre semble avoir gardé les
derniers reflets du soleil couchant. Les fellahs
de l'Egypte connaissent l'églantier. Rien de
commun à coup sur entre le rosier du Sahara,
qui pousse dans les sables, et le rosier de la
Grèce et de la Sicile, qui croit dans les ro-
chers. La rose sent le musc en Espagne; dans
les îles Baléares on dispose les rosiers en treil-
lage, et les fleurs ont l'air de venir s'offrir
d'elles-mêmes aux mains des senoras pen-
chées sur les balcons.
Faut-il parler de nos roses françaises : la
rose du midi, jaune aux pétales dorées, ou
rouge capucine, ou panachée rouge et jaune ;
la rose des Vosges, couleur canelle; la rose
pourpre de la Champagne ; la rose panachée
de Provins?...
Les roses de l'Amérique méritent une men-
tion. Les créoles de la Géorgie cueillent la
rose à cent feuilles pour la placer dans leurs
cheveux. Les rosiers de Bancks s'attachent
^aux parois des rochers. Le rosier de Virgi-
nîe, si on l'enlève aux bords du ruisseau na-
,tal (pour le transplanter dans un parterre,
languit et meurt. C'est l'histoire des carpes
de Marly : elles dépérissaient dans un bassin
' déinarbre.
./'- Elles sont comme moi, disait Mme de
' Maintenon, elles regrettent leur fange.
Mais les roses les plus sympathiques sont
celles qui poussent dans la neige, que ce soit
au Groënland ou sur les Alpes. La glace est
éternelle et le paysage désolé. L'homme, dans
ces déserts, se contente de peu. Sa cabane est
étroite ; son vêtement se compose de choses
humbles et fortes. Rien de riant dans la na-
ture, grandiose sans doute, mais sévère et
désolée, qui l'environne. Rien, si ce n'c:);t une
fleur. Pauvre petite rose pâle, solitn're sur ta
tige, toi qui apparais quand la neige se fond,
tu es douce au montagnard comme le premier
sourire d'un enfant!...
C'est surtout pour les pauvres gens que le
bon Diea a fait l'été, le soleil et les fleurs.
Jane, — je sais l'histoire de trois bouquets
de roses.
La première date de loin. Le héros en est
Socrate, un homme d-e bien d'Athènes.
Il sortait de la représentation d'une pièce
d'Aristophane, dans laquelle le poëte comique
avait raillé la philosophie et :e philosophe. Le
public s'était associé par ses applaudissements
à cette moquerie.
Socrate rencontre Aristophane. Il va droit
à lui et lui place brusquement sous le nez un
bouquet de roses qu'il tenait à la main. Les
épines piquent le poëte, qui se récrie :
— Fais pour ce bouquet comme j'ai fait
pour ta pièce, lui dit Socrate, et pardonne les
épines en faveur du parfum.
Ma seconde histoire se passe en 1794, quel-
ques jours avant le 9 thermidor.
Le général Hoche, révoqué de son comman-
dement, vient d'être écroué à la Conciergerie.
Les prisonniers sont nombreux. La solitude
leur pèse. Moyennant une petite pension, ils
prennent leurs repas en commun. Un rratin,
Hoche reçoit dans sa cal Iule un magnifique
bouquet de roses, envoi d'une amie inconnue.
A theure de la table d'hôte, il descend, son
bouquet à la main.
— Oh ! belles roses, général !.. Général,
donnez-m'en une, je vous prie L.
~ n'y avait pas que des prisonniers à la
Conciergerie ; il y avait aussi des prison-
nières.
Le jeune homme commença par elles sa
distribution. Et voilà qu'avec les fleurs, les
sourires et la gaieté semblent être entrés dans
la sombre prison.
Tout à coup la porte s'ouvre. Le geôlier se
range; un homme vêtu de noir paraît, un pa-
pier à la main, suivi de quelques soldats.
L'homme lit le papier. Ceux dont il pro-
nonce les noms sortent pour aller à la mort.
— J'emporte votre rose, citoyen ! dit une
jeune femme à Hoche !
— Moi aussi !...
