Titre : La Dépêche algérienne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Alger)
Date d'édition : 1885-09-07
Contributeur : Robe, Eugène (1890-1970). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32755912k
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 07 septembre 1885 07 septembre 1885
Description : 1885/09/07 (A1,N53). 1885/09/07 (A1,N53).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t544835m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-10449
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/04/2021
eKEFËtmjüi
Première année. — N* 53
Le numéro £> centimes.
f>Eb>7
i «
i 1 V l
Lundi, 7 septembre 1885.
JlLGÊRIK
Fiulnc b .
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
Toute* le* communication* relatite* anx annnonee* et réclame* doirent, ts
Algérie,être adressées à l’AGKNGB HAVAS, boulevard de la République, Alger..
En Franee, les communications sont reçue* savoir :
A MAasBitn», che* M. Gostavb ALLARD, rue du Bausset, A ;
A Paris, che* MM. AUDBOURG et O, place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Rue de la Marine, n° 9, ancien hôtel Bazin
Trois mois Six mois
4.50 O
6 1 »
La DÉPÊCHE ALGÉRIENNE est désignée pour l’insertion des annonces légales, judiciaires et autres exigées pour la validité des procédures et contrats.
Alger, le 6 Septembre 1885.
LES HOIJffiDO JODR
vv yiii
J.-J. DE LANESSAN
DÉPUTÉ DE LA SEINE
Quarante-deux ans, brun comme le jais
l’œil presque dur ; au résumé, une tête éner
gique, qui, d’ailleurs, ne trompe pas son
monde.
Dès sa prime jeunesse, M. de Lanessan
affirmait déjà cet esprit d’indépendance ab
solue qui est le fond de son caractère, en
abandonnant sa famille dont les opinions
royalistes le révoltaient.
Renonçant aux avantages d’une fortune
considérable, il préférait vivre humblement
mais librement sur les côtes inhospitalières
de la Cochinchine et de l’Afrique ; mais à la
Î remière nouvelle des graves affaires de
870, il se hâta de se rapatrier pour appor
ter ses services au pays, et c’est ainsi qu'il
suivit toute la campagne comme médecin
des mobilisés de la Charente-Inférieure.
Homme d’une érudition extrême et d’une
étonnante activité, il ne tarda pas à mener ?
de front la science et la politique, devint
rapidement populaire dans les réunions pu
bliques en même temps qu’il se signalait à
Tattention du monde savant par ses articles
à la Revue internationale des sciences bio-
logiques dont il était le fondateur, sa colla
boration au Grand dictionnaire de botani
que, au Dictionnaire de Thérapeutique et
de science médicale, etc., etc.
Reçu agrégé de la faculté de médecine de
Paris en 1876, il obtint à l’école de médecine
une chaire de géologie et commença une
série de cours dont le succès fut considéra
ble.
Délégué au Conseil municipal en 1878,
par les électeurs du quartier de la Monnaie,
SI se signala rapidement par diverses pro
positions qui furent l’objet de discussions
violentes : le vœu pour Ja suppression des
armées permanentes, la proposition de re
fus du budget de la préfecture de police, le
vœu pour le maintien de la paix, après le
discours de Cherbourg.
Réélu au Conseil municipal au mois de
janvier 1881, il se présenta aux élections lé
gislatives qui suivirent, et arriva ainsi à la
gauche de la Chambre, où 11 poursuivit avec
la môme activité dont il avait déjà fait preu
ve, la ligne politique commencée.
Doué d’une énergie peu commune et d’une
droiture d’esprit absolue, M. de Lanessan
s’est créé, en même temps que quelques ini
mitiés, de profondes et durables sympathies.
On sait d’ailleurs avec quel talent et quelle
force il s'est mêlé aux discussions qui ont
agité la Chambre tant de fois ; sa connais
sance approfondie de toutes les questions
coloniales, l’amendement qu’il proposa dans
la loi relative au service de trois ans et con
sistant dans le renvoi, après deux ou une
seule année de service, des hommes recon
nus suffisamment capables, etc., etc., l’ont
placé depuis longtemps au premier rang
des hommes en qui les intérêts de la France,
et de la République ont l’appui le plus so
lide.
