Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-05-02
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 02 mai 1868 02 mai 1868
Description : 1868/05/02 (A3,N744). 1868/05/02 (A3,N744).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717746b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro
JOURNAL QUOTIDIEN .
S cent. le numéro -
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris S fr. 9 fr. fr.
Départements.. a 11 99
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. — SAMEDI 2 MAI 1868. — N' "J & & 1
Directeur-Propriétaire : JAN'N!N.
Rédacteur en cher: A. nE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX i)'AnoNNEmrriT : 9. rue Droraot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 1er MAI 1868.
LE MOIS DE MARIE
Le jour est tombé. Le ciel est clair. Çà et
là, des lumières piquent l'obscurité des rués.
On entend le bruit lointain des voitures plus
distinctement que pendant le jour. Les pas-
sants qui se croisent apparaissent comme des
ombres... La nuit commence.
Dans l'église, le jour éclate. La lumière des
cierges fait paraître les marbres plus blancs,
les ors plus purs, les peintures plus chaudes.
Elle éclaire doucement les fronts chastes, les
paupières baissées, les visages recueillis. Les
flou s, disposées avec art sur les autels, mê-
li nt leurs parfums à celui de l'encens. Des
chants montent vers les voûtes. Tout ici dit :
« Mois de Marie, l' comme tout dans la na-
ture dit : « Mois de mai. »
Deux femmes montent les marches.
L'une, la plus vieille, a la figure douce,
calme, résignée. Un pauvre chapeau noir à
ru bans lilas cache ses chevqux gris disposés
en bandeaux...
Chez l'atitre, au contraire, la jeunesse res-
plendit. Les cheveux sont d'un beau noir à
reflet bleu. De jolies fossettes rient au bas des
joues...
La mère et la fille sont pauvres, cela sevoit
aux étoffes de leur costume et à la timidité de
ieur maintien. Mais les étoffes communes sont
1 si<■ p. coupées, et le maintien est digne dans sa
modestie : donc elles sont bien élevées. Elles
travaillent pour vivre, mais elles ont été ri-
ches autrefois. 11 y a de la vaillance dans ces
décadences bien portées. Mais bien porter la
souffrance ne l'exclut pas, et souvent, le soir,
les deux ou vrières en s'embrassant ont des
larmes dans les yeux.
— Pauvre mère ! dit la fille; travailler
à son âge !....
— Pauvre enfant ! dit la mère elle n'était
pas née pour passer sa jeunesse ainsi ! ..,
Il existe de belles choses dont le printemps
donne envie : le soleil, l'herbe, les fleurs et
l'eau courante...
Oti aime ces choses à tout âge; mais on les
aime surtout quand on est jeune, car il y a,
entre l'éveil à la vie et le réveil de la nature,
Non concert de sympathie qui se chante à
peux. Le vent dans les feuilles fait une des
"parties, la voix des jeunes filles en fait une
antre, et le chœur ailé monte vers le ciel...
r--' ¡Aussi comme on aimela campagne lorsqu'on
). seize ans ! Une giroflée chétive, sur un pan
de muraille, frappe-t-elle les yeux, — vite
l'imagination suit le regard et se perd dans
(fes horizons bleus...
Et quand, les doigts occupés à un travail
de couture, le corps plié sur une chaise, on
rêve ainsi, la gorge se serre et l'on se laisse
aller: — A quoi bon vivre, privée de toute
joie?...
Madame, vous êtes riche et belle, et vous
ignorez peut-être ce qu'on fait en ces mo-
ments-là,
Je vais vous le dire :
On prie.
On prie, —et le ciel qui s'ouvre vous laisse
entrevoir des paysages plus beaux que les
plus beaux paysages de la terre...
On prie, — et l'on oublie son logis nu pour
se dire qu'il est un lieu splendide ouvert à
tous : l'église, ce palais des pauvres gens...
Et c'est pourquoi 4a veuve et sa fille en gra-
vissent les degrés.
Derrière les femmes vient un grand et gros
garçon, aux joues rouges, aux épaules largef.
Une casquette, une veste, un pantalon
de velours blanchi aux genoux, — le costume
d'un commissionnaire ou d'un ouvrier.
