Rencontre de Gallica "les écrivains critiques d'art"
Les Rencontres de Gallica vous invitent le 21 mars prochain sur le thème des écrivains critiques d'art. De nombreux écrivains ont écrit sur l'art, notamment au XIXe siècle, période florissante de la critique grâce à une presse en plein essor. Des premiers comptes rendus de Salons de Diderot aux écrits du poète Guillaume Apollinaire sur l’art, une gamme très variée émerge, qui dépasse le simple commentaire des œuvres et va contribuer à l’émergence de courants artistiques.
Associée dès ses débuts aux expositions de l’Académie, la critique d’art visait dans un premier temps à rendre compte des Salons. Avec le développement progressif de la presse, notamment au XIXe siècle, son âge d’or, le discours critique d’autonomise et devient une prise de position subjective et esthétique sur des formes artistiques, des œuvres d’art mais aussi du spectacle vivant et des écrits. Diderot, connu pour sa carrière d’homme de lettres et de philosophe, est devenu un représentant illustre de la critique d’art au XVIIIe siècle. C’était notamment à la demande de son ami Melchior Grimm, qu’il commença à rendre compte des expositions qu’il découvrait au Louvre dès 1759 dans la Correspondance littéraire. Se renseignant auprès d’artistes dont il visitait les ateliers, s’initiant au langage technique, cet amateur de beaux-arts n’était pas le premier écrivain à décrire des œuvres d’art, mais il donna au genre critique une forme nouvelle. Jouant avec des métaphores culinaires, son style permet de rendre visibles des œuvres que ses lecteurs ne peuvent pas toujours découvrir sur place. Par ailleurs, il s’affranchira des catégorisations liées aux genres picturaux pour accorder une place nouvelle à des peintures représentants des paysages et des portraits, très éloignées des exigences classiques de grandeur et de sublime rattachées au genre de la peinture d’histoire.
Jean Baptiste Greuze, La Marchande de Marrons, gravé par Jacques Firmin Beauvarlet, 17..
Dans les Salons, Diderot élabore un discours cohérent sur la peinture et raconte des anecdotes sur les artistes, débat avec des interlocuteurs fictifs et aborde les sujets qui lui permettent d’évoquer des questions philosophiques, religieuses ou politiques. Admirant les peintures de Jean-Baptiste Greuze, Diderot célèbre les scènes du quotidien et les natures mortes et renforce ainsi le succès populaire du peintre auprès du public : « Je ne puis vous rendre la sensation de plaisir vive et générale que fait surtout le tableau de M. Greuze. […] On s’y porte en foule ; on se presse, on s’écrase, et ce n’est pas sans peine qu’on perce le rempart des badauds qui empêchent qu’on ne le voie bien, et qui le voient très mal eux-mêmes, en le regardant de trop près. »
Jean-Baptiste Siméon Chardin, La bonne Éducation, gravé par Jacques-Philippe Le Bas, 17..
Selon Diderot, Greuze est non seulement « un peintre savant dans son art », mais aussi un « homme d’esprit et de goût » dont les sujets sont empreints de « sensibilité » et de « bonnes mœurs. Au fait du métier du peinture, après ses visites en atelier, Diderot expose les techniques picturales et utilise des termes tels que glacis, vernis, chaux métalliques…, explicitant le travail des peintres, notamment à propos des œuvres de Chardin, dont il admire les natures mortes : « C’est la nature même. Les objets sont hors de la toile et d’une vérité à tromper les yeux […] C’est que ce vase de porcelaine est de la porcelaine. C’est que ces olives sont réellement séparées de l’œil par l’eau dans laquelle elles nagent. C’est qu’il n’y a qu’à prendre ces biscuits et les manger ; cette bigarade, l’ouvrir et la presser ; ce verre de vin, et le boire ; ces fruits, et les peler ; ce pâté, et y mettre le couteau. »
Enfin, outre les Salons, Diderot a notamment participé à l’élaboration du discours critique en définissant le terme « esthétique » dans l’Encyclopédie. Désormais, la théorie du goût est centrée sur le sujet connaissant et l’activité de ses sens, plutôt que sur la qualité intrinsèque de l’objet artistique. D’autres essais théoriques et scientifiques (Mémoires sur différents sujets de mathématiques, Pensées philosophiques, Lettre sur les sourds et muets, Essais sur la peinture …) sont considérés comme une référence majeure de la critique d’art.
