Le Jeu de paume : histoire d'un sport très populaire
Au XIXe siècle naît le sport au sens moderne avec l’organisation des activités physiques sous l’égide d’institutions et de fédérations. Mais cela ne signifie pas que l'on ne se dépensait pas physiquement auparavant. Dès le Moyen-Age, toutes les classes sociales françaises pratiquent un proto-sport : le jeu de paume.
Jeux de longue puis courte paume
Au moyen Age, les jeux de balle en extérieur font fureur sous diverses formes dans les villages et dans les villes. Puis la pratique s’enferme peu à peu pour ce qui deviendra le jeu de courte paume. Ces lieux aménagés sont tout d’abord à ciel ouvert ou à partir du XVIe siècle, dans des salles protégées des intempéries pouvant accueillir parfois plus d’une centaine de spectateurs. Le jeu consiste à s'envoyer une balle avec la main, de part et d'autre d'une corde. Plus surprenant, des membres des clergés séculier et régulier s'y dépensent sans limites. Les moines y mettent tant d'ardeur que les autorités ecclésiastiques vont à différentes reprises interdire aux religieux d'abord de jouer "sans vergogne" c'est à dire en chemise et en public, puis plus radicalement de jouer tout court (Archevêque de Rouen en 1245 ; Concile de Sens en 1485 ; statuts synodaux de Soissons en 1673).
A partir du XVe siècle et au XVIe siècle, cette pratique devient un véritable phénomène de société dans les villes, les villages et les résidences princières. Un Italien visitant Paris en 1596 avec le légat du Pape y dénombre 250 salles de jeu de paume employant jusqu’à 7000 personnes à cette fin. A cette même période, l’Anglais Sir Robert Dallington considère qu’il y a plus de joueurs de paume en France que de buveurs de bière en Angleterre...
Les règles codifiant le jeu sont publiées pour la première fois au XVIe siècle. Jusqu’au XVe siècle, les joueurs frappent à main nue, puis étant donné la force des coups, ont l’idée de s’en protéger avec un gant, puis d'utiliser un battoir fait de bois ou d’un parchemin tendu sur un cadre. Mais cette pratique a sans doute contribué à nuire à la transmission de précieux manuscrits ! Heureusement, ces accessoires furent supplantés par la raquette à la fin du XVe siècle pour la courte paume. Au XVIe siècle, apparaissent les communautés des maîtres paumiers et des maîtres raquetiers.
Un jeu d’hommes mais pas que !
Différentes chroniques contemporaines évoquent des femmes jouant à la paume, faisant de la sorte sensation dans un univers très masculin. En effet, les joueurs s'emportaient souvent et proféraient "granz debatz, crieries, parjuremens et blasphêmemens". Vers 1427 à Paris, Margot, une jeune hennuyère y excelle, attirant dans la salle du jeu de paume rue Grenier Saint-Lazare de nombreux spectateurs médusés.
Puis au XVIIIe siècle, le jeu d’une demoiselle affrontant le prince de Condé nous est décrit de façon amusante. Il y eut également une maîtresse de jeu de paume parisien, une certaine Madame Masson manifestement dotée d’une forte personnalité.
Le jeu des rois
Le jeu de paume s’est propagé à la Cour à la faveur de l’engouement qu’il a suscité. Bientôt rois, princes, grands seigneurs, tous ont leur jeu de paume et y sont initiés dès leur enfance. Pratiqué à l'origine par les bourgeois, étudiants et artisans, ce sport devient bientôt également le hobby par excellence des aristocrates.
En effet, être un bon joueur nécessite vigueur physique, adresse et sens tactique. Toutes qualités dont doivent pouvoir faire montre les puissants ! Et même si certains en étaient dépourvus, ils pouvaient compter sur la flagornerie des courtisans pour masquer leur défaillance. Par ailleurs, les nobles cherchent à entretenir leurs corps dans l'attente de véritables confrontations physiques sur les champs de bataille.
- Louis X le Hutin (1289-1316) , après s’y être particulièrement dépensé, se retire dans une grotte du Bois de Vincennes et meurt suite au contraste de températures.
- Charles V (1338-1380) pratique régulièrement le jeu de paume. Ce qui ne l'empêche pas de l'interdire à ses sujets par une ordonnance de 1369.
