Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-05-14
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 14 mai 1872 14 mai 1872
Description : 1872/05/14 (A6,N2198). 1872/05/14 (A6,N2198).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4715270n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN l
5 cent. le numéro
1
1
5 cent. le niaiicro R
ABONNKMENTS -Trois mois Six mois Un an
Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr.
. Départements.... 6 11 22
Administrateur : BOURDILLIAT
1
MARDI f4 MAI 1872. — Saint Sainll'ACOME. N° 2198.
'//ii. . ~l '3' / i -
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
15, quai "Voltaire
Succursale : 9, rue Drauot, &
PARIS, 13 MAI 1872
LA PRÉFECTURE DE POLICE
DEUXIEME ARTICLE
Je parlais dans une première chronique
de l'intuition dont les agents de la sûreté
sont doués.
C'est une faculté spéciale qui naît et
meurt avec l'homme, comme toutes les ap-
titudes isolées au milieu des fonctions ordi-
naires de l'esprit.
Henri Mondheux, Vito Mangiamele, et
quelques autres phénomènes mathémati-
ques trouvaient une racine cubique en beau-
coup moins de temps que M. Arago ou M.
Ampère, et cependant ces individus qui
jouaient avec les logarithmes ignoraient
complètement les grands principes de la
science.
C'est ainsi que des agents presque illettrés
ont accompli dans leur métier de vérita-
bles tours de force.
Un exemple entre mille.
Le 6 octobre 1865, on trouva dans le
bois d'Orgemont, près d'Argenteuil-, le ca-
davre d'un vieillard assassiné qui fut re-
connu pour être un sujet anglais de l'île
Maurice, nommé M. Lavergne.
On apprend dans le pays que la veille il
a été rencontré en compagnie d'un homme
de mauvaise mine, coiffé d'une casquette
rabattue sur les yeux, chaussé de brode-
quins à bouts très-larges et portant au-des-
sous du pouce de la main gauche une sorte
de tache bleuâtre qui pouvait bien être un
tatouage.
C'est avec ces renseignements que la
sÛreté se mit en chasse au milieu de cette
forêt habilée par deux millions d'hommes
qu'on appelle Paris.
Dès le 8, le surlendemain du crime, on i
est sur la piste de l'assassin et des indica- j
tions recueilles çà et là permettent de com- !
pléter son signalement. j
Le 9, on sait dans quel bouge il a passé '
la nuit en se donnant le nom de Gabriel.
Le 10, on a retrouvé l'emploi de son
temps depuis le crime, et on peut reconsti-
tuer sa vie heure par heure.
Le 11, on a la preuve que c'est un forçat
en rupture ,de ban.
Le 12, on découvre le marchand d'habits
chez lequel il a acheté des vêtements neufs.
Le 13, au petit jour, on arrive dans le
garni ou il a dormi, mais il vient d'en
sortir.
Le 14, il est arrêté a sept heures du ma-
tin au moment où il entre dans une au-
berge de la rue Saint-Honoré. • j
I Amené au dépôt de la Préfecture, on le
montre sans éveiller ses soupçons à des re-
' pris de justice qui le reconnaissent pour le
nommé Barthélémy Poncet, déjà condamné
à huit ans de travaux forcés et évadé de
Cayenne.
I Poncet fut jugé, condamné à mort et
exécuté à Versailles.
Cela tient en vérité du miracle.
Il ne faudrait pas croire pourtant que le
service de sûreté, si actif et si intelligent
qu'il soit, pourrait se passer absolument
d'auxiliaires.
Il a des alliés obscurs et inconnus qui,
en échange de quelques tolérances adminis-
tratives, lui apportent un contingent de
renseignements précieux.
Ce sont, il faut l'avouer, d'anciens mal-
faiteurs dont on tolère la présence à Paris,
à condition qu'ils serviront d'indicateurs. \
Leurs services du reste ne se payent pas 1
fort cher.
C'est cinq fran-cs- pour un vol simple,
vingt-cinq francs pour un vol qualifié, cin-
quante francs pour un assassinat.
On ne saurait s'en tirer à meilleur compte
et cette modicité des tarifs acceptés par j
messieurs les coquins renverse toutes les j
idées mises en circulation par les roman- (
ciers. i
On a prétendu que les forçats avaient une i
sorte de probité particulière et qu'ils obser- i
vaient entre eux la foi jurée.
