À propos de l’œuvre
Officier des Eaux et Forêts à Château-Thierry, sa ville natale, La Fontaine a largement dépassé la trentaine quand il est admis par Fouquet parmi les écrivains à sa solde. Mais sa notoriété comme poète ne commence à s'élargir qu'après la disgrâce du surintendant, lorsqu'il publie, de 1664 à 1666, ses premiers Contes. Il ne se découvre que sur le tard une vocation de fabuliste : au moment où, de ses Fables, paraissent les Livres I à VI, il touche à ses quarante-sept ans révolus. Un second recueil, qui marque le plein épanouissement de son génie, ajoute, en 1678 et 1679, cinq nouveaux livres aux précédents. Un ultime contingent, formant le livre XII, ne sortira des presses qu'en 1693.
Le volume de 1668 avait été composé pour le Dauphin, fils de Louis XIV. Le fabuliste s'y montre fidèle à l'esprit de ses modèles, Ésope et Phèdre, qu'il se contente d'égayer par des traits nouveaux ou familiers. Dans les fables qu'il offre dix ans plus tard à Madame de Montespan, la favorite du monarque, sa manière s'élargit, se diversifie et son inspiration s'ouvre à l'influence de la tradition indienne. Plus composite, le dernier livre renoue avec une conception plus enfantine et scolaire de l'apologue, adaptée au jeune duc de Bourgogne, qui se le voit dédier. Toutefois ce livre n'en contient pas moins, aussi, le testament du poète à travers des confidences.
Les Fables de 1668 marquent une date capitale dans l'histoire du genre. Certes, dès l'Antiquité, l'apologue était passé de la prose grecque dans lequel s'était transmis le fonds ésopique primitif, aux vers latins plus artistiquement élaborés d'un Phèdre. Mais il appartient à La Fontaine de l'avoir annexé véritablement à la poésie, dont il utilise, avec une incomparable souplesse, les ressources les plus variées comme les plus subtiles. Ce chef-d'œuvre lui vaut de marcher de pair avec les représentants majeurs du classicisme français. Le succès, fut immédiat ; l'atteste, en particulier, la même année que l'édition in-4°, la mise en vente d'une édition in-12, en deux volumes, comportant les vignettes gravées par François Chauveau. Depuis, les Fables de La Fontaine ont été rééditées un nombre incalculable de fois et leur popularité, jusqu'à nos jours, ne s'est jamais démentie.
Image et texte : jeux de miroirs
Les premières éditions des Fables étaient toutes illustrées, les gravures de Chauveau semblaient faire partie intégrante de l'œuvre. Elles en ont ainsi inauguré une lecture particulière, où l'image et le texte se reflètent mutuellement.
Et pourtant la question de l'illustration ne va pas de soi ; au fil des siècles les illustrateurs qui s'y sont risqués en ont proposé des interprétations très différentes, s'émancipant progressivement de la contrainte d'une fidélité absolue au « message » de La Fontaine. Grandville et Doré, au XIXe siècle, s'autorisent des libertés de transposition substantielles. Et pourtant, même ainsi librement comprise, l'illustration de la fable se heurte à un écueil incontournable, celui de devoir exprimer en une seule image, en un seul instant, un ensemble de péripéties qui se déroulent dans la durée. Grandville apporte à ce dilemme une réponse exemplaire. Dans l'illustration qu'il propose de L’Homme et son Image, il embrasse toute la problématique de la fable en une seule image amoncelant miroirs et reflets et installant au centre le reflet d'un spectateur invisible qui se regarde, dont la place serait exactement à l'endroit du lecteur qui se trouve ainsi happé par le propos, obligé de regarder sa laideur.
Il manifeste ainsi une vérité de l'illustration l'image réfléchit la fable, mais aussi l'illustrateur, mais aussi le lecteur. Elle est miroir et donc chemin de connaissance.