Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-02-08
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 08 février 1868 08 février 1868
Description : 1868/02/08 (A3,N660). 1868/02/08 (A3,N660).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47176623
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le imméro
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. st"-';mois. Un an.
Paris 5 fr. S fr. ils fr.
1 Départements.. a il 99
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. - SAMEDI 8 FEVRIER 1868. r- fto 660
Directeur-Propriétaire : Jannin.
Rédacteur en chef : A. DE Balatbier Bragblonne.
BUREAUX d'abonnement : 9, rne Drouot.'
Administration : 13, place Breda.
PARIS, 7 FEVRIER 1868.
LE TROISIÈME CHEVAL
En bas de la rfm'tftai rfiorHéV&d^tix P3,<3' du,
frottoir encombré de piétons, j^ruiai $éss tôJj(
de la chaussée, couverte par le^forcresT"les
camions et les voitures à bras, un cheval est
arrêta.
Il est immobile, et il attend.
Tout à l'heure, un omnibus lancé au galop
ébranlera le pavé du carrefour pour venir
prendre le pas au bas de la côte.
Alors, le cheval isolé viendra se ranger de
lui-même devant les chevaux de l'omnibus;
un vieil homme ou un enfant, se détachant
du mur d'une maison, S'approchera aussitôt
pour accrocher le palonnier; et la lourde voi-
ture, après un court temps d'arrêt, se re-
mettra en mouvement, et gravira lentement
la rue.
Le troisième cheval s'appelle le cheval
d'arbalète, sur les grandes routes; il s'appelle
aussi le cheval de montagne, dans les Alyes
et les Pyrénées. A Paris on désigne, sous le
nom commun de remonteur, le cheval et ce-
lui qui le conduit. 1 i
Le remonteur (cheval) n'est pas à plaindre
C'est un vétéran qui jouit de sa retraite. Il
n'a pas de jour de congé, il est vrai, car on
craint que vingt-quatre heurta ée repos ne le
rouillent et ne le paralysent; mais il ne tra-
vaille que trois heures par jour, et le reste
du temps, doucement étendu sur une bonne
litière, il peut à son choix digérer, dormir,
ou, dans un demi-sommeil propice au rêve,
revoir ses années de jeunesse, de gloire et de
grelots.
Le remonteur (homme) est moins privi-
légié. Que le soleil tombe d'aplomb et fasse
plier les reins, que la pluie poussée par la
bise fouette le visage et transperce les vête-
ments, que le brouillard remplisse la rue de'
son crépuscule humide, par tous les temps,
depuis sept heures du matin jusqu'à minuit,
— dix-sept heures par jour! — le pauvre re-
monteur doit être à son poste, sans qu'il lui
soit pemis de s'en absenter une minute.
Pas d'heure réglementaire pour les repas.
Il déjeune et il dîne, debout sur le trottoir,
,ou assis sur quelque vieille chaise que lui
passe le garçon du marchand de vin.
, Qui ne connait ces sortes de repas : la mi-
|/che de pain, sur laquelle le pouce de la main
gauche maintient un morceau de petit salé,
pendant que la main droite armée d'un cou-
teau sape la base de l'édifice?..
Le salaire du remonteur varie. Il va de
deux francs cinquante à trois francs vingt-
cinq pas jour.
Ce n'est pas Tappointement d'un ministre.
Aussi, les remonteurs ne se reèrutent-ils pas,
parmi les hommes dans la force de l'âge et
dans la plénitude des facultés.
Ce sont des vieillards ou des adolescents.
Les adolescents font là leur stage hippique,
pour devenir ensuite, selon le degré de leur-
intelligence et de leur capacité .^palefrenier or-
dinaire, palefrenier en chef, cocher, ou pi-
queur d'écurie.
Celui de mes amis qui me donne le tableau
de cet avancement ajoute que les piqueurs
d'écurie lui paraissent devoir être des gens
entendus, car il a vu l'un d'eux en train de
préparer des- cataplasmes et des emplâtres
pour des chevaux malades.
