Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-11-28
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 28 novembre 1867 28 novembre 1867
Description : 1867/11/28 (A2,N588). 1867/11/28 (A2,N588).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47175902
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
. JOURNAL ~ -' QUOTIDIEN .~ .
1
S cent. le numéro ~
. 5 cent. le numéro
ÀJOHtfEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an 1
Paris.......... Ii fir. 9 fr. 48 fr,
Départements.. O il
i Administrateur : E. DELSAO*- W ... 1
21 année. — JEUDI 28 NOVEMBRE 1867. — No 588 -
* '
Directeur-Proprié tai?,e : Jànnin.
Rédacteur en chef: A. DE BALAT.HIER BRAGELONNE,
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
, ADMINISTRATION : 13, place Breda._
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire à 10 centimes,-est vendue 5 cen-
times seulement à toüte personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
H 'le dimanche en pr-ovince. If
PARIS, 27 NOVEMBRE 1867.
LE FOURNEAU ÉCONOMIQUE
Six heures du matin. Le brouillard fume
. dans la rue obscure. Dans la chambre froide
le mari s'habille à la lueur d'une chandelle,
tandis que la femme, penchée sur un 'petit
fourneau, souffle pour faire prendre quelques
charbons.
L'homme s'impatiente : m
— Tu aurais aussi bien fait de rester au
. lit.
— iCvec ça que je te laisserai partir sans
que tu aies mangé la soupe !
— Je serai en retard.
— C'est possible. En tout cas, ça ne sera
pas de ma faute. "iiengj tu n'as pas seulement
passé tes bretelles, et mon-charbon a déjà
pris.' ,&ii' ■ *
— Là! je suis prêt... Quand je te le di-
sais... •
— Tu es prêt... Tu es prêt... La soupe
aussi est prête. Lav'là! Prends garde de te
brûler!
L'honlme plante sa. umiltèro dans lo pot
couvert de cendres. Il va la porter à ses lè-
vres.' - :
— Bah ! un verre de vin me suffit, — avec
une croûte... Garde la soupe pour les en-
* fants ! 0 1
— Ne t'inquiète pas des enfants ! "*
— Et si je veux m'en inquiéter, moi ? Ce
n'est pas toi qui m'en empêcheras p' t'être!...
Mes enfants sont à moi, n'est-ce pas ?...
— Ils sont bien un peu à moi aussi, je
suppose. Quand je te dis que tu peux man-
ger c' t' EOupe.
— Mais si je la mange, ils ne l'auront
pas.
* — Eh ben ! ils en auront une autre. !
— Une autre... Comme tu y vas!... Je !
sais le prix du gite : douze sous la livre. Et J
une livre ne fait pas un gros bouillon... En
ménage, il faut de l'économie.. „
—- Est-ce que tu me reprocherais de jeter
l'argent par les fenêtres ?
— Je ne dis pas *ça.* Mais... -,
— Mais 'tu le penses. Les hommes sont
tous les mêmes. Il .faut"qu'on leur dise tout.
Eh bien ! tout à l'heure, quand les enfants
se réveilleront, je les débarbouillerai d'a-
bord. t V1 -
— Ce n'est pas ça qui leur donnera à
manger
— Ah ! si tu ne me laisses pas finir 1... En-
suite je les habillerai.
— Naturellement.'.
— Ensuite je leur donnerai à chacun trois
soii>. ' , ' . •
— Trois sous... pourquoi faire?
— Pour déjeuner donc. Avec ces trois
sous, ils iront au fourneau, et il~ auront ceçt
cinquante grammes de pain pour un sou.
Ah ! «
— Une bonne soupe grasse pour un autre
sou. • ■ '
—; Matin !■.,.- *
, — Et, pour le troisième sou, un joli mor-
ceau de bœuf.
— Tu m'en diras tant.
— Mon Dieu, c'est bien simple. On fait la
soupe et on cuit le bœuf pour un tas de gens.
On achète le pain en gros. De la sorte, tout
revient à meilleur marché...
— A meilleur marché tant que tu vou-
dras. Mais pas à un sou !...