Celui qui le porte tient en effet de l'ouvrier
et du commissionnaire: il est garçon de ma-
gasin.
Debout avant le jour, il détache les volets.
plaqués de fer. La rue est obscure, et le brouil-
lard du matin pèse sur les poitrines. Mais le
brouillard n'a pas de prise sur lui. Il balaye
les profondeurs du magasin, sa chemisa ou-
: verté sur son cou robuste. Quand les commis
arrivent, tout est prêt. En course mainte-
nant ! Le soleil te lève, il marche; le soleil
est à son-haut, il marche encore; le soleil
descend derrière l'arc de l'Etoile, il se dispose
à rentrer. Et il fait ces courses sans fin avec
des ballots sur les reins et des paquets sous
les bras. Un cheval n'y tiendrait pas. Mais
un homme résiste mieux qu'un cheval, et un
Alsacien résiste mieux qu'un homme.
Celui-là a quitté son village au pied des
Vosges pour venir faire fortune à Paris. Il
gagne douze cents francs par an, et il en place
six. Aii§si, quand il retournera au pays. il
sera riche; il pourra acheter un champ, et
bâtir nne maisonnette pour y loger sa
fiancée. •
Car il ji une fiancée à laquelle il songe en
arpentant les longues rues. Alors les hautes
maisons disparaissent, et il aperçoit au 'bout
d'une prkirie, derrière les peupliers qui se
détachent sur un fond d'or, un groupe de
jeunes filles en jupons rouges, avec des papil-
lons de rubans dans les cheveux...
Celle qu'il aime est là-bas. Quel dommage
que les maisons, après s'être écartées, se
referment! Tant de fenêtres, tant de portes,
tant de murailles, - il ne reverra plus de
longtemps son village et le rideau de-ses
peupliers ..
Le soir est venu. Il s'étire. Il bâille. Tout
à coup le son d'une cloche traverse les airs.
Une cloêbe! - Il y a des cloches aussi en
Alsace, et des clochers. Il ne se dit pas tout
cela, ce, garçon, mais il le sent. Et ce qu'il
sent, il lui semble qu'il l'a déjà. senti. Dans
les Vosges, on a la foi du charbonnier. Il se
dirige vers l'église..
— Oh! les beaux bouquets! dira-t-il en se
signant; ils me rappellent les bouquets de
chez nous.
C'est un vieillard qui vient maintenant.
Quelques mèches de cheveux blancs tom-
bent de chaque côté de son crâne aux tons
d'ivoipe; sa taille est cassée en deux; il s'ap-
puie sur un bâtôto, et je vois trembler ses
doigts dont les os percent....
Pauvre vieux! — Comme la vie doit peser
et cet On n'entend plus guère, on voit
à peine, penser fatigue; on ne peçt ni manger,
ni marcher, ni parler longtemps; le tapage
des jeunes gens qui vous étourdit vous rap-
pelle qu'on a été jeune, et c'est une misère de
plus. Et puis, il y a les infirmités, les mala-
dies... Le froid vous engourdit; la chaleur
vous enlève le peu de forces qui vous reste...
Est-ce qu'ils n'étaient pas vraiment hu-
mains, ces barbares qui tuaient les vieux?..
Notre vieillard se chargerait- de répondre à
la question. Tenez ! Il a relevé la tête. Re-
gardez ! Les rides de son front rayonnent la
lumière; ses yeux brillent; ses lèvres re-
muent...
— Mourir ! Certainement, je mourrai .quand
il plaira à Dieu. Mais je ne suis pas pressé.
Je ne puis plus jouir, dites-vous, des choses
de la vie. Soit! Mais je puis aimer encore, et
c'est si bon d'aimer!—J'ai perdu ma femme,
et mes enfants sont dispersés. Mais de ternes
en temps ils m'envoient mes petits enfants
.pour que je pose mes mains sur leurs tètes
Blondes, et, ces jours-là, ma vieillesse est
réjouie. Quand je suis seul, je passe des hen-
res et des heures à me rappeler les choses du
passé. Les unes me font sourire; les autres,
au contraire, m'assombrissent et m'attristent.