Au XIXe siècle, après un développement considérable de la presse et du lectorat, les écrivains s’emparent de l’exercice de la critique. Il s’agit d’une pratique de l’écriture ayant trait aux arts plastiques, qui peut aller jusqu’à une forme de transposition poétique d’un art à un autre. La difficulté est de savoir dans quelle mesure la peinture peut être considérée comme une langue. La critique d’art qui va de Diderot à Baudelaire se fait autour d’une communauté d’artistes et d’écrivains dans un climat de foisonnement de revues favorisant la promotion des arts visuels. Ami de Nerval, proche de Balzac et de Flaubert, Théophile Gautier a joué un rôle décisif dans le discours esthétique au XIXe siècle. Passionné par les peintres romantiques, l’écrivain va défendre ces artistes qui mettent en scène les passions et les émotions. Ayant travaillé comme feuilletoniste dans le journal d’Émile Girardin, La Presse, son style journalistique lui permet d’écrire sur des pièces de théâtres comme sur des œuvres artistiques la Revue de Paris ou la Revue des Deux Mondes. Sa conception de l’art inspirera Baudelaire, dans sa formulation d’un amour exclusif du Beau. Ayant écrit une trentaine de salons de 1833 à 1872, ainsi que des préfaces de catalogues de vente, il deviendra rédacteur en chef de la revue L'Artiste : journal de la littérature et des beaux-arts.
Félix Nadar, Théophile Gautier, vers 1855.
Les critiques d’art jouent un rôle prépondérant pour la reconnaissance des avants gardes artistiques dès la fin du XIXe siècle, en s’ouvrant à des cultures diverses. Tandis que Baudelaire s’intéresse à l’Angleterre, d’autres se passionnent pour la mode de l’art japonais, qui séduit des peintres comme Edouard Manet ou Claude Monet. La structuration des milieux de l’art moderne est favorisée par le cosmopolitisme à Paris, où les critiques d’art contribuent à la mise en lumière de nouveaux mouvements dans des revues. Partageant tous une conscience de la géographie internationale de l’art, les critiques d’art apparaissent comme de véritables médiateurs, qui favorisent les réseaux entre artistes, mécènes et marchands. Si on considère les écrits d’Apollinaire en tant que critique d’art, une union formelle entre l’écriture poétique et l’activité de critique d’art semble se nouer avec une inventivité surprenante.
Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso, Paris : SIC, 1917
Guillaume Apollinaire, Les Peintres cubistes, 1912-04-1912-09
Publiant des articles dans le journal L’Intransigeant, de mars 1910 à mars 1914, Apollinaire participe également à la rédaction de revues littéraires et artistiques, notamment au recueil mensuel Les Soirées de Paris aux côtés d'André Billy, de René Dalize et d'André Salmon, revue dont il prendra la direction en 1913. Il contribue également à la revue Surréalisme (Paris. 1924). Ayant écrit sur le cubisme, notamment sur Picasso, sur le fauvisme et sur le futurisme, il compare fréquemment les arts entre eux et rend compte des recherches picturales liées à l’abstraction et au mouvement, tout en intégrant dans sa poésie des moyens formels empruntés aux autres arts, notamment dans ses expérimentations des Calligrammes. Les poèmes « Les Fenêtres », inspirés par la série de toiles Les Fenêtres de Robert Delaunay, sont à lire comme un hommage aux peintres contemporains qu’il admire, tel Gauguin, avec lequel il partage un intérêt pour les arts d’Océanie.
Paul Gauguin, Noa Noa, bois dessinés et gravés d'après Paul Gauguin par Daniel de Monfreid. Paris : éditions G. Crès et Cie, 1924
Cette Rencontre de Gallica aura lieu le mardi 21 mars de 17h30 à 18h30, en salle 70 sur le site Tolbiac de la BnF et sera animée par José-Luis Diaz, professeur émérite de littérature française à l'Université Paris-Diderot, président de la Société des études romantiques dix-neuviémiste, et Isabelle le Pape, cheffe du service art au Dpt Littérature et Art de la BnF. Réservation conseillée.
Pour aller plus loin :
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Parcourir la critique d’art de Diderot consacrée à Chardin
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