Titre : Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1921-07-30
Contributeur : Pawlowski, Gaston de (1874-1933). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32745939d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 30 juillet 1921 30 juillet 1921
Description : 1921/07/30 (A15,N3149). 1921/07/30 (A15,N3149).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-123
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 25/05/2015
Directeur: GEORGES CASELL'A •
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15* ANNEE — N" 3149 - Quoridicti
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AUX BUREAUX DU JOURNAL.
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SUR EUGÈNE SUE
DJe suis tout prêt, mon cher Marcel
L>UuJenger, à honorer le - dandysme
a Eugène Sue, et à reconnaître qu'il
montait à cheval aussi bien que Baucher
ou que le vicomte d'Aure. Je rends
dommage à son habit rouge, à son cha-
Peau haut de forme, à ses culottes blan-
ches et à ses bottes à revers, à tout cet
alpage de parfait gentlemm-rider si
oien peint par Alfred de Dreux et si jo- -
"ment décrit par vous. Je rends les ar-
mes à la galante façon qu'il eut de man-
ger sa fortune en compagnie du major
razer, de Denormandie et de lord Sey-
mour, dit l Arsouille. Je m'incline devant
tant d'élégances et de relations aristo-
rati. ques. Je m'efforcerai même d'en
etre ébloui, ou d'en avoir l'air, si cela
Peut vous êtes agréable.
Je n'ignorais point, d'ailleurs, qu'Eu-
gène Sue avait été un lion, un gandin,
membre du Jockey-Club, et non pas un
mstre à culotte de soie et à manches de
lustrine, ainsi que vous le rappelez dans
votre spirituel article. Mais vous m'ex-
cuserez de persister à croire que ce su-
prême chic ne l'a pas empêché d'être
un médiocre écrivain, et que cette an-
glomanie ne l'a pas conduit à écrire en
bon français.
C'est vrai qu'il fit d'abord illusion à
bien des lecteurs de son temps, y com-
pris Sainte-Beuve, qui n'a pas hésité à
lui consacrer un de ses Portraits con-
temporains, en date du 15 septembre
1840. Ou du moins Sainte-Beuve affecta
un moment de le prendre au sérieux,
pour embêter Balzac, son ennemi per-
sonnel. Comme le dit plaisamment M.
André Beaunier dans son nouveau livre
sur la Jeunesse de Madame de La
Fayette, Sainte-Beuve a toujours eu à
ceur de n'être pas injuste pour les écri-
vains d'autrefois. En ce qui concernait
les vivants, ses scrupules faisaient voir
'nO. ins de déliffitesse.
Dès la troisième page de son essai, il
se tortille pour insinuer qu'Eugène Sue
l'emporte sur Balzac. Celui-ci, « ce n'a
été que par endroits qu'il a paru saisis-
sable, et il échappe vite par des écarts
et des subtilités qui ne sont qu'à lui ».
Qu'est-ce que cela veut dire? Mais par-
lons d'Eugène Sue! « M. Sue, si 1'011
prend pensemble de ses œuvres et si
l'on se rePrésente bien la famille de ro-
mans dont il s'agit, se trouve en combi-
ner en lui Esprit, la mode, la fashion,
av: Itude, avec dictinction, je l'ai dit,
avec sans-froid, avec fertilité, avec une
certaine convenance ». Quel amphi-
gouri! Mais ce qui est clair, c'est Tin-
tenti.nn sacrifier Balzac à Eugène
Sue e ne Pense pas, mon cher Marcel
Bouien £er» que vous le suiviez jusque
là.
Dans Une des notes ajoutées à une
édition postérieure Sainte-Beuve raf-
fine encore et déclare qu'avec la vogue
des ,COTe et déclare qu'avec la vogue
des Mystères de Paris, -Eugène Sue a
« détrôné ?a^zac "• Ironie? Il faut l'en-
tendre. Sainte-Beuve n'est certes pas un
défenseur du roman populaire, d'ailleurs
« lu partout, dans le salon comme dans
l'échoppe », ainsi qu'il le déclare lui-
ême ; et dasn un - appendice, il conclura
que « la htterature proprement dite n'a
plus que faire ici ». Mais il n'est pas
fâché de présenter Balzac comme un
feuilletoniste en Quête du même genre
de succès, ni de l'englober dans cette
damnation.
Du reste, tout porte à croire que
beaucoup de gens trouvaient en effet Eu-
gène Sue plus amusant que Balzac.
Lorsque les Mystères de Paris parais-
saient en feuilleton, dans le f ournal des
Débats, si je ne me trompe, on se battait
à la Porte du journal pour avoir plus
vite le numéro sortant des presses. Bal-
tant n'a jamais, que je sache, provoqué
rn n de curiosité, ni d'émeutes. M. Clé-
tn-t Vautel lui-même avouera pouptant
QUft î a situation littéraire de Balzac est
aujourd'hui assez nettement supérieure
à celle d'Eugène Sue.
Ce Portrait contemporain de Sainte-
Beuve, aujourd'hui si comique, traite de
la première période d'Eugène Sue, celle
où il fut surtout un romancier mondain,
avant de devenir un romancier populai-
re ; et c'est du reste avec cette seconde
manière qu'il - enchanta décidément les
gens du monde. Le goût ne dépend pas
de la condition sociale, mais de la qua-
lité d'esprit. ; ;
« Pour prendre le meilleur selon moi,
dit Sainte-Beuve, le plus habile et le
plus raffiné des romans de mœurs de
M. Sue, Arthur, par exemple, je dis que
le personnage est vrai et qu'il y a de
nos jours plus d'un Arthur ». Telle est
la différence des temps: aujourd'hui, il
n'y en a plus qu'un seul qui compte :
j'ai nommé M. Arthur Meyer.
Plaisanterie à part, il y a une idée
dans cet Arthur de 1840, et qui n'était
pas si mauvaise, puisque c'est celle dont
M. Paul Bourget a fait son Crime d'A-
mour. Oh ! je n'ai jamais dit qu'Eugène
Sue fût incapable d'une vue heureuse,
ou d'un trait piquant. Assurément, ce
n'était pas une bête. Tout grand succès,
en quelque genre que ce soit, prouve
une habileté réelle et, par conséquent,
une certaine intelligence.
Je vous accorde donc volontiers, mon
cher Marcel Boulenger, qu'Eugène Sue
était sans doute un homme d'esprit, dont
la société ne manquait probablement pas
d'attraits, et dont les ouvrages mêmes
contiennent encore quelques détails in-
téressants pour les curieux. Mais ce n'é-
tait pas un artiste. Il est dépourvu de
style, lamentablement.
Je viens de parcourir un volume dé-
pareillé de cet Arthur, que j'ai trouvé,
pour quelques sous, sur les quais. L'é-
criture en, est lâche, traînante, banale,
plate comme un trottoir. Lorsque Sue
veut s'élever à la sentimentalité et à la
poésie, comme au chapitre II, dans la
description du bonheur qui a dû être
celui d'Arthur et de sa bien-aimée, au
fond de leur solitude provençale, il ne
dépasse pas le niveau d'une narration
française pour le brevet supérieur.
Lorsqu'il voudrait être mordant, l'ex-
pression lui fait pareillement défaut. J'ai
lu le chapitre du « Christianisme de sa-
lon », que Sainte-Beuvleavait déjà si-
gnalé.. L'intention satirique y est, non la
forme, et l'on dirait d'un Courrier de
Paris pour un journal de province.