Rien de plus faux. Les plus hardis, les''
plus énergiques ne résistent pas à quelques !
faveurs insignifiantes. !
. Et cela pourra paraître bizarre aux poë- i
tes qui ont célébré Gavroche, de tous les '
voleurs, le voleur parisien est celui qui dé- i
nonce le plus volontiers ses camarades. )
Pourquoi ? D'abord parce qu'il est voltai- j
rien et qu'il ne croit pas à la vertu.
Je vous prie de croire que je n'invente
pas. M. Maxime Ducamp a entendu le mot.
Ensuite, parce qu'à tout prix il veut évi-
ter le séjour des maisons centrales et rester
dans les prisons du département de la Seine.
.A ceux qui lui accordent ce privilège, il
dit volontiers ce qu'il sait.
Aussi, l'administration possède-t-elle tou- -
jours au dépôt de la préfecture un groupe
très-utile de révélateurs qu'on appelle là !
musique, et qui rend les plus grands services j
en indiquant le vrai nom des individus qui !
cachent leur identité. ' j '
L'identité! je viens de -prononcer là le
mot qui désigne la grande difficulté contre
laquelle se heurte trop souvent la police.
Quel travail surhumain que de se recon-
naître au milieu $es faux noms dont s'affu-
blent les criminels de profession ! i
Il existe des hommes qui ont subi des
condamnations sous quinze ou vingt noms '
différents. !
1 : Lacenaire a eu jusqu'à trente et un pseu-
donymes.
C'est à se perdre dans les Martin, les Le-
febvre, les Bernard, les Durand, les Pe-
tit, etc. »
Et les récidives !
Un nommé Antonin Crozat, de 1833 à
1868, a été condamné 71 fois. Un certain
Jean Hébrar, depuis le 4 décembre 1818, a
recueilli 27 ans de prison, 25 ans de réclu-
sion et 235 ans de travaux forcés; au total
287 années.
Il a été transporlé à Cayenne et s'est
évadé.
On arrive cependant à se débrouiller dans
ce labyrinthe, grâce à la merveilleuse in-
vention des sommiers judiciaires qui re-
monte à 1832 et qui permet de retrouver à
l'instant les anlécédents de tout individu
poursuivi par la justice en France ou aux
colonies.
La police anglaise, dont on parle tant, ne
possède rien de semblable et elle en est en-
core à demander naïvement à la Préfecture
de Paris si elle ne fait pas marquer les re-
pris de justice sur une partie apparente
du corps, afin d'être à même de les recon-
naître.
Ceci m'amène à parler d'un détail assez
curieux des mœurs des prisons.
Presque toujours les coquins se chargent
eu.x-mêmes de se timbrer avec des marques
indélébiles qui équivalent à une constatation
d'identité.
Le tatouage, cette mode des sauvages,
fleurit dans les préaux de la civilisation, et
il n'est criminel un peu distingué qui ne
tienne à honneur d'être plus ou moins dé-
coré d'arabesques incrustées dans l'épi-
derme.
On cite un matelot marseillais qui s'était
fait tatouer, des pieds anx épaules, en cos-
tume d'amiral ; c'est-à-dire qu'en piquaut
avec des aiguilles sa peau imprégnée d'encre
de Chine on y avait tracé des boutons, des
épaulettes, une épée et même la plaque et
le grand cordon de la Légion d'honneur.
M. Maxime Ducamp raconte qu'il a vu,
sur un autre épiderme de condamné, Adam
et Eve, dans le paradis, devant l'arbre de la
science, autour duquel le serpent déroulait
ses anneaux.
J'ai pour ma part bien souvent rencontré
jadis, dans les rues d'Alger, un condamné
au boulet, ancien soldat trois fois frappé de
la peine de mort et trois fois commué.
Il portait tatouée sur le front en lettres
hautes d'un pouce celte courte et significa-
tive inscription : — Pas de chance.
Il l'a justifiée plus tard en se faisant en-
fin fusiller pour avoir tenté d'assassiner un
officier.
On voit que le tatouage a du bon et on a
eu bien raison d'abolir la marque, puisque
messieurs les criminels de toutes les caté-
gories ont bien voulu prendre la peine de
la remplacer.
1 bêtes° m6n'' les scélérats sont toujours ',
.
ROBINSON.
