Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-12-15
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 15 décembre 1867 15 décembre 1867
Description : 1867/12/15 (A2,N605). 1867/12/15 (A2,N605).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717607w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
; 1 JOURNAL QUOTIDIEN
a ceoMe numéro :
; Il~. 1 :
: ~ : ~~ ^ , 5 tent., * le DIIIIéro.
1
.
ABONNEMENTS. - — Trois mois. /, sii imois. Dé ta. '!
Pana & fr. 9 fr. 18 &. ,
Départements.. S il W9
Administrateur : E. - DBLSAUX. 1 - 1
'1
e
2,5 année: — DIMANCHE 45 DECEMBRE 4867. 1 — N° 605
Dii'ttteu.r-Propriétaire : JAN fi 1 ['(.',
Rédacteur en chef: A. DE BALAT HIER BRAGELONNE. :
BUREAUX D'ABON NEIlEtiT, : 9. r*«e Drouot.
ADMINISTRATION : i3. place Brada. , '
La Presse illustrée journal hebdoma- ;
<îaire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
times seulement à tonte personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 14 DÉCEMBRE 1867.
LA TEMPÊTE
Madame Baudoin est une des plus riches
propriétaires d'Etretat. Son père, un fermier
du pays de Caux, lui a laissé tard une fortune
que sou mari n'aurait pas manqué de boire,
si la mort ne l'avait pris à temps. '
Veuve, avec un fils unique, Madame Bau-
doin avait projeté de marier ce fils à une hé-
ritière , et de voir ainsi grandir encore sa
maison. ;
Par malneur, Louis Baudoin devint amou-
reux de la fille d'un pauvre diable de pêcheur
qui n'avait pas même un bateau, et il résolut
de l'épouser. La veuve refusa son consente-
ment. Il tint bon. On est têtu par là-bas. La
bataille dura un an, au bout duquel : —
Epouse, si tu veux, dit la mère, mais j... ne
verrai jamais ta femme, et Lu n'auras pas un
spu de moi, de mon vivant. — A votre gré,
dit Louis.... Et la noce eut lieu.
Cinq ans s'écoulèrent. Trois petits enfants
survinrent. Louis allait à la pêche avec son
beau-père. Sa femme nourrissait les enfants.
On tirait un peu le diable par la queue.
Mais l'amour faisait passer sur tout,et l'on
ne se plaignait pas. On ne s'adressait pas non
plus à Mme Baudoin. Le dimanche, quand
on la rencontrait, à la sortie de la messe, on
la saluait parce que c'était un devoir. Elle,
'alors, se redressait dans sa mante brune, et
pressait le pas sans répondre, comme si un
serpent l'eût piquée au talon.
J\i visite, ni lettre, ni rapports d'aucune
porte. Rien que ce salut, que faisaient les
jeunes, et que la vieille ne rendait pas.
Je rai dit, cela dura cinq ans.
L'autre jour, la tempête fit' mugir la mer,
et trembler les maisons sur la côte.
Madame Baudoin vivait seule avec sa ser-
vante Annette, une de ces grosses tilles des
- plateaux normands, qui semblent néat; poui
. coiffer le bonnet de coton.
j Annette joignit les mains et dit :
s Quel temps il fait, madame ! Il doit 3
avoir bien des gens inquiets dans Etretat...
— QuAr gens ? dit la veuve, qui allait el
venait suivant son habitude, touchant à tout,
• sans avoir l'air de s'occuper de rien.. - ■
Eh bien 1 los parents de ceux qui sont
en mer, donc !
Madame Baudoin s'arrêta.
— Assez 1 dit-elle sèchement.
Elle prit un travail de couture, et, comme
le ciel était noir et le jour faible, elle alla
. s'asseoir contre une fenêtre.
Annette, debout, le visage 'collé aux vitres,
s regardait dans la rue. Comme on lui avait
recommandé le silence, elle ne parlait que
par intervalles, disant: — Tiens, la cheminée
de M. Bertrand vient de tomber!... C'est le
plat à barbe de M. Conchou qui danse !... Ah!
voilà M. Chardon quidescend vers l'échouel...