—Oh! un sou ou huit centimes... Ça re-'
vient à huit centimes ; — après?
— Après? rien ; — je n'aime pas à recevoir
l'aumône, moi !
r-1 Ce n'est pas l'aumône, puisque c'est le
gouvernement, et queïé,~gu'uveniétïïent, C'est"
tout le monde. Quand tu bois un, litre de vin,
tu payes ta part d'entrée, -n'est-ce pas? Tu
payes aussi l'impôt?
— Oui.
— Eh bien! c'est ton impôt qu'on te rend
en bouillon, voila.
— En elle t.
— Allons! va-t en. Tu es un bon homme
tout de même !
— Et toi, une brave femme. J'embrasserais
ben les petiots ; mais j'ai peur de les réveil-
ler. Je vas t'embrasser pour eux.
— Surtout boutonne-toi dans l'escalier.
Ca pique, je le sens !
•
. Sept heures et demie. La rue. Le brouillard
commence à monter. H fait jour. Mais il fait
froid aussi. — Ça pique, comme dit la bonne
femme. „
Là-bas, tout au fond, quelques arbres dé-
pouillés attestent l'hiver.
Au bord des trottoirs, deux chiffonniers
cherchent leur vie dans les débris amonce-
lés.
La plupart des volets sont encore clos. Les
boutiques s'ouvrent. ,
Un garçon marchand de vin mal éveillé,
une pièce de la devanture dans 4es mains,
se retourne pour donner un coup de pied à
un*chien errant. , 1
— Brulaf! murmure une laitière accroupie
sur le pM d'une porte, entre ses arrosoirs.
. Quatre sergents de ville, les mains dans les
manche de leurs cabans, se promènent de
long en large.
L'un d'e-nx, qui porte les galons d'argent,
regarde l'heure à sa montre. Il dit un mot.
Les quatre hommes alors se groupent de-
vant une devanture, à vitres barbouillés de
blanc.
Peu à peu, une queue s'organise sur le '
trottoir. "
En tête Ee carre un petit garçon de six
ans, aux yeux noirs, aux joues roses? au nez 1
rouge de froid. Ce petit rit d'un bon rire.
•Une de ses menottes garnies de mitaines
tient u.n;;bidon de fer blanc.
'' Puis vient- une fillette de douze ans, tète
.pue, vêtue d'indienne, de mauvaises pantou-
fles aux pieds, une physionomie souffreteuse
et pensive.
D'autres enfants se bousculent. Un vieux,
tout ëoutbé, à la veste d'amadou, s'appuie
TWix nnmmprpp. dr. ,!2TOS£f\R.!:.a....
pelims bleues su' les oreilles, causent en
riant. Encore des petits garçons et des peti-
tes tilles. Encore des vieillards et des fem-
mes...
La queue grossit.
Tout à coup, un long cheval étique arrive
au galop, traînant une voiture fermée. La
voiture s'arrête. Le bidet souffle ; son poil
fume. Deux des sergents abattent le fond de
la voiture. Le charretier monte dans l'inté-
rieur et leur passe des pains qu'ils transpor-
tent dans l'allée.
Pains frais, pains rassis, pains longs, pains
découpés en tranches....
Du pain !
La porte s'ouvre.
— Entrez ! dit le brigadier.
Les enfants se précipitent. Le premier vieux
» les suit plus lentement.
— Assez ! *
. — Encore moi ! dit une des femme».
Le sergent dit :
— Dans un instant... Ce ne sera pas long.
Une grande-salle blanche,-séparée en deux
par des piliers.
Dans le fond, des piles de fagots, des tas de
charbon, des pyramides de sacs...
Dans la première partie, une longue table.
D'un côté de cette' table, un immense four-
neau et un large banc. On voit, par les inter-
stices du fourneau, le feu rouge de l'intérieur;
on entend bouillir les marmites colossales....
Une commère, la jupe retroussée sur le
côté, un madras autour de la tê:e, une lon-
gue cuillère à la main, soulève les couver-
cles, agite le contenu, y puise et remplit de
vastes plats çreux, qu'un sergent transporte ^
sur le banc.