TRAVAUX DU CONSEIL D'ENQUÊTE
CONVOQUÉ
en vertu de l'article 264 du décret du
13 octobre 1863
La capitulation de Thionville
(Extrait du procès-verbal de la séance du
18 avril 1872.)
Le conseil d'enquête,
iVu ^dossier relatif à la capitulation de la
place de Thionville;
Vu le texte de la capitulation;
Sur le rapport qui lui en a été fait ;
Ouï M. le colonel Turnier, ex-commandant de
la place de Thionville ;
Après en avoir délibéré,
Exprime comme suit son avis motivé sur la.-:
dite capitulation :
Bien qu'on ne puisse fixer exactement la force
de la garnison de Thionville, les situations d'ef-
fectif n ayant pas été fournies, elle "peut être
évaluée a 4,000 hommes environ, y compris
400 hommes de garde nationale sédentaire. Ce
chil!re était notablement inférieur a l'effectif
normal de la garnison en prévision d'un siège.
Les fortifications de la place étaient en bon
état.
L armement consistait en 200 pièces en batte-"
rie, dont 77 rayées.
Les approvisionnements en munitions compre-
naient 147,730 projectiles, 185,000 kilogr. de
pqudre à canon, 20,000 kilogr. de poudre à fu-
sil, 3,013,700 cartouches. il y avait 22,000
fusils de différents modèles. Les magasins renfer-
maient des vivres pour plus d'une année.
La place fut investie le 0 septembre et som-
mée de se rendre, le commandant refusa, plu-
sieurs autres sommations restèrent sans effet.
La garnison fit plusieurs sorties heureuses,
dans lesquelles elle prouva sa solidité et s'em-
para de convois prussiens. '
Le 22 novembre, l'ennemi bombarda la ville ;
un grand nombre de maisons furent incendiées,
les établissements militaires détruits, mais les
remparts-restaient intacts; le colonel Turnier,
prenant conseil de ses sentiments d'humanité
plutôt que-de. ses detoirs militaires, capitula le
24, après 54 heures de bombardement.
Le conseil d'enquête,
Considérant que le colonel Turnicr, comman-
dant supérieur de la place de Thionville, a ren-
du à l'ennemi la place dont le commandement
lui était confié, sans avoir rempli les conditions
exigées pour une capitulation par décret du i 3
octobre 1863, que de son propre aveu il pouvait
encore tenir quelques jours;
Considérant qu'il a livré à l'ennemi un maté-
riel de guerre intact, une quantité considérable
de munitions et d'approvisionnements sans avoir
rien tenté pour les détruire;
Qu'il a accepté dans la capitulation la clause
N° 25. — Feuilleton de la PETITE PRESSE
Le Chiffonnier Philosophe
PREMIÈRE PARTIE
LA BATAILLE DES 800,000 FRANCS
XX (suite)
Le syndicat.
Frappé et tout occupé de la grâce élégante
et distinguée qui caractérisait la rare beauté
de l 'orplielirie, Willcomb n avait pas encore
essayé déplacer une parole, empêché d'ailleurs
qu'il en eût été par le flux de phrases qui
comme une cascade, s'échappaient à flot con-
tinu de la bouche de la chiffonnière. i
^ Mais, comme si ce mot de corbeille de ma- 1
riage l eut tout à coup éveillé de sa contempla- 1:
fion : 1
, Est-ce que mademoiselle, demanda-t-il,
est sur le point de se marier ? !
-,Oh! répondit Mme Paphos, nous parlons 1
dans les temps futurs... Pour changer, dites- '
nous donc, farceur que vous êtes, ce que vous '
avez fait de Zidore, le fils d'ici ; que l'ayant;
."Voir le numéro d'hier. j
i
| connu je ne sais comment, et grisé à fond, à
i ce qu 'il paraît, et emballé dans une voiture
j tout ce qu 'il y a de plus chic : il y a près de
i six semaines qu'il n'a communiqué avec sa
1 famille, restée dans l'indécis et la consterna-
tion !
Zidore ! répondit l'Américain, il est re- j
trouvé, et, pour donner au papa Cambronne ;
j les explications que vous me demandez, j'ai
j pris avec lui un rendez-vous, où, je le vois, je '
I suis le premier. !