Un des soirs de cette semaine, il pouvait
être 10 heures, j’allais tranquillement ren
trer chez moi, lorsque mou attention fut
soilicitée par de petits groupes de trois ou
quatre individus qui s’engouffraient dans
une des maisons de la rue Bab-ei-Oued.
J’en comptai ainsi plus d’une douzaine et
ma curiosité commençait à être vivement
excitée, lorsque dans le dernier groupe je
reconnus Balureau, une connaissance à moi
qui n’a rien à me refuser. Je n’hésitai pas à
lui faire signe et le brave garçon s'em
pressa d’accourir.
— Eh qubi ! lui fis-je ? qu’y a-t-11 ? que
signifie ce mystère ? où allez-vous donc
ainsi ?
— Chut, me répondit-il, c’est uue réunion
de gros bonnets du parti radical auquel
j’appartiens, qui va examiner les titres des
candidats à la députation et faire un choix.
— Diable, la séance promet d’être inté
ressante, il n’y aurait pas moyen de se fau
filer?
— Peut-être que si, en tous cas rien ne
coûte d’essayer. Venez avec moi, je suis
chef de groupe.
Je suivis donc Balureau et nous pénétrâ
mes ensemble dans une vaste pièce, située
au rez-de-chaussée et qu'éclairaient vague
ment quelques rares bougies fumeuses.
On y voyait juste assez pour ne pas se
cogner contre les bancs qui garnissaient la
salle. Quant à pouvoir reconnaître ia figure
des, gens c’était difficile.
Cependant, une fois habitué à l’obscurité,
je vis trois ombres se diriger vers ,une table
sur laquelle reposaient un flambeau et une
sonnette. L’ombre du milieu agita ia son
nette, le silence se fit et la voix du prési
dent, que je crus reconnaître pour lavoixdu
grand électeur, invita ie secrétaire à donner
lecture des noms des candidats qui se pré
sentaient après avoir accepté le programme
du parti radical. J’entendis successivement
nommer Boutemaille, Samary, Hérail,
Marchai, Lelièvre, Fallet.
— Vous savez citoyens, reprit le président,
que nous avons à choisir deux candidats
sur les six qui se présentent à vos suffrages.
Tous sopt ici. Vous les entendrez tout à
l’heure ; mais avant, quelqu’un deman
de-t-il la parole ?
Oui, moi, s’écria un bonhomme dont la
silhouette me rappella celle du farouche ci
toyen Languebien.
— Vous l’avez.
L’orateur s’élança à la tribune ou plutôt
grimpa sur l’escabeau qui en tenait lieu, et
d’où il dominait l’assistance de la moitié de
la tailla.
— Citoyens, s’exclama-t-il, ouvrons l'œil et
le bon, et ne nous laissons pas encore filou
ter comme nous l’avons toujours été. Nous ti-
ronstoujours les marrons du feuet jamais nous
ne les mangeons, ça ne peut pas continuer
comme ça, Qu’est-ce que le programme que
nous ont bâti les Guiüemin, les de Gineste
et Cie? de ia pure gnognotte, un programme
à l’eau de rose, et c’est pas étonnant avec
des radicaux de cet acabit.
» Je demande qu’on y ajoute la transpor
tation pour les ratichons qui paraîtront en
costume dans la rue ;
» La suppression des armées permanen
tes et une vengeance éclatante de la mort
d’Olivier Pain ;
» La suppression de tous les impôts pour
l’ouvrier et le paiement de toutes les fonc
tions électives : conseillers municipaux,
prud’hommes, délégués des chambres syn
dicales, etc. ;
« La circulation gratuite sur les voies fer
rées ;
. » La réduction de la journée à 6 heures de
travail et la fixation d’un salaire unique
pour tous les ouvriers à 12 francs par jour. »
Ces propositions sont adoptées par accla
mations ; le président déclare qu’elles fe
ront partie du programme, dont l’accepta
tion est une loi pour les candidats,—et main
tenant, ajoule-t-il, nous allons passer à l’au
dition de ces messieurs. On va écrire les
noms sur des bulletins qui seront déposés
dans un chapeau, et les candidats seront
entendus dans l’ordre où ces bulletins sor
tiront.
Un assistant fait observer qu’il faudrait
une main innocente, n’ayant jamais été pri
se dans le sac.