Deu^, sœurs de Saint-Vincent-de-Paul sont
là, visflges jeunes et souriants sous les coiffe^ i •
blanches à grandes ailes déployées. L'une
d'elles est grave ; elle sourit doucementi :
parle peu; l'autre, au contraire, vive et
jaseuse, égayé de son accent méridional le
va et vient de la veúte.
Car le marché vient de commencer.
Les clients se sont alignés de l'autre côté
de là table.
Les sergents de ville, au milieu d'eux,
transmettent les commandes, prennent les ,
sous et donnent en échange les bidons et lef
plats remplis. •
Les prix sont affichés :
vri iCcmtTfàiCi t Ct&VOtlttlvn ili* bfpjtf
Une tranche de bœuf, 5 c.
Un pota'ge .au riz, 5 c.
Une portion de légumes, 5 c.
150 grammes de pain, 5 c. *
Sur l'affiche, il y a encore :
Les aliments peuvent être emportés ou con.
sommés sur place.
La plupart de ceux qui sont là sont des
habitués. • ' •
Une femme a oublié sa bourse.
— Je payerai demain, ma soeur, dit-elle
timidement.
La sœur grave' lui répond doucement :
— Oui.
i Un des vieux s'avance, une écuelle à la
! main.
ROCAMBOLE
mess=""N° 20 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XX
r ■
Laissons maintenant le malheureux enfant au
pouvoir de ses tyrans en jupons, la pauvre Ir- j
iandaise désolée avec Shoking qui la consolait (
de son mieux, mais inutilement, et pénétrons j
dans un public-house bien connu dan" la cité et j
qu'on appelle Relay-last-tavern, ce qui. veut dire,. j
Voir le numéro cl a S novembre, ' I
ou à peu près, lé cabaret du Dernier relai, ou la.
dernière étape, si vous le préférez.
En face est un édifice carré, d'aspect assez
triste, avec des fenètres grillées, une façade en
carton-pâte imitant la pierre taillée en pointe de
diamants, avec deux pavillons en retour sur la
rue, et une manière de pelouse de deux mètres
de large protégée par une petite grille.
Cet établissement haut de trois étages et qui
ressemble à tout, couvent, hôpital, collège ou
prison, dont on n'a qu'une faible idée parce
qu'on voit au dehors, c'est VVhhe-cross, la pri-
son pour dettes de la cité.
L'un des pavillons sert d'entrée aux prison-
mers. ,
L'autre est le logement très-confortable du
gouverneur.
• En face est le Relay-last-tavern.
C'est là que le malheureux débiteur qui va
donner son corps en garantie de, sa dette, boit
le dernier verre de stout, ou bière brune, et
trinque avec les recors qui l'ont appréhendé ; là
que les parents en larmes viennent lui dire
adieu, là que chaque^'our, de deux à trois heures,
ceux qui ont permission d'entrer .dans la prison
ppur aller voir un ami, un père, un fils détenu,
entrent pour attendre que les portes s'ouvrent.
C'est là enfin que miss Penny, son panier à
la main, vient acheter , du jambon, des ' sand-
wich,dp Falé otf du Porter pour ses clients.
Qu'e;;;t-cc\ que-miss Petny?
L C'est la, ûll§ de QgklgiiUch, le geôlier.
Elle a seize ans, elle est petite, fluette, noire
comme un pruneau, éveillée comme une souris
et leste comme un singe.
Elle fait les commissions des détenus, pré-
lève pour sa peine un penny sur l'argent qu'ils
lui donnent pour leurs acquisitions, et ce salaire
modeste lui a valu le sobliliquet qui a fini par
remplacer son nom. - • .
Miss Penny entre dix fois par jour'dans Re-
lay-last.
Outre les recors, outre les parents des déte-
nus, il y a toujours là des oisifs qui ne sont pas
fâchés de savoir ce qui se passe dans White-
cross.
> Miss Penny babille comme un merle ; c'est
une chronique vivante, une gazette qui paraît
une demi douzaine de fois par jour.
Elle a des récits touchants et qui fqgt venir
les larmes aux yeux, et des récits burlesques
qui provoquent d'os éclats de rire.
Presque toujours rires et larmes se sui-
vent.
Miss Penny entremêle une histoire gaie avec
une histoire triste, et quand elle entre dans le
public-house, on fait cercle autour d'elle et mas-
ter Colson, le landiord, pose gravement lenuméro
du Times ou du Morning Post qu'il lisait attentive-
i ment. .1 ■ t i
Ce jour-là, — celui-là même où l'homme gris
s'étart séparé de Shoking en lui confiant l'Irlan-
daise, — miss Penny était en train de faire
pleurer "sea auditoire, tandis que la femm3 du
land-lorà lui emplissait son panier des provi-
sions demandées.
Elle racontait comment les détenus avaient
vu arriver parmi eux un jeune homme si braH,
si doux, au regard inspiré, et si résigné en sa
tristesse, qu'on eût dit un ange à qui Dieu acon-
fié une pénible mission.
Ce jeune homme, dont elle parlait, c'était un
prêtre et ce prêtre,-on le devine, n'était autre
que l'abbé Samuel..
Il n'avait parlé à personne de la cause pre-
mière de son incarcération ; mais un détenu qui
l'avait, reconnu, s'était chargé de ce soin, et il
avait fait avec une éloquence simple et naïve
l'apologie du jeune prêtre.
S'il devait, c'est qu'il avait emprunté pour
son église et pour les pauvres, à qui il avait
donné déjà la dernière obole de son patrimoine;
c'est que, par amour pour son prochain, il avait
eu le courage de s'adresser à cette bête féroce
qu'on appelait Thomas Elgin.
Tous les détenus avaient pleuré, — et main-
tenant les quinze ou vingt personnes réunies
dans le public-house pleuraient pareillement, en
écoutant miss Penny.
Mais la petite, sans le savoir, comprenait a,
merveille l'art dramatique ; elle savait qu'il faut
faire rire après avoir fait pleurer et que le suc-
cès est à ce prix. , .
Aussi de l'abbé Samuel passa-t-elle a sif
! Cooman, l'honorable gouverneur de la prison,
j Midlesex. New eate. Milbank, sont de$ prisée#
. JOURNAL ~ -' QUOTIDIEN .~ .
1
S cent. le numéro ~
. 5 cent. le numéro
ÀJOHtfEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an 1
Paris.......... Ii fir. 9 fr. 48 fr,
Départements.. O il
i Administrateur : E. DELSAO*- W ... 1
21 année. — JEUDI 28 NOVEMBRE 1867. — No 588 -
* '
Directeur-Proprié tai?,e : Jànnin.
Rédacteur en chef: A. DE BALAT.HIER BRAGELONNE,
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
, ADMINISTRATION : 13, place Breda._
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire à 10 centimes,-est vendue 5 cen-
times seulement à toüte personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
H 'le dimanche en pr-ovince. If
PARIS, 27 NOVEMBRE 1867.
LE FOURNEAU ÉCONOMIQUE
Six heures du matin. Le brouillard fume
. dans la rue obscure. Dans la chambre froide
le mari s'habille à la lueur d'une chandelle,
tandis que la femme, penchée sur un 'petit
fourneau, souffle pour faire prendre quelques
charbons.
L'homme s'impatiente : m
— Tu aurais aussi bien fait de rester au
. lit.
— iCvec ça que je te laisserai partir sans
que tu aies mangé la soupe !
— Je serai en retard.
— C'est possible. En tout cas, ça ne sera
pas de ma faute. "iiengj tu n'as pas seulement
passé tes bretelles, et mon-charbon a déjà
pris.' ,&ii' ■ *
— Là! je suis prêt... Quand je te le di-
sais... •
— Tu es prêt... Tu es prêt... La soupe
aussi est prête. Lav'là! Prends garde de te
brûler!
L'honlme plante sa. umiltèro dans lo pot
couvert de cendres. Il va la porter à ses lè-
vres.' - :
— Bah ! un verre de vin me suffit, — avec
une croûte... Garde la soupe pour les en-
* fants ! 0 1
— Ne t'inquiète pas des enfants ! "*
— Et si je veux m'en inquiéter, moi ? Ce
n'est pas toi qui m'en empêcheras p' t'être!...
