Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-01-30
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 30 janvier 1868 30 janvier 1868
Description : 1868/01/30 (A3,N651). 1868/01/30 (A3,N651).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47176534
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
» cent, le numéro" .. JOURNAL QUOTIDIEQI.L S cent. le numért
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. CI1 aD.
Paris 5 Cr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 6 fl ne
Administrateur: E. IDELSÂUX.
.. 1 .
aale année. . — JEUDI 30 JANVIER 1868. — No .1 65-j ;
Directeur-Propriétaire : JANNïN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BragbloaNS.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 8, rue Dreaot.
ADMINISTRATION : 13. place Bredà.
PARIS, 29 JANVIER 1868.
LES BANDITS DU VAR
Leur crime étiie de ceux que rien. n'excuse.
Ils ne tuaient pas p01tr se venger, comme des
Corses. Cô n'était pas la jalousie qui leur
mettait la carabine ou le poignard 4 la
main. Non. 11^ Assassinaient pour voler. A la
vie laborieuse et-sédentaire du commun des
hommes ils proféraient -la paresse etl'aven-j
ture. Ils aimaient pour e\^x les longs pepas.e.V
les siestes à l'ombre, pour leurs maîtresse^
les robes de ,soie, -les colliers et-les boucler
d'or. Combien étaient-ils? Peut-être cerrt,
peut-être deux cents, peut-être davantage.
On a prétendu' qua quelques villages de la
côte tout entiers étaient leurs complices,
* comme certains villages des Abruzzes ,sont
Les complices des brigands napolitains. Une
vingtaine ont été arrêtés. Quatre ont été con-
damnés à mort. Trois :viennent d'être exécu-
tés. La Petite Presse vous a donné hier et
vous donne encore aujoùrd'hui les détails du
supplice : l'impassibilité de deux' des coupa-
bles, la défaillance du troisième, l'attente
letue do la foule, et ce mur qui .penche sous le
; poids des curieux...
Justice est faite... j
Lorsque le jury d'Aix eut prononcé la con-
damnation :
— Goda, demanda le président, avez-vous
quelque chose à dire?...
— Oui, monsieur. Je suis las de ma vie de
crimes et de misères, et je demande à mourir
" demain.
Le lendemain appelé par Coda n'est venu
qu'hier.
La justice française est lente à frapper,
lorsqu'il s'agit de la vie d'un homme.
Les condamnés ont attendu, sans espérer
beaucoup, avec une sorte d'indifférence..,
m
Les débats nous les ont fait connaître:
Coda, le chef de la bande, était un grand
jeune homme, fort et bien pris dans sa haute
taille.. Ses cheveux châtains étaient coupés
court. Une toute petite moustache stirmon-
»
tait sa lèvre. Sa physionomie avait une dou-
ble expression : l'énérgie et' la douceur. On
racoritait de lui des choses étranges. Ce ban-
dit de vingt-huit ans, avant de quitter l'Italie,
avait inspiré une passion profonde à une
jeune fille des environs de Gênes. Cette jeune
fille voùlait voir absolument un Hernani dans
le voleur de.grand chemin qu'elle aimait.
— la te suivrai, et je partagerai tes périls !
s'écriait-elle. >
Coda. la baisait chastement au front, et, la
ramenant jusqu'au v-erger de son père :
— À demain, lui disait-il.
t Le lendemain il avait fui ; il passait les
Alpes, ne voulant pas attacher à son sort
Maudit le sort de celle qu'il avait assez aimée
pour la respecter.
Une autre fois, dans une fermé à sac,
parmi les meurtres et les vols, il entend de
petits cris, des cris d'enfants. Un de ses
hommes avait enfermé dans une cave les
marmots du logis, afin de s'en débarrasser.
Vite, Coda descend. Il déiivre les prisonniers,
et remonte en les'tenant dans ses bras. Son
visage, ravagé par la lutte, s'était adouci. Ses
mains, teintes de sang, tapotaient doucement
les petites menottes des enfants, et. de ses
lèvres, donttout à l'heure partait le mot :
— Tue! s'échappait maintenant un chant de
nourrice, joyeux et doux.
A Marseille, en prison, il faillit s'évader.
On lui avait fait passer un ressort de montre,
et il avait eu raison de ses chaînes et de son
cachot. Il avait descellé une pierre énorme,
creusé un conduit souterrain....