Franchement, j'aime encore mieux lies
Mystères de Paris et le Juif errant, et
en descendant à ce genre, Sue avait
montré qu'il ne se méprenait pas sur
ses véritables aptitudes. Il avait de l'in-
vention, il trouvait des types, sommaires
et grossiers, mais assez frappants, et
jusqu'à des noms propres qui sont res-
tés : c'est à lui que les concierges doi-
vent celui de M. et Mme Pipelet. Et s'il
est vrai que les Mystères de Paris ont
suggéré à Victor Hugo le projet d'é-
crire les Misérables, Eugène Sue aura
rendu une fois dans sa carrière, quoi-
que indirectement, un vrai service à la
littérature. - -
Quant à ses sévérités pour Louis XIV,
je ne suis, guère diposé à les blâmer en
principe, et s'il tint bon contre les ini-
mitiés qu'elles lui valurent,, je respecte
son indépendance. Cependant n'allait-il
pas un peu loin, et sa critique ne por-
tait-elle pas souvent à faux? Il compare
Louis XIV à Néron: ce n'est pas cela
du tout. Et il lui préfère Louis XV, qu'il
appelle, dans Létorières, un excellent
prince et un adorable maître.
L'esprit de contradiction l'égaré, et il
n'avait peut-être pas le jugement très
sûr. Il met Walter-Scott au-dessus de
Byron î Certes, il n'y a pas lieu de dé-
daigner Walter Scott; mais Byron est
un grand poète et un grand esprit.
Paul SOUDAY.
Echos
30 Juillet 187S. — La Commission du Budget, dé-
cide d'augmenteir de -W.000 francs la subvention
de l'Opéra-Comique.
L
"es journaux ont relaté il y a quelques
t jours les péripéties d'une chasse au
crocodile dans le bassin de Trianon.
Le metteur en scène d'une firme cinéma-
tographique, M. Jacques-Robert, venait/de
terminer une scène de la Vivante Epinçge,
où les crocodiles tenaient tes rôles princi-
paux, lorsque, franchissant un barrage in-
suffisant, les sauriens réussirent à s'échap-
per et disparurent dans les herbes. Il fal-
lut construire un radeau pour rechercher
les fugitifs.
Quand on arrivait à en découvrir un au
fond de l'eau, on lui jetait une corde for-
mant nœud coulant. Opération délicate s'il
en fut Toute la troupe prit part à cette
chasse ou plutôt à cette pêche peu banale.
L'opérateur fut assez heureux pour s'adju-
ger cinq pièces à lui seul. Il ne faut pas
s'imaginer que l,e sport était inoffensif. L'un
de ces crocodiles, vieux — paraît-il - clo,
cinq siècles, n'était pas d'une docilité exem-
plaire. Furieux d'être traïqué, il arracha une
marche de pierre d'un seul coup de sa for-
midable mâchoire.:
u
n ruban rouge. -
On nous a conté une anecdote char-
mante et qui emprunte à l'imminente pro;,
motion dans la Légion d'honneur, une sau-
veur toute particulière.
M. Aristide Briand était alors ministre de
l'Instruction publique, et dans un scrupule
où chacun reconnaîtra la haute conscience
et le be'au caractère du président du Con-
seil, il résolut de réserver parmi les croix
dont il disposait, un ruban à un auteur dm-
matique qui n'avait rien sollicité. :
M. Aristide Briand qui se rendait parfoîè
au Théâtre Antoine, confie son désir à' M4
André Antoine :
-— Connaissez-vous un auteur v
André Antoine répondit: , , ,
- Albert Guinon.
— Personne, en effet, né m'a paflé"~
lui. Eh bien, c'est chose faite. ;
Albert Guinon fut décoré. :,
Et voilà, n'est-ce pas, qui honore Ml/[.
Briand, Antoine et Albert Guinon, ¡;'
L
e curé et le "danscing. ,1. £
t Le époux Le Nir, propriétaires dtUR
dancing à Quimpèr, avaient poursuivi M.
Soubigou ,curé-idioyen de Briec-de-l'Odet,
lui reprochant d'avoir exhorté la jeunesse
à fuir leur établissement, et menacé de sup-
primer le son des cloches et le Te Deum
aux mariages dont le repas aurait lieu chez
eux.
Condamné a 200 francs 3e dommages-
intérêts par le juge de paix de Briec, le curé
Soubigou vient d'être acquitté par le tribu-
nal de Quimper. Et voici quelques aper-
çus du jugement :
Attendu qu'il est de jurisprudence que l'at-
titude du prêtre, au point de vue canonique,
ne relève que de sa conscience et de ses chefs
spirituels et ne peut être ni appréciée ni jugé$
par la jurisprudence civile; qu'on ne saurait
l'incriminer lorsqu'en s'abstenant de tout fait
constitutif d'une faute d'après le droit com-t
mun, il prescrit ou défend quelque chose aux-
fidèles de sa religion sous la sanction de pel.
nés purement spirituelles;
Attendu que, pour qu'il y ait faute, d'après
le droit commun, il faut qu'il y ait abus du
droit;
Attendu que Soubigou n'a pas dérogé *â ce
principe, faisant une critique utile à son point
de vue, ou qu'il croyait telle, de rétablisse-
ment, qu'il a qualifié de mauvaise maison, en
s'inspirant des suggestions de sa conscience
ou des directives de ses chefs spirituels.
-. Et voici un nouvel épisode de l'éternel
conflit entre l'Eglise et la Danse. Il est Ao*
quiétant pour les directeurs de dancings !
Le Masque deverre.
La santé de M. A. Messager
Nous avons fait prendre hier des nouvelles de
M. André Messager. L'état de santé du brillant
compositeur de Fortunio était stationnaire, l'a-
mélioration qui s'était produite la veHle conti-
nuait très lentement.
Nous publierons demain un article 4*
ALFRED MORTIER
- et « La Semaine Littéraire » d.
- * BINET-VALMER -..
A LA MAISON DE L'ŒUVRE
L'Or nouveau" de Mme Hera Mirtel
ne sera pas représentée.
Onze heures ! 3 minutes, je suis en retard de
3 minutes au rendez-vous que Lugné-Poe m'a-
vait donné au Théâtre de l'Œuvre. Personne.
le cherche, j'appelle. un maçon qui consolide
un échafaudage m'interpelle:
(Photo Henri Manuel)
6IMS Hcra MIRTBJ» (Mme Bessaraûo)
— QUoi que vous cherchez? *
== Monsieur Lugné-Poe.
— Il est pap, là. - ,
Bon, je SUIs en avance. Je converse avec - h
llaÇon
-,.", Tiens, vous refaites la façade?
— C'est pas la façade, me répond l'nomme
blanc, c'est un étage.
- Un étage?
— Oui, un étage supplémentaire, et mon in-
terlocuteur, qui vient d'allumer une cigarette,
disparait dans un épais nuage de fumée.
