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Les paumiers-raquetiers et la police

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Le jeu de paume était à l’honneur à la BnF, le 24 avril 2024, lors d’une conférence du cycle « Archéologie du sport » (janvier-juin 2024). Saisissons la balle au bond, comme disent les joueurs de paume, et intéressons-nous aux artisans concernés en premier lieu par ce sport : les maîtres paumiers-raquetiers.

Courte paume, rue Lauriston, à Paris, photographie de presse, agence Rol, 1925  

Selon Jacques Savary des Bruslons (1657-1716), dans le Dictionnaire universel du commerce, le paumier est « celui qui fait des raquettes et des balles, ou autre chose servant au jeu de paume. C’est aussi celui qui tient un jeu de paume, et qui fournit aux joueurs des balles et des raquettes. » Le paumier doit avoir plusieurs cordes à son arc, puisqu’il doit aussi être un bon joueur et enseigner le jeu, ce qui ne semble pas être une sinécure :

Il faut, au moins une fois dans sa vie, avoir vu jouer à la paume. C’est un jeu que je ne tenterai pas d’expliquer. Il faut plus d’un mois, et en y jouant souvent, pour en saisir le mécanisme, bien davantage pour en comprendre la technique et toute la vie pour en apprécier la sereine philosophie.

(Charles Lafaurie, « Le jeu de paume, un des plus anciens sports français », Le Miroir des sports, 26 mai 1921)

Un billet a déjà été consacré à ce sport, son évolution, d’un âge d’or où il suscitait l’engouement de la population mais était aussi le jeu des rois, à une période de déclin à partir du XVIe siècle. Cette évolution n’est pas sans conséquences sur le métier de paumier-raquetier.

Un métier organisé en communauté et pourvu de statuts

Savary des Bruslons poursuivait ainsi sa description du paumier : « Il y a à Paris une communauté de maîtres paumiers, raquetiers, faiseurs d’esteufs, pelotes et balles ». Si des associations semblables existent dans les villes de province, les sources étant plus rares, prenons la communauté parisienne pour exemple.
Les communautés de métiers sont des associations professionnelles pourvues d’un privilège, qui existaient jusqu’en 1791, année de leur suppression par l’Assemblée constituante. Elles sont désignées sous le terme de « corporations », à partir de la fin du XVIIIe siècle.
Savary des Bruslons fait remonter la communauté des paumiers au début du Grand Siècle, bien que le métier lui-même soit plus ancien. Elle est l'héritière de celle des faiseurs d'esteufs – l'esteuf étant la balle utilisée à la paume – qui a obtenu ses premiers statuts en 1467.
La constitution d’une communauté de métier, d’une jurande, avait pour intérêt d’une part de limiter la concurrence et d’assurer des revenus plus intéressants aux membres de la communauté, et d’autre part de mettre en place une réglementation et des contrôles de qualité. Les statuts prévoient en effet les conditions d’accès au métier, et l’élection, parmi les maîtres de la communauté, de jurés chargés d’assurer les contrôles et de sanctionner les infractions constatées. Le contrôle du poids et de la qualité des balles notamment n’était pas sans intérêt pour le confort et la santé des joueurs et pouvait permettre de réduire la dangerosité du jeu. Dans ses Essais, Michel de Montaigne n’évoque-t-il pas la mort d’un de ses frères, après avoir reçu « un coup d’esteuf » à la tête, lors d’une partie de jeu de paume ?

Nul ne pourra, en ladite ville et faubourgs faire esteufs ni pelotes, s’ils ne sont faits de bon cuir et de bonne bourre, et chacun d’iceux esteufs et pelotes pesant dix-sept estelins, sur peine de confiscation […] et d’amende. 

(Extrait de la sentence du prévôt de Paris homologative de 5 articles ajoutés aux statuts des esteuviers-pelotiers (ou faiseurs d’esteufs) du 18 novembre 1508)

L’archiviste-paléographe René de Lespinasse (1843-1922) s’est intéressé aux métiers et corporations parisiens, et aux paumiers-raquetiers en particulier. Il recense et reproduit les statuts successifs de la communauté, de ceux de 1467 à ceux confirmés par lettres patentes de Louis XV en 1727. Ce souci exprimé au XVe siècle de limiter le nombre de professionnels, de boutiques et de jeux de paume, chacun semblant vouloir tirer parti du succès rencontré par ce sport, perdure jusqu’au début du XVIIe siècle.

Statuts et reglemens, pour la communauté des maistres paulmiers-raquetiers de la ville & fauxbourgs de Paris, 1727

En 1727, l’activité connaît une crise. Les paumiers-raquetiers parisiens font valoir, pour obtenir de nouveaux statuts, « qu’il est arrivé de si grands changements dans leur communauté, qu’elle se trouve réduite au-dessous de la moitié de ce qu’elle était il y a 60 ans », et prévoient qu’ « il ne sera point fait d’apprentis, attendu la quantité des fils de maîtres et la démolition des jeux de paume » (art. 5). Le jeu de paume ne fait plus recette !

Le « tripot des onze mille diables » ou la police des jeux de paume

Les jeux de paume n’étaient peut-être pas toujours des lieux très recommandables, comme le laisse supposer ce nom fantasque ! D’où la nécessité pour la police de les avoir à l’œil !
On doit au commissaire de police au Châtelet de Paris, Nicolas de Delamare (1639-1723), un Traité de la police qui fourmille de sentences de police et d’actes royaux concernant l’activité de paumier !
Des restrictions s’exercent dès le XIVe siècle, sur les jours et horaires d’ouverture et sur les catégories de joueurs admis au sein des salles de jeu. Plusieurs actes royaux interdisent en particulier aux paumiers d’accepter des clients au moment des offices religieux, ce que Nicolas de Delamare explique ainsi :

La paume est un jeu licite, qui donne de l’agilité au corps, & qui contribue à la santé ; mais il a tant d’attrait pour la jeunesse, qu’elle le préféreroit souvent au service divin les jours du dimanche & des fêtes.

Ils doivent également refuser l’accès aux « gens de mestier, & autres du petit peuple », qui « quittent leur ouvrage & leurs familles pendant les jours ouvrables, pour aller jouer à la paume » (ordonnance du Prévôt de Paris du 22 janvier 1397) ou aux écoliers pendant le temps des classes (ordonnance du 20 août 1554). Les militaires ne sont pas non plus en reste…

Ordonnance de police qui défend à tous soldats d'entrer dans les maisons, jeux de paume et billards des maîtres paumiers, 1731

La police des jeux de paume se préoccupe aussi des activités proposées au sein des salles, les tenanciers étant tentés d’y faire jouer aux jeux de hasard, jeux prohibés. Rien ne va plus ! Nicolas de Delamare reproduit le rapport d’une visite de commissaires de police en 1670 au jeu de paume de la Croix-Noire, sur le quai de Saint-Paul, rapport dont ressort là encore que la paume connaît une perte d’attractivité au XVIIe siècle. Les commissaires n’y ont en effet trouvé « qui que ce soit jouant à la paume », mais des joueurs de cartes et de trictrac. Cette visite valut au tenancier la confiscation de ses jeux de trictrac et une amende. 

« Paulmerie, salle de billard et instruments de billard », Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Planches t. 8, 1771 

Les paumiers se sont également tournés vers le billard. Cette activité leur a été un temps interdite (par exemple par une sentence de police du 6 avril 1655), mais ils ont fini par en obtenir le monopole. Inscrit dans l’article XIII des statuts de 1727, ce jeu a supplanté la paume dans leurs activités.

Un aperçu très concret du métier au XVIIIe siècle

Parmi les métiers décrits pour l’Académie royale des sciences par François-Alexandre-Pierre de Garsault, figure celui de paumier-raquetier. Le scientifique décrit dans le détail la salle de jeu de paume, la fabrication des raquettes et des balles, ainsi que le fonctionnement d’un jeu de paume au XVIIIe siècle, et le déroulement d’une partie.

François-Alexandre-Pierre de Garsault, Art du paumier-raquetier et de la paume, 1767, planche IV 

Parmi les prestations aux joueurs que fournissaient à l’époque les paumiers, il détaille la mise à disposition de « l’habit de combat », composé de « bonnets, chemises, caleçons, camisolles, bas & chaussons » et « des rafraîchissements que les joueurs demandent, comme pain, vin, bierre, &c. ».

 Figures de paumiers

« Portrait de Masson, paumier sous Louis XV », dans Edouard Fournier, Le Jeu de paume, son histoire et sa description, 1862

Certains paumiers, détenteurs d’un office de paumier du roi, étaient employés par la famille royale et sont passés à la postérité. On peut citer au XVIIe siècle, Nicolas Creté, à qui l’on doit la construction du jeu de paume de Versailles, où l’Assemblée nationale fut proclamée le 17 juin 1789. C’est également le cas de Barre, dont les exploits sont relatés dans le volume Le Jeu de paume, son histoire et sa description (1862), qui comprend des éléments biographiques sur les principaux paumiers des XVIIIe et XIXe siècles, tels Delahaye fils (dit Biboche), Tompkins ou Masson. Le métier de paumier-raquetier perdure en effet, en dépit du déclin que connaît le jeu de paume, au-delà de la Révolution et de la suppression des communautés de métiers.

Pierre Etchebaster (1893-1980), photographie de presse, agence Rol, 1927
Au XXe siècle, il était encore possible de rencontrer des paumiers à Paris - Pourquoi pas Pierre Etchebaster, le meilleur joueur de paume moderne ?! -, en se rendant 74 ter rue Lauriston, siège de la Société sportive du Jeu de Paume et de Racquets… Une société et un lieu qui existent toujours aujourd’hui et qui emploient un maître paumier. C'est également le cas dans les autres jeux de paume dans le monde et en France comme à Fontainebleau ou à Bordeaux. Alors, à vos raquettes !
 

Pour aller plus loin 

L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.
La série "Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.

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