•— Moi aussi!...
Ce jour-là, quand passa le tombereau qui
menait à la place de la Révolution, on vit
une those étrange :
-Les hommes qui allaient mourir tenaient
tops une rose entre leurs lèvres ; les femmes
avaient placé la rose dans leurs cheveux,..
Nous sommes dans !e Dauphinê.
Un poëte qu'on trouve bourgeois à Paris,
parce qu'il est naïf et naturel partout, se pro-
mène sur les bords du Rhône. Cet homme de
la nature est ici dans son cadre, au pied des
coteaux harmonieux, au bord du fleuve reten-
tissant...
Passe une paysanne, un panier plein de
roses à son bras.
Et lui, bien vite :
— Je vous achète vos ûeurs!
Quand il les a, il les réunit en bouquet, et il
sourit en se rappelant cet amant du moyen âge
qui veut cueillir une rose pour sa dame et qui
la cherche pendant vingt-deux mille vers de
huit pieds. Il fallut deux poëtes pour venir à
bout du Roman de la Rose.
— Oh ! qu'Horace en disait plus en moins
de mots !
Et notre Dauphinois, dans son coin de la
Gaule latine, se met à traduire l'ode du
poëte de Tibur.
Le soleil nous ramène, avec, les jours brûlants,
La soit que rien n'apaise.
Couchons-nous sous ces pins et ces peupliers blancs
Pour y boire à notre aise !
Esclave, rafraîchis ce Falerne échauffé
LA bas, dans l'eau courante;
Puis, apporte de5 fleurs : j'aime à boire coiffé
De la rose odorante !...
Pauvre Ponsard ! Il est mort à Pariai loin
des roses du Dauphiné !...
Jane, — je sais bien d'autres choses encore
sur les roses, — mais, comme je me garderai
de vous les dire!...
La rose est de tous les pays ; elle a tenu sa
place dans toutes les histoires; tous les
poëtes l'ont chantée.
[ Il y a même des savants qui l'ont décrite,
| — les malheureux!...
[ Est-ce qu'on décrit une, rose? On la tient
dans sa main, on la regarde, et l'on a le sen-
timent du beau.
Admirer, sentir, aimer, tout est là.
Quant à décrire, si l'on a ie temps...
TONY RÉVILLON.
LA CUEILLETTE
Je reçois d'affligeantes nouvelles sur l'état de
santé d'un écrivain qui, sous le pseudonyme de
Timon, eut l'honneur de donner à la France de
1830 l'unique rival de Paul-Louis Courrier, et dont
la verve pamphlétaire fit trembler sur leur piédestal
tels grands hommes du jour plus ou moins sur-
faits.
Voici ce que m'écrit un des amis de cet éminent
publiciste, aujourd'hui membre du ëér.'at.
M. de Cormenin est très-gravement, malade;
mais maigre l'affaiblissement physique qui en
résulte, sou esprit a conservé toute sa vigueur et
toute sa lucidité. Dimanche, à deux heures,
l'abbé Nibelle. vicaire de Saint-Louis en l'l1e,
son enfant d'adoption, lui a, sur sa ■ demande,
donné l'extrême-onction, et a reçu communica-
tion de ses dernières volontés, qu'il fera con-
naître en temps opportun.
Avant d'être administré, M. de (-,ormenin s'é-
tait confessé à M. l'aumônier de Beaujon, son
directeur. " *
Lundi matin l'abbé Tribelle lui a porté le saint
viatique, et l'a trouvé calrile, quoique toujours
bien faible.
Si c'est la fin, elle est adnrrable et digne
d une vie dont un petit cercle intime a pu seul
apprécier entièrement la vertueuse simplicité.
lVI. de Cormenin est entré, adepuis le 6 janvier
! dernier, dans sa quatre-vingt-unième année.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XI
£NO 183
Le révérend Peters Town sembla vouloir
profiter de la stupeur de l'abbé Samuel pour
rontinuer :
— Voyez-vous cette ville immense? C'est
Londres, la capitale des trois royaumes et du
monde entier, car où que vous alliez, au fond
des déserts, sur le moindre rescif perdu au
milieu de l'océan, flotte le drapeau britannique.