Il ne lui est rien arrivé de fâcheux, mon- j
sieur, à ce pauvre garçon? demanda curieuse- i
ment l'orpheline. j
— Au contraire, mademoiselle, jusqu'à ce 1
soir il a très-bien passé son temps, et si c'est j
à lui que Mme Paphos a fait allusion, en par- !
lant des temps futurs - •!
Ah t pour cela non, interrompit vive-J
ment Elise Bernard; j'aime Isidore comme un j
frère, mais en fait de mari, quoique je n'aie i
pas le droit d'être difficile, jamais je ne choisi- I
rais un pareil écervelé. ' S
— Comment, repartit Willcomb, pas le droit :
d etre difficile?... Au fait, ajouta-t-il galam- !
ment en ayant l'air d'inventorier le mobilier !
dy la chambre, il n'y a pas ici de glace où l'on '
puisse se regarder. , j
Ah ! en voilà un gentiment tourné de I
compliment 1 dit Mme Paphos ; avec ça que, t
dans ces quartiers-ci, il ne s'en débite pas j
souvent de pareils... Mais ce n'est pas pour |
son personnel que l'enfant a voulu parler, j
j vous savez? C'est rapport à ce malheur de fa-
j mille que je vous ai fait confidence.
j Aussi impressionnable qu'une sensitive :
j' - Ah! madame Paphos, dit la jeune fille
f en se couvrant le visage de ses mains et en se
mettant à fondre en larmes, vous êtes une bien
bonne amie, mais vos paroles souvent sont peu
réfléchies.
— Là! là! fillette, t'as raison, je suis une
vieille follè, fit la chiffonnière en courant em-
brasser l'orpheline; érnouvable comme tu es, il
y a des inconvénients, je devrais le savoir, qui
ne sont pas à remémorer.
De son côté, Willomb avait été vivement
touché de cette explosion de douleur qiii ac-
cusait une plaie encore si saignante, et, quand
il entendit Elise, un peu rassénée, s'excuser
de la sotte scène qu'elle venait de faire, il se
leva, et allant à elle :
— Mademoiselle, lui dit-il d'un ton pé-
nétré, voulez-vous me . faire l'honneur de me
donner la main... à l'américaine, c'est-à- dire
comme.on fait entre gens qui ont l'un pour
l'autre considération, estime et sympathie?
La fille du décapité détourna la tête pour
cacher des larmes, cette fois plus douces, qui
lui remontaient dans les yeux, etlelle tendit
au transatlantique une main qu'il effleura
respectueusement de ses lèvres.
— Eh bien, tu vois; ma poule, dit Mme
Paphos, il n'y a pas d'affront, et, avec le suf-
frage d'un compère de ce numéro-là, tu peux
erânementnepaste'soucier de l'opinlon, Mais, J
! continua-t-elle, après avoir prêté l'oreille à
I un bruit de voix qui se faisait dans l'escalier,
\ j'entends quelqu'un !..;Oui! oui! c'est le, père v
; Cambronne !...
J — Et, sans plus penser à son mal de pied,
; elle s'empressa d'aller ouvrir la porte, en criant
i au chiffonnier :
1 ' — Arrivez donc, philosophe ! M. Willcomb
i est là qui vous attend !
j . Sans avoir modifié d'une seconde son allure
! qui était toujours digne, pour ne pas dire ma-
| jestueuse, parut, un instant plus tard, le maî-
| tre du logis.
I Il n'arrivait pas seul, il ramenait avec lui
| l'enfant prodigue, du reste, il faut le remar-
quer, sans aucune velléité apparente do tuer
le veau gras.
De plus, pour le cas où le fugitif se serait
refusé à réintégrer le domicile paternel, il s'é-
tait fait appuyer d'une force respectable.
A sa suite entra un ancien comme lui de la
corporation, le célèbre Matagatos, figure assez •
! farouche et, en raison d'une spécialité redouta-
j ble, connu généralement sous le nom de le
. tueur de chats. • - - .
[ Venaient ensuite PolytQ dit laGcûette,\e lecteur
l'a entrevu déjà ; ptiii llYI aiitrg grand gftrs,
Martin Lantiste, mail plug hahitueliieinent
Martin Trempe-fa-Soilpe; sqitlvaineiu^êssentiel'îe
IDêutbatai11euse lui avait valu ce sobricruet-iâ.-
— Salut! monsieur, dit Cambronng' fA-::'
mêïieain, avec une solennité un peu' froide
Toi, EUsc, ajouta-t-il, pendant que Torplie*
JOURNAL QUOTIDIEN l
5 cent. le numéro
1
1
5 cent. le niaiicro R
ABONNKMENTS -Trois mois Six mois Un an
Paris 5 fr. 9 fr. 18 fr.