J'entre dans le bureau. Des machines à écrire
sont là, muettes. Les dactylos sont parties je ne
sais où. Une banquette en velours m'accueille
en gémissant. J'attends. Au bout d'un mo-
ment qui me semble long, je consulte ma mon-
tre. 11 h. 8. Pour tuer le temps, je tire ma
pipe de son étui, je la bourre d'un tabac trop
sec et. Dieu me pardonne, je crois bien que
j'ai juré. Pas d'allumettes!. Je sors pour de-
mander du feu à mon maçon mais je l'aperçois
perché au haut de son échelle.
Dans la petite salle, le téléphone sonne avec
insistance. Je me décide à décrocher l'appareil.
— Allo! - , ■ , I. -
— A11&.. vous désirez?
—■ M. Lugné-Poe.
- Il n'est pas encore la.
— Pourtant il m'avait dit à onze heures. • :
— A moi aussi/ madame, il m'avait dit à onze
heures.; ; ; :"
Je raccroche. Je cherche vainement sur la ta-
ble un journal. Je m'assieds à nouveau. Cepen-
dant près de moi, un cahier bleu attire mon at-
tention. Je ne veux pas être indiscrèt, je dé-
tourne la tête et puis, avec les minutes qui pas-
sent, le désir devient de plus en plus impé-
rieux. Un geste à faire et ma curiosité sera sa-
tisfaite. Je résiste. Le quart sonne. L'impa-
tience me gagne. Que c'est énervant d'attendre!
Tant pis, je regarde le cahier bleu,.
L'Or nouveau, deux actes de Mme Hera Mir-
tel, 8, square Latour-Maubourg. Hera Mirtel,
ce nom-là me dit quelque chose. - Parbleu!
n'est-ce pas le nom de Mme Bessarabo?. la
femme de lettres qui « dit-on »? mit1 ><« en
malie » son màri. ;
Je prends le petit cahier bleu et je vois, épin-
glé au revers de la couverture, ii à renvoyer à
:' Me Ernest-Charles ».
Ma foi, j'ai bien envie de faire connaissance;
avec cette expéditive madame. Je parcours l'Or
nouveau et si la lecture en est quelque peu
indigeste, il n'en est pas moins vrai que l'au-
teur possède de véritables dons littéraires et une
pensée qui est parfois profonde. "-
Deux amants cherchent dans un laboratoire
d'alchimiste un procédé nouveau pour dissoudret.
l'or à froid. L'homme, aidé par sa maîtresse,. %;
trouvé ce procédé et va en faire la communier
tion à l'Académie des Sciences. Deux amjss
qu'ils avaient connus sur les bancs de" l'écoîeé
de chimie reviennent d'Amérique couverts de
cet or qu'ils s'obstinent tous à chercher. Ils-
proposent au couple de partir avec eux sur leur
yacht pour aller à leur tour faire fortune outre- [
Atlantique. Mais, ce n'est pas, comme ils le
pensent ,,dans la recherche des pépites qu'tls <
trouveront la richesse, c'est dans la culture dit.
blé, du coton, dans la fécondation de la terre..
Le chimiste part mais il ne renonce pas à son
idée de fouiller le sol pour y trouver le précieux
métal. Il a pour l'or, en tant que métal, une.
passion étrange, une passion comme d'autres en;
ont pour l'opium, la cocaïne. Tout l'ouvrage:
repose sur cette aberration et c'est pourquoi il
est très difficile de suivre l'auteur dans ses dis-
sertations, souvent confuses et franchement en-v
nuyeuses.
Je ne pense pas que cette pièce soit jouable;
mais on ne peut pas dire que ce soit une œuvre.
indifférente. Il y a des observations vraies, des
détails curieux et un dialogue assez alerte. Mal-
heureusement il ne suffit pas de dialoguer cin-
quante pages pour que le public doive en pren-i*
dre connaissance par la bouche des acteurs.
Il faut qu'une pièce ait un sujet. Il faut autant;
que possible l'exposer ; il faut présenter les per-
sonnages et leur prêter un langage clair, précis,
en rapport avec leur caractère et puis surtout ne
pas s'imaginer que l'on a fait un chef-d'œuvre
parce que les idées sont abstraites et que per-,
sonne n'y comprend rien.
Du fond de son cachot Mme Hera Mirtel me
pardonnera d'avoir parlé de son manuscrit car
après t«;>ut, sans mon indiscrétion, qui sait si
après tout, l'eût jamais lu!
quelqu'un lu!
Je dois ajouter, pour rétablir la vérité, que
je me suis attiré une verte semonce de mon cher
ami Lugné qui m'a surpris comme je finissais
ma lecture. J'ai encaissé sans broncher cet
h enguirlandage » de première classe et quand
il eut. fini, comme il était en retard d'une hepra
à mon tour j'ai pris ma revanche »!
L. ROBERT DE THIAC.
La Résurrection du Théâtre du Peuple
Le Théâtre du Peuple de Bussang va re-
naître. La guerre l'aveu, cornue tant d'au-
tres belles çhosès, ruiné, la paix nous le
rend. la paix? Ou plutôt l'effort persévé-
rant de ceux qui l'avaient fondé et lui
avaient permis de vivre si longtemps: ren-
dons grâces à M. Maurice Pottecher et ses
amis.
C'est en 1895 qu'il fut inauguré, à Bus-
sang, au flanc d'un vert coteau dont les sa-
pins forment le fond de la scène. Il est en
plein air, constitué par une vaste construc-
tion rustique dont le cadre de sapins des
Vosges forme la salle et par une
scène véritable, mais faitie de telle sorte
qu'elle permet, selon les besoins, de substi-
tuer ou d'associer le décor naturel au décor
peint. Son créateur, et, depuis vingt-six ans,
son animateur, est M. Maurice Pottecher,
qui, d'aventure prophète en son propre
pays, eut pour collaborateurs direçts non
seulement les membres de sa famille, à
commencer par son père, alors industriel et
maire de Bussang, et par son frère, qui y
dirige aussi une usine, mais aussi toute la
population, aussi fraternellement dévouée à
« Monsieur Maurice » qu'elle le demeura à
son œuvre.
,- Cette oeuvre qui appartient désormai;s à
l'histoire du théâtre en France, a ceci d'ori-
ginal qu'elle est véritablement populaire.
Les acteurs y sont, à de très rares excep-
tions près, des amateurs. Pour tête de trou-
pe, la compagnie de Bussang eut, depuis
l'origine, Mme Maurice Pottecher qui, sor-
tie jadis du Conservatoire et, sous le nom
de Camée, créatrice de belles oeuvres, en-
tre autres, aux Escholiers, en 1892, de la
Dame de la Mer, d'Ibsen, renonça de bonne
heure au théâtre pour se marier; à côté
d'elle, le frère de M. Pottecher; avec eux,
des gens du pays, zélés pour l'entreprise
qui est un peu leur chose, à la manière des
paysans d'Oberramergau ; et il n'est pas
jusqu'à. M. Maurice Pottecher lui-même
qui, à certains jours, ne se soit fait acteur.
Les décors, les costumes sont fabriqués sur
place. Deux ou trois représentations sont
données chaque année, dont l'une, entière-
;ment gratuite, et avidement attendue par
toute la population de Umssang et des envi-
rons, et dont les autres attirent, à travers
toute la région, voyageurs et touristes pour
lesquels sont formés des trains spéciaux.