Pierre Guichard aussi, et Denis Geoflroy, et
Madeleine Goiran!... Pardine, on est curieux
de savoir ce qui se passe là-bas !...
Bavarde ! grommelait la veuve.
Annette se décida à se taire, mais elle ap-
platissait de plus en plus son nez contre la
vitre.
— Non ! finit-elle par crier en tapant du
pied, non ! Je n'ai jamais vu pareil temps !
C'est pitié !...
Madame Baudoin plia son ouvrage, et se
remit à marcher.
On entendait le grand sifflement de l'orage,
de temps en temps des cris, des grincements
de fer, des bruits de volets détachés qui bat-
taient les murs. ,
L'Océan devait être terrible.
La veuve vint droit sur la servante :
— Eh! bien, puisque tu es curieuse,
mets tes sabots, et fais comme les autres : va-
t-en aux nouvelles.
Annette fut prête en une minute.
Comme elle allait passer la porte:
I — Aussitôt que tu auras vu, dit madame
Baudoin, tu reviendras, pour me dire ce qui
en est.
La vieille Normande reprit sa prome-
nade.
Elle allait d'un bout de la chambre à l'au-
tre, les bras croisés, les mains fourrées dans '
ses manches, les lèvres serrées, inspectant,
suivant son habitude, chaque objet sur son
passage.
.Dix minutes s'écoulèrent.
— Cette Annette ne revient pas!
Le vent avait redoublé. On n'entendait plus
que lui.
Tout à coup, le regard de Mme Baudoin
devint.fixe : il était tombé,dans un coin de la
chambre,5ur un petit lit d'enfant.
Dans ces maisons, on garde tout et on laisse
tout à sa place.
Ce lit était celui de son fils...
De son fils qui était en mer.
Depuis une heure, elle pensait à lui. Mais,
dans sa pensée, c'était toujours le grand
Louis quj passait, le pêcheur de vingt-cinq
ans, homme, robuste, qui lui avait dit : A
votre gré", lorsqu'elle lui avait defendu de se
marier, et qui s'était marié tout de même..
Mainte,llant,c'était l'enfant qu'elle revoyait,
avec^ ses cheveux de lin, ses bonnes joues
trouées de fossettes, et ses beaux yeux bleus.
Elle se rappelait ses premiers cris, ses éclats
: de rire, ses baisers à pleines mains, et tous
les beaux projets quelle avait faits auprès de
son berceau.
On a beau être du pays de Caux, être
riche, être entêtée, être de pierre, ces choses-
là vous remuent, quand le vent gronde.
La Normande se, mit à genoux devant le
petit lit, jet fit le signe de la croix.
Mais la prière, soulagement des âmes pa-
tientes, n'était pas son fait.
' En un instant, elle fut sur pied ; elle dé-
crocha sa mante, la serra sur son dos, et se
dirigea vers la porte :
— Cette Annette qui ne revient pas ï...
Et ellf^se jnit à marcher à grands pas dans
la rafale. .
Comme elle tournait la rue, un groupe lui
barra le passage.
Ce groupe entourait deux ou trois pêcheurs,
aux vêtements inondés d'eau, aux grandes
bottes souillées, les mains et le visage en
sang....
Elle s'arrêta court, et, d'uue voix rauque :
— Sont-ils tous revenus? dit-elle.
Un de ceux qui étaient là consulta les
autres de l'œil, et lui répondit :
— Oui.
Elle continua son chemin.
Alors, un des marins se détacha du groupe,
et courut après elle.
" ' :\ \ : • '
v I ^— Madame Baudoin ! madan^e Baudoia
Où allez-vous donc comme ça? 1
— Là-bas !... ' 1 «';
: Et elle montrait la mer.
L'homme l'arrêta par son manteau: '
A quoi ça vous servira-t-il? LeI.. temf)1I
n " est pas beau : retournez chez vous. Pwiscluc
nous sommes tous rentrés, n'est-ce pas Il
Elle le regarda dans le blan4 ttM
' : — Tous? 1■ ....