— Basset ! rugit la salle. Le grand élec
teur fait uu signe d’acquiesement, et les~
candidats se trouvent placés, par le sort*
dans l’ordre suivant : Marchai, Samary, Lot
Lièvre, Fallet, Boutemaille, Hérail.
Marchai parait doue sur l’escabeau, son;
attitude est des plus modestes. — « Citoyens,,
dit-il, je crois qu’il y a erreur, je ne suis
pas candidat, ou du moins je le suis sans
l’être. Que je brûle d’envie d’être député,
que môme je m’estime le plus digne de vous
représenter, je puis le penser, mais je ne le;
dis pas. C’est à vous de voir si vous voulez,
faire d’un simple soldat un colonel.
» Vous êtes entièrement libres, citoyens*
mais si vous m’écartiez, je ne m’en conso
lerais jamais. A part le père Le Lièvre, la
doyen de la démocratie, je ne vois guère
qui vous pourriez me préférer. Mais, ne l’oa-*
bliez pas, je ne me présente point, je ne
suis pas candidat. »
Sur cette nouvelle affirmation, Marchai
descend de l’escabeau où il est remplacé par
Samary qui, lorsqu’il agit8 les bras, fait,
l’effet d’uù grand faucheux. On dirait pres
que une scène de Garagousse.
» — Citoyens, que voulons-nous faire ?
Edifier la République. Or, pour édifier, que
faut-il ? Des architectes, n’est-ce pas ? Or*
architecte, je le suis. C’est un titre, et puist
ne trouvez-vous point, aujourd’hui que?
Mauguin n’est plu3 à la Chambre, qu’il im
porte au département d’Alger d’affirmer sas
vitalité, en s’y faisant représenter par ur*
député au moins aussi grand ? »
On applaudit, et le père Le Lièvre s’avancer
à son tour ; après s’être assis tranquille
ment sur l’escabeau, il commence ainsi :
m — Quand j’étais sénateur, je touchais 90(1
francs par mois. En neuf ans, j’ai ainsi pal
pé 82,000 francs. Aujourd’hui, je n’émarge
plus, ce n’est pas juste; je demande à émar
ger de nouveau. Que ce soit comme député,
et non plus comme sénateur, ça m’est égal..
Si on me repousse, je n’aurai plus qu’à
acheter un chien et une clarinette et à me
faire aveugle, ce qui serait humiliant pour
la démocratie. »
Cette profession de foi est accueillie assez,
froidement. Seul, Boboz témoigne un en
thousiasme exubérant ; il se précipite dans
Feuilleton de LA DÉPÊCHE ALGÉRIENNE
n # 53.
LA
GRANDE «ARRIÈRE
PAR
Georges 0HNET
Si bien qu’une fois la cloche fondue, nous
trouvons pour M. le marquis, toutes les
dettes payées, un reliquat de deux ou trois
cent mille francs, lesquels, habilement pla
cés par mes soins, lui permettent de vivre
honorablement à Saint-Maurice. Voilà, ma
chère demoiselle, le plan que j’ai conçu et
que je venais vous proposer.
Le bon Malézeau, entraîné par la chaleur
de son débit, ne bredouillait plus et ne ha
chait plus son discours de ses habituels
Monsieur, Madame, ou Mademoiselle, mais
le tic de ses yeux avait redoublé et, derriè
re ses lunettes d’or, son regard papillotait
terrible.
— Oui, c’est là ce qu’il faut faire, dit An
toinette, voilà ce que la raison conseille...
Oh ! Dieu, à force de tourments et de tris
tesse, j’en viendrai à quitter cette maison
presque sans regrets : j’y aurai trop souf
fert... Je m’en remets à vous, cher mon
sieur Malézeau ; voyez mou père, raisonnez-
le, obtenez de lui qu’il se repose sur vous
et sur moi du soin d’arranger ses affaires.
Faisons le vide autour de lui, jusqu’à ce que
mou frère soit revenu...Après le péril, nous
pourrons lui laisser soupçonner nos inquié
tudes. Il y aura assez de joie pour les lui
faire oublier.
Elle eut un doux et triste sourire :
— Peut-être trouverez-vous l’excès de
nos précautions un peu ridicule... Mais mou
père y est habitué... Je lui ménage le plai
sir et la peine, comme à un enfant; car,
voyez-vous, je suis un peu sa mère...