Rien de plus curieux, de plus original,
de plus caractéristique, qu'e ces spectacles
de Bussang. On s'y trouve baigné dans une
atmosphère étrange de poésie de terroir, à
laquelle ajoute l'accent local de la plupart
des acteurs; on y respire un air de vérité
'simple et de santé puissante ; on y goûte le
délice d'une communion totale entre le pu-
blic, les comédiens et l'esprit même de l'au-
teur. Depuis 1895, M. Maurice Pottecher
se fit le pourvoyeur régulier du répertoire.
Il a composé, pour le Théâtre du Peuple,
des œuvres singulièrement adaptées à leur
objet, et qui touites, tantôt drames et tantôt
comédies, j ai îlies de la source vosgienne,
sont remplies de pensée, d'observation, de
poésie, éducatrices sans vouloir le paraître,
toujours simples, -- vilvialnt.es,: filles d'une ins-
piration à la fois intelligente et généreuse,
accessibles aux âmes les plus primitives et
chargées, au bénéfice des autres, 'de la subs-
tance d'art la plus savoureuse. -
En vingt ans, seize ou dix-sept. pièces,
M. Maurice POTTECHER
de la plus riche diversité, sonit ainsi sorties
de la verve créatrice de M. Maurice Potte-
cher. J'en nommerai seulement quelques-
unes: Le Diable marchand de goutte, qui
LE THEATRE
VUE PRISE DM lA TRIBUNS
inaugura le théâtre; la Clairière aux Abeil-
les, l'Héritage, la Reine Violante, Chacun
Perche son trésor. C'est le Vent, la Pas-
sion de Jeanne d'Arc, te Sotré de Noël,
Morteville. Au miiieiu de ce brillant cortège,
s'intercalèrent' un Macbeth et l'immortel
Poil de Carotte, de Jules Renard. -
En 1914, le Théâtre du Peuple était en
pleine prospérité et il semblait bien qu'édi
fié sur des bases solides, il fût désormais in-
destructible, La guerre vint, et toute J'æu-
vre se trouva, sinon perdue, du moins gra-
vement blessée. Huit ans d'interruption
n'en ont pas seulement compromis l'exi?+en
ce; mais les bâtiments, délabrés, branlams,
à demi détruits, n'étaient plus aptes à cor.
tpnir un peu de vie. Et M. Maurice Potte-
cher se désespérait. « C'est ma meilleure
raison de vivre, m'écrivait-il récemment,
que de reprendre et d'achever cette œuvre:
interrompue, elle disparaîtrait même de
l'histoire du Théâtre; reprise et menée jus-
qu'au bout, elle peut avoir son couronne-
ment. C'était assez facile d'obtenir ou-el-
ques succès ; c'est plus long de s'impr - er.
en se faisant comprendlre. » M. Maurice
Pottecher ne cède pas ,en effet, au désir ii
mité de faire vivre à Bussang le théâtre
qu'il y a créé. Dans sa pensée, cette créa
tion doi,t avoir toute Ja vertu d'un exemple
au service d'une théorie qui lui est chère
et qui l'est également à beaucoup de bons
esprits qui croient à l'avenir du théâtre po
pulaire. Il l'a formulée dans un ouvras,
éloquent qui est celui d'un croyant, publié
en 1899, Le Théâtre du Peuple, avec ce
sous-titre significatif, Renaissance et desti
née du théâtre populaire, et où, invoquai
la tradition antique et médiévale, il expose
sa conception d'un art dramatique s'adres-
saint à l'élite en passant par la foule, e*
puisant, dans les éléments régionaux, les
matériaux d'un art pleinement naît anal.
Théorie généreuse, qui nous ramène aux
origines, et dont nwF ne pourrait correcte
ment prétendre qu'elle est arbitraire. Pour
M. Pottecher, le Théâtre du Peup'e est
donc un « témoin ». Il n'est que cela, maie
il l'est totalement. Ce « témoin » allait-il
donc disparaître, emporté à son tour dans la
grande tourmente?
L'obstination de M. Maurice Pottecher
ne l'a pas permis. Avec l'appui pécuniaire
de quelques amis, parmi lesquels un grand
industriel vosgien, le Théâtre du Peuple,
reconstruit, restauré, amélioré, ouvrira de
nouveau ses portes, après huit années de
silence, dans quelques jours. Agrandi, il
contient maintenant de douze à treize cent-
places. Contre les pluies, qui ,dans les
Vosges, sont fréquentes et soudaines, on a
disposé une toiture, mais interrompue au-
dessus de l'orchestre souterrain, pour lais-
ser passer la lumière. C'est presque un
théâtre nouveau qui se dresse, mais c'esi
une œuvre maintenant classée qui continue.
Elle continue comme l'illustration vivante
d'une grande idée, qui est celle de l'art po-
pulaire, et comme un témoignage de la vo-
lonté vOggiienne- qui 'N:t'a doftné Mié forme/
Et elle continue et se renouvelle en se rçpé- -
tant. C'est en effet la pièce du début^gui
en 1895 consacra le Théâtre du Peuple, le
Diable mârchdnd de goutte, qui fera le spec-
tacle de la réouverture. Il y a là queLque
chose de symbolique. Ainsi iM. Mfumoe Pot-
Une scène du « Diable Marchand de Goutte »
tecjier atteste la permanence de son dessein
et sa fidélité à la tâche qui est celle de tou-
te sa yiè* ",
GEORGES BOURDON.
Comment M. Camille Saint-Saëns écrivit
Samson et Daïila
Les étapes d'un succès
La Revue Universelle qui continue à pu-
blier les remarquables articles de M. Ca-
mille Bellaigue : A travers le répertoire ly-
rique, nous donne dans son numéro du
premier août une belle étude sur Samson
et Dalila. Nous en extrayons cette lettre
que M. Saint-Saens écrivit récemment à
M. Camille Bellaigue, et qui nous donne
<$e précieux renseignements sur un point
de notre grande histoire musicale:
; Jadis, un vieux mélomane qui venait
souvent chez moi avait appelé mon atten-
iMon sur le sujet: de Samson ;;.en::v.1I£ dlitn
oratorio, car en ce temps-là; cette'. forfne
jétait en faveur. Grâce au progrès, elle
in'est plus utilisable : il n'y a plus que des
j concerts d'orchestre. On fait exception
pour la Damnation de Faust, parcê qu'on
[est assuré d'une recette. Alors que dans
¡tes autres pays, Angleterre, Allemagne,
¡Amérique, on peut entendre les grandes
! œuvres orchestrales et vocales, nous n'en
lavons plus. Mais passons.
Je connaissais alors un charmant gar-
,çon qu'une alliance avait rapproché de ma
¡famille, Fernand Lemaire, qui cultivait la
poésie en amateur. J'avais mis de ses vers
en musique. Je lui parlai du projet d'ora-
torio. « Un oratorio! me dit-il. Non. Fai-
sons un opéra. » Et nous partîmes pour
l'opéra. Dès que nous en parlâmes, ce
fut un toile général. Un opéra biblique!
Cependant, comme la mode était à l'opéra
légendaire, je ne me décourageais pas.,
- Mon poète avait écrit les deux premiers
actes. J'avais de mon côté fait quelques
griffonnages, lisibles pour moi seul, du
premier acte, et fait tout le second. Mais,
chose à peine croyable, à part l'esquisse
du prélude, il n'existait que dans ma tête,
et ayant voulu en donner une idée chez
moi à quelques amis, j'écrivis les irois
rôles, sans une note de Vorchestre.:
J'ai oublié le nom des trois chanteurs,
que j'accompagnais naturellement « par
cœur », puisque, à l'exception des parties
vocales, rien n'était écrit.