— Mais certainement I... ; - ?
' - Jure-le.
■ Le marin se troubla.
— Dame ! fit-il, ceux qui n'ont pas aborda
ici auront sans doute touché i Yport... Ot(-
peut-être même à Fécamp, qui sait?
Elle se dégagea, et voulut repartir. Il l'ar- -
rêta encore. •
Annette remontait la rue, le visage bou-
leversé. •
— Non ! non ! cria-t-elle, en voyant sa „
maîtresse. Non ! madame, n'y allez pas. ;
La vieille fut prise d'un grand tremble- j
ment. Sa face hâtée devint 14vide. Ses' yeux
se fermèrent. Elle s'appuya sur sa servante vi*
pour ne pas tomber.
— C'est ma faute ! ma faute ! ma faute ! l',
répétait-elle, et ses dents claquaient pendant a
qu'elle disait cela. :
.On voulut la faire entrer dans una maison. *»
Elle refusa.
— Annette , dit-elle, je veux les voir !
Par quel miracle cela se fit-il? Mais elle i :
retrouva des forces. - '
Les deux femmes s'acheminèrent vers laj
maison où demeurait Louis Baudoin.
Annette posa son pouce sur le loquet.
Madame Baudoin entra. 7
L intérieur était celui de toutes les maisons"*
j de pêcheurs.
Au pied d'un grand lit encadré de nd'aux ;
bleus , deux couchettes étaient séparées par'».
un berceau. Une extrême propreté parait l'en- :
semble des choses humbles et fortes, ordi-
naires aux gens de la mer.
La jeune femme se relevait à peine de sa.;,
dernière couche. Elle se tenait assise, son a
plus jeune enfant sur les genoux, les autres pendus à son tablier, tout effarés. I
L'inquiétude avait accru sa pAle.. Ne pou-
vant sortir, elle avait envoyé ses parents aux -,
nouvelles, et elle attendait, respirant à peine.. •'
ROCAMBOLE
N° 36 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXXVII
Maintenant revenons un moment sur nos pas,
et voyons ce qui s'était passé dans le cottage de
mistress Fanoche. Nous avons laissé le petit
Ralph au moment où la brutale Ecossaise Mary
devait le fouet sur lui et le frappait.
La douleur lui arracha un cri ; mais ce cri fut
Noir le Quoaéro du 8 uevembro., I
unique. L'enfant se roidit ensuite et croisa ses
deux bras sur sa poitrine, regardant son bour-
reau d'un air de défi.
~ L'Ecossaise frappa encore.
Heureusement comme elle levait le fouet pour
la troisième fois, la porte s'ouvrit et mistress
Fanoche reparut.
Elle jeta un cri à son tour, s'élança sur l'Ecos-
saise et lui arracha le fouet.
Puis, d'un geste impérieux, elle lui ordonna
de sortir.
L'Ecossaise s'en alla sans mot dire.
Alors mistress Fanoche voulut prendre l'en-
fant dans ses bras.
— Où est ma mère? demanda celui-ci avec
ténacité.
— Ta mère est allée faire un voyage, mon petit
homme, lui répondit-elle d'un ton doucereux,
et je lui ai promis d'avoir bien soin de toi.
Ralph attacha sur elle un regard profond, le
regard d'un homme et non d'un enfant,
— Vous me trompez ! dit-il.
— Pourquoi veux-tu que je te trompe, mon
mignon? fit mistress Fanoche.qui se mit à l'em-
brasser. Ta maman est partie, c'est bien vrai,
mais elle reviendra..
— Quand?
— Demain.
-- Vous me trompez, répéta l'enfant. Je veux
m'en aller.. "
— Hein ?
— Je veux sortir d'ici, fit-il avec un accent de
volonté.
—■ Et si tu sors d'ici, où iras-tu ? demanda la
nourrisseuse d'enfants.
— J'irai rejoindre ma mère.
— Tu gais bien que c'est impossible.
— Pourquoi ?
— Parce que ta mère est partie.
L'enfant frappa du pied.