Pour les vieux remonteurs, la côte repré-
sente la cour de l'hôtel des Invalides. L'âge
a affaibli leur vue ; leur main tremble-; leur
bras a perdu sa vigueur. Dans leur résigna-
tion forcée, ils sont heureux encore de trou-
ver un travail qui leur donne du pain.
Le type dil vieux reMonteur est un Nor-
mand, né postillon comme tous les Nor-
mands, et qui a fait ses débuts chez son père,
un maître de poste, il y a quelque quarante
ans.
Lorsque le père mourut, le jeune homme
laissa à son frère aîné le soin du patrimoine.
Ce qu'il lui fallait,à lui, ce n'était pas la
maison tranquille, sur le seuil de laquelle on
reste, mais la grande route, avec ses descen-
tes, ses montées et ses rubans de queue, le
verre de vin dans l'auberge, la belle fille qui
le tend, la crânerie et le tapage du métier.
Dans ce temps-là, dragon en uniforme. »
Surviennent les chemins de fer. De rage,
les postillons déchirent leurs bottes et brisent
leur fouet. Mais le nôtre est né dans la vallée
d'Auge. Tout enfant, son père le prenait par
le coti et le plantait sur un cheval, à poil;
— Tiens-toi à la crinière, lui criait-il,!.. Et
d'un coup de chambrière, il faisait partir l'a-
nimal au galop, à travers les prés. Le petit
Normand avait grandi parmi les chevaux.
Vivre sans eux lui était désormais impossible.
Il vint à Paris.
Du fiacre, il passa à l'omnibus de la banlieue ;
du char-à-bancs des dimanches, à la tapis-
sière des déménageurs; des camions de la rue
Sainte-Croix de la.Bretonnerie, à la charrette
de plâtre; et, comme,dans le métier,les grades
diminuent à mesure que les années de ser-
vice augmentent, il est remonteur aujour-.
d'hui, mais fier encore, et n'ayant pas son
pareil pour accrocher lestement un palonnier.
t
f
t ■
Le remohteur'a des joies.
Deux fois par mois, il a congé complet pen-
dant tout un jour.
Ce jour-là, s'il est garçon, il va voir ses
amis, et nos compères s'attablent longuement.
Plus d'omnibus qui les dérange, plus de ma-
nœuvre qui coupe la bouteille en deux...
S'il est marié, il mène promener sa femme
et ses '-,nfa nts; il dîne en famille....
Par une association d'idées, le remonteur
me fait alors penser au conducteur du cour-
rier d'ltalil qui fait le trajet du lac de Lu-
cerne au RF6 de Côm',e.
Une nuit, je passais le Saint-Gothard, au
milieu d'une tempête effroyable. Le conduc-
teur était dans le coupé à côté de moi.
— On monte, me dit-il. Il n'y a pas de dan-
ger. Nous pouvons dormir. A la descente, je
veillerai sur vous.
Ce conducteur dormait et veillait ainsi de-
! puis vingt-quatre ans, allant deux fois par
semaine de Suisse en Italie, et d'Italie en
Suisse. Sa femme habitait un village du Tes-
sin. Il avait sept enfants. Mais il ne pouvait
aller voir sa famille que pendant l'hiver, et
encore seulement les jours où la montagne
était impraticable pour les voitures. Ce brave
homme avait sauvé la vie à je ne sais combien
de gens. Savez-vous ce qu'il gagnait? Cent
vingt francs par mois. Il est vrai qu'il était
logé dans sa voiture aux frais de la Républi-
1.1 . i • . «
que, et que celle-ci -ncxig(,e, de lui que dix- '
huit mille francs- de cautioilfrement, en ga- -t
rantie des valeurs de posto " 1 V « * .
"
Le troisième cheval W' le mçrrre daîist,ouïes '
les rues de Paris ; mais ses Conducteurs va-'
rient.
Un humouriste à la façon de Sterne pour-
rait les diviser en trois classes.