L'auditoire, restreint mais choisi (Antoi-
ne Rubeinstein en faisait partie), fut de
glace. Pas le moindre 'compliment, même
(Photo Henri Manuel)
Gamille SAINT-SAENS
de simple politesse, ne fut adressé a l'au-
teur.
Un peu plus tard, ce même second acte
fut joué chez moi par Augusta Holmes,
Henri Regnault (qui avait une charmante
voix de ténor et chantait fort bien), et Ro-
main Bussine. L'effet fut meilleur, maii
si peu encourageant que j'avais fini par
ne plus m'occuper de cet ouvrage chimé-
rique. Les années passèrent.
Un jour, j'étais en Allemagne, où j'é-
tais allé prendre part à des fêtes musica-
les présidées par Liszt. Comme je par-
tais pour revenir en France, en faisant
mes adieux au maître, l'idée me vint dn
lui parler de ce projet. « Terminez votre
opéra », me dit-il, sans en avoir entendu
une note « je le ferai jouer ». Il était com-
me vous savez, tout-puissant à Weimar.
- Mme v Viardot avait alors un regqin rde -
voix extraordinaire. Elle avait d&nnè à
Weimar des représentons éblouissantes,
C'est pour elle qué le rôle de Dalila 'faf"
écrit. A Croissy, sur un théâtre de socUa-
dressé dans un jardin, elle joua la moitié
du second acte avec Nicot et Romain lfus-
sine. M. Halanzier, alors directeur de iO-
péra, et quelques autres Parisiens, assis-
tèrent à cette épreuve, dont le résultat fut
négatif. , Il n'y avait pas d'orchestre, il
n'y avait que moi sur un grand piano.
Enfin, le moment était venu de repré-
senter l'ouvrage à Weimar, la traduction
était faite, quand la guerre de 1870 vint
tout arrêter. Ce ne fut qu'en décembre
1873 que Samson put voir les feux de là
rampe, mats sans Mme Viardot, hélas t
Il était trop tard.
Le succès fut énorme, mais sans leri*
demain. A Berlin, on prétendit que le suc*
ces à Weimar ne signifiait rien. On le
chanta à Hambourg et ce fut tout. ",
Ce ne fut qu'au bout de dix ans qui
l'ouvrage fut donné en français à Rouen,'
Mais Paris n'en voiUait pas. Il a fallu qué
M. Ritt l'entendît à l'Eden, pour qu'i'l se
décidât à le monter à l'Opéra, l'année dé
la grande éruption de l'Etna. Et j'ai dû
faire en-douze jours le voyage Parte-Etnçi,
et retour pour pouvoir assister à l'éruption
-----
15* ANNEE — N" 3149 - Quoridicti
te Numéro i
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SAMEDI 30 JUILLET 1921
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AUX BUREAUX DU JOURNAL.
Téléphone : LOUVRE 18-06
SUR EUGÈNE SUE
DJe suis tout prêt, mon cher Marcel
L>UuJenger, à honorer le - dandysme
a Eugène Sue, et à reconnaître qu'il
montait à cheval aussi bien que Baucher
ou que le vicomte d'Aure. Je rends
dommage à son habit rouge, à son cha-
Peau haut de forme, à ses culottes blan-
ches et à ses bottes à revers, à tout cet
alpage de parfait gentlemm-rider si
oien peint par Alfred de Dreux et si jo- -
"ment décrit par vous. Je rends les ar-
mes à la galante façon qu'il eut de man-
ger sa fortune en compagnie du major
razer, de Denormandie et de lord Sey-
mour, dit l Arsouille. Je m'incline devant
tant d'élégances et de relations aristo-
rati. ques. Je m'efforcerai même d'en
etre ébloui, ou d'en avoir l'air, si cela
Peut vous êtes agréable.
Je n'ignorais point, d'ailleurs, qu'Eu-
gène Sue avait été un lion, un gandin,
membre du Jockey-Club, et non pas un
mstre à culotte de soie et à manches de
lustrine, ainsi que vous le rappelez dans
votre spirituel article. Mais vous m'ex-
cuserez de persister à croire que ce su-
prême chic ne l'a pas empêché d'être
un médiocre écrivain, et que cette an-
glomanie ne l'a pas conduit à écrire en
bon français.
C'est vrai qu'il fit d'abord illusion à
bien des lecteurs de son temps, y com-
pris Sainte-Beuve, qui n'a pas hésité à
lui consacrer un de ses Portraits con-
temporains, en date du 15 septembre
1840. Ou du moins Sainte-Beuve affecta
un moment de le prendre au sérieux,
pour embêter Balzac, son ennemi per-
sonnel. Comme le dit plaisamment M.
André Beaunier dans son nouveau livre
sur la Jeunesse de Madame de La
Fayette, Sainte-Beuve a toujours eu à
ceur de n'être pas injuste pour les écri-
vains d'autrefois. En ce qui concernait
les vivants, ses scrupules faisaient voir
'nO. ins de déliffitesse.
Dès la troisième page de son essai, il
se tortille pour insinuer qu'Eugène Sue
l'emporte sur Balzac. Celui-ci, « ce n'a
été que par endroits qu'il a paru saisis-
sable, et il échappe vite par des écarts
et des subtilités qui ne sont qu'à lui ».
Qu'est-ce que cela veut dire? Mais par-
lons d'Eugène Sue! « M. Sue, si 1'011
prend pensemble de ses œuvres et si
l'on se rePrésente bien la famille de ro-
mans dont il s'agit, se trouve en combi-
ner en lui Esprit, la mode, la fashion,
av: Itude, avec dictinction, je l'ai dit,
avec sans-froid, avec fertilité, avec une
certaine convenance ». Quel amphi-
gouri! Mais ce qui est clair, c'est Tin-
tenti.nn sacrifier Balzac à Eugène
Sue e ne Pense pas, mon cher Marcel
Bouien £er» que vous le suiviez jusque
là.
Dans Une des notes ajoutées à une
édition postérieure Sainte-Beuve raf-
fine encore et déclare qu'avec la vogue
des ,COTe et déclare qu'avec la vogue
des Mystères de Paris, -Eugène Sue a
« détrôné ?a^zac "• Ironie? Il faut l'en-
tendre. Sainte-Beuve n'est certes pas un
défenseur du roman populaire, d'ailleurs
« lu partout, dans le salon comme dans
l'échoppe », ainsi qu'il le déclare lui-
ême ; et dasn un - appendice, il conclura
que « la htterature proprement dite n'a
plus que faire ici ». Mais il n'est pas
fâché de présenter Balzac comme un
feuilletoniste en Quête du même genre
de succès, ni de l'englober dans cette
damnation.
Du reste, tout porte à croire que
beaucoup de gens trouvaient en effet Eu-
gène Sue plus amusant que Balzac.