— Je veux sortir î répéta-t-il.
Et il marcha vers la porte.
Mistress Fauoche le prit par le bras :
— Mon mignon, dit-elle, quand un enfant
veut être traité avec douceur et n'être point
battu, il doit ètre sage, sinon...
— Battez-moi, mais laissez-moi sortir...
L'obstination de Ralph, l'énergie avec laquelle
il se débattait aux mains de mistress Fanoche,
exaspéraient celle-ci.
Elle appela de nouveau l'Ecossaise.
Mary revint, armée de s«n terrible fouet.
Cette fois, mistress Fanoche ne souriait plus.
— Couche-moi ce petit vaurien, dit-elle à
l'Ecossaise.
Elle sortit, et Ralph resta de nouveau au
I . u;ouvoir d,c la. terrible servante.
Celle-ci le prit par le bras, le pous?a ruda- f?
ment devant elle, et comme il essayait do -résis.
ter, elle le frappa de nouveau. /
Puis elle ouvrit une porte au fond du parloir f
et Ralph vit une petite chambre dana laquelle il"
y avait un lit.
Cette chambre ressemblait vaguement à celle
où il s'était endormi dans les bras de sa mère.
Un moment, l'enfant eut une illusion et se
mit à crier :
I — Maman ! maman !
Un éclat de rire de l'Ecossaise lui répondit
seul.
— Maman f dit-il une fois encore.
Le fouet retomba.
Alors, vaincu par la douleur, l'enfant se prit' ;
à pleurer. j
L'Ecossaise, alors, se mit à la déshabiller
tranquillement, et Ralph ne résista plus. ' ■
Son énergie l'avait abandonné, depuis qu'tt!
pleurait, tant les larmes sont énervantes. '
II pleura longtemps, le pauvre enfant, inter-
rompant ses sanglots pour appeler sa mère, qui
ne lui répondait pas.
Puis, à la prostration morale succéda, une
prostration physique, et il finit par s'endormir. t
Il était grand jour quand il s'éveilla, èt Ht
soleil inondait la chambre.
^ Ralph ieta un regard auteur de ici.
; 1 JOURNAL QUOTIDIEN
a ceoMe numéro :
; Il~. 1 :
: ~ : ~~ ^ , 5 tent., * le DIIIIéro.
1
.
ABONNEMENTS. - — Trois mois. /, sii imois. Dé ta. '!
Pana & fr. 9 fr. 18 &. ,
Départements.. S il W9
Administrateur : E. - DBLSAUX. 1 - 1
'1
e
2,5 année: — DIMANCHE 45 DECEMBRE 4867. 1 — N° 605
Dii'ttteu.r-Propriétaire : JAN fi 1 ['(.',
Rédacteur en chef: A. DE BALAT HIER BRAGELONNE. :
BUREAUX D'ABON NEIlEtiT, : 9. r*«e Drouot.
ADMINISTRATION : i3. place Brada. , '
La Presse illustrée journal hebdoma- ;
<îaire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
times seulement à tonte personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 14 DÉCEMBRE 1867.
LA TEMPÊTE
Madame Baudoin est une des plus riches
propriétaires d'Etretat. Son père, un fermier
du pays de Caux, lui a laissé tard une fortune
que sou mari n'aurait pas manqué de boire,
si la mort ne l'avait pris à temps. '
Veuve, avec un fils unique, Madame Bau-
doin avait projeté de marier ce fils à une hé-
ritière , et de voir ainsi grandir encore sa
maison. ;
Par malneur, Louis Baudoin devint amou-
reux de la fille d'un pauvre diable de pêcheur
qui n'avait pas même un bateau, et il résolut
de l'épouser. La veuve refusa son consente-
ment. Il tint bon. On est têtu par là-bas. La
bataille dura un an, au bout duquel : —
Epouse, si tu veux, dit la mère, mais j... ne
verrai jamais ta femme, et Lu n'auras pas un
spu de moi, de mon vivant. — A votre gré,
dit Louis.... Et la noce eut lieu.