Mes enfants sont à moi, n'est-ce pas ?...
— Ils sont bien un peu à moi aussi, je
suppose. Quand je te dis que tu peux man-
ger c' t' EOupe.
— Mais si je la mange, ils ne l'auront
pas.
* — Eh ben ! ils en auront une autre. !
— Une autre... Comme tu y vas!... Je !
sais le prix du gite : douze sous la livre. Et J
une livre ne fait pas un gros bouillon... En
ménage, il faut de l'économie.. „
—- Est-ce que tu me reprocherais de jeter
l'argent par les fenêtres ?
— Je ne dis pas *ça.* Mais... -,
— Mais 'tu le penses. Les hommes sont
tous les mêmes. Il .faut"qu'on leur dise tout.
Eh bien ! tout à l'heure, quand les enfants
se réveilleront, je les débarbouillerai d'a-
bord. t V1 -
— Ce n'est pas ça qui leur donnera à
manger
— Ah ! si tu ne me laisses pas finir 1... En-
suite je les habillerai.
— Naturellement.'.
— Ensuite je leur donnerai à chacun trois
soii>. ' , ' . •
— Trois sous... pourquoi faire?
— Pour déjeuner donc. Avec ces trois
sous, ils iront au fourneau, et il~ auront ceçt
cinquante grammes de pain pour un sou.
Ah ! «
— Une bonne soupe grasse pour un autre
sou. • ■ '
—; Matin !■.,.- *
, — Et, pour le troisième sou, un joli mor-
ceau de bœuf.
— Tu m'en diras tant.
— Mon Dieu, c'est bien simple. On fait la
soupe et on cuit le bœuf pour un tas de gens.
On achète le pain en gros. De la sorte, tout
revient à meilleur marché...
— A meilleur marché tant que tu vou-
dras. Mais pas à un sou !...
—Oh! un sou ou huit centimes... Ça re-'
vient à huit centimes ; — après?
— Après? rien ; — je n'aime pas à recevoir
l'aumône, moi !
r-1 Ce n'est pas l'aumône, puisque c'est le
gouvernement, et queïé,~gu'uveniétïïent, C'est"
tout le monde. Quand tu bois un, litre de vin,
tu payes ta part d'entrée, -n'est-ce pas? Tu
payes aussi l'impôt?
— Oui.
— Eh bien! c'est ton impôt qu'on te rend
en bouillon, voila.
— En elle t.
— Allons! va-t en. Tu es un bon homme
tout de même !
— Et toi, une brave femme. J'embrasserais
ben les petiots ; mais j'ai peur de les réveil-
ler. Je vas t'embrasser pour eux.
— Surtout boutonne-toi dans l'escalier.
Ca pique, je le sens !
•
. Sept heures et demie. La rue. Le brouillard
commence à monter. H fait jour. Mais il fait
froid aussi. — Ça pique, comme dit la bonne
femme. „
Là-bas, tout au fond, quelques arbres dé-
pouillés attestent l'hiver.
Au bord des trottoirs, deux chiffonniers
cherchent leur vie dans les débris amonce-
lés.
La plupart des volets sont encore clos. Les
boutiques s'ouvrent. ,
Un garçon marchand de vin mal éveillé,
une pièce de la devanture dans 4es mains,
se retourne pour donner un coup de pied à
un*chien errant. , 1
— Brulaf! murmure une laitière accroupie
sur le pM d'une porte, entre ses arrosoirs.
. Quatre sergents de ville, les mains dans les
manche de leurs cabans, se promènent de
long en large.
L'un d'e-nx, qui porte les galons d'argent,
regarde l'heure à sa montre. Il dit un mot.
Les quatre hommes alors se groupent de-
vant une devanture, à vitres barbouillés de
blanc.
Peu à peu, une queue s'organise sur le '
trottoir. "
En tête Ee carre un petit garçon de six
ans, aux yeux noirs, aux joues roses? au nez 1
rouge de froid. Ce petit rit d'un bon rire.