. Départements.... 6 11 22
Administrateur : BOURDILLIAT
1
MARDI f4 MAI 1872. — Saint Sainll'ACOME. N° 2198.
'//ii. . ~l '3' / i -
RÉDACTION ET ADMINISTRATION
15, quai "Voltaire
Succursale : 9, rue Drauot, &
PARIS, 13 MAI 1872
LA PRÉFECTURE DE POLICE
DEUXIEME ARTICLE
Je parlais dans une première chronique
de l'intuition dont les agents de la sûreté
sont doués.
C'est une faculté spéciale qui naît et
meurt avec l'homme, comme toutes les ap-
titudes isolées au milieu des fonctions ordi-
naires de l'esprit.
Henri Mondheux, Vito Mangiamele, et
quelques autres phénomènes mathémati-
ques trouvaient une racine cubique en beau-
coup moins de temps que M. Arago ou M.
Ampère, et cependant ces individus qui
jouaient avec les logarithmes ignoraient
complètement les grands principes de la
science.
C'est ainsi que des agents presque illettrés
ont accompli dans leur métier de vérita-
bles tours de force.
Un exemple entre mille.
Le 6 octobre 1865, on trouva dans le
bois d'Orgemont, près d'Argenteuil-, le ca-
davre d'un vieillard assassiné qui fut re-
connu pour être un sujet anglais de l'île
Maurice, nommé M. Lavergne.
On apprend dans le pays que la veille il
a été rencontré en compagnie d'un homme
de mauvaise mine, coiffé d'une casquette
rabattue sur les yeux, chaussé de brode-
quins à bouts très-larges et portant au-des-
sous du pouce de la main gauche une sorte
de tache bleuâtre qui pouvait bien être un
tatouage.
C'est avec ces renseignements que la
sÛreté se mit en chasse au milieu de cette
forêt habilée par deux millions d'hommes
qu'on appelle Paris.
Dès le 8, le surlendemain du crime, on i
est sur la piste de l'assassin et des indica- j
tions recueilles çà et là permettent de com- !
pléter son signalement. j
Le 9, on sait dans quel bouge il a passé '
la nuit en se donnant le nom de Gabriel.
Le 10, on a retrouvé l'emploi de son
temps depuis le crime, et on peut reconsti-
tuer sa vie heure par heure.
Le 11, on a la preuve que c'est un forçat
en rupture ,de ban.
Le 12, on découvre le marchand d'habits
chez lequel il a acheté des vêtements neufs.
Le 13, au petit jour, on arrive dans le
garni ou il a dormi, mais il vient d'en
sortir.
Le 14, il est arrêté a sept heures du ma-
tin au moment où il entre dans une au-
berge de la rue Saint-Honoré. • j
I Amené au dépôt de la Préfecture, on le
montre sans éveiller ses soupçons à des re-
' pris de justice qui le reconnaissent pour le
nommé Barthélémy Poncet, déjà condamné
à huit ans de travaux forcés et évadé de
Cayenne.
I Poncet fut jugé, condamné à mort et
exécuté à Versailles.
Cela tient en vérité du miracle.
Il ne faudrait pas croire pourtant que le
service de sûreté, si actif et si intelligent
qu'il soit, pourrait se passer absolument
d'auxiliaires.
Il a des alliés obscurs et inconnus qui,
en échange de quelques tolérances adminis-
tratives, lui apportent un contingent de
renseignements précieux.
Ce sont, il faut l'avouer, d'anciens mal-
faiteurs dont on tolère la présence à Paris,
à condition qu'ils serviront d'indicateurs. \
Leurs services du reste ne se payent pas 1
fort cher.
C'est cinq fran-cs- pour un vol simple,
vingt-cinq francs pour un vol qualifié, cin-
quante francs pour un assassinat.
On ne saurait s'en tirer à meilleur compte
et cette modicité des tarifs acceptés par j
messieurs les coquins renverse toutes les j
idées mises en circulation par les roman- (
ciers. i
On a prétendu que les forçats avaient une i
sorte de probité particulière et qu'ils obser- i
vaient entre eux la foi jurée.
