Jean Baptiste Greuze,
Diderot, gravé par Dupin fils, 177.-178.
Associée dès ses débuts aux expositions de l’Académie, la critique d’art visait dans un premier temps à rendre compte des Salons. Avec le développement progressif de la presse, notamment au XIX
e siècle, son âge d’or, le discours critique d’autonomise et devient une prise de position subjective et esthétique sur des formes artistiques, des œuvres d’art mais aussi du spectacle vivant et des écrits. Diderot, connu pour sa carrière d’homme de lettres et de philosophe, est devenu un représentant illustre de la critique d’art au XVIII
e siècle. C’était notamment à la demande de son ami
Melchior Grimm, qu’il commença à rendre compte des expositions qu’il découvrait au Louvre dès 1759 dans la
Correspondance littéraire. Se renseignant auprès d’artistes dont il visitait les ateliers, s’initiant au langage technique, cet amateur de beaux-arts n’était pas le premier écrivain à décrire des œuvres d’art, mais il donna au genre critique une
forme nouvelle. Jouant avec des métaphores culinaires, son style
permet de rendre visibles des œuvres que ses lecteurs ne peuvent pas toujours découvrir sur place. Par ailleurs, il s’affranchira des catégorisations liées aux genres picturaux pour accorder une place nouvelle à des peintures représentants des paysages et des portraits, très éloignées des exigences classiques de grandeur et de sublime rattachées au genre de la peinture d’histoire.
Dans les
Salons, Diderot élabore un discours cohérent sur la peinture et raconte des anecdotes sur les artistes, débat avec des interlocuteurs fictifs et aborde les sujets qui lui permettent d’évoquer des questions philosophiques, religieuses ou politiques. Admirant les peintures de
Jean-Baptiste Greuze, Diderot célèbre les scènes du quotidien et les natures mortes et renforce ainsi le succès populaire du peintre auprès du public : « Je ne puis vous rendre la sensation de plaisir vive et générale que fait surtout le tableau de M. Greuze. […] On s’y porte en foule ; on se presse, on s’écrase, et ce n’est pas sans peine qu’on perce le rempart des badauds qui empêchent qu’on ne le voie bien, et qui le voient très mal eux-mêmes, en le regardant de trop près. »
Selon Diderot, Greuze est non seulement « un peintre savant dans son art », mais aussi un « homme d’esprit et de goût » dont les sujets sont empreints de « sensibilité » et de « bonnes mœurs. Au fait du métier du peinture, après ses visites en atelier, Diderot expose les techniques picturales et utilise des termes tels que glacis, vernis, chaux métalliques…, explicitant le travail des peintres, notamment à propos des œuvres de
Chardin, dont il admire les natures mortes : « C’est la nature même. Les objets sont hors de la toile et d’une vérité à tromper les yeux […] C’est que ce vase de porcelaine est de la porcelaine. C’est que ces olives sont réellement séparées de l’œil par l’eau dans laquelle elles nagent. C’est qu’il n’y a qu’à prendre ces biscuits et les manger ; cette bigarade, l’ouvrir et la presser ; ce verre de vin, et le boire ; ces fruits, et les peler ; ce pâté, et y mettre le couteau. »
Enfin, outre les Salons, Diderot a notamment participé à l’élaboration du discours critique en définissant le terme « esthétique » dans
l’Encyclopédie. Désormais, la théorie du goût est centrée sur le sujet connaissant et l’activité de ses sens, plutôt que sur la qualité intrinsèque de l’objet artistique. D’autres essais théoriques et scientifiques (
Mémoires sur différents sujets de mathématiques,
Pensées philosophiques, Lettre sur les sourds et muets, Essais sur la peinture …) sont considérés comme une référence majeure de la critique d’art.