•Une de ses menottes garnies de mitaines
tient u.n;;bidon de fer blanc.
'' Puis vient- une fillette de douze ans, tète
.pue, vêtue d'indienne, de mauvaises pantou-
fles aux pieds, une physionomie souffreteuse
et pensive.
D'autres enfants se bousculent. Un vieux,
tout ëoutbé, à la veste d'amadou, s'appuie
TWix nnmmprpp. dr. ,!2TOS£f\R.!:.a....
pelims bleues su' les oreilles, causent en
riant. Encore des petits garçons et des peti-
tes tilles. Encore des vieillards et des fem-
mes...
La queue grossit.
Tout à coup, un long cheval étique arrive
au galop, traînant une voiture fermée. La
voiture s'arrête. Le bidet souffle ; son poil
fume. Deux des sergents abattent le fond de
la voiture. Le charretier monte dans l'inté-
rieur et leur passe des pains qu'ils transpor-
tent dans l'allée.
Pains frais, pains rassis, pains longs, pains
découpés en tranches....
Du pain !
La porte s'ouvre.
— Entrez ! dit le brigadier.
Les enfants se précipitent. Le premier vieux
» les suit plus lentement.
— Assez ! *
. — Encore moi ! dit une des femme».
Le sergent dit :
— Dans un instant... Ce ne sera pas long.
Une grande-salle blanche,-séparée en deux
par des piliers.
Dans le fond, des piles de fagots, des tas de
charbon, des pyramides de sacs...
Dans la première partie, une longue table.
D'un côté de cette' table, un immense four-
neau et un large banc. On voit, par les inter-
stices du fourneau, le feu rouge de l'intérieur;
on entend bouillir les marmites colossales....
Une commère, la jupe retroussée sur le
côté, un madras autour de la tê:e, une lon-
gue cuillère à la main, soulève les couver-
cles, agite le contenu, y puise et remplit de
vastes plats çreux, qu'un sergent transporte ^
sur le banc.
Deu^, sœurs de Saint-Vincent-de-Paul sont
là, visflges jeunes et souriants sous les coiffe^ i •
blanches à grandes ailes déployées. L'une
d'elles est grave ; elle sourit doucementi :
parle peu; l'autre, au contraire, vive et
jaseuse, égayé de son accent méridional le
va et vient de la veúte.
Car le marché vient de commencer.
Les clients se sont alignés de l'autre côté
de là table.
Les sergents de ville, au milieu d'eux,
transmettent les commandes, prennent les ,
sous et donnent en échange les bidons et lef
plats remplis. •
Les prix sont affichés :
vri iCcmtTfàiCi t Ct&VOtlttlvn ili* bfpjtf
Une tranche de bœuf, 5 c.
Un pota'ge .au riz, 5 c.
Une portion de légumes, 5 c.
150 grammes de pain, 5 c. *
Sur l'affiche, il y a encore :
Les aliments peuvent être emportés ou con.
sommés sur place.
La plupart de ceux qui sont là sont des
habitués. • ' •
Une femme a oublié sa bourse.
— Je payerai demain, ma soeur, dit-elle
timidement.
La sœur grave' lui répond doucement :
— Oui.
i Un des vieux s'avance, une écuelle à la
! main.
ROCAMBOLE
mess=""N° 20 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XX
r ■
Laissons maintenant le malheureux enfant au
pouvoir de ses tyrans en jupons, la pauvre Ir- j
iandaise désolée avec Shoking qui la consolait (
de son mieux, mais inutilement, et pénétrons j
dans un public-house bien connu dan" la cité et j
qu'on appelle Relay-last-tavern, ce qui. veut dire,. j
Voir le numéro cl a S novembre, ' I
ou à peu près, lé cabaret du Dernier relai, ou la.
dernière étape, si vous le préférez.
En face est un édifice carré, d'aspect assez
triste, avec des fenètres grillées, une façade en
carton-pâte imitant la pierre taillée en pointe de
diamants, avec deux pavillons en retour sur la
rue, et une manière de pelouse de deux mètres
de large protégée par une petite grille.
