Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-06-05
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 05 juin 1872 05 juin 1872
Description : 1872/06/05 (A6,N2220). 1872/06/05 (A6,N2220).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47152927
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro --,i', .î,, JOURNAL QUOTIDIEN 5 cent. le numéro
ABONNEMENTS —Trois mois Six mois Un an
Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr.
Départements.... 6 11 22
Administrateur : BOURDILLIAT
, \/l7« -anfté-., ;f — llERCREDI S JUIN 1872. — Saint DONIFACE.- N- 2220.
~'% ~~ ~,
» RÉDACTION ET ADMINISTRATION
13, quai Voltaire
Succursale : 9, rue Drouot, 9
PARIS, 4 JUIN 1872
LE TABAC ET LES CIGARES
Dans une des dernières séances de l'As-
semMée' nationale, un député a fait savoir
que les recettes sur le tabac et les cigares
avaient baissé considérablement depuis la
surélévation des prix.
M. de Goulard, ministre des finances, a
confirmé le fait.
— "Oui, a-t-il dit, nous pouvons constater
une baisse d'environ quinze pour cent.
Mais cela n'a rien de très-extraordinaire,
a ajouté le ministre; car, précédemment, le
même fait s'est produit dans des circons-
tances analogues, et peu à peu l'équilibre
s'est rétabli. „
Il a donc été décidé que l'on continuerait
l'expérience jusqu'à ce qu'il soit définitive-
ment prouvé que les anciens prix sont un
maximum qu'il ne faut pas dépasser sans
avoir à redouter un danger pour les re-
cettes.
La concision que beaucoup de gens
ont tirée de ce fait est celle-ci : le tabac et
les cigares sont trop chers.
Je suis fumeur, et je tiendrais autant que
personne à avoir de bons cigares à bon
marché. "
Mais je suis Français aussi, et, au mo-
ment où l'Etat a-tant besoin d'argent, je
suis d'avis qu'il doit le chercher en impo-
sant des vices... des défauts, si vous vou-
lez, aussi répandus que celui de fumer.
Je ne crois donc pas qu'il y ait inconvé-
nient à vendre le tabac très-cher, puisque
personne- n'est obligé de faire des cigarettes
ou de consommer des londrès.
Mais je suis convaincu, par exemple,
que si le simple tabac de caporal était meil-
leur; que si on s'arrangeait de façon à l'ex-
purger des innombrables et lourdes côtes
qui l'encombrent et le font peser, oh en
vendrait beaucoup plus.
Et cependant le tabac de caporal est en-
core ce que la régie semble vendre de meilleur.
La qualité des cigares, en effet, a baissé
dans des proportions désolantes.
^ Autrefois on pouvait fumer un assez bon
cigare de 10 centimes. Les petits bordeaux
eux-mêmes étaient plus que supportables.
Aujourd'hui tout est changé.
Je ne veux pas dire que le Gouverne-
ment y a mis de la mauvaise volonté, loin
de là ; mais je pense qu'il s'est introduit
dans les manufactures un peu : de négli-
gence et, en somme, comme c'est le Trésor
qui en souffre, il me semble qu'on devrait
y veiller.
Les cigares de prix sont encore pires que
ceux de cinq et dix centimes.
On payait jadis un londrès vingt-cinq
centimes. A l'heure qu'il est, ils valent dix j
sous, et, je dois le déclarer, ils sont de
quarante pour cent moins bons qu'avant.
Il en est de même des londrès extra et
des cigares de vingt centimes.
C'est dans ces défauts de fabrication,
c'est dans ce manque de soin qu'il faut
chercher la véritable cause de l'irifériorité
des recettes. ;
Vendez d'excellents cigares, et je crois
pouvoir affirmer qu'on les fumera.
Il nous paraît de toute évidence qu'il n'y
a pas en France un fumeur qui soit dis-
posé à renoncer au plaisir de la pipe, de la
cigarette ou du cigare parce que le tabac !
■coûtera un peu plus cher. \
Ce qui fera le déficit, il n'en faut pas
douter, c'est la nécessité où l'on sera de
fumer des cigares à bon marché, si ceux qui
coûtent cher ne sont pas bons.