Lorsque les Mystères de Paris parais-
saient en feuilleton, dans le f ournal des
Débats, si je ne me trompe, on se battait
à la Porte du journal pour avoir plus
vite le numéro sortant des presses. Bal-
tant n'a jamais, que je sache, provoqué
rn n de curiosité, ni d'émeutes. M. Clé-
tn-t Vautel lui-même avouera pouptant
QUft î a situation littéraire de Balzac est
aujourd'hui assez nettement supérieure
à celle d'Eugène Sue.
Ce Portrait contemporain de Sainte-
Beuve, aujourd'hui si comique, traite de
la première période d'Eugène Sue, celle
où il fut surtout un romancier mondain,
avant de devenir un romancier populai-
re ; et c'est du reste avec cette seconde
manière qu'il - enchanta décidément les
gens du monde. Le goût ne dépend pas
de la condition sociale, mais de la qua-
lité d'esprit. ; ;
« Pour prendre le meilleur selon moi,
dit Sainte-Beuve, le plus habile et le
plus raffiné des romans de mœurs de
M. Sue, Arthur, par exemple, je dis que
le personnage est vrai et qu'il y a de
nos jours plus d'un Arthur ». Telle est
la différence des temps: aujourd'hui, il
n'y en a plus qu'un seul qui compte :
j'ai nommé M. Arthur Meyer.
Plaisanterie à part, il y a une idée
dans cet Arthur de 1840, et qui n'était
pas si mauvaise, puisque c'est celle dont
M. Paul Bourget a fait son Crime d'A-
mour. Oh ! je n'ai jamais dit qu'Eugène
Sue fût incapable d'une vue heureuse,
ou d'un trait piquant. Assurément, ce
n'était pas une bête. Tout grand succès,
en quelque genre que ce soit, prouve
une habileté réelle et, par conséquent,
une certaine intelligence.
Je vous accorde donc volontiers, mon
cher Marcel Boulenger, qu'Eugène Sue
était sans doute un homme d'esprit, dont
la société ne manquait probablement pas
d'attraits, et dont les ouvrages mêmes
contiennent encore quelques détails in-
téressants pour les curieux. Mais ce n'é-
tait pas un artiste. Il est dépourvu de
style, lamentablement.
Je viens de parcourir un volume dé-
pareillé de cet Arthur, que j'ai trouvé,
pour quelques sous, sur les quais. L'é-
criture en, est lâche, traînante, banale,
plate comme un trottoir. Lorsque Sue
veut s'élever à la sentimentalité et à la
poésie, comme au chapitre II, dans la
description du bonheur qui a dû être
celui d'Arthur et de sa bien-aimée, au
fond de leur solitude provençale, il ne
dépasse pas le niveau d'une narration
française pour le brevet supérieur.
Lorsqu'il voudrait être mordant, l'ex-
pression lui fait pareillement défaut. J'ai
lu le chapitre du « Christianisme de sa-
lon », que Sainte-Beuvleavait déjà si-
gnalé.. L'intention satirique y est, non la
forme, et l'on dirait d'un Courrier de
Paris pour un journal de province.
Franchement, j'aime encore mieux lies
Mystères de Paris et le Juif errant, et
en descendant à ce genre, Sue avait
montré qu'il ne se méprenait pas sur
ses véritables aptitudes. Il avait de l'in-
vention, il trouvait des types, sommaires
et grossiers, mais assez frappants, et
jusqu'à des noms propres qui sont res-
tés : c'est à lui que les concierges doi-
vent celui de M. et Mme Pipelet. Et s'il
est vrai que les Mystères de Paris ont
suggéré à Victor Hugo le projet d'é-
crire les Misérables, Eugène Sue aura
rendu une fois dans sa carrière, quoi-
que indirectement, un vrai service à la
littérature. - -
Quant à ses sévérités pour Louis XIV,
je ne suis, guère diposé à les blâmer en
principe, et s'il tint bon contre les ini-
mitiés qu'elles lui valurent,, je respecte
son indépendance. Cependant n'allait-il
pas un peu loin, et sa critique ne por-
tait-elle pas souvent à faux? Il compare
Louis XIV à Néron: ce n'est pas cela
du tout. Et il lui préfère Louis XV, qu'il
appelle, dans Létorières, un excellent
prince et un adorable maître.
L'esprit de contradiction l'égaré, et il
n'avait peut-être pas le jugement très
sûr. Il met Walter-Scott au-dessus de
Byron î Certes, il n'y a pas lieu de dé-
daigner Walter Scott; mais Byron est
un grand poète et un grand esprit.
Paul SOUDAY.
Echos
30 Juillet 187S. — La Commission du Budget, dé-
cide d'augmenteir de -W.000 francs la subvention
de l'Opéra-Comique.
L
"es journaux ont relaté il y a quelques
t jours les péripéties d'une chasse au
crocodile dans le bassin de Trianon.
Le metteur en scène d'une firme cinéma-
tographique, M. Jacques-Robert, venait/de
terminer une scène de la Vivante Epinçge,
où les crocodiles tenaient tes rôles princi-
paux, lorsque, franchissant un barrage in-
suffisant, les sauriens réussirent à s'échap-
per et disparurent dans les herbes. Il fal-
lut construire un radeau pour rechercher
les fugitifs.
Quand on arrivait à en découvrir un au
fond de l'eau, on lui jetait une corde for-
mant nœud coulant. Opération délicate s'il
en fut Toute la troupe prit part à cette
chasse ou plutôt à cette pêche peu banale.
L'opérateur fut assez heureux pour s'adju-
ger cinq pièces à lui seul. Il ne faut pas
s'imaginer que l,e sport était inoffensif. L'un
de ces crocodiles, vieux — paraît-il - clo,
cinq siècles, n'était pas d'une docilité exem-
plaire. Furieux d'être traïqué, il arracha une
marche de pierre d'un seul coup de sa for-
midable mâchoire.:
u
n ruban rouge. -
On nous a conté une anecdote char-
mante et qui emprunte à l'imminente pro;,
motion dans la Légion d'honneur, une sau-
veur toute particulière.
M. Aristide Briand était alors ministre de
l'Instruction publique, et dans un scrupule
où chacun reconnaîtra la haute conscience
et le be'au caractère du président du Con-
seil, il résolut de réserver parmi les croix
dont il disposait, un ruban à un auteur dm-
matique qui n'avait rien sollicité. :
M. Aristide Briand qui se rendait parfoîè
au Théâtre Antoine, confie son désir à' M4
André Antoine :
-— Connaissez-vous un auteur v
André Antoine répondit: , , ,
- Albert Guinon.
— Personne, en effet, né m'a paflé"~
lui. Eh bien, c'est chose faite. ;
Albert Guinon fut décoré. :,
Et voilà, n'est-ce pas, qui honore Ml/[.
Briand, Antoine et Albert Guinon, ¡;'
L
e curé et le "danscing. ,1. £
t Le époux Le Nir, propriétaires dtUR
dancing à Quimpèr, avaient poursuivi M.
Soubigou ,curé-idioyen de Briec-de-l'Odet,
lui reprochant d'avoir exhorté la jeunesse
à fuir leur établissement, et menacé de sup-
primer le son des cloches et le Te Deum
aux mariages dont le repas aurait lieu chez
eux.