Cinq ans s'écoulèrent. Trois petits enfants
survinrent. Louis allait à la pêche avec son
beau-père. Sa femme nourrissait les enfants.
On tirait un peu le diable par la queue.
Mais l'amour faisait passer sur tout,et l'on
ne se plaignait pas. On ne s'adressait pas non
plus à Mme Baudoin. Le dimanche, quand
on la rencontrait, à la sortie de la messe, on
la saluait parce que c'était un devoir. Elle,
'alors, se redressait dans sa mante brune, et
pressait le pas sans répondre, comme si un
serpent l'eût piquée au talon.
J\i visite, ni lettre, ni rapports d'aucune
porte. Rien que ce salut, que faisaient les
jeunes, et que la vieille ne rendait pas.
Je rai dit, cela dura cinq ans.
L'autre jour, la tempête fit' mugir la mer,
et trembler les maisons sur la côte.
Madame Baudoin vivait seule avec sa ser-
vante Annette, une de ces grosses tilles des
- plateaux normands, qui semblent néat; poui
. coiffer le bonnet de coton.
j Annette joignit les mains et dit :
s Quel temps il fait, madame ! Il doit 3
avoir bien des gens inquiets dans Etretat...
— QuAr gens ? dit la veuve, qui allait el
venait suivant son habitude, touchant à tout,
• sans avoir l'air de s'occuper de rien.. - ■
Eh bien 1 los parents de ceux qui sont
en mer, donc !
Madame Baudoin s'arrêta.
— Assez 1 dit-elle sèchement.
Elle prit un travail de couture, et, comme
le ciel était noir et le jour faible, elle alla
. s'asseoir contre une fenêtre.
Annette, debout, le visage 'collé aux vitres,
s regardait dans la rue. Comme on lui avait
recommandé le silence, elle ne parlait que
par intervalles, disant: — Tiens, la cheminée
de M. Bertrand vient de tomber!... C'est le
plat à barbe de M. Conchou qui danse !... Ah!
voilà M. Chardon quidescend vers l'échouel...
Pierre Guichard aussi, et Denis Geoflroy, et
Madeleine Goiran!... Pardine, on est curieux
de savoir ce qui se passe là-bas !...
Bavarde ! grommelait la veuve.
Annette se décida à se taire, mais elle ap-
platissait de plus en plus son nez contre la
vitre.
— Non ! finit-elle par crier en tapant du
pied, non ! Je n'ai jamais vu pareil temps !
C'est pitié !...
Madame Baudoin plia son ouvrage, et se
remit à marcher.
On entendait le grand sifflement de l'orage,
de temps en temps des cris, des grincements
de fer, des bruits de volets détachés qui bat-
taient les murs. ,
L'Océan devait être terrible.
La veuve vint droit sur la servante :
— Eh! bien, puisque tu es curieuse,
mets tes sabots, et fais comme les autres : va-
t-en aux nouvelles.
Annette fut prête en une minute.
Comme elle allait passer la porte:
I — Aussitôt que tu auras vu, dit madame
Baudoin, tu reviendras, pour me dire ce qui
en est.
La vieille Normande reprit sa prome-
nade.
Elle allait d'un bout de la chambre à l'au-
tre, les bras croisés, les mains fourrées dans '
ses manches, les lèvres serrées, inspectant,
suivant son habitude, chaque objet sur son
passage.
.Dix minutes s'écoulèrent.
— Cette Annette ne revient pas!
Le vent avait redoublé. On n'entendait plus
que lui.
Tout à coup, le regard de Mme Baudoin
devint.fixe : il était tombé,dans un coin de la
chambre,5ur un petit lit d'enfant.
Dans ces maisons, on garde tout et on laisse
tout à sa place.
Ce lit était celui de son fils...
De son fils qui était en mer.
Depuis une heure, elle pensait à lui. Mais,
dans sa pensée, c'était toujours le grand
Louis quj passait, le pêcheur de vingt-cinq
ans, homme, robuste, qui lui avait dit : A
votre gré", lorsqu'elle lui avait defendu de se
marier, et qui s'était marié tout de même..