Au XIX
e siècle, après un développement considérable de la presse et du lectorat, les écrivains s’emparent de l’exercice de la critique. Il s’agit d’une pratique de l’écriture ayant trait aux arts plastiques, qui peut aller jusqu’à une forme de transposition poétique d’un art à un autre. La difficulté est de savoir dans quelle mesure la peinture peut être considérée comme une langue. La critique d’art qui va de Diderot à Baudelaire se fait autour d’une communauté d’artistes et d’écrivains dans un climat de foisonnement de revues favorisant la promotion des arts visuels. Ami de
Nerval, proche de
Balzac et de
Flaubert,
Théophile Gautier a joué un rôle décisif dans le discours esthétique au XIX
e siècle. Passionné par les peintres romantiques, l’écrivain va défendre ces artistes qui mettent en scène les passions et les émotions. Ayant travaillé comme feuilletoniste dans le journal d’
Émile Girardin,
La Presse, son style journalistique lui permet d’écrire sur des pièces de théâtres comme sur des œuvres artistiques la
Revue de Paris ou la
Revue des Deux Mondes. Sa conception de l’art inspirera
Baudelaire, dans sa formulation d’un amour exclusif du Beau. Ayant écrit une trentaine de
salons de 1833 à 1872, ainsi que des préfaces de
catalogues de vente, il deviendra rédacteur en chef de la revue
L'Artiste : journal de la littérature et des beaux-arts.
Les critiques d’art jouent un rôle prépondérant pour la reconnaissance des avants gardes artistiques dès la fin du XIX
e siècle, en s’ouvrant à des cultures diverses. Tandis que Baudelaire s’intéresse à l’Angleterre, d’autres se passionnent pour la mode de l’art japonais, qui séduit des peintres comme
Edouard Manet ou
Claude Monet. La structuration des milieux de l’art moderne est favorisée par le cosmopolitisme à Paris, où les critiques d’art contribuent à la mise en lumière de nouveaux mouvements dans des revues. Partageant tous une conscience de la géographie internationale de l’art, les critiques d’art apparaissent comme de véritables médiateurs, qui favorisent les réseaux entre artistes, mécènes et marchands. Si on considère les écrits d’Apollinaire en tant que critique d’art, une union formelle entre l’écriture poétique et l’activité de critique d’art semble se nouer avec une inventivité surprenante.
Publiant des articles dans le journal
L’Intransigeant, de mars 1910 à mars 1914, Apollinaire participe également à la rédaction de revues littéraires et artistiques, notamment au recueil mensuel
Les Soirées de Paris aux côtés d'André Billy, de René Dalize et d'André Salmon, revue dont il prendra la direction en 1913. Il contribue également à la revue
Surréalisme (Paris. 1924). Ayant écrit sur le cubisme, notamment sur
Picasso, sur le fauvisme et sur le
futurisme, il compare fréquemment les arts entre eux et rend compte des recherches picturales liées à l’abstraction et au mouvement, tout en intégrant dans sa poésie des moyens formels empruntés aux autres arts, notamment dans ses expérimentations des
Calligrammes. Les poèmes «
Les Fenêtres », inspirés par la série de toiles
Les Fenêtres de
Robert Delaunay, sont à lire comme un hommage aux peintres contemporains qu’il admire, tel Gauguin, avec lequel il partage un intérêt pour les arts d’
Océanie.
Paul Gauguin,
Noa Noa, bois dessinés et gravés d'après Paul Gauguin par Daniel de Monfreid. Paris : éditions G. Crès et Cie, 1924
Cette Rencontre de Gallica aura lieu le mardi 21 mars de 17h30 à 18h30, en salle 70 sur le site Tolbiac de la BnF et sera animée par José-Luis Diaz, professeur émérite de littérature française à l'Université Paris-Diderot, président de la Société des études romantiques dix-neuviémiste, et Isabelle le Pape, cheffe du service art au Dpt Littérature et Art de la BnF. Réservation conseillée.
Pour aller plus loin :
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Découvrir les origines de la critique d’art
Parcourir la critique d’art de Diderot consacrée à Chardin
Lire le billet de blog Gallica consacré à Charles Baudelaire
S’informer sur Caroline Wuiet, pionnière de la critique d’art
Lire le billet consacré à Claude Vignon, sculptrice et critique d’art
Connaître le discours critique d’Adolphe Thiers sur l’art