Alors, je prends mon bâton et je viens de- ;
mander au bon Dieu que mes petits enfants
soient plus heureux que je ne l'ai été moi-
même...
1
J'en ai désigné quatre, je pourrais en oes)-
gner dix, je pourrais en désigner cent... Il y
a des riches dans le nombre. Mais coux-tîi
m'intéressent moins. Le temps et l'espace
leur obéissent. Ils ont à leur disposition tous
les moyens propres à combattre les tristesses
inhérentes à l'humanité... Tandis que les au-
tre?, les déshérités, n'en ont que deux: la
sympathie d'autrui et la prière...
Aussi, voyez comme ils sont recueillie!
C'est que ces paysans, ces artisans, ces fem-
mes, ces humbles de la terre ont, à défaut de
la science et de l'argent, un sentiment qui
agrandit leur horizon. - Tout ne fi ni ra pas
avec nous. Quand nous aurons travaillé, «
lutté, souffert, honoré nos parents, élevé nos v
.enfantsdans le bien, rempli nos devoirs en-
vers la famille et la patrie, nous pourrons .
nous endormir, confiant dans une vie nou-
velle et meilleure.
Ce sentiment, ils l'éprouvent plus vivement
quand tta 86lftr réunis. Leur âme s'ouvre à
l'âme de leurs frères et de leurs sœurs à ge-
noux à leurs côtés. Leurs veux fixés sur
l'image de l'autel, ils se disent :
— Celle que nous honorons ce soir fut une
bonne fille, une bonne femme et une bonne
mère. Elle souffrit.pour sou enfant, et cet en-
fant est celui qui est mort pour le salut des
misérables. C'est le jeune homme .de Naza-
reth, au regard divin, qui a dit : Aimez-vous
les uns les autres. Tous les hommes sont
égaux devant Dieu !... '
Mois de Marie, mois de mai, — religion du
peuple.
TONY RÉVILLON
ROCAMBOLE
mess=""N° 180 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XXXVI
L'abbé Samuel frappa doucement à la porte de
ce misérable rez-de-chausséa où grouillait toute
la famille.
- Entrez! dit une voix d'homme,
Le jeune prêtre eut un battement de cœur.
Cette voix d'homme n'était-elle pas celle du
malheureux prisonnier pour dettes ?
Voirie numéro du 22 Dovambre. ,
La porte ouverte, le prêtre aperçut Paddy.
— Comment! dit-il en allant à lui et lui ten-
dant la main, c'est vous?
— Oui, mon révérend, dit Paddy qui baisa la
main du prêtre avec une vive émotion.
— Et libre !
— Oui, dit Paddy plus tristement encore.
— Vous ne vous êtes pas échappé?
— Non, on a payé pour moi.
— Allons ! dit l'abbé Samuel avec un soupir
de satisfaction, il y a toujours de nobles cœurs,
même dans cette nouvelle Babylone qu'on ap-
pelle Londres.
— Ne me félicitez point, mon révérend,'dit
Paddy en courbant la tête, si vous saviez de qui
je tiens ma liberté!...
Le prêtre tressaillit.
Paddy se tourna vers sa femme et ses enfants
qui étaient venus baiser, eux aussi, les mains de
leur bienfaiteur :
— Allez vous-en, dit-il durement : toi, femme,
va acheter du pain, et vous autres, allez jouer
dans la rue ; il faut que je reste seul avec notre
révérend.
La femme et les enfants sortirent sur-le-champ
et sans faire la moindre observation.
L'abbé Samuel était étonné et inquiet de
./ L:attitude morne et presque désolée 4e Paddy.
' Qu'était-il donc arrivé et qu'allait lui dire cet
homme? •
Paddy baissait la tête.
Enfin, quand le bruit de la porte se refermant
foii apprit qu'ils étaient seuls, il dit :
— Je suis Anglais et de la religion anglicane ;
mais sans les Irlandais et vous, qui êtes un
prêtre catholique, ma femme et mes enfants se-
raient morts de faim. Je ne veux donc pas faire
de tort à l'Irlande et à vous, mon révérend, qui
êtes notre bienfaiteur.
— Mais que voulez-vous dire ? demanda le
prêtre de plus en plus surpris.
— Je vais vous conter ça, mon révérend, re-
prit Paddy.
Et il releva la tête et osa regarder l'abbé Sa-
muel. *
— Parlez, dit le prêtre.
— J'étais donc en prison pour la somme de
dix guinées. Ce n'est rien pour beaucoup de
gens, mais pour dès gens comme nous, cela
équivaut à tons.les trésors de l'Angleterre.
Hier soir, comme on allait fermer les portes
de White-cMSsy nous entendons la cloche du
dehors.
Les hommes ne sont pas bons naturellement,
mais le malheur les rend tout à fait méchants.
Il y avait autour de moi des prisonniers endur-
cis qui me relatent ti'uû bout du
jour, parce que je pleurais en songeant à ma
femme et à mes enfants.
— Tiens, dit l'un, voici ta femme qui vient
payer ta rancon.
Et tous de rire, et moi de me remettre à
pleurer.
Ce n'était pas ma femme qui venait, mais c'é-
tait bien pour moi qu'on avait sonné.
Le père Goldmish m'appelle ; je me lève
étonné. «
— On vient de payer pour vous, me dit-il.
Je croyais qu'il se moquait de moi.
Mais il a bien fallu me rendre à l'évidence,
quand j'ai vu arriver Nichols.
— Qu'est-ce que Nichols ? demanda l'abbé
Samuel. <
Paddy baissa une seconde fois la tète.
Nichols, dit-il, c'est un mauvais sujet, un
homme d'affaires, comme on dit, un organisa-
teur de chantage. Quand on est misérable, il
faut vivre, et souvent j'ai accepté de la besogne
que me donnait Nichols.
D'abord je n'ai pensé qu'à la joie de revoir ma
femme et mes enfants; et puis, quand j'ai été
dehors, je lui ai dit :
Tu es donc riche, et tu as donc bien besoia
de moi; quetu viens de payer ma liberté au prix %
de dix guinées?
I — On m'a avancé de tfar^nt pour une affaire
5 cent. le numéro
JOURNAL QUOTIDIEN .
S cent. le numéro -
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris S fr. 9 fr. fr.
Départements.. a 11 99
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. — SAMEDI 2 MAI 1868. — N' "J & & 1
Directeur-Propriétaire : JAN'N!N.
Rédacteur en cher: A. nE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX i)'AnoNNEmrriT : 9. rue Droraot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 1er MAI 1868.
LE MOIS DE MARIE
Le jour est tombé. Le ciel est clair. Çà et
là, des lumières piquent l'obscurité des rués.
On entend le bruit lointain des voitures plus
distinctement que pendant le jour. Les pas-
sants qui se croisent apparaissent comme des
ombres... La nuit commence.
Dans l'église, le jour éclate. La lumière des
cierges fait paraître les marbres plus blancs,
les ors plus purs, les peintures plus chaudes.
Elle éclaire doucement les fronts chastes, les
paupières baissées, les visages recueillis. Les
flou s, disposées avec art sur les autels, mê-
li nt leurs parfums à celui de l'encens. Des
chants montent vers les voûtes. Tout ici dit :
« Mois de Marie, l' comme tout dans la na-
ture dit : « Mois de mai. »
Deux femmes montent les marches.
L'une, la plus vieille, a la figure douce,
calme, résignée. Un pauvre chapeau noir à
ru bans lilas cache ses chevqux gris disposés
en bandeaux...
Chez l'atitre, au contraire, la jeunesse res-
plendit. Les cheveux sont d'un beau noir à
reflet bleu. De jolies fossettes rient au bas des
joues...
La mère et la fille sont pauvres, cela sevoit
aux étoffes de leur costume et à la timidité de
ieur maintien. Mais les étoffes communes sont
1 si<■ p. coupées, et le maintien est digne dans sa
modestie : donc elles sont bien élevées. Elles
travaillent pour vivre, mais elles ont été ri-
ches autrefois. 11 y a de la vaillance dans ces
décadences bien portées. Mais bien porter la
souffrance ne l'exclut pas, et souvent, le soir,
les deux ou vrières en s'embrassant ont des
larmes dans les yeux.