Il y a d'abord le remonteur à cheval. Dans
l'avenue des Champs-Elysées, et sur tous les
parcours où la pente, quoique assez forte pour
que les chevaux de l'omnibus aient besoin
d'un auxiliaire, est assez douce cependant
pour permettre le petit trot; le remonteur
monte à la Daumon*. C'est là un privilège,
un prestige... Le chapeau réglementaire de
toile cirée se dresse fièrement, au-dessus de
l'attelage. Celui qui le porte occupe un.poste
envié. ' . \
Il y a ensuite le remonteur à pied. Rue
Notre-Dame-de-Lorette et rue des Martyrs.
par exemple, la foule des voitures oblige, '
l'homme à tenir le cheval en bride, ou tout .
au moins à marcher à côté de lui pour le di-
riger,...
Le remonteur au strapontin formerait ha
troisième catégorie. Il y a des rues, comme la
rue du Rocher, où les voitures sont aussi
rares que les sources dans le désert. La pente
est si rapide que les trois chevaux ne ,peuvent
marcher qu'au pas, et encore avec quelle
lenteur!... Le remonteur, da,ns ces rues, n'a
pas à s'occuper de son cheval. Aussi grimpe-
t-i$ alors auprès du conducteur. Il tire chi sa
poche sa queue de rat ou sa tabatière de
corne, et il offre une prise à ce supérieur.
La conversation s'engage entre l'homme
de l'arrière et l'homme de l'avant. L'un ra-
conte sa voiture et ses voyageurs; l'autre
parle de sa bête et de sa rue. Oa fait des ré-
flexions sur le temps; on se plaint des mi-
sères du métier; on échange des confidences :
le conducteur a une bonne femme, mais qui
i s'emporte comme du lait dans un. poêlon; le,
remonteur en a une douce. comme un agneau,
mais qui boude de "temps en temps comme
une porte. Quant aux enfants, c'est un em-
barras, ce qui n'empêche pas de leur prédire
les plus brillantes destinées.
Pendant que les deux compagnons de la
montée bavardent paisiblement, le cocher se
penche en avant de' son siége et allonge des
ROCAMBOLE
LES
MISERES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
XXV
No 91
M. Whip était mort.
Ensuite, de son vivant, il était généralement
détesté, son-seulement par les prisonniers, mais
encore par ses collégues.
Le gardien, qui tenait la plume, ne sourcilla
pas.
Quant au gouverneur, il se borna à froncer
légèrement le sourcil.
Voir le numérodu 22 novembre.
John Colden poursuivit :
— Entre un homme qui se vend et un homme
qui l'achète, le marché est bientôt conclu. Quand
j'ai vu M. Whip si bien disposé, je lui ai dit :
allez-vous-en ce soir dans le Brook street, de-
mandez à parler à Suzannah, et elle vous en
dira plus long que moi.
I Et M. Whip est parti.
Cette révélation de John Colden coïncidait
étrangement avec la déposition de master Pin,
qui s'était souvenu d'avoir ouvert ." °rille vers
huit heures du soir', à M.- Whip.
— Après ? fit le gouverneur.
John Golden reprit :
— Quand nous avons eu soupé, les autres
ouvriers et moi, on nous a enfermés séparément,
chacun dans une cellule, et je me suis en-
dormi.
J'ai été réveillé en sursaut par le bruit des
verroux qu'on tirait, de la serrure qu'on ouvrait
et j'ai vu entrer M. Whip.
— Tout est prêt, m'a-t-i' dit.
— Vous avez vu Suzaunah?
— Oui.
«— Vous êtes d'accord?
— Oui.
Je me suis habillé et je l'ai suivi. Un autre
gardien l'attendait. sur le seuil ~
Tous les deux m'ont mené au bout du corri-
dor et ont ouvert une porte.
Alors j'ai vu, dormant sur son lit, le gardien
chef, celui qui m'avait enfermé.
Et M. Whip a dit, en regardant l'autre gar-
dien :
— Il a pris une bonne prise. J'ai du fameux
tabac, va!
Puis ils ont détaché la clé que M. Bardel portait
à sa ceinture, et nous sommes revenus dans le
corridor.
M. Whip a dit alors à l'autre gardien :
— Tu tiens donc à ta place? v
— Certainement, et, malgré l'argent que tu
me donnes, j'aime autant ne pas me compro-
mettre.
— Alors, a dit M. Whip, prends une prise.
Et il lui a tendu sa tabatière.
Aussitôt Jonathan...
— Ah! interrompit le gouverneur, ce gardien
là, c'était Jonathan ?
— Du moins, répondit naïvement John - Col-
den, c'était le nom que lui donnait M. Whip.
— Eh bien? dit le prétendu M. Simouns, qu'a
fait Jonathan?
— Il n'a pas eu plutôt aspiré une prise de ta-
bac qu'il s'est trouvé pris d'étourdissement et
s'est assis.
Je ne sais pas ce qai est arrivé, car nous avons
continué notre chemin.
— Ah !
— M. Whip a ouvert la cellule du petit Irlan-
dais et lui a dit : Suis-nous.
L'enfant, qui avait une peur horrible oe
M. Whip, s'est habillé sans mot dire et nous
l'avons emmené.
M. Whip nous a fait longer le corridor dans t.
sens opposé, puis avec la clé qu'il avait prise i
M. Bardel, ît a ouvert le préau que nous avon;
traversé, et nous sommes arrivés dans le préat
de la nouvelle prison.
Une corde pendait, et au pied de cette corde
il y avait un homme que j'ai reconnu pour UIi
des amis de Bulton et de Suzannah.
Alors M. Whip lui a dit:
— Voilà l'enfant, où est l'argent?
— L'argent, a répondu l'homme, il est là-
haut; nous vous le donnerons.
— Je l'aime autant tout de suite.
— Montez, et vous trouverez l'argent...
M. Whip a paru se méfier.
— Allez le chercher, a-t-il dit, ou vous n 'au
rez pas l'enfant.
Une querelle s'est engagée et M. Whip nous
a menacés de rappeler les sentinelles qu'il avais
éloignées et de nous faire arrêter
5 cent. le imméro
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. st"-';mois. Un an.
Paris 5 fr. S fr. ils fr.
1 Départements.. a il 99
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. - SAMEDI 8 FEVRIER 1868. r- fto 660
Directeur-Propriétaire : Jannin.
Rédacteur en chef : A. DE Balatbier Bragblonne.
BUREAUX d'abonnement : 9, rne Drouot.'
Administration : 13, place Breda.
PARIS, 7 FEVRIER 1868.
LE TROISIÈME CHEVAL
En bas de la rfm'tftai rfiorHéV&d^tix P3,<3' du,
frottoir encombré de piétons, j^ruiai $éss tôJj(
de la chaussée, couverte par le^forcresT"les
camions et les voitures à bras, un cheval est
arrêta.
Il est immobile, et il attend.
Tout à l'heure, un omnibus lancé au galop
ébranlera le pavé du carrefour pour venir
prendre le pas au bas de la côte.
Alors, le cheval isolé viendra se ranger de
lui-même devant les chevaux de l'omnibus;
un vieil homme ou un enfant, se détachant
du mur d'une maison, S'approchera aussitôt
pour accrocher le palonnier; et la lourde voi-
ture, après un court temps d'arrêt, se re-
mettra en mouvement, et gravira lentement
la rue.
Le troisième cheval s'appelle le cheval
d'arbalète, sur les grandes routes; il s'appelle
aussi le cheval de montagne, dans les Alyes
et les Pyrénées. A Paris on désigne, sous le
nom commun de remonteur, le cheval et ce-
lui qui le conduit. 1 i
Le remonteur (cheval) n'est pas à plaindre
C'est un vétéran qui jouit de sa retraite. Il
n'a pas de jour de congé, il est vrai, car on
craint que vingt-quatre heurta ée repos ne le
rouillent et ne le paralysent; mais il ne tra-
vaille que trois heures par jour, et le reste
du temps, doucement étendu sur une bonne
litière, il peut à son choix digérer, dormir,
ou, dans un demi-sommeil propice au rêve,
revoir ses années de jeunesse, de gloire et de
grelots.
Le remonteur (homme) est moins privi-
légié. Que le soleil tombe d'aplomb et fasse
plier les reins, que la pluie poussée par la
bise fouette le visage et transperce les vête-
ments, que le brouillard remplisse la rue de'
son crépuscule humide, par tous les temps,
depuis sept heures du matin jusqu'à minuit,
— dix-sept heures par jour! — le pauvre re-
monteur doit être à son poste, sans qu'il lui
soit pemis de s'en absenter une minute.
Pas d'heure réglementaire pour les repas.
Il déjeune et il dîne, debout sur le trottoir,
,ou assis sur quelque vieille chaise que lui
passe le garçon du marchand de vin.
, Qui ne connait ces sortes de repas : la mi-
|/che de pain, sur laquelle le pouce de la main
gauche maintient un morceau de petit salé,
pendant que la main droite armée d'un cou-
teau sape la base de l'édifice?..
Le salaire du remonteur varie. Il va de
deux francs cinquante à trois francs vingt-
cinq pas jour.
Ce n'est pas Tappointement d'un ministre.
Aussi, les remonteurs ne se reèrutent-ils pas,
parmi les hommes dans la force de l'âge et
dans la plénitude des facultés.
Ce sont des vieillards ou des adolescents.
Les adolescents font là leur stage hippique,
pour devenir ensuite, selon le degré de leur-
intelligence et de leur capacité .^palefrenier or-
dinaire, palefrenier en chef, cocher, ou pi-
queur d'écurie.
Celui de mes amis qui me donne le tableau
de cet avancement ajoute que les piqueurs
d'écurie lui paraissent devoir être des gens
entendus, car il a vu l'un d'eux en train de
préparer des- cataplasmes et des emplâtres
pour des chevaux malades.
Pour les vieux remonteurs, la côte repré-
sente la cour de l'hôtel des Invalides. L'âge
a affaibli leur vue ; leur main tremble-; leur
bras a perdu sa vigueur. Dans leur résigna-
tion forcée, ils sont heureux encore de trou-
ver un travail qui leur donne du pain.
Le type dil vieux reMonteur est un Nor-
mand, né postillon comme tous les Nor-
mands, et qui a fait ses débuts chez son père,
un maître de poste, il y a quelque quarante
ans.
Lorsque le père mourut, le jeune homme
laissa à son frère aîné le soin du patrimoine.
Ce qu'il lui fallait,à lui, ce n'était pas la
maison tranquille, sur le seuil de laquelle on
reste, mais la grande route, avec ses descen-
tes, ses montées et ses rubans de queue, le
verre de vin dans l'auberge, la belle fille qui
le tend, la crânerie et le tapage du métier.
Dans ce temps-là,
Surviennent les chemins de fer. De rage,
les postillons déchirent leurs bottes et brisent
leur fouet. Mais le nôtre est né dans la vallée
d'Auge. Tout enfant, son père le prenait par
le coti et le plantait sur un cheval, à poil;
— Tiens-toi à la crinière, lui criait-il,!.. Et
d'un coup de chambrière, il faisait partir l'a-
nimal au galop, à travers les prés. Le petit
Normand avait grandi parmi les chevaux.
Vivre sans eux lui était désormais impossible.
Il vint à Paris.
Du fiacre, il passa à l'omnibus de la banlieue ;
du char-à-bancs des dimanches, à la tapis-
sière des déménageurs; des camions de la rue
Sainte-Croix de la.Bretonnerie, à la charrette
de plâtre; et, comme,dans le métier,les grades
diminuent à mesure que les années de ser-
vice augmentent, il est remonteur aujour-.
d'hui, mais fier encore, et n'ayant pas son
pareil pour accrocher lestement un palonnier.
t
f
t ■
Le remohteur'a des joies.
Deux fois par mois, il a congé complet pen-
dant tout un jour.