Condamné a 200 francs 3e dommages-
intérêts par le juge de paix de Briec, le curé
Soubigou vient d'être acquitté par le tribu-
nal de Quimper. Et voici quelques aper-
çus du jugement :
Attendu qu'il est de jurisprudence que l'at-
titude du prêtre, au point de vue canonique,
ne relève que de sa conscience et de ses chefs
spirituels et ne peut être ni appréciée ni jugé$
par la jurisprudence civile; qu'on ne saurait
l'incriminer lorsqu'en s'abstenant de tout fait
constitutif d'une faute d'après le droit com-t
mun, il prescrit ou défend quelque chose aux-
fidèles de sa religion sous la sanction de pel.
nés purement spirituelles;
Attendu que, pour qu'il y ait faute, d'après
le droit commun, il faut qu'il y ait abus du
droit;
Attendu que Soubigou n'a pas dérogé *â ce
principe, faisant une critique utile à son point
de vue, ou qu'il croyait telle, de rétablisse-
ment, qu'il a qualifié de mauvaise maison, en
s'inspirant des suggestions de sa conscience
ou des directives de ses chefs spirituels.
-. Et voici un nouvel épisode de l'éternel
conflit entre l'Eglise et la Danse. Il est Ao*
quiétant pour les directeurs de dancings !
Le Masque deverre.
La santé de M. A. Messager
Nous avons fait prendre hier des nouvelles de
M. André Messager. L'état de santé du brillant
compositeur de Fortunio était stationnaire, l'a-
mélioration qui s'était produite la veHle conti-
nuait très lentement.
Nous publierons demain un article 4*
ALFRED MORTIER
- et « La Semaine Littéraire » d.
- * BINET-VALMER -..
A LA MAISON DE L'ŒUVRE
L'Or nouveau" de Mme Hera Mirtel
ne sera pas représentée.
Onze heures ! 3 minutes, je suis en retard de
3 minutes au rendez-vous que Lugné-Poe m'a-
vait donné au Théâtre de l'Œuvre. Personne.
le cherche, j'appelle. un maçon qui consolide
un échafaudage m'interpelle:
(Photo Henri Manuel)
6IMS Hcra MIRTBJ» (Mme Bessaraûo)
— QUoi que vous cherchez? *
== Monsieur Lugné-Poe.
— Il est pap, là. - ,
Bon, je SUIs en avance. Je converse avec - h
llaÇon
-,.", Tiens, vous refaites la façade?
— C'est pas la façade, me répond l'nomme
blanc, c'est un étage.
- Un étage?
— Oui, un étage supplémentaire, et mon in-
terlocuteur, qui vient d'allumer une cigarette,
disparait dans un épais nuage de fumée.
J'entre dans le bureau. Des machines à écrire
sont là, muettes. Les dactylos sont parties je ne
sais où. Une banquette en velours m'accueille
en gémissant. J'attends. Au bout d'un mo-
ment qui me semble long, je consulte ma mon-
tre. 11 h. 8. Pour tuer le temps, je tire ma
pipe de son étui, je la bourre d'un tabac trop
sec et. Dieu me pardonne, je crois bien que
j'ai juré. Pas d'allumettes!. Je sors pour de-
mander du feu à mon maçon mais je l'aperçois
perché au haut de son échelle.
Dans la petite salle, le téléphone sonne avec
insistance. Je me décide à décrocher l'appareil.
— Allo! - , ■ , I. -
— A11&.. vous désirez?
—■ M. Lugné-Poe.
- Il n'est pas encore la.
— Pourtant il m'avait dit à onze heures. • :
— A moi aussi/ madame, il m'avait dit à onze
heures.; ; ; :"
Je raccroche. Je cherche vainement sur la ta-
ble un journal. Je m'assieds à nouveau. Cepen-
dant près de moi, un cahier bleu attire mon at-
tention. Je ne veux pas être indiscrèt, je dé-
tourne la tête et puis, avec les minutes qui pas-
sent, le désir devient de plus en plus impé-
rieux. Un geste à faire et ma curiosité sera sa-
tisfaite. Je résiste. Le quart sonne. L'impa-
tience me gagne. Que c'est énervant d'attendre!
Tant pis, je regarde le cahier bleu,.
L'Or nouveau, deux actes de Mme Hera Mir-
tel, 8, square Latour-Maubourg. Hera Mirtel,
ce nom-là me dit quelque chose. - Parbleu!
n'est-ce pas le nom de Mme Bessarabo?. la
femme de lettres qui « dit-on »? mit1 ><« en
malie » son màri. ;
Je prends le petit cahier bleu et je vois, épin-
glé au revers de la couverture, ii à renvoyer à
:' Me Ernest-Charles ».
Ma foi, j'ai bien envie de faire connaissance;
avec cette expéditive madame. Je parcours l'Or
nouveau et si la lecture en est quelque peu
indigeste, il n'en est pas moins vrai que l'au-
teur possède de véritables dons littéraires et une
pensée qui est parfois profonde. "-
Deux amants cherchent dans un laboratoire
d'alchimiste un procédé nouveau pour dissoudret.
l'or à froid. L'homme, aidé par sa maîtresse,. %;
trouvé ce procédé et va en faire la communier
tion à l'Académie des Sciences. Deux amjss
qu'ils avaient connus sur les bancs de" l'écoîeé
de chimie reviennent d'Amérique couverts de
cet or qu'ils s'obstinent tous à chercher. Ils-
proposent au couple de partir avec eux sur leur
yacht pour aller à leur tour faire fortune outre- [
Atlantique. Mais, ce n'est pas, comme ils le
pensent ,,dans la recherche des pépites qu'tls <
trouveront la richesse, c'est dans la culture dit.
blé, du coton, dans la fécondation de la terre..
Le chimiste part mais il ne renonce pas à son
idée de fouiller le sol pour y trouver le précieux
métal. Il a pour l'or, en tant que métal, une.
passion étrange, une passion comme d'autres en;
ont pour l'opium, la cocaïne. Tout l'ouvrage:
repose sur cette aberration et c'est pourquoi il
est très difficile de suivre l'auteur dans ses dis-
sertations, souvent confuses et franchement en-v
nuyeuses.
Je ne pense pas que cette pièce soit jouable;
mais on ne peut pas dire que ce soit une œuvre.
indifférente. Il y a des observations vraies, des
détails curieux et un dialogue assez alerte. Mal-
heureusement il ne suffit pas de dialoguer cin-
quante pages pour que le public doive en pren-i*
dre connaissance par la bouche des acteurs.
Il faut qu'une pièce ait un sujet. Il faut autant;
que possible l'exposer ; il faut présenter les per-
sonnages et leur prêter un langage clair, précis,
en rapport avec leur caractère et puis surtout ne
pas s'imaginer que l'on a fait un chef-d'œuvre
parce que les idées sont abstraites et que per-,
sonne n'y comprend rien.
Du fond de son cachot Mme Hera Mirtel me
pardonnera d'avoir parlé de son manuscrit car
après t«;>ut, sans mon indiscrétion, qui sait si
après tout, l'eût jamais lu!
quelqu'un lu!
Je dois ajouter, pour rétablir la vérité, que
je me suis attiré une verte semonce de mon cher
ami Lugné qui m'a surpris comme je finissais
ma lecture. J'ai encaissé sans broncher cet
h enguirlandage » de première classe et quand
il eut. fini, comme il était en retard d'une hepra
à mon tour j'ai pris ma revanche »!
