Auguste Escoffier : un travailleur infatigable
En juin 1906, Auguste Escoffier approche les soixante ans. Il est au faîte d'une carrière particulièrement longue, en particulier pour l'époque, et qui va encore durer, puisque, entré au Carlton en 1899, il ne le quittera qu'en 1920.
Le Guide culinaire : aide-mémoire de cuisine pratique, A. Escoffier, Paris, 1903
Depuis 1884, il travaille avec César Ritz, en France et au Savoy, à Londres de 1890 à 1897, au Ritz de Paris, enfin au Carlton de Londres pour vingt ans.
Auguste Escoffier ne compte pas son temps. Il assure pour la société Ritz Development, l’ouverture de restaurants et d'hôtels dans le monde entier ; il contrôle l'aménagement des cuisines des paquebots de la Hamburg América Line, celle du SS. Amerika par exemple ; il crée la marque "Carlton délicacies" qui propose des pickles et une gamme de sauces.
Malgré toutes ces activités, en 1903, il publie Le Guide culinaire, aide-mémoire de cuisine pratique. Cet ouvrage de plus de cinq mille recettes a un retentissement considérable et reste pendant toute la première moitié du XXe siècle une bible de la cuisine à laquelle énormément de cuisiniers du monde entier se réfèrent. La fin de l’ouvrage, partie souvent oubliée, nous intéresse au premier chef. À partir de la page 567 de l’édition de 1903, il donne vingt exemples de menus servis au Savoy ou au Carlton et les cartes du jour des déjeuners et de dîners. Il détaille surtout un "outil de méthode de travail pour les grandes brigades" donnant les exemples de feuille de service pour le chef saucier et le "garde-manger", qui seront rédigées sur les ordres du Chef par le "secrétaire" de cuisine. Il met en place également un système de réservation novateur qui consiste à proposer à l’avance à partir de quatre personnes un menu, s'attachant à le personnaliser pour chaque client, selon sa nationalité, ses goûts, le nombre de convives, le nombre de femmes... Du sur mesure ! Cette méthode est associée à sa technique d'organisation de la production qui demanderait à elle seule un développement complet. Trop souvent, elle est confondue avec l'organisation de la cuisine en brigade qui existait déjà bien avant Escoffier. Ces deux innovations lui permettent, pour l'époque, ce tour de force :
C'est ainsi qu'on arrive à servir à la carte 400 et 500 personnes, en 1 heure ou 1 heure et demie, sans heurts, sans oublis, sans bousculades, avec une brigade de 60 hommes."
Dans sa biographique d'Escoffier, Eugène Herbodeau, son élève et l'exécuteur testamentaire de ses écrits, raconte sa journée au Carlton. Auguste Escoffier réside dans un appartement du 5ème étage de l'hôtel. Il se lève habituellement à 6h30 et descend en cuisine à 7h, où il contrôle l'approvisionnement et la préparation du breakfast. À 8h, il rejoint son bureau au premier étage au-dessus des cuisines, où commence son travail d'écriture, celui qui nous intéresse. C'est donc à ce moment-là qu'il écrit sur le carnet les pages que nous découvrons jour par jour, détaillant de sa main les menus et la carte du jour. À partir de ce document, le secrétaire établit les fiches de poste pour chaque partie. Auguste Escoffier prend ensuite son petit-déjeuner, puis il descend à nouveau en cuisine pour l'arrivée du personnel. À 11h, il passe au restaurant pour rencontrer le directeur et son premier maître d'hôtel afin de contrôler les menus déjà pris en commande.
Chaque menu sera donc adapté au client, dont le nom est connu. Avant le début du service, il déjeune avec un client ou une relation, sinon avec Ritz, puis il revient en cuisine pour le service et contrôle les sorties au passe. Vers 15h30, à la fin du service, souvent il fait une promenade pour être de retour à 18h. Il se remet au même travail de préparation des menus que le matin, pour un service du soir plus important que celui du midi, servi de 7h à 1h du matin. On voit donc là toute l’importance de ce travail d’"écriture" à découvrir dans les carnets à une époque où l'on ne peut pas dire que l'écrit est très présent en cuisine.
Pour aller plus loin :
- Le remarquable Livre des menus d’Auguste Escoffier, billet de blog Gallica
- Histoire des fraises Sarah Bernhardt, billet de blog Gallica
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