Mainte,llant,c'était l'enfant qu'elle revoyait,
avec^ ses cheveux de lin, ses bonnes joues
trouées de fossettes, et ses beaux yeux bleus.
Elle se rappelait ses premiers cris, ses éclats
: de rire, ses baisers à pleines mains, et tous
les beaux projets quelle avait faits auprès de
son berceau.
On a beau être du pays de Caux, être
riche, être entêtée, être de pierre, ces choses-
là vous remuent, quand le vent gronde.
La Normande se, mit à genoux devant le
petit lit, jet fit le signe de la croix.
Mais la prière, soulagement des âmes pa-
tientes, n'était pas son fait.
' En un instant, elle fut sur pied ; elle dé-
crocha sa mante, la serra sur son dos, et se
dirigea vers la porte :
— Cette Annette qui ne revient pas ï...
Et ellf^se jnit à marcher à grands pas dans
la rafale. .
Comme elle tournait la rue, un groupe lui
barra le passage.
Ce groupe entourait deux ou trois pêcheurs,
aux vêtements inondés d'eau, aux grandes
bottes souillées, les mains et le visage en
sang....
Elle s'arrêta court, et, d'uue voix rauque :
— Sont-ils tous revenus? dit-elle.
Un de ceux qui étaient là consulta les
autres de l'œil, et lui répondit :
— Oui.
Elle continua son chemin.
Alors, un des marins se détacha du groupe,
et courut après elle.
" ' :\ \ : • '
v I ^— Madame Baudoin ! madan^e Baudoia
Où allez-vous donc comme ça? 1
— Là-bas !... ' 1 «';
: Et elle montrait la mer.
L'homme l'arrêta par son manteau: '
A quoi ça vous servira-t-il? LeI.. temf)1I
n " est pas beau : retournez chez vous. Pwiscluc
nous sommes tous rentrés, n'est-ce pas Il
Elle le regarda dans le blan4 ttM
' : — Tous? 1■ ....
— Mais certainement I... ; - ?
' - Jure-le.
■ Le marin se troubla.
— Dame ! fit-il, ceux qui n'ont pas aborda
ici auront sans doute touché i Yport... Ot(-
peut-être même à Fécamp, qui sait?
Elle se dégagea, et voulut repartir. Il l'ar- -
rêta encore. •
Annette remontait la rue, le visage bou-
leversé. •
— Non ! non ! cria-t-elle, en voyant sa „
maîtresse. Non ! madame, n'y allez pas. ;
La vieille fut prise d'un grand tremble- j
ment. Sa face hâtée devint 14vide. Ses' yeux
se fermèrent. Elle s'appuya sur sa servante vi*
pour ne pas tomber.
— C'est ma faute ! ma faute ! ma faute ! l',
répétait-elle, et ses dents claquaient pendant a
qu'elle disait cela. :
.On voulut la faire entrer dans una maison. *»
Elle refusa.
— Annette , dit-elle, je veux les voir !
Par quel miracle cela se fit-il? Mais elle i :
retrouva des forces. - '
Les deux femmes s'acheminèrent vers laj
maison où demeurait Louis Baudoin.
Annette posa son pouce sur le loquet.
Madame Baudoin entra. 7
L intérieur était celui de toutes les maisons"*
j de pêcheurs.
Au pied d'un grand lit encadré de nd'aux ;
bleus , deux couchettes étaient séparées par'».
un berceau. Une extrême propreté parait l'en- :
semble des choses humbles et fortes, ordi-
naires aux gens de la mer.
La jeune femme se relevait à peine de sa.;,
dernière couche. Elle se tenait assise, son a
plus jeune enfant sur les genoux, les autres pendus à son tablier, tout effarés. I
L'inquiétude avait accru sa pAle.. Ne pou-
vant sortir, elle avait envoyé ses parents aux -,
nouvelles, et elle attendait, respirant à peine.. •'
ROCAMBOLE
N° 36 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXXVII
Maintenant revenons un moment sur nos pas,
et voyons ce qui s'était passé dans le cottage de
mistress Fanoche. Nous avons laissé le petit
Ralph au moment où la brutale Ecossaise Mary
devait le fouet sur lui et le frappait.