Malézeau regarda la jeune fille avec une
admiration attendrie. 11 prit les mains et
les serra avec force :
— Oui, Mademoiselle... C’est bien dit,
Mademoiselle...
Il s'interrompit ; un mot de plus, il allait
pleurer. Us marchèrent ensemble dans la
direction du château. Arrivée au vestibule,
Antoinette s’arrêta.
— Je rentre chez moi, dit-elle. Si vous
aviez, avant de partir, quelques recomman
dations nouvelles à m’adresser, faites-moi
appeler, je vous prie...
Le notaire se courba devant Mlle de Clai-
refont, comme aux pieds d’une reine, et,
montant l’escalier, se dirigea vers le labo
ratoire.
Enfermée dans sa chambre, Antoinette
attendit, l’oreille au guet. Elle avait de va
gues appréhensions. Elle se défiait de la dé
raison de son père. Elle craignait qu’il ne
fît naître quelques complications soudaines
et ne détruisit le fragile échafaudage si soi
gneusement élevé afin de lui dérober la vé
rité. Au bout d’une heure, elle entendit Ma
lézeau descendre, elle le vit traverser la
cour, et s'éloigner. Quelques minutes plus
tard le vieux Bernard heurtait à la porte, et
remettait un billet écrit à la hâte par le no
taire et qui contenait ces seuls mots : « Ne
vous tourmentez pas: M. le marquis sera
raisonnable. Je reviendrai demain à midi.»
Forte de ces assurances, la jeune fille s’a
paisa.
Ecrasée de fatigue, elle put dormir, et le
lendemain, quand elle se réveilla, le soleil
était déjà baut dans le ciel.
Cette nuit, calme et réparatrice pour Mlle
de Clairefont, avait été pour Carvajan fé
conde en agitations, Plus il approchait du
moment où ses espérances devaient se réa
liser, plus le banquier sentait son impatien
ce grandir, Ayant la certitude que le mar
quis ne pouvait plus lui échapp r, il se sur
prenait à avoir des mouvements d’irritation
violente. Il était inquiet de tout et redoutait
même l’impossible. Pascal était parti la
veille pour le Hâvre, où il avait, prétendait-
il, une visite importante à faire, et ne de
vait rentrer que le lendemain. Fleury était
venu prendre des instructions définitives
pour l’importante opération qui se prépa
rait, et, retenu par le maire, qui parlait
avec une animation inaccoutumée, il n’avait
pu se retirer que très avant dans ia soirée.
Resté seul, Carvajan monta dans sa cham
bre, où, presque jusqu’au jour, il se prome
na comme un tigre en cage.
Pendant cette veille, il revécut tout le
passé. Il s’enivra de sa haine et se fortifia
dans sa rancune. Il eut une jouissance ex
quise à la pensée que le marquis était en
fin à sa discrétion et qu’il allait l’abreuver
d’humiliations. Aux tortures morales de son
ennemi, il voulait ajouter la rude épreuve.,
des difficultés matérielles. A ce fier gentil
homme imposer 1 horreur d’une saisie, le?
mettre aux prises avec l’huissier et see
clercs, le forcer à assister aux boueuses pro
menades de ces drôles ; livrer les précieux
souvenirs de famille, les portraits des aïeux,
les objets venant d’un père ou d’une mère,
à la prisée infâme qui souille les reliques-
sacrées ; introduire dans le château, au uomt*
de la loi, des étrangers ayant le droit de
faire main basse sur tout, d’ouvrir les por
tes, de fouiller les tiroirs ; infliger au mar
quis le supplice dégradant de l’inventaire ^
c'était là sa revanche.
Que n’avait-ille droit d’assister lui-même
à ce spectacle, de guider ses argousins à
l’assaut, de les exciter à la curée et, lui, le
chapeau sur la tête, de braver Honoré de
Clairefont tremblant dirapuissance et pâle
de douleur ? Mais la loi, plus clémente que
Carvajan, s’opposait à ce monstrueux triom
phe. Elle soustrayait la victime au contact:
direct de son bourreau. Et le banquier était
tenu de s’arrêter au seuil de la maison. Il
trouva cette disposition absurde, se coucha
en grommelant, et rêva que, devenu député*
il la faisait modifier pour son usage per-*
sonnel.