Rien de plus faux. Les plus hardis, les''
plus énergiques ne résistent pas à quelques !
faveurs insignifiantes. !
. Et cela pourra paraître bizarre aux poë- i
tes qui ont célébré Gavroche, de tous les '
voleurs, le voleur parisien est celui qui dé- i
nonce le plus volontiers ses camarades. )
Pourquoi ? D'abord parce qu'il est voltai- j
rien et qu'il ne croit pas à la vertu.
Je vous prie de croire que je n'invente
pas. M. Maxime Ducamp a entendu le mot.
Ensuite, parce qu'à tout prix il veut évi-
ter le séjour des maisons centrales et rester
dans les prisons du département de la Seine.
.A ceux qui lui accordent ce privilège, il
dit volontiers ce qu'il sait.
Aussi, l'administration possède-t-elle tou- -
jours au dépôt de la préfecture un groupe
très-utile de révélateurs qu'on appelle là !
musique, et qui rend les plus grands services j
en indiquant le vrai nom des individus qui !
cachent leur identité. ' j '
L'identité! je viens de -prononcer là le
mot qui désigne la grande difficulté contre
laquelle se heurte trop souvent la police.
Quel travail surhumain que de se recon-
naître au milieu $es faux noms dont s'affu-
blent les criminels de profession ! i
Il existe des hommes qui ont subi des
condamnations sous quinze ou vingt noms '
différents. !
1 : Lacenaire a eu jusqu'à trente et un pseu-
donymes.
C'est à se perdre dans les Martin, les Le-
febvre, les Bernard, les Durand, les Pe-
tit, etc. »
Et les récidives !
Un nommé Antonin Crozat, de 1833 à
1868, a été condamné 71 fois. Un certain
Jean Hébrar, depuis le 4 décembre 1818, a
recueilli 27 ans de prison, 25 ans de réclu-
sion et 235 ans de travaux forcés; au total
287 années.
Il a été transporlé à Cayenne et s'est
évadé.
On arrive cependant à se débrouiller dans
ce labyrinthe, grâce à la merveilleuse in-
vention des sommiers judiciaires qui re-
monte à 1832 et qui permet de retrouver à
l'instant les anlécédents de tout individu
poursuivi par la justice en France ou aux
colonies.
La police anglaise, dont on parle tant, ne
possède rien de semblable et elle en est en-
core à demander naïvement à la Préfecture
de Paris si elle ne fait pas marquer les re-
pris de justice sur une partie apparente
du corps, afin d'être à même de les recon-
naître.
Ceci m'amène à parler d'un détail assez
curieux des mœurs des prisons.
Presque toujours les coquins se chargent
eu.x-mêmes de se timbrer avec des marques
indélébiles qui équivalent à une constatation
d'identité.
Le tatouage, cette mode des sauvages,
fleurit dans les préaux de la civilisation, et
il n'est criminel un peu distingué qui ne
tienne à honneur d'être plus ou moins dé-
coré d'arabesques incrustées dans l'épi-
derme.
On cite un matelot marseillais qui s'était
fait tatouer, des pieds anx épaules, en cos-
tume d'amiral ; c'est-à-dire qu'en piquaut
avec des aiguilles sa peau imprégnée d'encre
de Chine on y avait tracé des boutons, des
épaulettes, une épée et même la plaque et
le grand cordon de la Légion d'honneur.
M. Maxime Ducamp raconte qu'il a vu,
sur un autre épiderme de condamné, Adam
et Eve, dans le paradis, devant l'arbre de la
science, autour duquel le serpent déroulait
ses anneaux.
J'ai pour ma part bien souvent rencontré
jadis, dans les rues d'Alger, un condamné
au boulet, ancien soldat trois fois frappé de
la peine de mort et trois fois commué.
Il portait tatouée sur le front en lettres
hautes d'un pouce celte courte et significa-
tive inscription : — Pas de chance.
Il l'a justifiée plus tard en se faisant en-
fin fusiller pour avoir tenté d'assassiner un
officier.
On voit que le tatouage a du bon et on a
eu bien raison d'abolir la marque, puisque
messieurs les criminels de toutes les caté-
gories ont bien voulu prendre la peine de
la remplacer.
1 bêtes° m6n'' les scélérats sont toujours ',
.
ROBINSON.