' Il aurait été bien plus adroit, de la part
de la régie, de faire soigner scrupuleuse-
ment la confection des londrès, par exem-
ple, pour mettre le public en goût, au
lieu de lui servir d'affreux cigares qui
ne brûlent ni par un bout ni par l'autre.
On aurait ainsi empêché beaucoup de
gens de se rabattre sur les cigares à deux
sous ou à cinq centimes qui, s'ils ne sont
pas extrêmement i,ons, brûlent à peu près
et ont le suprême avantage de ne pas coû-
ter cher.
Quant à croire que beaucoup de fumeurs
quitteront leur chère habitude, il n'y faut
pas songer.
Laissez-moi vous raconter une anecdole.
Un avocat, grand fumeur, avait pris un
logement dans une maison qu'habitait éga-
lement un chanoine de rare intelligénce.
Or, ce dernier avait contracté l'habitude
de fumer la pipe, et, du matin au soir, il
ne cessait, tout en travaillant, de se livrer
à sa manie.
Naturellement, le chanoine et l'avocat,
rapprochés par cette similitude de goût, ne
tardèrent pas à devenir d'excellents amis.
Et ils passaient presque toute leur après- ;
midi ensemble, l'un feuilletant et annotant
ses dossiers, l'autre étudiant saint Thomas
et les Pères de l'Eglise, tous les deux ré- ,
pandant autour d'eux d'immenses et épais i
flocons de fumée. '
Un beau jour, cependant, le chanoine, (
ayant sans doute éprouvé quelque lassitude, '
dit.à son ami :
— Nous avons tort de fumer autant que ]
cela. ]
— Peuh !
— Je vous assure que le tabac a de fâ-
cheuses influences sur le cerveau. Je me
sens affaibli. Il est certain que nous avons
tort de continuer la vie que nous menons.
Je vais vous proposer quelque chose.
— Je vous écoute.
— Si vous voulez, nous allons prendre
notre tabac et nos pipes et nous irons les
e,nterrer dans le jardin, à une grande pro-
fondeur pour n'avoir plus la tentation de
fumer.
. L'avocat accepta et la chose fut faite.
Deux heures environ après son dîner, le
! disciple de Démosthènes, s'étant mis au lit,
| prit un volume pour l'aider au sommeil,
mais il ne put fermer l'œil. Il sentait que
quelque chose lui manquait, et, quoiqu'il
ne voulût pas se l'avouer encore, il ne pou-
vait se dissimuler que c'était sa pipe.
Ajoutons qu'il résista longtemps. Mais
vers le milieu de la nuit, n'y tenant plus, il
se leva et descendit au jardin pour recon-
quérir sa pipe bien-aimée.
Comme il arrivait près de l'endroit où
elle reposait d'un sommeil qui ne devait
pas être éternel, il entendit du bruit et vit
un grand fantôme blanc.
Effrayé, il recula en poussant un cri.
Mais à sa frayeur succéda un immense
éclat de rire. Le fantôme n'était autre que
le chanoine, qui n'avait pu lui-même résis-
ter à son envie de fumer, et qui, en che-
mise, bêchait furieusement pour déterrer
ses instruments de fumeur.
VENDREDI.
Dernières Nouvelles
C'est hier que la commission des capitula-
tions a terminé ses travaux. Il a été décidé, à
l'unanimité, que le rapport sur la capitula-
tion de Sedan serait publié ; et par 8 voix
contre 3 que le rapport sur Strasbourg au-
rait le même sort.
On a délibéré ensuite sur la question de sa-
voir si le rapport de la commission exprime-
rait le regret que les capitulations de Sedan
et de Strasbourg n'eussent pas été soumises
par le gouvernement à un conseil de guerre.
Pour Strasbourg cette motion a été écartée;
pour Sedan, au contraire, elle a été acceptée
à l'unanimité ; on s'est basé sur ce que la ca-
pitulation de Sedan était une capitulation
en rase campagne.
La commission d'enquête sur la situation
des classes ouvrières, embarrassée sur la mar-
che dans laquelle elle entreprendra ses tra-
vaux, a nommé une sous-commission chargée
de rédiger un programme et un mode de pro-
céder le plus utilement à l'enquête qui lui est
confiée.
La sous-commission est composée de MM.