(A suivre .)
Première année. — N* 53
Le numéro £> centimes.
f>Eb>7
i «
i 1 V l
Lundi, 7 septembre 1885.
JlLGÊRIK
Fiulnc b .
JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
Toute* le* communication* relatite* anx annnonee* et réclame* doirent, ts
Algérie,être adressées à l’AGKNGB HAVAS, boulevard de la République, Alger..
En Franee, les communications sont reçue* savoir :
A MAasBitn», che* M. Gostavb ALLARD, rue du Bausset, A ;
A Paris, che* MM. AUDBOURG et O, place de la Bourse, 10,
Et par leurs correspondants.
ADMINISTRATION ET RÉDACTION :
Rue de la Marine, n° 9, ancien hôtel Bazin
Trois mois Six mois
4.50 O
6 1 »
La DÉPÊCHE ALGÉRIENNE est désignée pour l’insertion des annonces légales, judiciaires et autres exigées pour la validité des procédures et contrats.
Alger, le 6 Septembre 1885.
LES HOIJffiDO JODR
vv yiii
J.-J. DE LANESSAN
DÉPUTÉ DE LA SEINE
Quarante-deux ans, brun comme le jais
l’œil presque dur ; au résumé, une tête éner
gique, qui, d’ailleurs, ne trompe pas son
monde.
Dès sa prime jeunesse, M. de Lanessan
affirmait déjà cet esprit d’indépendance ab
solue qui est le fond de son caractère, en
abandonnant sa famille dont les opinions
royalistes le révoltaient.
Renonçant aux avantages d’une fortune
considérable, il préférait vivre humblement
mais librement sur les côtes inhospitalières
de la Cochinchine et de l’Afrique ; mais à la
Î remière nouvelle des graves affaires de
870, il se hâta de se rapatrier pour appor
ter ses services au pays, et c’est ainsi qu'il
suivit toute la campagne comme médecin
des mobilisés de la Charente-Inférieure.
Homme d’une érudition extrême et d’une
étonnante activité, il ne tarda pas à mener ?
de front la science et la politique, devint
rapidement populaire dans les réunions pu
bliques en même temps qu’il se signalait à
Tattention du monde savant par ses articles
à la Revue internationale des sciences bio-
logiques dont il était le fondateur, sa colla
boration au Grand dictionnaire de botani
que, au Dictionnaire de Thérapeutique et
de science médicale, etc., etc.
Reçu agrégé de la faculté de médecine de
Paris en 1876, il obtint à l’école de médecine
une chaire de géologie et commença une
série de cours dont le succès fut considéra
ble.
Délégué au Conseil municipal en 1878,
par les électeurs du quartier de la Monnaie,
SI se signala rapidement par diverses pro
positions qui furent l’objet de discussions
violentes : le vœu pour Ja suppression des
armées permanentes, la proposition de re
fus du budget de la préfecture de police, le
vœu pour le maintien de la paix, après le
discours de Cherbourg.
Réélu au Conseil municipal au mois de
janvier 1881, il se présenta aux élections lé
gislatives qui suivirent, et arriva ainsi à la
gauche de la Chambre, où 11 poursuivit avec
la môme activité dont il avait déjà fait preu
ve, la ligne politique commencée.
Doué d’une énergie peu commune et d’une
droiture d’esprit absolue, M. de Lanessan
s’est créé, en même temps que quelques ini
mitiés, de profondes et durables sympathies.
On sait d’ailleurs avec quel talent et quelle
force il s'est mêlé aux discussions qui ont
agité la Chambre tant de fois ; sa connais
sance approfondie de toutes les questions
coloniales, l’amendement qu’il proposa dans
la loi relative au service de trois ans et con
sistant dans le renvoi, après deux ou une
seule année de service, des hommes recon
nus suffisamment capables, etc., etc., l’ont
placé depuis longtemps au premier rang
des hommes en qui les intérêts de la France,
et de la République ont l’appui le plus so
lide.
Un des soirs de cette semaine, il pouvait
être 10 heures, j’allais tranquillement ren
trer chez moi, lorsque mou attention fut
soilicitée par de petits groupes de trois ou
quatre individus qui s’engouffraient dans
une des maisons de la rue Bab-ei-Oued.