Cet établissement haut de trois étages et qui
ressemble à tout, couvent, hôpital, collège ou
prison, dont on n'a qu'une faible idée parce
qu'on voit au dehors, c'est VVhhe-cross, la pri-
son pour dettes de la cité.
L'un des pavillons sert d'entrée aux prison-
mers. ,
L'autre est le logement très-confortable du
gouverneur.
• En face est le Relay-last-tavern.
C'est là que le malheureux débiteur qui va
donner son corps en garantie de, sa dette, boit
le dernier verre de stout, ou bière brune, et
trinque avec les recors qui l'ont appréhendé ; là
que les parents en larmes viennent lui dire
adieu, là que chaque^'our, de deux à trois heures,
ceux qui ont permission d'entrer .dans la prison
ppur aller voir un ami, un père, un fils détenu,
entrent pour attendre que les portes s'ouvrent.
C'est là enfin que miss Penny, son panier à
la main, vient acheter , du jambon, des ' sand-
wich,dp Falé otf du Porter pour ses clients.
Qu'e;;;t-cc\ que-miss Petny?
L C'est la, ûll§ de QgklgiiUch, le geôlier.
Elle a seize ans, elle est petite, fluette, noire
comme un pruneau, éveillée comme une souris
et leste comme un singe.
Elle fait les commissions des détenus, pré-
lève pour sa peine un penny sur l'argent qu'ils
lui donnent pour leurs acquisitions, et ce salaire
modeste lui a valu le sobliliquet qui a fini par
remplacer son nom. - • .
Miss Penny entre dix fois par jour'dans Re-
lay-last.
Outre les recors, outre les parents des déte-
nus, il y a toujours là des oisifs qui ne sont pas
fâchés de savoir ce qui se passe dans White-
cross.
> Miss Penny babille comme un merle ; c'est
une chronique vivante, une gazette qui paraît
une demi douzaine de fois par jour.
Elle a des récits touchants et qui fqgt venir
les larmes aux yeux, et des récits burlesques
qui provoquent d'os éclats de rire.
Presque toujours rires et larmes se sui-
vent.
Miss Penny entremêle une histoire gaie avec
une histoire triste, et quand elle entre dans le
public-house, on fait cercle autour d'elle et mas-
ter Colson, le landiord, pose gravement lenuméro
du Times ou du Morning Post qu'il lisait attentive-
i ment. .1 ■ t i
Ce jour-là, — celui-là même où l'homme gris
s'étart séparé de Shoking en lui confiant l'Irlan-
daise, — miss Penny était en train de faire
pleurer "sea auditoire, tandis que la femm3 du
land-lorà lui emplissait son panier des provi-
sions demandées.
Elle racontait comment les détenus avaient
vu arriver parmi eux un jeune homme si braH,
si doux, au regard inspiré, et si résigné en sa
tristesse, qu'on eût dit un ange à qui Dieu acon-
fié une pénible mission.
Ce jeune homme, dont elle parlait, c'était un
prêtre et ce prêtre,-on le devine, n'était autre
que l'abbé Samuel..
Il n'avait parlé à personne de la cause pre-
mière de son incarcération ; mais un détenu qui
l'avait, reconnu, s'était chargé de ce soin, et il
avait fait avec une éloquence simple et naïve
l'apologie du jeune prêtre.
S'il devait, c'est qu'il avait emprunté pour
son église et pour les pauvres, à qui il avait
donné déjà la dernière obole de son patrimoine;
c'est que, par amour pour son prochain, il avait
eu le courage de s'adresser à cette bête féroce
qu'on appelait Thomas Elgin.
Tous les détenus avaient pleuré, — et main-
tenant les quinze ou vingt personnes réunies
dans le public-house pleuraient pareillement, en
écoutant miss Penny.
Mais la petite, sans le savoir, comprenait a,
merveille l'art dramatique ; elle savait qu'il faut
faire rire après avoir fait pleurer et que le suc-
cès est à ce prix. , .
Aussi de l'abbé Samuel passa-t-elle a sif
! Cooman, l'honorable gouverneur de la prison,
j Midlesex. New eate. Milbank, sont de$ prisée#
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