Pour qu'il n'y eût pas de trace de son tra-
vail autour de lui, il pulvérisait 1-es déblais
dont il jetait la poussière au vent. Pour que
rien sur lui-même ne trahit son effort, il
ôtait ses vêtements. C'est nu qu'il s'engageait
dans l'étroit boyau dont il ne sortait jamais
sans y laisser quelques lambeaux de sa
chair!...
On le surprit. ■
Il n'eut ni colère, ni désespoir.
—' Je recommencerai, dit-il tranquille-
ment.
Plus tard, il y renonça.
Je pourrais fuir, disait-il sans cesse
pendant son procès, mais à quoi bon ? Je suis
las. Je préfère mourir.
Parfois, dans le cours des débats, il se re-
tournait, et regardait un de ses compagnons.
Si ce dernier parlait, le regard de Coda arrê-
tait net la parole sur ses lèvres, ou bien au
contraire il lui communiquait une sorte de
verve. """"
C'était de la terreur ou de l'enthousiasme
qu'inspirait le chef à ses hommes.
-
Le plus gentleman de ces derniers était
Narda.
B^u garçofi, cffnjme on l'est en Italie,
c'est' .,dire avec les traits trop corrects, la
moufta'che trop noire, les favoris à la Ber-
gamjftro.p épais, les yeux trop grands et les
habi trop '.neuf,-;, Nardi appartenait à une
exeeœnte famille, et avait reçu une bonne
cduc tioh.
Quaranta était une autre physionomie ty-
pique.
Il offrait aux regards le masque que la tra-
dition se plaît à prêter aux conspirateurs.
Petlt' maigre, nerveux, le, regard de travers,
d'un» impassibilité absolue, l'air d'un specta-
teur dans sa propre cause, il n'avait de vivant
en lui que le sourire, sourire mince, dédai-
gneux , plein d'ironie , mais trop fréquent
plut-être pour être vrai.
* »
Mulateri, — le gracié, — avait une tête
arabe, à l'expression à la fois intelligente et
féroce : le front largement découvert, les
lèvres épaisses, les narines relevées, les pom-
mettes faisant saillie dans la barbe coton-
neuse...
Bepuis la condamnation, on avait permis à
ces hommes de se voir.
Ils passaient ensemble quelques heures,
chaque jour, dans le préau de la prisori. On
parlait peu. Au fait, qu'avait-on à se dire?
Le temps n'en passait pas moins rapidement.
:*îv J
*Les prisonniers ressemblent toujours un peuf
aux enfants. Un rien les distrait, tant les dis--'
tractions sont rares. Ceux-là jouaient à de
petits jeux de leur pays ; ils faisaient frire des
pommes de terre; ils. mettaient en commun
leurs provisions. Et puis, c'était : — A de-
main!...
Le lendemain désiré par Coda,
Je tiens à le répétés, je ne suis pas de ceux
qui se plaisent à poétiser les assassins et les
voleurs. Mais, il faut le dire aussi parçe que
jeela honore et relève l'humanité, il y a au.
fond des âmes les plus perverses des éhnuel- ;
les de bien. Le criminel le plus endurci, lors-
qu'il monte sur l'échafaud, peut à cette heure
suprême où toute son existence repasse en.
quelques secondes sous ses yeux, retrouver
dans sa mémoire un sourire ou une larme, la
souvenir d'une bonne action,
Coda, lorsqu'il semait à pleines mains l'ar-
gent de ses vols, avait, eu des maîtresses. A -
; son dernier moment, ce n'est pas. à elles qu'il
.aura songé ; --niais .sans doute il' aura revu,
i dans une pure vision, sa fiancée de là-bas, la
jeune fille de Gênes, qu'il avait aimée et qu'il
; avait fuie...
Natures étranges, du reste, que ces naturea
de bandits Italiens.
L'un, est quelque habitué du port de Na-
pies, moitié portefaix et moitié ruffian. Lâche,
paresseux, gourmand et cruel, il a tous les
vices de la décadence, et il ne sait pas même
mourir. Dans la montagne, il est plus avide
que tous les autres, ét il n'entend pas laisser
même une chemise au voyageur qui tombe
dans ses mains. Qu'un prisonnier, faute de ,
rançon, soit condamné à mourir, il se char-
gera de l'exécution, et il inventera des suppli-
ces pour prolonger son agonie. Il faut le sang
et le vin réunis pour faire bril!er ses yeux, et
donner un tremblement joyeux à ses chairs
grasses, pareilles à de la gelée. Arrêté, il es-
sayera d'attendrir les gendarmes. Il implorera
les juges. Il dénoncera ses compagnons. Sur
le chemin de la potence, il s'évanouira, et ce
n'est plus guère qu'un cadavre que secoueront
les valets du bourreau...