J’en comptai ainsi plus d’une douzaine et
ma curiosité commençait à être vivement
excitée, lorsque dans le dernier groupe je
reconnus Balureau, une connaissance à moi
qui n’a rien à me refuser. Je n’hésitai pas à
lui faire signe et le brave garçon s'em
pressa d’accourir.
— Eh qubi ! lui fis-je ? qu’y a-t-11 ? que
signifie ce mystère ? où allez-vous donc
ainsi ?
— Chut, me répondit-il, c’est uue réunion
de gros bonnets du parti radical auquel
j’appartiens, qui va examiner les titres des
candidats à la députation et faire un choix.
— Diable, la séance promet d’être inté
ressante, il n’y aurait pas moyen de se fau
filer?
— Peut-être que si, en tous cas rien ne
coûte d’essayer. Venez avec moi, je suis
chef de groupe.
Je suivis donc Balureau et nous pénétrâ
mes ensemble dans une vaste pièce, située
au rez-de-chaussée et qu'éclairaient vague
ment quelques rares bougies fumeuses.
On y voyait juste assez pour ne pas se
cogner contre les bancs qui garnissaient la
salle. Quant à pouvoir reconnaître ia figure
des, gens c’était difficile.
Cependant, une fois habitué à l’obscurité,
je vis trois ombres se diriger vers ,une table
sur laquelle reposaient un flambeau et une
sonnette. L’ombre du milieu agita ia son
nette, le silence se fit et la voix du prési
dent, que je crus reconnaître pour lavoixdu
grand électeur, invita ie secrétaire à donner
lecture des noms des candidats qui se pré
sentaient après avoir accepté le programme
du parti radical. J’entendis successivement
nommer Boutemaille, Samary, Hérail,
Marchai, Lelièvre, Fallet.
— Vous savez citoyens, reprit le président,
que nous avons à choisir deux candidats
sur les six qui se présentent à vos suffrages.
Tous sopt ici. Vous les entendrez tout à
l’heure ; mais avant, quelqu’un deman
de-t-il la parole ?
Oui, moi, s’écria un bonhomme dont la
silhouette me rappella celle du farouche ci
toyen Languebien.
— Vous l’avez.
L’orateur s’élança à la tribune ou plutôt
grimpa sur l’escabeau qui en tenait lieu, et
d’où il dominait l’assistance de la moitié de
la tailla.
— Citoyens, s’exclama-t-il, ouvrons l'œil et
le bon, et ne nous laissons pas encore filou
ter comme nous l’avons toujours été. Nous ti-
ronstoujours les marrons du feuet jamais nous
ne les mangeons, ça ne peut pas continuer
comme ça, Qu’est-ce que le programme que
nous ont bâti les Guiüemin, les de Gineste
et Cie? de ia pure gnognotte, un programme
à l’eau de rose, et c’est pas étonnant avec
des radicaux de cet acabit.
» Je demande qu’on y ajoute la transpor
tation pour les ratichons qui paraîtront en
costume dans la rue ;
» La suppression des armées permanen
tes et une vengeance éclatante de la mort
d’Olivier Pain ;
» La suppression de tous les impôts pour
l’ouvrier et le paiement de toutes les fonc
tions électives : conseillers municipaux,
prud’hommes, délégués des chambres syn
dicales, etc. ;
« La circulation gratuite sur les voies fer
rées ;
. » La réduction de la journée à 6 heures de
travail et la fixation d’un salaire unique
pour tous les ouvriers à 12 francs par jour. »
Ces propositions sont adoptées par accla
mations ; le président déclare qu’elles fe
ront partie du programme, dont l’accepta
tion est une loi pour les candidats,—et main
tenant, ajoule-t-il, nous allons passer à l’au
dition de ces messieurs. On va écrire les
noms sur des bulletins qui seront déposés
dans un chapeau, et les candidats seront
entendus dans l’ordre où ces bulletins sor
tiront.
Un assistant fait observer qu’il faudrait
une main innocente, n’ayant jamais été pri
se dans le sac.
— Basset ! rugit la salle. Le grand élec
teur fait uu signe d’acquiesement, et les~
candidats se trouvent placés, par le sort*
dans l’ordre suivant : Marchai, Samary, Lot
Lièvre, Fallet, Boutemaille, Hérail.