- Son fils Louis XI (1423-1483) ne dédaigne pas de taper dans la balle
- Charles VIII (1470-1498) s'élance pour aller assister à une partie et dans sa précipitation, heurte son front au linteau d'une porte Il s'ensuit une commotion cérébrale qui lui sera fatale.
- François Ier (1494-1547) était un joueur habile.
- Il eut été surprenant que l’hyperactif Henri II (1519-1559) ne s'y montrât pas un joueur émérite. Lui-aussi tente sans succès d’interdire les tripots fréquentés par les non-gentilhommes.
- Son fils, François II (1544-1560), tuberculeux meurt subitement après une partie acharnée.
- Brantôme dans sa chronique évoque Charles IX (1550-1574) s’adonnant volontiers à la longue paume.
- Voulant brosser le portrait du parfait gentilhomme qu’est Monsieur de Nemours (1531-1585) - protagoniste de la Princesse de Clèves - Brantôme en fait un excellent joueur de paume, connu pour « ses revers ».
- Pierre de l’Estoile nous a transmis par écrit le journal du règne de Henri IV (1553-1610). Celui-ci passe beaucoup de temps à jouer à la paume afin de briller aux yeux des dames de la Cour, en particulier une certaine Madame de Monceaux, alias Gabrielle d’Estrée.
- A partir de 1622, Louis XIII tombe malade et renonce à pratiquer la paume.
- Louis XIV a certes pratiqué le jeu dès son enfance mais à partir de 1678, son état de santé l'en tient éloigné et il se contente d'assister aux parties entre les meilleurs paumiers. Dans le Journal du Marquis de Dangeau, c’est surtout Philippe d’Orléans, frère du roi qui se dépense physiquement au jeu de paume en compagnie des militaires Condé et Turenne.
- Louis XV et Louis XVI ne jouent pas mais sont également admiratifs devant les exploits des bons joueurs.
On notera que les parties étaient intéressées et des sommes considérables ainsi brassées dans l'entourage des princes et souverains.
Mauvaise réputation et déclin
Dans l'environnement urbain, les salles de jeu de paume sont appelées tripots (du vieux français « triper », c’est-à-dire sauter). Ce terme prend progressivement une acception péjorative désignant des lieux mal famés. En effet, là aussi les résultats des parties font l'objet d'enjeux et de transactions d'argent. En outre, dès le XVIe siècle, à côté de la salle de jeu, on prévoit la dépouille, vestiaire où les joueurs peuvent se changer et enfiler une tenue plus légère et blanche - couleur encore traditionnellement attachée au tennis de nos jours. Il est également possible de s'y reposer, boire, jouer aux cartes ou aux dés. Il y a donc contiguïté avec la taverne et l'étuve, établissement de bains et de prostitution.
Dès la première moitié du XVIIe siècle, les épidémies de peste signent la fin de cette passion française. Par crainte des contacts avec les autres participants et de la contamination par les linges et vêtements de location, on déserte les tripots. Par ailleurs, les guerres reprennent et les hommes s'affrontent désormais sur les champs de bataille.
L'engouement commence à diminuer, même si la paume reste une activité courante dans les différentes couches de la population française. A la fin du XVIIIe siècle, il ne subsiste qu’une dizaine de salles à Paris. Dans la première moitié du XIXe siècle, au moins deux salles se maintiennent à Paris, rue Mazarine et boulevard du Temple mais elles finissent par fermer. Une nouvelle salle est construite, passage Sandrié avant d’être détruite en 1860 par les travaux d’aménagement de l’opéra Garnier. On se tourne alors vers le jardin des Tuileries pour y créer deux salles en enfilade qui deviendront par la suite le musée du jeu de paume.
Pour aller plus loin
- Billet de blog Gallica : Les paumiers-raquetiers et la police par Stéphanie Tonnerre-Seychelles
- Jean-Yves Dufour, Thierry Bernard-Tambour, Archéologie d’un sport : le jeu de paume (vidéo de la conférence du 24 avril 2024 organisée dans le cadre du cycle sur l'Archéologie du sport)
- Thierry Bernard-Tambour, Le Jeu de paume, roi des jeux : le prototype des sports modernes, Les Essentiels de la BnF
L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.
La série "Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.
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