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
XVI
r-;(\ 82 '
Six heures du matin venaient de sonner.
C'est l'heure réglementaire où on éveille les
prisonniers, et trne cloche placée au centre de
Bath-square se fit aussitôt entendre.
Classés par pénalités, les prisonniers du Cold.
bath-fields ont une administration différente,
dans chaque catégorie.
Les condamnés aux moulins, qui occupent le
centre de la prison, sont pour ainsi dira retran-
chés dans une espèce de forteresse où les autres
condamnés ne pénètrent pas.
Le moulin a son personnel, ses gardiens ; ii
est une prison dans une autre prison.
Le matin, c'est le moulin qui se fait entendre
le premier.
Quand son tic-tac monotone et sinistre com-
mence à retentir, les charpentiers et les forge-
rons se mettent à l'œuvre et on distribue de l'é-
toupe aux autres prisonniers.
Ce matin-là, chose bizarre, le moulin ne se
fit pas. entendre tout d'abord.
Cependant on avait entendu la cloche, et le
gardien chef avait dû ouvrir les cellules des
condamnés. *
il y avait dans le bâtiment affecté au service
du moulin, quatre corridors cellulaires, autant
de corridors que de cylindres, lesquels venaient
aboutir perpendiculairement à une sorte de
r.ond-point à coupole assez élevée.
Sur ce rond point ouvraient cinq portes.
Ces cinq portes étaient celles des logis réser-
vés aux gardiens, lesquels étaient deux pardeux,
sauf le gardien-chef qui occupait une cellula à
[ lui tout seuj " " .
Quand les condamnés étaient couchés, quand
le gardien-chef, M. Barde!, avait fait son inspec-
tion accoutumée et ferme toutes les cellules, y
compris celles des ouvriers détenus provisoire-
ment à Bath-square, le gardien de nuit prenait
son service et son compagnon se couchait.
A six heures du matin, M. Bardei se levait,
ouvrait à la fois la 'porte des quatre corridors et
on faisait lever les condamnes.
Donc, ce matin-là, la cloche se fit entendre
comme à, l'ordinaire ; mais M. Bardot ne sortit
point de sa cellule.
Sur les quatre gardiens qui avaient dû pren-
dre le service à minuit, trois seulement appa-
rurent à l'extrémité de leur corridor respectif.
Des quatre qui avaient dû se coucher à mi-
nuit, trois seulement encore sortirent enfin de
leur cellule et tous, les six se regardèrent avec
un certain étonjs^Çfent.
-. Pour bien fiir4 comprendre ce qui allait se
passer, il est nécessaire de dqgàÉer certains dé-
tails. Sgk
Il y avait donc un corridor ^œjgylindre, avec
des numéros correspondants. ""
Il y avait aussi deux gardiens par corridor,
lesquels étaient toujours affectés, ; au même ser-
vice.
Chacun des deux avait une clé qui ouvrait à
i ta. fois sa cellule, la porte de son corridor et
celle du préau, mais qui ne pouvait ouvrir ni la
porte de la cellule voisine, ni celle d'un des
autres corridors.
Seul, M. Bardel, le gardien-chef, avait une
clé' vrai chef-d'œuvre de serrurerie, qui ouvrait
toutes les portes indistinctement, hormis cepen-
dant la grille de master Pin.
Il est vrai que le gouverneur de la prison
avait, lui, une clé qui ouvrait tout, môme la
grille du portier-consigne.
Or donc, le gardien de n'uit du corridor ne 1
sorti.t en entendant sonner la cloche, et vint
frapper à la porte de la cellule qui portait
également le n- t, afin d'avertir son cama-
rade.
Celui-ci sortit.
Les gardiens des nOS 2 et 3 en firent autant.
Seul, le corridor no 4 demeura fermé.
— Qui donc était de nuit? demanda l'un des
gardiens.
— Jonathan. '
1 — Comment ! dit un autre d'un ton ironique,
c'est ce bon M. Whip qui va prendre le service
du matin, et il ne se presse pas plus que ça. Il a
pourtant entendu la cloche.
— Et Bardel qui dort aussi, fit un troi-
sième.
— Whip, mon cher 1 cria l'ua des g&rdiSQâ 933k
travers de la sorte u- 4.
\ „
Voir le numéro du 22 novesoiiiu.
» cent, le numéro" .. JOURNAL QUOTIDIEQI.L S cent. le numért
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. CI1 aD.