— Pauvre mère ! dit la fille; travailler
à son âge !....
— Pauvre enfant ! dit la mère elle n'était
pas née pour passer sa jeunesse ainsi ! ..,
Il existe de belles choses dont le printemps
donne envie : le soleil, l'herbe, les fleurs et
l'eau courante...
Oti aime ces choses à tout âge; mais on les
aime surtout quand on est jeune, car il y a,
entre l'éveil à la vie et le réveil de la nature,
Non concert de sympathie qui se chante à
peux. Le vent dans les feuilles fait une des
"parties, la voix des jeunes filles en fait une
antre, et le chœur ailé monte vers le ciel...
r--' ¡Aussi comme on aimela campagne lorsqu'on
). seize ans ! Une giroflée chétive, sur un pan
de muraille, frappe-t-elle les yeux, — vite
l'imagination suit le regard et se perd dans
(fes horizons bleus...
Et quand, les doigts occupés à un travail
de couture, le corps plié sur une chaise, on
rêve ainsi, la gorge se serre et l'on se laisse
aller: — A quoi bon vivre, privée de toute
joie?...
Madame, vous êtes riche et belle, et vous
ignorez peut-être ce qu'on fait en ces mo-
ments-là,
Je vais vous le dire :
On prie.
On prie, —et le ciel qui s'ouvre vous laisse
entrevoir des paysages plus beaux que les
plus beaux paysages de la terre...
On prie, — et l'on oublie son logis nu pour
se dire qu'il est un lieu splendide ouvert à
tous : l'église, ce palais des pauvres gens...
Et c'est pourquoi 4a veuve et sa fille en gra-
vissent les degrés.
Derrière les femmes vient un grand et gros
garçon, aux joues rouges, aux épaules largef.
Une casquette, une veste, un pantalon
de velours blanchi aux genoux, — le costume
d'un commissionnaire ou d'un ouvrier.
Celui qui le porte tient en effet de l'ouvrier
et du commissionnaire: il est garçon de ma-
gasin.
Debout avant le jour, il détache les volets.
plaqués de fer. La rue est obscure, et le brouil-
lard du matin pèse sur les poitrines. Mais le
brouillard n'a pas de prise sur lui. Il balaye
les profondeurs du magasin, sa chemisa ou-
: verté sur son cou robuste. Quand les commis
arrivent, tout est prêt. En course mainte-
nant ! Le soleil te lève, il marche; le soleil
est à son-haut, il marche encore; le soleil
descend derrière l'arc de l'Etoile, il se dispose
à rentrer. Et il fait ces courses sans fin avec
des ballots sur les reins et des paquets sous
les bras. Un cheval n'y tiendrait pas. Mais
un homme résiste mieux qu'un cheval, et un
Alsacien résiste mieux qu'un homme.
Celui-là a quitté son village au pied des
Vosges pour venir faire fortune à Paris. Il
gagne douze cents francs par an, et il en place
six. Aii§si, quand il retournera au pays. il
sera riche; il pourra acheter un champ, et
bâtir nne maisonnette pour y loger sa
fiancée. •
Car il ji une fiancée à laquelle il songe en
arpentant les longues rues. Alors les hautes
maisons disparaissent, et il aperçoit au 'bout
d'une prkirie, derrière les peupliers qui se
détachent sur un fond d'or, un groupe de
jeunes filles en jupons rouges, avec des papil-
lons de rubans dans les cheveux...
Celle qu'il aime est là-bas. Quel dommage
que les maisons, après s'être écartées, se
referment! Tant de fenêtres, tant de portes,
tant de murailles, - il ne reverra plus de
longtemps son village et le rideau de-ses
peupliers ..
Le soir est venu. Il s'étire. Il bâille. Tout
à coup le son d'une cloche traverse les airs.
Une cloêbe! - Il y a des cloches aussi en
Alsace, et des clochers. Il ne se dit pas tout
cela, ce, garçon, mais il le sent. Et ce qu'il
sent, il lui semble qu'il l'a déjà. senti. Dans
les Vosges, on a la foi du charbonnier. Il se
dirige vers l'église..