Londres est la maîtresse du monde, et deux
pouvoirs se partagent cette royauté, la noblesse
et le clergé.
Le lord chancelier commande à l'un, l'arche-
vêque de Canterbury est le chef de l'autre.
Voulez-vous être un jour celui qui gouverne
sous les lambris de Lambeth palace?
— Je ne vous comprends pas,dit enfin l'abbé
Samuel.
Vous avez le front vaste des hommes que
Dieu fait rois par la pensée, vous devez être
ambitieux,continua le révérend Peters Town.
Abandonnez ce culte suranné, cette église
vermoulue que vous avez condamnée chez nous
à l'obscurité et au silence ; nous vous tendons la
main, venez avec nous.
La stupeur du jeune prêtre avait fait place à
l'indignation; mais cette indignation était muette
et contenue à ce point que le révérend Peters
Town put croire que la tentation le mordait au
cœur.
— Jusqu'à présent, poursuivit-il, quel a été
votre lot ? vous avez vécu pauvrement, obscu-
rément, prêchant votre foi à des mendiants, ser-
vant une cause perdue d'avance.
Venez à nous et nous vous ferons grand et fort,
[ vous serez, riche et puissant, et vous deviendrez
un de ces deux maîtres du monde dont je vous
parlais tout à l'heure.
Enfin la voix de l'abbé Samuel se fit jour à
travers sa gorge crispée.
— Mais c'est une apostasie que vous me de-
mandez ! s'écria-t-il.
— Non point une apostasie, mais une con-
viction, dit le prêtre anglican avec audace.
Soudain l'abbé Samuel qui, d'abord avait re-
culé, fit yn pas vers lui.
A son tour, il prit la main du prêtre anglican
et lui dit :
— Je vous ai écouté, écoutez-moi à votre
tour.
Il était transfiguré en parlant ainsi.
Ce jeune homme, pâle et chétif en apparence,
avait grandi tout à coup ; son œil bleu, si doux et
si triste d'ordinaire, lançait des éclairs, sa voix
était devenue sonore et vibrante, et le révérend
Peters Town, ce grand dominateur de conscien-
ces, courba la tête sous ce regard plein d'é-
clairs.
— Ecoutez-moi, répéta l'abbé Samuel, écou-
tez-moi 1
Et, lui aussi, il s'avança vers la balustrade et
il promena un long regard sur la ville colossale
accroupie comme un monstre aux misions d yeux
et de têtes sur les deux rives de la Tamise.
— Oui, dit-il alors, vous avez raison : à vous
les palais aux dômes d'or, à vous le fleuve sur
lequel passent les grands navires aux opu-
lentes cargaisons, à vous là puissance-commer-
ciale du monde et les biens de la terre.
Vous m'avez montré Lambeth Palace, et le
Parlement, et Westminster... ' •'
Eh bien! regardez plus loin encore, sur la
gauche, au milieu de ces pauvres maisons en-
fermées de Southwark ? Voyez-vous cette hum-
ble église? Voyez vous ce clocher qui monte
dans le ciel brumeux, c'est Saint-George.
Saint George est notre temple - à nous, et il
est l'égal de Saint-Pierre de Rome, l'a vieille
basilique, et l'autel où nous montons est le
même que celui où montaient les' premiers
prêtres chrétiens, il y a dix-huit cents ans.
La doctrine que vous prêchez est d'hier, et
pourtant vous êtes aussi divisés que des frères
ennemis, et chacun de vous a une foi nouvelle,
et chacun veut être pontife et avoir ses disci-
ples.
Nous, nous n'avons qu'un autel, comme nous
n'avons qu'un chef.
Vous placez dans vos temples tout 'n'-éuf$ lçp.
statues de vos grands hommes; mais nous, à.
travers les siècles, à travers les âges ba rbares,
nous avons conservé les œuvres des maîtres, (jui-
étaient grands surtout parce qu'ils croyaient.
Que notre église soit la cathéciçal? or-"~ejll%m
Voir le numéro du 22 novembre.
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