Paris 5 Cr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 6 fl ne
Administrateur: E. IDELSÂUX.
.. 1 .
aale année. . — JEUDI 30 JANVIER 1868. — No .1 65-j ;
Directeur-Propriétaire : JANNïN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BragbloaNS.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 8, rue Dreaot.
ADMINISTRATION : 13. place Bredà.
PARIS, 29 JANVIER 1868.
LES BANDITS DU VAR
Leur crime étiie de ceux que rien. n'excuse.
Ils ne tuaient pas p01tr se venger, comme des
Corses. Cô n'était pas la jalousie qui leur
mettait la carabine ou le poignard 4 la
main. Non. 11^ Assassinaient pour voler. A la
vie laborieuse et-sédentaire du commun des
hommes ils proféraient -la paresse etl'aven-j
ture. Ils aimaient pour e\^x les longs pepas.e.V
les siestes à l'ombre, pour leurs maîtresse^
les robes de ,soie, -les colliers et-les boucler
d'or. Combien étaient-ils? Peut-être cerrt,
peut-être deux cents, peut-être davantage.
On a prétendu' qua quelques villages de la
côte tout entiers étaient leurs complices,
* comme certains villages des Abruzzes ,sont
Les complices des brigands napolitains. Une
vingtaine ont été arrêtés. Quatre ont été con-
damnés à mort. Trois :viennent d'être exécu-
tés. La Petite Presse vous a donné hier et
vous donne encore aujoùrd'hui les détails du
supplice : l'impassibilité de deux' des coupa-
bles, la défaillance du troisième, l'attente
letue do la foule, et ce mur qui .penche sous le
; poids des curieux...
Justice est faite... j
Lorsque le jury d'Aix eut prononcé la con-
damnation :
— Goda, demanda le président, avez-vous
quelque chose à dire?...
— Oui, monsieur. Je suis las de ma vie de
crimes et de misères, et je demande à mourir
" demain.
Le lendemain appelé par Coda n'est venu
qu'hier.
La justice française est lente à frapper,
lorsqu'il s'agit de la vie d'un homme.
Les condamnés ont attendu, sans espérer
beaucoup, avec une sorte d'indifférence..,
m
Les débats nous les ont fait connaître:
Coda, le chef de la bande, était un grand
jeune homme, fort et bien pris dans sa haute
taille.. Ses cheveux châtains étaient coupés
court. Une toute petite moustache stirmon-
»
tait sa lèvre. Sa physionomie avait une dou-
ble expression : l'énérgie et' la douceur. On
racoritait de lui des choses étranges. Ce ban-
dit de vingt-huit ans, avant de quitter l'Italie,
avait inspiré une passion profonde à une
jeune fille des environs de Gênes. Cette jeune
fille voùlait voir absolument un Hernani dans
le voleur de.grand chemin qu'elle aimait.
— la te suivrai, et je partagerai tes périls !
s'écriait-elle. >
Coda. la baisait chastement au front, et, la
ramenant jusqu'au v-erger de son père :
— À demain, lui disait-il.
t Le lendemain il avait fui ; il passait les
Alpes, ne voulant pas attacher à son sort
Maudit le sort de celle qu'il avait assez aimée
pour la respecter.
Une autre fois, dans une fermé à sac,
parmi les meurtres et les vols, il entend de
petits cris, des cris d'enfants. Un de ses
hommes avait enfermé dans une cave les
marmots du logis, afin de s'en débarrasser.
Vite, Coda descend. Il déiivre les prisonniers,
et remonte en les'tenant dans ses bras. Son
visage, ravagé par la lutte, s'était adouci. Ses
mains, teintes de sang, tapotaient doucement
les petites menottes des enfants, et. de ses
lèvres, donttout à l'heure partait le mot :
— Tue! s'échappait maintenant un chant de
nourrice, joyeux et doux.
A Marseille, en prison, il faillit s'évader.
On lui avait fait passer un ressort de montre,
et il avait eu raison de ses chaînes et de son
cachot. Il avait descellé une pierre énorme,
creusé un conduit souterrain....
Pour qu'il n'y eût pas de trace de son tra-
vail autour de lui, il pulvérisait 1-es déblais
dont il jetait la poussière au vent. Pour que
rien sur lui-même ne trahit son effort, il
ôtait ses vêtements. C'est nu qu'il s'engageait
dans l'étroit boyau dont il ne sortait jamais
sans y laisser quelques lambeaux de sa
chair!...
On le surprit. ■
Il n'eut ni colère, ni désespoir.