— Oh! les beaux bouquets! dira-t-il en se
signant; ils me rappellent les bouquets de
chez nous.
C'est un vieillard qui vient maintenant.
Quelques mèches de cheveux blancs tom-
bent de chaque côté de son crâne aux tons
d'ivoipe; sa taille est cassée en deux; il s'ap-
puie sur un bâtôto, et je vois trembler ses
doigts dont les os percent....
Pauvre vieux! — Comme la vie doit peser
et cet On n'entend plus guère, on voit
à peine, penser fatigue; on ne peçt ni manger,
ni marcher, ni parler longtemps; le tapage
des jeunes gens qui vous étourdit vous rap-
pelle qu'on a été jeune, et c'est une misère de
plus. Et puis, il y a les infirmités, les mala-
dies... Le froid vous engourdit; la chaleur
vous enlève le peu de forces qui vous reste...
Est-ce qu'ils n'étaient pas vraiment hu-
mains, ces barbares qui tuaient les vieux?..
Notre vieillard se chargerait- de répondre à
la question. Tenez ! Il a relevé la tête. Re-
gardez ! Les rides de son front rayonnent la
lumière; ses yeux brillent; ses lèvres re-
muent...
— Mourir ! Certainement, je mourrai .quand
il plaira à Dieu. Mais je ne suis pas pressé.
Je ne puis plus jouir, dites-vous, des choses
de la vie. Soit! Mais je puis aimer encore, et
c'est si bon d'aimer!—J'ai perdu ma femme,
et mes enfants sont dispersés. Mais de ternes
en temps ils m'envoient mes petits enfants
.pour que je pose mes mains sur leurs tètes
Blondes, et, ces jours-là, ma vieillesse est
réjouie. Quand je suis seul, je passe des hen-
res et des heures à me rappeler les choses du
passé. Les unes me font sourire; les autres,
au contraire, m'assombrissent et m'attristent.
Alors, je prends mon bâton et je viens de- ;
mander au bon Dieu que mes petits enfants
soient plus heureux que je ne l'ai été moi-
même...
1
J'en ai désigné quatre, je pourrais en oes)-
gner dix, je pourrais en désigner cent... Il y
a des riches dans le nombre. Mais coux-tîi
m'intéressent moins. Le temps et l'espace
leur obéissent. Ils ont à leur disposition tous
les moyens propres à combattre les tristesses
inhérentes à l'humanité... Tandis que les au-
tre?, les déshérités, n'en ont que deux: la
sympathie d'autrui et la prière...
Aussi, voyez comme ils sont recueillie!
C'est que ces paysans, ces artisans, ces fem-
mes, ces humbles de la terre ont, à défaut de
la science et de l'argent, un sentiment qui
agrandit leur horizon. - Tout ne fi ni ra pas
avec nous. Quand nous aurons travaillé, «
lutté, souffert, honoré nos parents, élevé nos v
.enfantsdans le bien, rempli nos devoirs en-
vers la famille et la patrie, nous pourrons .
nous endormir, confiant dans une vie nou-
velle et meilleure.
Ce sentiment, ils l'éprouvent plus vivement
quand tta 86lftr réunis. Leur âme s'ouvre à
l'âme de leurs frères et de leurs sœurs à ge-
noux à leurs côtés. Leurs veux fixés sur
l'image de l'autel, ils se disent :
— Celle que nous honorons ce soir fut une
bonne fille, une bonne femme et une bonne
mère. Elle souffrit.pour sou enfant, et cet en-
fant est celui qui est mort pour le salut des
misérables. C'est le jeune homme .de Naza-
reth, au regard divin, qui a dit : Aimez-vous
les uns les autres. Tous les hommes sont
égaux devant Dieu !... '
Mois de Marie, mois de mai, — religion du
peuple.
TONY RÉVILLON
ROCAMBOLE
mess=""N° 180 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XXXVI
L'abbé Samuel frappa doucement à la porte de
ce misérable rez-de-chausséa où grouillait toute
la famille.