Marchai parait doue sur l’escabeau, son;
attitude est des plus modestes. — « Citoyens,,
dit-il, je crois qu’il y a erreur, je ne suis
pas candidat, ou du moins je le suis sans
l’être. Que je brûle d’envie d’être député,
que môme je m’estime le plus digne de vous
représenter, je puis le penser, mais je ne le;
dis pas. C’est à vous de voir si vous voulez,
faire d’un simple soldat un colonel.
» Vous êtes entièrement libres, citoyens*
mais si vous m’écartiez, je ne m’en conso
lerais jamais. A part le père Le Lièvre, la
doyen de la démocratie, je ne vois guère
qui vous pourriez me préférer. Mais, ne l’oa-*
bliez pas, je ne me présente point, je ne
suis pas candidat. »
Sur cette nouvelle affirmation, Marchai
descend de l’escabeau où il est remplacé par
Samary qui, lorsqu’il agit8 les bras, fait,
l’effet d’uù grand faucheux. On dirait pres
que une scène de Garagousse.
» — Citoyens, que voulons-nous faire ?
Edifier la République. Or, pour édifier, que
faut-il ? Des architectes, n’est-ce pas ? Or*
architecte, je le suis. C’est un titre, et puist
ne trouvez-vous point, aujourd’hui que?
Mauguin n’est plu3 à la Chambre, qu’il im
porte au département d’Alger d’affirmer sas
vitalité, en s’y faisant représenter par ur*
député au moins aussi grand ? »
On applaudit, et le père Le Lièvre s’avancer
à son tour ; après s’être assis tranquille
ment sur l’escabeau, il commence ainsi :
m — Quand j’étais sénateur, je touchais 90(1
francs par mois. En neuf ans, j’ai ainsi pal
pé 82,000 francs. Aujourd’hui, je n’émarge
plus, ce n’est pas juste; je demande à émar
ger de nouveau. Que ce soit comme député,
et non plus comme sénateur, ça m’est égal..
Si on me repousse, je n’aurai plus qu’à
acheter un chien et une clarinette et à me
faire aveugle, ce qui serait humiliant pour
la démocratie. »
Cette profession de foi est accueillie assez,
froidement. Seul, Boboz témoigne un en
thousiasme exubérant ; il se précipite dans
Feuilleton de LA DÉPÊCHE ALGÉRIENNE
n # 53.
LA
GRANDE «ARRIÈRE
PAR
Georges 0HNET
Si bien qu’une fois la cloche fondue, nous
trouvons pour M. le marquis, toutes les
dettes payées, un reliquat de deux ou trois
cent mille francs, lesquels, habilement pla
cés par mes soins, lui permettent de vivre
honorablement à Saint-Maurice. Voilà, ma
chère demoiselle, le plan que j’ai conçu et
que je venais vous proposer.
Le bon Malézeau, entraîné par la chaleur
de son débit, ne bredouillait plus et ne ha
chait plus son discours de ses habituels
Monsieur, Madame, ou Mademoiselle, mais
le tic de ses yeux avait redoublé et, derriè
re ses lunettes d’or, son regard papillotait
terrible.
— Oui, c’est là ce qu’il faut faire, dit An
toinette, voilà ce que la raison conseille...
Oh ! Dieu, à force de tourments et de tris
tesse, j’en viendrai à quitter cette maison
presque sans regrets : j’y aurai trop souf
fert... Je m’en remets à vous, cher mon
sieur Malézeau ; voyez mou père, raisonnez-
le, obtenez de lui qu’il se repose sur vous
et sur moi du soin d’arranger ses affaires.
Faisons le vide autour de lui, jusqu’à ce que
mou frère soit revenu...Après le péril, nous
pourrons lui laisser soupçonner nos inquié
tudes. Il y aura assez de joie pour les lui
faire oublier.
Elle eut un doux et triste sourire :
— Peut-être trouverez-vous l’excès de
nos précautions un peu ridicule... Mais mou
père y est habitué... Je lui ménage le plai
sir et la peine, comme à un enfant; car,
voyez-vous, je suis un peu sa mère...