—' Je recommencerai, dit-il tranquille-
ment.
Plus tard, il y renonça.
Je pourrais fuir, disait-il sans cesse
pendant son procès, mais à quoi bon ? Je suis
las. Je préfère mourir.
Parfois, dans le cours des débats, il se re-
tournait, et regardait un de ses compagnons.
Si ce dernier parlait, le regard de Coda arrê-
tait net la parole sur ses lèvres, ou bien au
contraire il lui communiquait une sorte de
verve. """"
C'était de la terreur ou de l'enthousiasme
qu'inspirait le chef à ses hommes.
-
Le plus gentleman de ces derniers était
Narda.
B^u garçofi, cffnjme on l'est en Italie,
c'est' .,dire avec les traits trop corrects, la
moufta'che trop noire, les favoris à la Ber-
gamjftro.p épais, les yeux trop grands et les
habi trop '.neuf,-;, Nardi appartenait à une
exeeœnte famille, et avait reçu une bonne
cduc tioh.
Quaranta était une autre physionomie ty-
pique.
Il offrait aux regards le masque que la tra-
dition se plaît à prêter aux conspirateurs.
Petlt' maigre, nerveux, le, regard de travers,
d'un» impassibilité absolue, l'air d'un specta-
teur dans sa propre cause, il n'avait de vivant
en lui que le sourire, sourire mince, dédai-
gneux , plein d'ironie , mais trop fréquent
plut-être pour être vrai.
* »
Mulateri, — le gracié, — avait une tête
arabe, à l'expression à la fois intelligente et
féroce : le front largement découvert, les
lèvres épaisses, les narines relevées, les pom-
mettes faisant saillie dans la barbe coton-
neuse...
Bepuis la condamnation, on avait permis à
ces hommes de se voir.
Ils passaient ensemble quelques heures,
chaque jour, dans le préau de la prisori. On
parlait peu. Au fait, qu'avait-on à se dire?
Le temps n'en passait pas moins rapidement.
:*îv J
*Les prisonniers ressemblent toujours un peuf
aux enfants. Un rien les distrait, tant les dis--'
tractions sont rares. Ceux-là jouaient à de
petits jeux de leur pays ; ils faisaient frire des
pommes de terre; ils. mettaient en commun
leurs provisions. Et puis, c'était : — A de-
main!...
Le lendemain désiré par Coda,
Je tiens à le répétés, je ne suis pas de ceux
qui se plaisent à poétiser les assassins et les
voleurs. Mais, il faut le dire aussi parçe que
jeela honore et relève l'humanité, il y a au.
fond des âmes les plus perverses des éhnuel- ;
les de bien. Le criminel le plus endurci, lors-
qu'il monte sur l'échafaud, peut à cette heure
suprême où toute son existence repasse en.
quelques secondes sous ses yeux, retrouver
dans sa mémoire un sourire ou une larme, la
souvenir d'une bonne action,
Coda, lorsqu'il semait à pleines mains l'ar-
gent de ses vols, avait, eu des maîtresses. A -
; son dernier moment, ce n'est pas. à elles qu'il
.aura songé ; --niais .sans doute il' aura revu,
i dans une pure vision, sa fiancée de là-bas, la
jeune fille de Gênes, qu'il avait aimée et qu'il
; avait fuie...
Natures étranges, du reste, que ces naturea
de bandits Italiens.
L'un, est quelque habitué du port de Na-
pies, moitié portefaix et moitié ruffian. Lâche,
paresseux, gourmand et cruel, il a tous les
vices de la décadence, et il ne sait pas même
mourir. Dans la montagne, il est plus avide
que tous les autres, ét il n'entend pas laisser
même une chemise au voyageur qui tombe
dans ses mains. Qu'un prisonnier, faute de ,
rançon, soit condamné à mourir, il se char-
gera de l'exécution, et il inventera des suppli-
ces pour prolonger son agonie. Il faut le sang
et le vin réunis pour faire bril!er ses yeux, et
donner un tremblement joyeux à ses chairs
grasses, pareilles à de la gelée. Arrêté, il es-
sayera d'attendrir les gendarmes. Il implorera
les juges. Il dénoncera ses compagnons. Sur
le chemin de la potence, il s'évanouira, et ce
n'est plus guère qu'un cadavre que secoueront
les valets du bourreau...
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
XVI
r-;(\ 82 '
Six heures du matin venaient de sonner.
C'est l'heure réglementaire où on éveille les
prisonniers, et trne cloche placée au centre de
Bath-square se fit aussitôt entendre.