La douleur lui arracha un cri ; mais ce cri fut
Noir le Quoaéro du 8 uevembro., I
unique. L'enfant se roidit ensuite et croisa ses
deux bras sur sa poitrine, regardant son bour-
reau d'un air de défi.
~ L'Ecossaise frappa encore.
Heureusement comme elle levait le fouet pour
la troisième fois, la porte s'ouvrit et mistress
Fanoche reparut.
Elle jeta un cri à son tour, s'élança sur l'Ecos-
saise et lui arracha le fouet.
Puis, d'un geste impérieux, elle lui ordonna
de sortir.
L'Ecossaise s'en alla sans mot dire.
Alors mistress Fanoche voulut prendre l'en-
fant dans ses bras.
— Où est ma mère? demanda celui-ci avec
ténacité.
— Ta mère est allée faire un voyage, mon petit
homme, lui répondit-elle d'un ton doucereux,
et je lui ai promis d'avoir bien soin de toi.
Ralph attacha sur elle un regard profond, le
regard d'un homme et non d'un enfant,
— Vous me trompez ! dit-il.
— Pourquoi veux-tu que je te trompe, mon
mignon? fit mistress Fanoche.qui se mit à l'em-
brasser. Ta maman est partie, c'est bien vrai,
mais elle reviendra..
— Quand?
— Demain.
-- Vous me trompez, répéta l'enfant. Je veux
m'en aller.. "
— Hein ?
— Je veux sortir d'ici, fit-il avec un accent de
volonté.
—■ Et si tu sors d'ici, où iras-tu ? demanda la
nourrisseuse d'enfants.
— J'irai rejoindre ma mère.
— Tu gais bien que c'est impossible.
— Pourquoi ?
— Parce que ta mère est partie.
L'enfant frappa du pied.
— Je veux sortir î répéta-t-il.
Et il marcha vers la porte.
Mistress Fauoche le prit par le bras :
— Mon mignon, dit-elle, quand un enfant
veut être traité avec douceur et n'être point
battu, il doit ètre sage, sinon...
— Battez-moi, mais laissez-moi sortir...
L'obstination de Ralph, l'énergie avec laquelle
il se débattait aux mains de mistress Fanoche,
exaspéraient celle-ci.
Elle appela de nouveau l'Ecossaise.
Mary revint, armée de s«n terrible fouet.
Cette fois, mistress Fanoche ne souriait plus.
— Couche-moi ce petit vaurien, dit-elle à
l'Ecossaise.
Elle sortit, et Ralph resta de nouveau au
I . u;ouvoir d,c la. terrible servante.
Celle-ci le prit par le bras, le pous?a ruda- f?
ment devant elle, et comme il essayait do -résis.
ter, elle le frappa de nouveau. /
Puis elle ouvrit une porte au fond du parloir f
et Ralph vit une petite chambre dana laquelle il"
y avait un lit.
Cette chambre ressemblait vaguement à celle
où il s'était endormi dans les bras de sa mère.
Un moment, l'enfant eut une illusion et se
mit à crier :
I — Maman ! maman !
Un éclat de rire de l'Ecossaise lui répondit
seul.
— Maman f dit-il une fois encore.
Le fouet retomba.
Alors, vaincu par la douleur, l'enfant se prit' ;
à pleurer. j
L'Ecossaise, alors, se mit à la déshabiller
tranquillement, et Ralph ne résista plus. ' ■
Son énergie l'avait abandonné, depuis qu'tt!
pleurait, tant les larmes sont énervantes. '
II pleura longtemps, le pauvre enfant, inter-
rompant ses sanglots pour appeler sa mère, qui
ne lui répondait pas.
Puis, à la prostration morale succéda, une
prostration physique, et il finit par s'endormir. t
Il était grand jour quand il s'éveilla, èt Ht
soleil inondait la chambre.
^ Ralph ieta un regard auteur de ici.
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