Ce jour-là, s'il est garçon, il va voir ses
amis, et nos compères s'attablent longuement.
Plus d'omnibus qui les dérange, plus de ma-
nœuvre qui coupe la bouteille en deux...
S'il est marié, il mène promener sa femme
et ses '-,nfa nts; il dîne en famille....
Par une association d'idées, le remonteur
me fait alors penser au conducteur du cour-
rier d'ltalil qui fait le trajet du lac de Lu-
cerne au RF6 de Côm',e.
Une nuit, je passais le Saint-Gothard, au
milieu d'une tempête effroyable. Le conduc-
teur était dans le coupé à côté de moi.
— On monte, me dit-il. Il n'y a pas de dan-
ger. Nous pouvons dormir. A la descente, je
veillerai sur vous.
Ce conducteur dormait et veillait ainsi de-
! puis vingt-quatre ans, allant deux fois par
semaine de Suisse en Italie, et d'Italie en
Suisse. Sa femme habitait un village du Tes-
sin. Il avait sept enfants. Mais il ne pouvait
aller voir sa famille que pendant l'hiver, et
encore seulement les jours où la montagne
était impraticable pour les voitures. Ce brave
homme avait sauvé la vie à je ne sais combien
de gens. Savez-vous ce qu'il gagnait? Cent
vingt francs par mois. Il est vrai qu'il était
logé dans sa voiture aux frais de la Républi-
1.1 . i • . «
que, et que celle-ci -ncxig(,e, de lui que dix- '
huit mille francs- de cautioilfrement, en ga- -t
rantie des valeurs de posto " 1 V « * .
"
Le troisième cheval W' le mçrrre daîist,ouïes '
les rues de Paris ; mais ses Conducteurs va-'
rient.
Un humouriste à la façon de Sterne pour-
rait les diviser en trois classes.
Il y a d'abord le remonteur à cheval. Dans
l'avenue des Champs-Elysées, et sur tous les
parcours où la pente, quoique assez forte pour
que les chevaux de l'omnibus aient besoin
d'un auxiliaire, est assez douce cependant
pour permettre le petit trot; le remonteur
monte à la Daumon*. C'est là un privilège,
un prestige... Le chapeau réglementaire de
toile cirée se dresse fièrement, au-dessus de
l'attelage. Celui qui le porte occupe un.poste
envié. ' . \
Il y a ensuite le remonteur à pied. Rue
Notre-Dame-de-Lorette et rue des Martyrs.
par exemple, la foule des voitures oblige, '
l'homme à tenir le cheval en bride, ou tout .
au moins à marcher à côté de lui pour le di-
riger,...
Le remonteur au strapontin formerait ha
troisième catégorie. Il y a des rues, comme la
rue du Rocher, où les voitures sont aussi
rares que les sources dans le désert. La pente
est si rapide que les trois chevaux ne ,peuvent
marcher qu'au pas, et encore avec quelle
lenteur!... Le remonteur, da,ns ces rues, n'a
pas à s'occuper de son cheval. Aussi grimpe-
t-i$ alors auprès du conducteur. Il tire chi sa
poche sa queue de rat ou sa tabatière de
corne, et il offre une prise à ce supérieur.
La conversation s'engage entre l'homme
de l'arrière et l'homme de l'avant. L'un ra-
conte sa voiture et ses voyageurs; l'autre
parle de sa bête et de sa rue. Oa fait des ré-
flexions sur le temps; on se plaint des mi-
sères du métier; on échange des confidences :
le conducteur a une bonne femme, mais qui
i s'emporte comme du lait dans un. poêlon; le,
remonteur en a une douce. comme un agneau,
mais qui boude de "temps en temps comme
une porte. Quant aux enfants, c'est un em-
barras, ce qui n'empêche pas de leur prédire
les plus brillantes destinées.
Pendant que les deux compagnons de la
montée bavardent paisiblement, le cocher se
penche en avant de' son siége et allonge des
ROCAMBOLE
LES
MISERES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
XXV
No 91
M. Whip était mort.
Ensuite, de son vivant, il était généralement
détesté, son-seulement par les prisonniers, mais
encore par ses collégues.