Malézeau regarda la jeune fille avec une
admiration attendrie. 11 prit les mains et
les serra avec force :
— Oui, Mademoiselle... C’est bien dit,
Mademoiselle...
Il s'interrompit ; un mot de plus, il allait
pleurer. Us marchèrent ensemble dans la
direction du château. Arrivée au vestibule,
Antoinette s’arrêta.
— Je rentre chez moi, dit-elle. Si vous
aviez, avant de partir, quelques recomman
dations nouvelles à m’adresser, faites-moi
appeler, je vous prie...
Le notaire se courba devant Mlle de Clai-
refont, comme aux pieds d’une reine, et,
montant l’escalier, se dirigea vers le labo
ratoire.
Enfermée dans sa chambre, Antoinette
attendit, l’oreille au guet. Elle avait de va
gues appréhensions. Elle se défiait de la dé
raison de son père. Elle craignait qu’il ne
fît naître quelques complications soudaines
et ne détruisit le fragile échafaudage si soi
gneusement élevé afin de lui dérober la vé
rité. Au bout d’une heure, elle entendit Ma
lézeau descendre, elle le vit traverser la
cour, et s'éloigner. Quelques minutes plus
tard le vieux Bernard heurtait à la porte, et
remettait un billet écrit à la hâte par le no
taire et qui contenait ces seuls mots : « Ne
vous tourmentez pas: M. le marquis sera
raisonnable. Je reviendrai demain à midi.»
Forte de ces assurances, la jeune fille s’a
paisa.
Ecrasée de fatigue, elle put dormir, et le
lendemain, quand elle se réveilla, le soleil
était déjà baut dans le ciel.
Cette nuit, calme et réparatrice pour Mlle
de Clairefont, avait été pour Carvajan fé
conde en agitations, Plus il approchait du
moment où ses espérances devaient se réa
liser, plus le banquier sentait son impatien
ce grandir, Ayant la certitude que le mar
quis ne pouvait plus lui échapp r, il se sur
prenait à avoir des mouvements d’irritation
violente. Il était inquiet de tout et redoutait
même l’impossible. Pascal était parti la
veille pour le Hâvre, où il avait, prétendait-
il, une visite importante à faire, et ne de
vait rentrer que le lendemain. Fleury était
venu prendre des instructions définitives
pour l’importante opération qui se prépa
rait, et, retenu par le maire, qui parlait
avec une animation inaccoutumée, il n’avait
pu se retirer que très avant dans ia soirée.
Resté seul, Carvajan monta dans sa cham
bre, où, presque jusqu’au jour, il se prome
na comme un tigre en cage.
Pendant cette veille, il revécut tout le
passé. Il s’enivra de sa haine et se fortifia
dans sa rancune. Il eut une jouissance ex
quise à la pensée que le marquis était en
fin à sa discrétion et qu’il allait l’abreuver
d’humiliations. Aux tortures morales de son
ennemi, il voulait ajouter la rude épreuve.,
des difficultés matérielles. A ce fier gentil
homme imposer 1 horreur d’une saisie, le?
mettre aux prises avec l’huissier et see
clercs, le forcer à assister aux boueuses pro
menades de ces drôles ; livrer les précieux
souvenirs de famille, les portraits des aïeux,
les objets venant d’un père ou d’une mère,
à la prisée infâme qui souille les reliques-
sacrées ; introduire dans le château, au uomt*
de la loi, des étrangers ayant le droit de
faire main basse sur tout, d’ouvrir les por
tes, de fouiller les tiroirs ; infliger au mar
quis le supplice dégradant de l’inventaire ^
c'était là sa revanche.
Que n’avait-ille droit d’assister lui-même
à ce spectacle, de guider ses argousins à
l’assaut, de les exciter à la curée et, lui, le
chapeau sur la tête, de braver Honoré de
Clairefont tremblant dirapuissance et pâle
de douleur ? Mais la loi, plus clémente que
Carvajan, s’opposait à ce monstrueux triom
phe. Elle soustrayait la victime au contact:
direct de son bourreau. Et le banquier était
tenu de s’arrêter au seuil de la maison. Il
trouva cette disposition absurde, se coucha
en grommelant, et rêva que, devenu député*
il la faisait modifier pour son usage per-*
sonnel.
(A suivre .)
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