- Entrez! dit une voix d'homme,
Le jeune prêtre eut un battement de cœur.
Cette voix d'homme n'était-elle pas celle du
malheureux prisonnier pour dettes ?
Voirie numéro du 22 Dovambre. ,
La porte ouverte, le prêtre aperçut Paddy.
— Comment! dit-il en allant à lui et lui ten-
dant la main, c'est vous?
— Oui, mon révérend, dit Paddy qui baisa la
main du prêtre avec une vive émotion.
— Et libre !
— Oui, dit Paddy plus tristement encore.
— Vous ne vous êtes pas échappé?
— Non, on a payé pour moi.
— Allons ! dit l'abbé Samuel avec un soupir
de satisfaction, il y a toujours de nobles cœurs,
même dans cette nouvelle Babylone qu'on ap-
pelle Londres.
— Ne me félicitez point, mon révérend,'dit
Paddy en courbant la tête, si vous saviez de qui
je tiens ma liberté!...
Le prêtre tressaillit.
Paddy se tourna vers sa femme et ses enfants
qui étaient venus baiser, eux aussi, les mains de
leur bienfaiteur :
— Allez vous-en, dit-il durement : toi, femme,
va acheter du pain, et vous autres, allez jouer
dans la rue ; il faut que je reste seul avec notre
révérend.
La femme et les enfants sortirent sur-le-champ
et sans faire la moindre observation.
L'abbé Samuel était étonné et inquiet de
./ L:attitude morne et presque désolée 4e Paddy.
' Qu'était-il donc arrivé et qu'allait lui dire cet
homme? •
Paddy baissait la tête.
Enfin, quand le bruit de la porte se refermant
foii apprit qu'ils étaient seuls, il dit :
— Je suis Anglais et de la religion anglicane ;
mais sans les Irlandais et vous, qui êtes un
prêtre catholique, ma femme et mes enfants se-
raient morts de faim. Je ne veux donc pas faire
de tort à l'Irlande et à vous, mon révérend, qui
êtes notre bienfaiteur.
— Mais que voulez-vous dire ? demanda le
prêtre de plus en plus surpris.
— Je vais vous conter ça, mon révérend, re-
prit Paddy.
Et il releva la tête et osa regarder l'abbé Sa-
muel. *
— Parlez, dit le prêtre.
— J'étais donc en prison pour la somme de
dix guinées. Ce n'est rien pour beaucoup de
gens, mais pour dès gens comme nous, cela
équivaut à tons.les trésors de l'Angleterre.
Hier soir, comme on allait fermer les portes
de White-cMSsy nous entendons la cloche du
dehors.
Les hommes ne sont pas bons naturellement,
mais le malheur les rend tout à fait méchants.
Il y avait autour de moi des prisonniers endur-
cis qui me relatent ti'uû bout du
jour, parce que je pleurais en songeant à ma
femme et à mes enfants.
— Tiens, dit l'un, voici ta femme qui vient
payer ta rancon.
Et tous de rire, et moi de me remettre à
pleurer.
Ce n'était pas ma femme qui venait, mais c'é-
tait bien pour moi qu'on avait sonné.
Le père Goldmish m'appelle ; je me lève
étonné. «
— On vient de payer pour vous, me dit-il.
Je croyais qu'il se moquait de moi.
Mais il a bien fallu me rendre à l'évidence,
quand j'ai vu arriver Nichols.
— Qu'est-ce que Nichols ? demanda l'abbé
Samuel. <
Paddy baissa une seconde fois la tète.
Nichols, dit-il, c'est un mauvais sujet, un
homme d'affaires, comme on dit, un organisa-
teur de chantage. Quand on est misérable, il
faut vivre, et souvent j'ai accepté de la besogne
que me donnait Nichols.
D'abord je n'ai pensé qu'à la joie de revoir ma
femme et mes enfants; et puis, quand j'ai été
dehors, je lui ai dit :
Tu es donc riche, et tu as donc bien besoia
de moi; quetu viens de payer ma liberté au prix %
de dix guinées?
I — On m'a avancé de tfar^nt pour une affaire
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