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Absinthisme et alcoolisme

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4 octobre 2024

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’absinthe connaît un tel succès dans la société que sa consommation finit par dépasser celle du vin. Un aliéniste va s'attacher à démontrer ses effets secondaires dévastateurs.

Au café ou L'absinthe / Edgar Degas

La boisson favorite des artistes

Les écrivains et les peintres voient dans cette liqueur alcoolique peu onéreuse, dont les effets secondaires offrent la possibilité de s’évader, un breuvage idéal et en deviennent vite dépendants. Charles Baudelaire et Paul Verlaine proclament haut et fort que la vue de l’eau leur fait horreur, ce dernier s'en repentira d'ailleurs amèrement. On peut aussi citer parmi les buveurs assidus de la fée verte les frères Edmond et Jules de Goncourt, Vincent Van Gogh, Henri de Toulouse-Lautrec, Edgar Degas, Edouard Manet, Auguste Renoir, Marcellin Desboutins (représenté par Degas dans le tableau ci-dessus) et même George Sand. Les cabarets de Montmartre ou Pigalle comme le Rat mort, le Cabaret du chat noir, le Café de la Nouvelle Athènes proposent l’heure verte entre cinq et sept. Pour être à la page, il convient de troubler le breuvage selon un rituel bien précis. 

Les incompris / André Devambez

A partir de 1860, le succès de la liqueur a pour conséquence que les distilleries distribuent des productions de mauvaise qualité aux effets physiques et psychologiques dévastateurs. 

Sonnet de l'absinthe / dessin de Pierre Morel. Source : Collection Jaquet.
 Dessinateurs et humoristes
, 1880-1930
.

Valentin Magnan et l'absinthisme

En 1859, l'aliéniste Auguste Motet (1832-1909) soutient sa thèse de médecine : Considérations générales sur l'alcoolisme, et plus particulièrement des effets toxiques produits sur l'homme par la liqueur d'absinthe. Il est le premier à différencier absinthisme et alcoolisme : l'ivresse procurée par l'essence d'absinthe serait plus agressive, bruyante et longue et générerait un état de torpeur et/ou des formes convulsives. Un autre psychiatre, Jacques Joseph Valentin Magnan (1835-1916) reprend à son tour l'hypothèse d'une épilepsie provoquée par l'intoxication par l'absinthe. En 1864, lors de son premier poste d'interne dans le service de Louis-Victor Marcé à l'hôpital Bicêtre, il est confronté à un cas de gros buveur d'absinthe devenu épileptique. A partir de ce cas anecdotique, le chef de service et son interne sont persuadés que l'absinthe exerce une action spécifique - plus nocive encore que l'alcool - à savoir hébétude, hallucinations, convulsions et affaiblissement intellectuel très rapide. Il n'en faut pas plus pour que Magnan et Marcé, se plaçant dans la mouvance de la médecine expérimentale de Claude Bernard, décident d'installer à Bicêtre un laboratoire d'expérimentation physiologique sur les animaux. D'après les conclusions de Louis-Victor Marcé, les crises convulsives n'entraînent pas la mort chez des chiens et lapins. Après la disparition de ce dernier, Magnan continue ses expériences sur toutes sortes d'espèces animales en alternant différentes formes d'introduction de la liqueur. Il sera d'ailleurs poursuivi en justice par la société protectrice des animaux britannique En 1871, ses travaux lui permettent d'établir un rapport de cause à effet entre l'absinthe et l'épilepsie.

Si vous me supprimez mon absinthe... / dessin de Charles Huard.
Source : Collection Jaquet. Dessinateurs et humoristes, 1900-1930.

Dès 1864, Auguste Voisin - particulièrement bien informé sur le sujet car il a dirigé le service des épileptiques de l'höpital de Bicêtre pendant deux ans - infirme les assertions de son confrère. La méthode expérimentale utilisée par Marcé et Magnan est fortement contestée. C'est pourquoi ce dernier bat en retraite, focalisant désormais ses recherches sur l'alcoolisme. En 1867, il a été nommé au Service d'admission du tout nouvel Asile Sainte-Anne à Paris qui a pour fonction une mise en observation des patients avant toute hospitalisation : un poste d'observation privilégié des dérives de la société contemporaine. En 1874, il fait donc partie des premiers médecins à s'intéresser à l'alcoolisme. Il décrit les différentes formes de délires alcooliques, la démence alcoolique et la dipsomanie, cette dernière consistant en une tendance morbide à boire de grandes quantités d'alcool. Il dénonce l''alcoolisme comme "pourvoyeur le plus actif des hôpitaux et des asiles d'aliénés" et suggère que l'on crée des services spécialisés dans le traitement de cette pathologie. Il sera exaucé avec la création d'un asile spécial pour alcooliques dans le département de la Seine en 1894. En 1912, année de sa retraite, il récapitule avec son gendre Alfred Fillassier (1871-1953) les statistiques portant sur 113 000 individus sous l''emprise de l'alcool passés au Bureau des admissions de Sainte-Anne pendant ses 45 ans d'exercice : un quart d'entre eux furent internés. 

En 1911, le Sénat commanda une enquête sur l'absinthisme et suite aux travaux de Magnan tendant à démontrer que boire de l'absinthe rend fou et dangereux et aux campagnes prophylactiques menées par les ligues anti-alcooliques, la fabrication et la consommation de cette boisson furent interdites en France quatre ans plus tard. 

Source : Les buveurs d'absinthe, 1865.

Pour aller plus loin

Billet de blog Gallica sur L'absinthe

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