Lefebvre, Ducarre, Tirard, Delpit, Buisson et
Mathieu.
La réunion des députés libre-échangistes,
présidée par M. Germain, a pris, dans sa
séance d'hier, la résolution de soutenir devant
la Chambre l'impôt des transactions présenté
par M. Desseilligny. /
M. Blondin, sous-préfet de Péronne au mo-
ment de la capitulation, proteste, dans une
lettre adressée au maréchal Baraguey-d'Hil-
liers, contre le reproche de faiblesse adressé
aux autorités civiles, et se défend personnelle-
ment d'avoir pesé sur les résolutions du com-
mandant de la place dans le sens de la reddi-
tion de la ville.
Depuis trois jours, la garde des prisonniers
de la Commune contenus dans la prison des
Chantiers a été doublée pendant la nuit. Le
nombre des détenus est de quatre cents.
Lyon, 3 juin, 8 heures du soir.
Une dépêche particulière que nous recevons
de Lyon nous donne les nouvelles suivantes :
Les troupes ont quitté le camp de Sathonay
et sont allées camper au Grand-Camp. Les
manœuvres militaires et les exercices , à feu
commenceront cette semaine.
L'ouverture de l'Exposition a été fort bell(
Le préfet a été reçu par le directeur, M. Tha-
rel, M. Dabonnéau et M. Chatron, archi-
tecte.
M. Pascal a adressé des encouragements aux
organisateurs de cette grande manifestation
industrielle, et il a promis sûrement pour le
16 la visite officielle de M. le ministre des
travaux publics.
Le général Bourbaki a visité également 5
l'Exposition en simple curieux. Il était très-
entouré.
5,000 visiteurs payants pour cette première
journée. Il y a 10,000 exposants inscrits.
Les processions de la Fête-Dieu n'ont pas
eu lieu, à part les Chartreux qui, dans l'en-
clos, attenant à l'église, ont promené le Saint-
Sacrement.
La tranquillité est parfaite à Lyon et dans
la banlieue.
Le bruit court que M. Andrieux serait
nommé avocat général à Alger. r
D'après la Décentralisation, 'on lui offrirait
une candidature dans un département voisin.
Il fait froid. La pluie tombe de nouveau.
On craint malheureusement de nouvelles
inondations. — L
La conclusion de l'affaire de l'Alabama reste
toujours enveloppée de ténèbres et d'incerti-
tudes. La communication arrivée hier de
Washington serait, dit-on, le dernier mot des
Etats-Unis.
Mais on ignore la teneur exacte de cette
communication dont le gouvernement an-
glais n'a fait encore connaître le sens ni au
public, ni aux journaux, ni même au par-.. -'
lement.
Le Diritto donne des nouvelles peu satisfai-
santes de la santé du saint-père.
— — .
N° 46.— Feuilleton de la PETITE PRESSE
Le Chiffonnier Philosophe
DEUXIÈME PARTIE
VII
L'aiguille dans la botte de foin
Le lendemain matin, Cambronne reçut une
lettre de Zidore lui annonçant son heureux
débarquement aux Etats-Unis avec M. Will-
comb, dont toute l'épître était le long pané-
gyrique.
Pas un mot ne dénotait que le rusé Pari-
sien eût seulement vent d'une rencontre, en-
tre sa sœur et son bienfaiteur, le jour oÙ ce
dernier devait quitter notre capitale.
Décidément, dans l'égarement de son déses-
poir, le vieillard avait calomnié la loyauté du
millionnaire américain, en le soupçonnant
d'être l'un des auteurs de ses angoisses.
Cette pensée coufirma le philosophe dans sa
conviction naissante qu'Elise, non-seulement
était restée en France, mais qu'elle se cachait
à Paris même.
Et le désir de la revoir, pour - obtenir son
4oir le puméro d'hier.
pardon, ou peut-être lui pardonner, hélas ! se
réveilla plus ardent en lui.
Maintenant que la fuite de la jeune fille
était ébruitée, il n'y avait plus raison de né-
gliger, pour retrouver ses traces, les précieux
auxiliaires conquis au digne chiffonnier par
ses conseils philosophiques, et souvent par
l'aide effective de sa généreuse philanthropie.
Son métier se trouvait en rapport, en con-
tact presque continuel, avec les mille et une
petites industries dont la voie publique est
comme l'atelier.
Les chanteurs ambulants, les décrotteurs,
les commissionnaires, les vendeurs d'allumet-
tes, les chands d'habits, les ramasseurs de
bouts de cigares, les ouvreurs de portières,
et bien d'autres spéculateurs en plein air,
moissonneurs du pavé ou pêcheurs du ruis-
seau, traitent parfois de pair à compagnon
avec les.chevaliers du crochet.
Or, quoique démissionnaire, l'ex-syndic de
la loque, connu de tous les membres de la
corporation, les connaissant tous, exerçait tou-
jours sur eux, à sa volonté, une autorité pres-
que absolue.
Choisissant les plus intelligents et les plus
honnêtes, prenant Matagatos et Mme la Lune ,
pour ses lieutenants, il prescrivit à la brigade ;
ainsi organisée de donner à tous les errants ;
de Paris, en relations amicales avec elle, le <
minutieux signalement d'Elise, comme vi- i
sage, cheveux, taille, aspect et âge apparent.
Cette fourmilière des travailleurs de la rue, • i
par ses occupations mêmes, s'insinue, du bas
en. haut de l'échelle sociale, dans tous les in-
terstices du monde où l'on s'amuse, où l'on
aime, où l'on se cache aussi.
Stylés par leurs camarades de l'asphalte,
dont les bons offices leur étaient trop néces-
saires pour ne pas prendre leur mot d'ordre
au sérieux, les gagne-petits de la circulation,
dès qu'ils rencontraient ou découvraient une
personne répondant à la description physi-
que à eux fournie, la guettaient pour savoir
sa demeure, et transmettaient les renseigne-
ments recueillis aux chiffonniers qui les
avaient mis en quête.
Ceux-ci faisaient aussitôt leur rapport soit
à la cartomancienne, soit au tueur de chats,
soit directement à Cambronne, qui allait véri-
fier en dernier chef, et reconnaissait constam-
ment une erreur d'identité, basée sur quelque
ressemblante plus ou moins éloignée.
En cinq ou six mois, les yeux d'Argus des
rats et des,lézards de la civilisation parisienne
pouvaient passer en revue le reste ou à peu
près de la population, car ces nomades, soit i
pour une cause ou pour une autre, circulent !
de l'office à la salle à manger, de la cage au j
grenier, du salon à la chambre à coucher, de j
la loge du concierge au cabinet du maître, du |
boudoir de la mondaine au galetas de la gri- j
sette, chez les gens vivant d'une façon séden- i
taire. ' |
Eh bien ! cette. inquisition générale, appli-
quée à la découverte d'Elise, le philosophe '
finit par en reconnaître la navrante inutilité,
aussi bien que celle de ses recherches person-
nelles et continues.
Toute la série des investigations avait été
épuisée sans succès. ,
Mais quelles fausses joies, suivies d'écra-
sants déboires pour le vieillard, avant que, du
premier balayeur au dernier ramoneur, on
eût déclaré à lui ou à ses aides de camp qu'on
désertait l'impossiblè tâche ; qu'on renonçait
définitivement à trouver l'aiguille, la botte de
foin étant trop grosse,—ou ne la recélant pas !
Cent fois on avait cru le mettre sur une
piste certaine qui s'en allait en fumée. 4
Bien souvent, lui-même, flairant et guet-
tant comme un chien de chasse, envisageait
fixement toutes les jeunes femmes qu'il croi-
sait dans ses interminables courses; il avait
poursuivi sur les boulevards le huit-ressorts
d'une grande dame ou le panier d'une cocotte,1
pour arriver, après avoir failli se faire écrasera
à constater sous la voilette une certaine simi-
litude de physionomie entre la personne par
lui entrevue et sa fille d'adoption !
Une tentation persistante, et toujours re-
ipoussée, obsédait néanmoins Cambronne y
substituer la police officielle à la sienne, puis-
que celle-ci n'avait pu résoudre l'ardu problè-
ime posé par lui.
Mais mêler les mouchards, qui pincent le3
Ima-lfaJteurs et les femmes perdues, aux desti-
nées de la pure Elise? jamais !
D'ailleurs, aurait-il eu le droit légal, M
dont la tutelle, par un raffinement de délca-
5 cent. le numéro --,i', .î,, JOURNAL QUOTIDIEN 5 cent. le numéro
ABONNEMENTS —Trois mois Six mois Un an
Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr.
Départements.... 6 11 22
Administrateur : BOURDILLIAT
, \/l7« -anfté-., ;f — llERCREDI S JUIN 1872. — Saint DONIFACE.- N- 2220.
~'% ~~ ~,
» RÉDACTION ET ADMINISTRATION
13, quai Voltaire
Succursale : 9, rue Drouot, 9
PARIS, 4 JUIN 1872
LE TABAC ET LES CIGARES
Dans une des dernières séances de l'As-
semMée' nationale, un député a fait savoir
que les recettes sur le tabac et les cigares
avaient baissé considérablement depuis la
surélévation des prix.
M. de Goulard, ministre des finances, a
confirmé le fait.
— "Oui, a-t-il dit, nous pouvons constater
une baisse d'environ quinze pour cent.
Mais cela n'a rien de très-extraordinaire,
a ajouté le ministre; car, précédemment, le
même fait s'est produit dans des circons-
tances analogues, et peu à peu l'équilibre
s'est rétabli. „
Il a donc été décidé que l'on continuerait
l'expérience jusqu'à ce qu'il soit définitive-
ment prouvé que les anciens prix sont un
maximum qu'il ne faut pas dépasser sans
avoir à redouter un danger pour les re-
cettes.
La concision que beaucoup de gens
ont tirée de ce fait est celle-ci : le tabac et
les cigares sont trop chers.
Je suis fumeur, et je tiendrais autant que
personne à avoir de bons cigares à bon
marché. "
Mais je suis Français aussi, et, au mo-
ment où l'Etat a-tant besoin d'argent, je
suis d'avis qu'il doit le chercher en impo-
sant des vices... des défauts, si vous vou-
lez, aussi répandus que celui de fumer.
Je ne crois donc pas qu'il y ait inconvé-
nient à vendre le tabac très-cher, puisque
personne- n'est obligé de faire des cigarettes
ou de consommer des londrès.
Mais je suis convaincu, par exemple,
que si le simple tabac de caporal était meil-
leur; que si on s'arrangeait de façon à l'ex-
purger des innombrables et lourdes côtes
qui l'encombrent et le font peser, oh en
vendrait beaucoup plus.
Et cependant le tabac de caporal est en-
core ce que la régie semble vendre de meilleur.
La qualité des cigares, en effet, a baissé
dans des proportions désolantes.
^ Autrefois on pouvait fumer un assez bon
cigare de 10 centimes. Les petits bordeaux
eux-mêmes étaient plus que supportables.
Aujourd'hui tout est changé.
Je ne veux pas dire que le Gouverne-
ment y a mis de la mauvaise volonté, loin
de là ; mais je pense qu'il s'est introduit
dans les manufactures un peu : de négli-
gence et, en somme, comme c'est le Trésor
qui en souffre, il me semble qu'on devrait
y veiller.
Les cigares de prix sont encore pires que
ceux de cinq et dix centimes.
On payait jadis un londrès vingt-cinq
centimes. A l'heure qu'il est, ils valent dix j
sous, et, je dois le déclarer, ils sont de
quarante pour cent moins bons qu'avant.
Il en est de même des londrès extra et
des cigares de vingt centimes.
C'est dans ces défauts de fabrication,
c'est dans ce manque de soin qu'il faut
chercher la véritable cause de l'irifériorité
des recettes. ;
Vendez d'excellents cigares, et je crois
pouvoir affirmer qu'on les fumera.
Il nous paraît de toute évidence qu'il n'y
a pas en France un fumeur qui soit dis-
posé à renoncer au plaisir de la pipe, de la
cigarette ou du cigare parce que le tabac !
■coûtera un peu plus cher. \
Ce qui fera le déficit, il n'en faut pas
douter, c'est la nécessité où l'on sera de
fumer des cigares à bon marché, si ceux qui
coûtent cher ne sont pas bons.
' Il aurait été bien plus adroit, de la part
de la régie, de faire soigner scrupuleuse-
ment la confection des londrès, par exem-
ple, pour mettre le public en goût, au
lieu de lui servir d'affreux cigares qui
ne brûlent ni par un bout ni par l'autre.
On aurait ainsi empêché beaucoup de
gens de se rabattre sur les cigares à deux
sous ou à cinq centimes qui, s'ils ne sont
pas extrêmement i,ons, brûlent à peu près
et ont le suprême avantage de ne pas coû-
ter cher.
Quant à croire que beaucoup de fumeurs
quitteront leur chère habitude, il n'y faut
pas songer.
Laissez-moi vous raconter une anecdole.
Un avocat, grand fumeur, avait pris un
logement dans une maison qu'habitait éga-
lement un chanoine de rare intelligénce.
Or, ce dernier avait contracté l'habitude
de fumer la pipe, et, du matin au soir, il
ne cessait, tout en travaillant, de se livrer
à sa manie.
Naturellement, le chanoine et l'avocat,
rapprochés par cette similitude de goût, ne
tardèrent pas à devenir d'excellents amis.
Et ils passaient presque toute leur après- ;
midi ensemble, l'un feuilletant et annotant
ses dossiers, l'autre étudiant saint Thomas
et les Pères de l'Eglise, tous les deux ré- ,
pandant autour d'eux d'immenses et épais i
flocons de fumée. '
Un beau jour, cependant, le chanoine, (
ayant sans doute éprouvé quelque lassitude, '
dit.à son ami :
— Nous avons tort de fumer autant que ]
cela. ]
— Peuh !
— Je vous assure que le tabac a de fâ-
cheuses influences sur le cerveau. Je me
sens affaibli. Il est certain que nous avons
tort de continuer la vie que nous menons.
Je vais vous proposer quelque chose.
— Je vous écoute.
— Si vous voulez, nous allons prendre
notre tabac et nos pipes et nous irons les
e,nterrer dans le jardin, à une grande pro-
fondeur pour n'avoir plus la tentation de
fumer.
. L'avocat accepta et la chose fut faite.
Deux heures environ après son dîner, le
! disciple de Démosthènes, s'étant mis au lit,
| prit un volume pour l'aider au sommeil,
mais il ne put fermer l'œil. Il sentait que
quelque chose lui manquait, et, quoiqu'il
ne voulût pas se l'avouer encore, il ne pou-
vait se dissimuler que c'était sa pipe.
Ajoutons qu'il résista longtemps. Mais
vers le milieu de la nuit, n'y tenant plus, il
se leva et descendit au jardin pour recon-
quérir sa pipe bien-aimée.
Comme il arrivait près de l'endroit où
elle reposait d'un sommeil qui ne devait
pas être éternel, il entendit du bruit et vit
un grand fantôme blanc.
Effrayé, il recula en poussant un cri.
Mais à sa frayeur succéda un immense
éclat de rire. Le fantôme n'était autre que
le chanoine, qui n'avait pu lui-même résis-
ter à son envie de fumer, et qui, en che-
mise, bêchait furieusement pour déterrer
ses instruments de fumeur.
VENDREDI.
Dernières Nouvelles
C'est hier que la commission des capitula-
tions a terminé ses travaux. Il a été décidé, à
l'unanimité, que le rapport sur la capitula-
tion de Sedan serait publié ; et par 8 voix
contre 3 que le rapport sur Strasbourg au-
rait le même sort.
On a délibéré ensuite sur la question de sa-
voir si le rapport de la commission exprime-
rait le regret que les capitulations de Sedan
et de Strasbourg n'eussent pas été soumises
par le gouvernement à un conseil de guerre.
Pour Strasbourg cette motion a été écartée;
pour Sedan, au contraire, elle a été acceptée
à l'unanimité ; on s'est basé sur ce que la ca-
pitulation de Sedan était une capitulation
en rase campagne.
La commission d'enquête sur la situation
des classes ouvrières, embarrassée sur la mar-
che dans laquelle elle entreprendra ses tra-
vaux, a nommé une sous-commission chargée
de rédiger un programme et un mode de pro-
céder le plus utilement à l'enquête qui lui est
confiée.
La sous-commission est composée de MM.
Lefebvre, Ducarre, Tirard, Delpit, Buisson et
Mathieu.
La réunion des députés libre-échangistes,
présidée par M. Germain, a pris, dans sa
séance d'hier, la résolution de soutenir devant
la Chambre l'impôt des transactions présenté
par M. Desseilligny. /
M. Blondin, sous-préfet de Péronne au mo-
ment de la capitulation, proteste, dans une
lettre adressée au maréchal Baraguey-d'Hil-
liers, contre le reproche de faiblesse adressé
aux autorités civiles, et se défend personnelle-
ment d'avoir pesé sur les résolutions du com-
mandant de la place dans le sens de la reddi-
tion de la ville.
Depuis trois jours, la garde des prisonniers
de la Commune contenus dans la prison des
Chantiers a été doublée pendant la nuit. Le
nombre des détenus est de quatre cents.
Lyon, 3 juin, 8 heures du soir.
Une dépêche particulière que nous recevons
de Lyon nous donne les nouvelles suivantes :
Les troupes ont quitté le camp de Sathonay
et sont allées camper au Grand-Camp. Les
manœuvres militaires et les exercices , à feu
commenceront cette semaine.
L'ouverture de l'Exposition a été fort bell(
Le préfet a été reçu par le directeur, M. Tha-
rel, M. Dabonnéau et M. Chatron, archi-
tecte.
M. Pascal a adressé des encouragements aux
organisateurs de cette grande manifestation
industrielle, et il a promis sûrement pour le
16 la visite officielle de M. le ministre des
travaux publics.
Le général Bourbaki a visité également 5
l'Exposition en simple curieux. Il était très-
entouré.
5,000 visiteurs payants pour cette première
journée. Il y a 10,000 exposants inscrits.
Les processions de la Fête-Dieu n'ont pas
eu lieu, à part les Chartreux qui, dans l'en-
clos, attenant à l'église, ont promené le Saint-
Sacrement.
La tranquillité est parfaite à Lyon et dans
la banlieue.
Le bruit court que M. Andrieux serait
nommé avocat général à Alger. r
D'après la Décentralisation, 'on lui offrirait
une candidature dans un département voisin.
Il fait froid. La pluie tombe de nouveau.
On craint malheureusement de nouvelles
inondations. — L
La conclusion de l'affaire de l'Alabama reste
toujours enveloppée de ténèbres et d'incerti-
tudes. La communication arrivée hier de
Washington serait, dit-on, le dernier mot des
Etats-Unis.
Mais on ignore la teneur exacte de cette
communication dont le gouvernement an-
glais n'a fait encore connaître le sens ni au
public, ni aux journaux, ni même au par-.. -'
lement.
Le Diritto donne des nouvelles peu satisfai-
santes de la santé du saint-père.
— — .
N° 46.— Feuilleton de la PETITE PRESSE
Le Chiffonnier Philosophe
DEUXIÈME PARTIE
VII
L'aiguille dans la botte de foin
Le lendemain matin, Cambronne reçut une
lettre de Zidore lui annonçant son heureux
débarquement aux Etats-Unis avec M. Will-
comb, dont toute l'épître était le long pané-
gyrique.
Pas un mot ne dénotait que le rusé Pari-
sien eût seulement vent d'une rencontre, en-
tre sa sœur et son bienfaiteur, le jour oÙ ce
dernier devait quitter notre capitale.
Décidément, dans l'égarement de son déses-
poir, le vieillard avait calomnié la loyauté du
millionnaire américain, en le soupçonnant
d'être l'un des auteurs de ses angoisses.
Cette pensée coufirma le philosophe dans sa
conviction naissante qu'Elise, non-seulement
était restée en France, mais qu'elle se cachait
à Paris même.
Et le désir de la revoir, pour - obtenir son
4oir le puméro d'hier.
pardon, ou peut-être lui pardonner, hélas ! se
réveilla plus ardent en lui.
Maintenant que la fuite de la jeune fille
était ébruitée, il n'y avait plus raison de né-
gliger, pour retrouver ses traces, les précieux
auxiliaires conquis au digne chiffonnier par
ses conseils philosophiques, et souvent par
l'aide effective de sa généreuse philanthropie.
Son métier se trouvait en rapport, en con-
tact presque continuel, avec les mille et une
petites industries dont la voie publique est
comme l'atelier.
Les chanteurs ambulants, les décrotteurs,
les commissionnaires, les vendeurs d'allumet-
tes, les chands d'habits, les ramasseurs de
bouts de cigares, les ouvreurs de portières,
et bien d'autres spéculateurs en plein air,
moissonneurs du pavé ou pêcheurs du ruis-
seau, traitent parfois de pair à compagnon
avec les.chevaliers du crochet.
Or, quoique démissionnaire, l'ex-syndic de
la loque, connu de tous les membres de la
corporation, les connaissant tous, exerçait tou-
jours sur eux, à sa volonté, une autorité pres-
que absolue.
Choisissant les plus intelligents et les plus
honnêtes, prenant Matagatos et Mme la Lune ,
pour ses lieutenants, il prescrivit à la brigade ;
ainsi organisée de donner à tous les errants ;
de Paris, en relations amicales avec elle, le <
minutieux signalement d'Elise, comme vi- i
sage, cheveux, taille, aspect et âge apparent.
Cette fourmilière des travailleurs de la rue, • i
par ses occupations mêmes, s'insinue, du bas
en. haut de l'échelle sociale, dans tous les in-
terstices du monde où l'on s'amuse, où l'on
aime, où l'on se cache aussi.
Stylés par leurs camarades de l'asphalte,
dont les bons offices leur étaient trop néces-
saires pour ne pas prendre leur mot d'ordre
au sérieux, les gagne-petits de la circulation,
dès qu'ils rencontraient ou découvraient une
personne répondant à la description physi-
que à eux fournie, la guettaient pour savoir
sa demeure, et transmettaient les renseigne-
ments recueillis aux chiffonniers qui les
avaient mis en quête.
Ceux-ci faisaient aussitôt leur rapport soit
à la cartomancienne, soit au tueur de chats,
soit directement à Cambronne, qui allait véri-
fier en dernier chef, et reconnaissait constam-
ment une erreur d'identité, basée sur quelque
ressemblante plus ou moins éloignée.
En cinq ou six mois, les yeux d'Argus des
rats et des,lézards de la civilisation parisienne
pouvaient passer en revue le reste ou à peu
près de la population, car ces nomades, soit i
pour une cause ou pour une autre, circulent !
de l'office à la salle à manger, de la cage au j
grenier, du salon à la chambre à coucher, de j
la loge du concierge au cabinet du maître, du |
boudoir de la mondaine au galetas de la gri- j
sette, chez les gens vivant d'une façon séden- i
taire. ' |
Eh bien ! cette. inquisition générale, appli-
quée à la découverte d'Elise, le philosophe '
finit par en reconnaître la navrante inutilité,
aussi bien que celle de ses recherches person-
nelles et continues.
Toute la série des investigations avait été
épuisée sans succès. ,
Mais quelles fausses joies, suivies d'écra-
sants déboires pour le vieillard, avant que, du
premier balayeur au dernier ramoneur, on
eût déclaré à lui ou à ses aides de camp qu'on
désertait l'impossiblè tâche ; qu'on renonçait
définitivement à trouver l'aiguille, la botte de
foin étant trop grosse,—ou ne la recélant pas !
Cent fois on avait cru le mettre sur une
piste certaine qui s'en allait en fumée. 4
Bien souvent, lui-même, flairant et guet-
tant comme un chien de chasse, envisageait
fixement toutes les jeunes femmes qu'il croi-
sait dans ses interminables courses; il avait
poursuivi sur les boulevards le huit-ressorts
d'une grande dame ou le panier d'une cocotte,1
pour arriver, après avoir failli se faire écrasera
à constater sous la voilette une certaine simi-
litude de physionomie entre la personne par
lui entrevue et sa fille d'adoption !
Une tentation persistante, et toujours re-
ipoussée, obsédait néanmoins Cambronne y
substituer la police officielle à la sienne, puis-
que celle-ci n'avait pu résoudre l'ardu problè-
ime posé par lui.
Mais mêler les mouchards, qui pincent le3
Ima-lfaJteurs et les femmes perdues, aux desti-
nées de la pure Elise? jamais !
D'ailleurs, aurait-il eu le droit légal, M
dont la tutelle, par un raffinement de délca-
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