Le gardien, qui tenait la plume, ne sourcilla
pas.
Quant au gouverneur, il se borna à froncer
légèrement le sourcil.
Voir le numérodu 22 novembre.
John Colden poursuivit :
— Entre un homme qui se vend et un homme
qui l'achète, le marché est bientôt conclu. Quand
j'ai vu M. Whip si bien disposé, je lui ai dit :
allez-vous-en ce soir dans le Brook street, de-
mandez à parler à Suzannah, et elle vous en
dira plus long que moi.
I Et M. Whip est parti.
Cette révélation de John Colden coïncidait
étrangement avec la déposition de master Pin,
qui s'était souvenu d'avoir ouvert ." °rille vers
huit heures du soir', à M.- Whip.
— Après ? fit le gouverneur.
John Golden reprit :
— Quand nous avons eu soupé, les autres
ouvriers et moi, on nous a enfermés séparément,
chacun dans une cellule, et je me suis en-
dormi.
J'ai été réveillé en sursaut par le bruit des
verroux qu'on tirait, de la serrure qu'on ouvrait
et j'ai vu entrer M. Whip.
— Tout est prêt, m'a-t-i' dit.
— Vous avez vu Suzaunah?
— Oui.
«— Vous êtes d'accord?
— Oui.
Je me suis habillé et je l'ai suivi. Un autre
gardien l'attendait. sur le seuil ~
Tous les deux m'ont mené au bout du corri-
dor et ont ouvert une porte.
Alors j'ai vu, dormant sur son lit, le gardien
chef, celui qui m'avait enfermé.
Et M. Whip a dit, en regardant l'autre gar-
dien :
— Il a pris une bonne prise. J'ai du fameux
tabac, va!
Puis ils ont détaché la clé que M. Bardel portait
à sa ceinture, et nous sommes revenus dans le
corridor.
M. Whip a dit alors à l'autre gardien :
— Tu tiens donc à ta place? v
— Certainement, et, malgré l'argent que tu
me donnes, j'aime autant ne pas me compro-
mettre.
— Alors, a dit M. Whip, prends une prise.
Et il lui a tendu sa tabatière.
Aussitôt Jonathan...
— Ah! interrompit le gouverneur, ce gardien
là, c'était Jonathan ?
— Du moins, répondit naïvement John - Col-
den, c'était le nom que lui donnait M. Whip.
— Eh bien? dit le prétendu M. Simouns, qu'a
fait Jonathan?
— Il n'a pas eu plutôt aspiré une prise de ta-
bac qu'il s'est trouvé pris d'étourdissement et
s'est assis.
Je ne sais pas ce qai est arrivé, car nous avons
continué notre chemin.
— Ah !
— M. Whip a ouvert la cellule du petit Irlan-
dais et lui a dit : Suis-nous.
L'enfant, qui avait une peur horrible oe
M. Whip, s'est habillé sans mot dire et nous
l'avons emmené.
M. Whip nous a fait longer le corridor dans t.
sens opposé, puis avec la clé qu'il avait prise i
M. Bardel, ît a ouvert le préau que nous avon;
traversé, et nous sommes arrivés dans le préat
de la nouvelle prison.
Une corde pendait, et au pied de cette corde
il y avait un homme que j'ai reconnu pour UIi
des amis de Bulton et de Suzannah.
Alors M. Whip lui a dit:
— Voilà l'enfant, où est l'argent?
— L'argent, a répondu l'homme, il est là-
haut; nous vous le donnerons.
— Je l'aime autant tout de suite.
— Montez, et vous trouverez l'argent...
M. Whip a paru se méfier.
— Allez le chercher, a-t-il dit, ou vous n 'au
rez pas l'enfant.
Une querelle s'est engagée et M. Whip nous
a menacés de rappeler les sentinelles qu'il avais
éloignées et de nous faire arrêter
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