TRAVAUX DU CONSEIL D'ENQUÊTE
CONVOQUÉ
en vertu de l'article 264 du décret du
13 octobre 1863
La capitulation de Thionville
(Extrait du procès-verbal de la séance du
18 avril 1872.)
Le conseil d'enquête,
iVu ^dossier relatif à la capitulation de la
place de Thionville;
Vu le texte de la capitulation;
Sur le rapport qui lui en a été fait ;
Ouï M. le colonel Turnier, ex-commandant de
la place de Thionville ;
Après en avoir délibéré,
Exprime comme suit son avis motivé sur la.-:
dite capitulation :
Bien qu'on ne puisse fixer exactement la force
de la garnison de Thionville, les situations d'ef-
fectif n ayant pas été fournies, elle "peut être
évaluée a 4,000 hommes environ, y compris
400 hommes de garde nationale sédentaire. Ce
chil!re était notablement inférieur a l'effectif
normal de la garnison en prévision d'un siège.
Les fortifications de la place étaient en bon
état.
L armement consistait en 200 pièces en batte-"
rie, dont 77 rayées.
Les approvisionnements en munitions compre-
naient 147,730 projectiles, 185,000 kilogr. de
pqudre à canon, 20,000 kilogr. de poudre à fu-
sil, 3,013,700 cartouches. il y avait 22,000
fusils de différents modèles. Les magasins renfer-
maient des vivres pour plus d'une année.
La place fut investie le 0 septembre et som-
mée de se rendre, le commandant refusa, plu-
sieurs autres sommations restèrent sans effet.
La garnison fit plusieurs sorties heureuses,
dans lesquelles elle prouva sa solidité et s'em-
para de convois prussiens. '
Le 22 novembre, l'ennemi bombarda la ville ;
un grand nombre de maisons furent incendiées,
les établissements militaires détruits, mais les
remparts-restaient intacts; le colonel Turnier,
prenant conseil de ses sentiments d'humanité
plutôt que-de. ses detoirs militaires, capitula le
24, après 54 heures de bombardement.
Le conseil d'enquête,
Considérant que le colonel Turnicr, comman-
dant supérieur de la place de Thionville, a ren-
du à l'ennemi la place dont le commandement
lui était confié, sans avoir rempli les conditions
exigées pour une capitulation par décret du i 3
octobre 1863, que de son propre aveu il pouvait
encore tenir quelques jours;
Considérant qu'il a livré à l'ennemi un maté-
riel de guerre intact, une quantité considérable
de munitions et d'approvisionnements sans avoir
rien tenté pour les détruire;
Qu'il a accepté dans la capitulation la clause
N° 25. — Feuilleton de la PETITE PRESSE
Le Chiffonnier Philosophe
PREMIÈRE PARTIE
LA BATAILLE DES 800,000 FRANCS
XX (suite)
Le syndicat.
Frappé et tout occupé de la grâce élégante
et distinguée qui caractérisait la rare beauté
de l 'orplielirie, Willcomb n avait pas encore
essayé déplacer une parole, empêché d'ailleurs
qu'il en eût été par le flux de phrases qui
comme une cascade, s'échappaient à flot con-
tinu de la bouche de la chiffonnière. i
^ Mais, comme si ce mot de corbeille de ma- 1
riage l eut tout à coup éveillé de sa contempla- 1:
fion : 1
, Est-ce que mademoiselle, demanda-t-il,
est sur le point de se marier ? !
-,Oh! répondit Mme Paphos, nous parlons 1
dans les temps futurs... Pour changer, dites- '
nous donc, farceur que vous êtes, ce que vous '
avez fait de Zidore, le fils d'ici ; que l'ayant;
."Voir le numéro d'hier. j
i
| connu je ne sais comment, et grisé à fond, à
i ce qu 'il paraît, et emballé dans une voiture
j tout ce qu 'il y a de plus chic : il y a près de
i six semaines qu'il n'a communiqué avec sa
1 famille, restée dans l'indécis et la consterna-
tion !
Zidore ! répondit l'Américain, il est re- j
trouvé, et, pour donner au papa Cambronne ;
j les explications que vous me demandez, j'ai
j pris avec lui un rendez-vous, où, je le vois, je '
I suis le premier. !
Il ne lui est rien arrivé de fâcheux, mon- j
sieur, à ce pauvre garçon? demanda curieuse- i
ment l'orpheline. j
— Au contraire, mademoiselle, jusqu'à ce 1
soir il a très-bien passé son temps, et si c'est j
à lui que Mme Paphos a fait allusion, en par- !
lant des temps futurs - •!