Classés par pénalités, les prisonniers du Cold.
bath-fields ont une administration différente,
dans chaque catégorie.
Les condamnés aux moulins, qui occupent le
centre de la prison, sont pour ainsi dira retran-
chés dans une espèce de forteresse où les autres
condamnés ne pénètrent pas.
Le moulin a son personnel, ses gardiens ; ii
est une prison dans une autre prison.
Le matin, c'est le moulin qui se fait entendre
le premier.
Quand son tic-tac monotone et sinistre com-
mence à retentir, les charpentiers et les forge-
rons se mettent à l'œuvre et on distribue de l'é-
toupe aux autres prisonniers.
Ce matin-là, chose bizarre, le moulin ne se
fit pas. entendre tout d'abord.
Cependant on avait entendu la cloche, et le
gardien chef avait dû ouvrir les cellules des
condamnés. *
il y avait dans le bâtiment affecté au service
du moulin, quatre corridors cellulaires, autant
de corridors que de cylindres, lesquels venaient
aboutir perpendiculairement à une sorte de
r.ond-point à coupole assez élevée.
Sur ce rond point ouvraient cinq portes.
Ces cinq portes étaient celles des logis réser-
vés aux gardiens, lesquels étaient deux pardeux,
sauf le gardien-chef qui occupait une cellula à
[ lui tout seuj " " .
Quand les condamnés étaient couchés, quand
le gardien-chef, M. Barde!, avait fait son inspec-
tion accoutumée et ferme toutes les cellules, y
compris celles des ouvriers détenus provisoire-
ment à Bath-square, le gardien de nuit prenait
son service et son compagnon se couchait.
A six heures du matin, M. Bardei se levait,
ouvrait à la fois la 'porte des quatre corridors et
on faisait lever les condamnes.
Donc, ce matin-là, la cloche se fit entendre
comme à, l'ordinaire ; mais M. Bardot ne sortit
point de sa cellule.
Sur les quatre gardiens qui avaient dû pren-
dre le service à minuit, trois seulement appa-
rurent à l'extrémité de leur corridor respectif.
Des quatre qui avaient dû se coucher à mi-
nuit, trois seulement encore sortirent enfin de
leur cellule et tous, les six se regardèrent avec
un certain étonjs^Çfent.
-. Pour bien fiir4 comprendre ce qui allait se
passer, il est nécessaire de dqgàÉer certains dé-
tails. Sgk
Il y avait donc un corridor ^œjgylindre, avec
des numéros correspondants. ""
Il y avait aussi deux gardiens par corridor,
lesquels étaient toujours affectés, ; au même ser-
vice.
Chacun des deux avait une clé qui ouvrait à
i ta. fois sa cellule, la porte de son corridor et
celle du préau, mais qui ne pouvait ouvrir ni la
porte de la cellule voisine, ni celle d'un des
autres corridors.
Seul, M. Bardel, le gardien-chef, avait une
clé' vrai chef-d'œuvre de serrurerie, qui ouvrait
toutes les portes indistinctement, hormis cepen-
dant la grille de master Pin.
Il est vrai que le gouverneur de la prison
avait, lui, une clé qui ouvrait tout, môme la
grille du portier-consigne.
Or donc, le gardien de n'uit du corridor ne 1
sorti.t en entendant sonner la cloche, et vint
frapper à la porte de la cellule qui portait
également le n- t, afin d'avertir son cama-
rade.
Celui-ci sortit.
Les gardiens des nOS 2 et 3 en firent autant.
Seul, le corridor no 4 demeura fermé.
— Qui donc était de nuit? demanda l'un des
gardiens.
— Jonathan. '
1 — Comment ! dit un autre d'un ton ironique,
c'est ce bon M. Whip qui va prendre le service
du matin, et il ne se presse pas plus que ça. Il a
pourtant entendu la cloche.
— Et Bardel qui dort aussi, fit un troi-
sième.
— Whip, mon cher 1 cria l'ua des g&rdiSQâ 933k
travers de la sorte u- 4.
\ „
Voir le numéro du 22 novesoiiiu.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 87.15%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 87.15%.
- Collections numériques similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
- Auteurs similaires Balathier Bragelonne Adolphe de Balathier Bragelonne Adolphe de /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Balathier Bragelonne Adolphe de" or dc.contributor adj "Balathier Bragelonne Adolphe de")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k47176534/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k47176534/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k47176534/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k47176534/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k47176534
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k47176534
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k47176534/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest