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Contre vents et marées : une petite histoire des phares

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La France possède plus de 10 000 km de côtes qu’éclairent 135 phares ou "établissements de signalisation maritime". Si les phares ont évolué dans leurs fonctions nautiques, ils n’en représentent pas moins un patrimoine architectural impressionnant qui a accompagné la France dans la consolidation de ses voies commerciales par mer. Retour sur l'histoire des phares.

Brest, la jetée un jour de tempête

Le phare de Cordouan, évoqué dans un précédent billet de la série "Promenades aux phares", est le premier phare moderne des côtes françaises. Il sera suivi d’une longue liste d’autres phares. Mais commençons notre promenade aux phares par un retour vers un passé plus lointain. 

Les phares dans l'Antiquité

Durant l’Antiquité et le développement des voies maritimes, les phares font leurs premières apparitions sous forme de simples feux de bois placés sur des hauteurs ou des tours. À l’instar des amers naturels comme les montagnes, ces phares antiques servent avant tout à assurer la sécurité des navires et à signaler la côte et plus généralement l'entrée d'un port. Le phare le plus connu est celui d’Alexandrie, édifié sur l’île de Pharos, dans le port d’Alexandrie, sous Ptolémée 1er. Il est à l’origine du terme grec "pharos" et par extension du français "phare". Présenté comme la septième merveille du monde antique, la célébrité du phare d'Alexandrie traverse les siècles et nourrit les imaginations comme dans cette estampe de 1770

Alors qu’il a disparu depuis les années 1300, il fascine toujours au cours des siècles, comme on le voit dans un magazine pour la jeunesse, la Jeunesse illustrée, en 1913

Ou encore dans les encyclopédies scientifiques du 19ème siècle comme le Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts de Marie-Nicolas Bouillet en 1896 :

Au 13ème siècle, l'émergence croissante de cités portuaires s'accompagne de la création de nouvelles tours à feu. Des foyers sont aménagés aux sommets d’édifices militaires ou religieux. C'est le cas de la tour de feu de la pointe Saint-Mathieu. Chaque nuit, les bénédictins de l'abbaye Saint-Mathieu allument, sur l'une des tours, un feu salvateur pour les marins dans le goulet de la rade de Brest. L’abbaye est pillée et détruite durant la Révolution mais la tour, premier feu du Finistère, continuera à éclairer jusqu’à la construction du phare définitif, mis en service en 1835, tout près des ruines de l’abbaye comme on le voit sur cette photographie :

Les phares sous l’Ancien Régime

C’est sans aucun doute avec le phare de Cordouan, mis en service en 1611, que les phares entrent dans la modernité. Puis, interviennent Colbert et Vauban. Cherchant à développer le commerce maritime, Colbert est à l’origine de l’idée d’un réseau français de tours à feux. Colbert est aussi à l’origine de la rénovation du phare de Cordouan. Aidé par Vauban, à la fois dans un souci de protection militaire et de sécurisation du commerce, il décide de la construction du phare des Baleines sur l’Ile de Ré (construit en 1682) et de celui de Chassiron sur l’Ile d’Oléron (construit en 1685) pour protéger la flotte de guerre à Rochefort.
 
C’est de cette même époque que date la construction du phare du Stiff à Ouessant, le plus ancien phare breton. Vauban, toujours lui, juge judicieux de protéger le port militaire de Brest par des tours guidant à la fois les navires amis et permettant d’apercevoir au loin les navires ennemis.

La construction du phare du Stiff est lancée en 1685 en même temps qu’un projet de fortification de l'île, élaboré également par Vauban. Seule une tour sera construite en 1699 et mise en service en 1701, sous la conduite de l’ingénieur Mollart, selon un plan type issu de l’art de la fortification qui associe deux tours tronconiques accolées, de diamètres différents, l'une contenant les magasins et les logements des gardiens ainsi que le foyer ; l'autre contenant un escalier à vis.

Peu à peu, les routes maritimes menant aux grands ports du royaume voient apparaître des tours à feux toujours plus nombreuses, éclairées par des feux de bois ou de charbon. Mais, pour tous ces phares, l'entretien du feu de charbon s'avère difficile, coûteux et d’une efficacité souvent contestée. Ce souci financier pousse les ingénieurs à trouver des combustibles moins onéreux que le charbon et le bois car les phares n’éclairent que par intermittence quand ils ne restent pas éteints des mois entiers, faute de matériel ou de main d’œuvre. Beaucoup d’améliorations sont faites pour, à la fois, réduire les coûts et augmenter l’efficacité.
 
Comme l’indique Léon Renard dans son Histoire des phares en 1867 :

Ce n'est qu'à une époque voisine de nous qu'on vit pour la première fois le bois et la houille remplacés par des chandelles, et ce foyer à ciel ouvert protégé par des vitres. Plus tard, à la fin du dix-huitième siècle, nous trouvons substituées à ces insuffisants producteurs de lumière, des lampes dont l'éclat était renvoyé au loin par des réflecteurs de métal poli.

À la fin du 17eme siècle, la lanterne vitrée et close se répand. C'est un système d'éclairage plus fiable que le feu de bois à ciel ouvert utilisé jusqu'ici. L'espace clos permet aussi une économie d'énergie non négligeable. Le foyer de combustion est remplacé peu à peu par des lampes plus sophistiquées brûlant de l’huile. Ainsi pour le phare du Stiff, le feu de charbon est remplacé par une lanterne vitrée protégeant des lampes fonctionnant grâce à un mélange d'huile de poisson et de colza.
 
L’État laisse la gestion des phares à l’initiative privée. Les phares se développent en fonction des besoins des grands intérêts commerciaux. La compagnie Tourville-Sangrain, après avoir installé ses réverbères à huile dans les rues de Paris, se voit confier par le roi et pour des périodes de neuf ans, l’entretien et l’approvisionnement de ces établissements. C’est en 1770 que la première lampe à huile est installée avec un déflecteur en cuivre argenté sur le phare de Sète. Cinq ans plus tard une quinzaine de phares sont équipés. L’entrepreneur se charge aussi des petites réparations et de la nomination des gardiens après l’accord de l’administration locale de la Marine. Cependant, l’activité d’entretenir le feu n’est pas encore un métier officiel et la permanence d’un feu est parfois aléatoire, ce qui pose des problèmes en temps de guerre, l'État ne pouvant dépendre d'initiatives locales pour l'allumage ou l'extinction de ces feux. L’Assemblée législative vote, le 15 septembre 1792, une loi qui confie la surveillance des phares, amers, tonnes et balises au Ministère de la Marine et l'exécution des travaux au Ministère de l'Intérieur.
 
Cela ne change cependant pas grand-chose pour la compagnie Tourville-Sangrain qui continue sa gestion comme on le voit dans ces échanges entre le Ministère de la Marine et la mairie de Bordeaux pour le phare de Cordouan en 1797 :

La création du Service des Phares et Balises et la révolution d'Augustin Fresnel

Devant l'accroissement du trafic maritime, Napoléon Ier souhaite un programme de balisage des côtes françaises et un service de surveillance performants. À cette fin, il crée le 7 mars 1806, par décret, le Service des Phares et Balises, nouvelle administration rattachée à l'École nationale des Ponts et Chaussées dépendant du Ministère de l'Intérieur.

Parallèlement à la mise en place d'un éclairage systématique et ordonné des côtes françaises, il importe de se préoccuper de l'augmentation de la portée des feux. En 1811, une Commission des Phares est créée et confie à François Arago, physicien, Claude Louis Mathieu, astronome, et Augustin Fresnel, ingénieur, la mission d’améliorer la qualité des feux.

Augustin Fresnel (10 mai 1788 - 4 juillet 1837) a alors trente et un ans. Entré à l'École polytechnique en 1804, à l'âge de seize ans et demi, il est affecté en 1806, à sa sortie de l'École, au corps des Ponts et Chaussées. Aspirant le 6 juin 1809, ingénieur ordinaire le Ier décembre suivant, il est attaché successivement aux services des départements de la Vendée et de la Drôme jusqu'en 1815.

C’est à la demande même d’Arago, qui suit de près ses travaux sur la diffraction, qu’il intègre la Commission des Phares. Arago voit juste car Fresnel va révolutionner l’éclairage des phares en partant d’une idée simple : utiliser une lentille de verre pour réfléchir la lumière. Son idée nécessite des blocs de verre simples mais retravaillés par polissage et par montage et pouvant résister aux conditions des bords de mer.

Parallèlement, il travaille avec Arago, qui deviendra son admirateur et ami fidèle, à la création du bec à quatre mèches destiné à éclairer. Le premier appareil dit de la lentille à échelons, coulé à la glacerie Saint-Gobain, qui combine réflexion et réfraction de la lumière, est installé le 20 juillet 1823 sur le phare de Cordouan. La puissance lumineuse atteint 24 000 bougies et rend visible les signaux du phare à soixante km au lieu de vingt auparavant.

Fresnel, nommé le 1er juin 1824 secrétaire de la Commission des phares, prend alors en charge un ambitieux programme qui comporte l’aménagement des quinze édifices existants et la construction de trente-cinq nouveaux. Ce programme peut être assimilé à des grands travaux d’intérêt national dont les appareils lenticulaires de Fresnel, loués par Michelet, sont l’atout technologique.

Ses pairs assimileront la portée de son invention à celle de Gutenberg. Malheureusement, de santé fragile, il meurt à 39 ans. Arago et son frère, Léonor Fresnel, se chargent de perpétuer son souvenir. L’importance de ses travaux et de son invention pour la sécurité et le bien de tous est telle que Fresnel fait encore la une du Figaro le 13 septembre 1884, soixante ans après sa mort :

 
 

Lors du centenaire de sa mort, le directeur du Service des Phares et Balises lui rend lui aussi un vibrant hommage.

Un réseau français désormais modèle pour les autres pays

La Revue des deux mondes du 1er janvier 1899 salue l’élan à la fois architectural et technologique du pays qui a conduit à doter le territoire d’un réseau de phares impressionnant par son nombre et son efficacité.

L’électrification (le phare de la Hève est le premier à être électrifié en 1863) et l’adoption de brûleurs à pétrole sont les dernières améliorations du 19eme siècle. De hautes tours dotées d’appareils modernes sont construites à Penmarc’h (phare d’Eckmühl, 1897) et à l’île Vierge (1902) pour constituer un réseau moderne dont désormais les autres pays peuvent s’inspirer.

L’éclairage du phare et son évolution sont d’un intérêt fondamental pour la science mais aussi pour le grand public. La presse n’hésite pas à publier des articles très détaillés sur les systèmes en perpétuelle évolution qui repose sur une technologie complexe. Ainsi, l’Écho de Jarnac, hebdomadaire d’actualité locale, publie en mai 1894 un article extrêmement complet sur les techniques d’éclairage.

L’article fait suite à la tempête dramatique qui balaie les côtes françaises du 14 au 20 novembre 1893. Un an plus tard, elle reste encore dans toutes les mémoires comme la tempête du siècle au cours d'une année pourtant particulièrement touchée par les intempéries.

Cet événement rappelle la nécessité d’un système de phares et balises en excellent état.

En même temps que la technique ne cesse de s’améliorer pour la sécurité des marins, le métier de gardien de phare, sous l’impulsion de Service des Phares et Balises, se professionnalise et intègre la fonction publique.
 
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