Ah t pour cela non, interrompit vive-J
ment Elise Bernard; j'aime Isidore comme un j
frère, mais en fait de mari, quoique je n'aie i
pas le droit d'être difficile, jamais je ne choisi- I
rais un pareil écervelé. ' S
— Comment, repartit Willcomb, pas le droit :
d etre difficile?... Au fait, ajouta-t-il galam- !
ment en ayant l'air d'inventorier le mobilier !
dy la chambre, il n'y a pas ici de glace où l'on '
puisse se regarder. , j
Ah ! en voilà un gentiment tourné de I
compliment 1 dit Mme Paphos ; avec ça que, t
dans ces quartiers-ci, il ne s'en débite pas j
souvent de pareils... Mais ce n'est pas pour |
son personnel que l'enfant a voulu parler, j
j vous savez? C'est rapport à ce malheur de fa-
j mille que je vous ai fait confidence.
j Aussi impressionnable qu'une sensitive :
j' - Ah! madame Paphos, dit la jeune fille
f en se couvrant le visage de ses mains et en se
mettant à fondre en larmes, vous êtes une bien
bonne amie, mais vos paroles souvent sont peu
réfléchies.
— Là! là! fillette, t'as raison, je suis une
vieille follè, fit la chiffonnière en courant em-
brasser l'orpheline; érnouvable comme tu es, il
y a des inconvénients, je devrais le savoir, qui
ne sont pas à remémorer.
De son côté, Willomb avait été vivement
touché de cette explosion de douleur qiii ac-
cusait une plaie encore si saignante, et, quand
il entendit Elise, un peu rassénée, s'excuser
de la sotte scène qu'elle venait de faire, il se
leva, et allant à elle :
— Mademoiselle, lui dit-il d'un ton pé-
nétré, voulez-vous me . faire l'honneur de me
donner la main... à l'américaine, c'est-à- dire
comme.on fait entre gens qui ont l'un pour
l'autre considération, estime et sympathie?
La fille du décapité détourna la tête pour
cacher des larmes, cette fois plus douces, qui
lui remontaient dans les yeux, etlelle tendit
au transatlantique une main qu'il effleura
respectueusement de ses lèvres.
— Eh bien, tu vois; ma poule, dit Mme
Paphos, il n'y a pas d'affront, et, avec le suf-
frage d'un compère de ce numéro-là, tu peux
erânementnepaste'soucier de l'opinlon, Mais, J
! continua-t-elle, après avoir prêté l'oreille à
I un bruit de voix qui se faisait dans l'escalier,
\ j'entends quelqu'un !..;Oui! oui! c'est le, père v
; Cambronne !...
J — Et, sans plus penser à son mal de pied,
; elle s'empressa d'aller ouvrir la porte, en criant
i au chiffonnier :
1 ' — Arrivez donc, philosophe ! M. Willcomb
i est là qui vous attend !
j . Sans avoir modifié d'une seconde son allure
! qui était toujours digne, pour ne pas dire ma-
| jestueuse, parut, un instant plus tard, le maî-
| tre du logis.
I Il n'arrivait pas seul, il ramenait avec lui
| l'enfant prodigue, du reste, il faut le remar-
quer, sans aucune velléité apparente do tuer
le veau gras.
De plus, pour le cas où le fugitif se serait
refusé à réintégrer le domicile paternel, il s'é-
tait fait appuyer d'une force respectable.
A sa suite entra un ancien comme lui de la
corporation, le célèbre Matagatos, figure assez •
! farouche et, en raison d'une spécialité redouta-
j ble, connu généralement sous le nom de le
. tueur de chats. • - - .
[ Venaient ensuite PolytQ dit laGcûette,\e lecteur
l'a entrevu déjà ; ptiii llYI aiitrg grand gftrs,
Martin Lantiste, mail plug hahitueliieinent
Martin Trempe-fa-Soilpe; sqitlvaineiu^êssentiel'îe
IDêutbatai11euse lui avait valu ce sobricruet-iâ.-
— Salut! monsieur, dit Cambronng' fA-::'
mêïieain, avec une solennité un peu' froide
Toi, EUsc, ajouta-t-il, pendant que Torplie*
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