L. ROBERT DE THIAC.
La Résurrection du Théâtre du Peuple
Le Théâtre du Peuple de Bussang va re-
naître. La guerre l'aveu, cornue tant d'au-
tres belles çhosès, ruiné, la paix nous le
rend. la paix? Ou plutôt l'effort persévé-
rant de ceux qui l'avaient fondé et lui
avaient permis de vivre si longtemps: ren-
dons grâces à M. Maurice Pottecher et ses
amis.
C'est en 1895 qu'il fut inauguré, à Bus-
sang, au flanc d'un vert coteau dont les sa-
pins forment le fond de la scène. Il est en
plein air, constitué par une vaste construc-
tion rustique dont le cadre de sapins des
Vosges forme la salle et par une
scène véritable, mais faitie de telle sorte
qu'elle permet, selon les besoins, de substi-
tuer ou d'associer le décor naturel au décor
peint. Son créateur, et, depuis vingt-six ans,
son animateur, est M. Maurice Pottecher,
qui, d'aventure prophète en son propre
pays, eut pour collaborateurs direçts non
seulement les membres de sa famille, à
commencer par son père, alors industriel et
maire de Bussang, et par son frère, qui y
dirige aussi une usine, mais aussi toute la
population, aussi fraternellement dévouée à
« Monsieur Maurice » qu'elle le demeura à
son œuvre.
,- Cette oeuvre qui appartient désormai;s à
l'histoire du théâtre en France, a ceci d'ori-
ginal qu'elle est véritablement populaire.
Les acteurs y sont, à de très rares excep-
tions près, des amateurs. Pour tête de trou-
pe, la compagnie de Bussang eut, depuis
l'origine, Mme Maurice Pottecher qui, sor-
tie jadis du Conservatoire et, sous le nom
de Camée, créatrice de belles oeuvres, en-
tre autres, aux Escholiers, en 1892, de la
Dame de la Mer, d'Ibsen, renonça de bonne
heure au théâtre pour se marier; à côté
d'elle, le frère de M. Pottecher; avec eux,
des gens du pays, zélés pour l'entreprise
qui est un peu leur chose, à la manière des
paysans d'Oberramergau ; et il n'est pas
jusqu'à. M. Maurice Pottecher lui-même
qui, à certains jours, ne se soit fait acteur.
Les décors, les costumes sont fabriqués sur
place. Deux ou trois représentations sont
données chaque année, dont l'une, entière-
;ment gratuite, et avidement attendue par
toute la population de Umssang et des envi-
rons, et dont les autres attirent, à travers
toute la région, voyageurs et touristes pour
lesquels sont formés des trains spéciaux.
Rien de plus curieux, de plus original,
de plus caractéristique, qu'e ces spectacles
de Bussang. On s'y trouve baigné dans une
atmosphère étrange de poésie de terroir, à
laquelle ajoute l'accent local de la plupart
des acteurs; on y respire un air de vérité
'simple et de santé puissante ; on y goûte le
délice d'une communion totale entre le pu-
blic, les comédiens et l'esprit même de l'au-
teur. Depuis 1895, M. Maurice Pottecher
se fit le pourvoyeur régulier du répertoire.
Il a composé, pour le Théâtre du Peuple,
des œuvres singulièrement adaptées à leur
objet, et qui touites, tantôt drames et tantôt
comédies, j ai îlies de la source vosgienne,
sont remplies de pensée, d'observation, de
poésie, éducatrices sans vouloir le paraître,
toujours simples, -- vilvialnt.es,: filles d'une ins-
piration à la fois intelligente et généreuse,
accessibles aux âmes les plus primitives et
chargées, au bénéfice des autres, 'de la subs-
tance d'art la plus savoureuse. -
En vingt ans, seize ou dix-sept. pièces,
M. Maurice POTTECHER
de la plus riche diversité, sonit ainsi sorties
de la verve créatrice de M. Maurice Potte-
cher. J'en nommerai seulement quelques-
unes: Le Diable marchand de goutte, qui
LE THEATRE
VUE PRISE DM lA TRIBUNS
inaugura le théâtre; la Clairière aux Abeil-
les, l'Héritage, la Reine Violante, Chacun
Perche son trésor. C'est le Vent, la Pas-
sion de Jeanne d'Arc, te Sotré de Noël,
Morteville. Au miiieiu de ce brillant cortège,
s'intercalèrent' un Macbeth et l'immortel
Poil de Carotte, de Jules Renard. -
En 1914, le Théâtre du Peuple était en
pleine prospérité et il semblait bien qu'édi
fié sur des bases solides, il fût désormais in-
destructible, La guerre vint, et toute J'æu-
vre se trouva, sinon perdue, du moins gra-
vement blessée. Huit ans d'interruption
n'en ont pas seulement compromis l'exi?+en
ce; mais les bâtiments, délabrés, branlams,
à demi détruits, n'étaient plus aptes à cor.
tpnir un peu de vie. Et M. Maurice Potte-
cher se désespérait. « C'est ma meilleure
raison de vivre, m'écrivait-il récemment,
que de reprendre et d'achever cette œuvre:
interrompue, elle disparaîtrait même de
l'histoire du Théâtre; reprise et menée jus-
qu'au bout, elle peut avoir son couronne-
ment. C'était assez facile d'obtenir ou-el-
ques succès ; c'est plus long de s'impr - er.
en se faisant comprendlre. » M. Maurice
Pottecher ne cède pas ,en effet, au désir ii
mité de faire vivre à Bussang le théâtre
qu'il y a créé. Dans sa pensée, cette créa
tion doi,t avoir toute Ja vertu d'un exemple
au service d'une théorie qui lui est chère
et qui l'est également à beaucoup de bons
esprits qui croient à l'avenir du théâtre po
pulaire. Il l'a formulée dans un ouvras,
éloquent qui est celui d'un croyant, publié
en 1899, Le Théâtre du Peuple, avec ce
sous-titre significatif, Renaissance et desti
née du théâtre populaire, et où, invoquai
la tradition antique et médiévale, il expose
sa conception d'un art dramatique s'adres-
saint à l'élite en passant par la foule, e*
puisant, dans les éléments régionaux, les
matériaux d'un art pleinement naît anal.
Théorie généreuse, qui nous ramène aux
origines, et dont nwF ne pourrait correcte
ment prétendre qu'elle est arbitraire. Pour
M. Pottecher, le Théâtre du Peup'e est
donc un « témoin ». Il n'est que cela, maie
il l'est totalement. Ce « témoin » allait-il
donc disparaître, emporté à son tour dans la
grande tourmente?
L'obstination de M. Maurice Pottecher
ne l'a pas permis. Avec l'appui pécuniaire
de quelques amis, parmi lesquels un grand
industriel vosgien, le Théâtre du Peuple,
reconstruit, restauré, amélioré, ouvrira de
nouveau ses portes, après huit années de
silence, dans quelques jours. Agrandi, il
contient maintenant de douze à treize cent-
places. Contre les pluies, qui ,dans les
Vosges, sont fréquentes et soudaines, on a
disposé une toiture, mais interrompue au-
dessus de l'orchestre souterrain, pour lais-
ser passer la lumière. C'est presque un
théâtre nouveau qui se dresse, mais c'esi
une œuvre maintenant classée qui continue.
Elle continue comme l'illustration vivante
d'une grande idée, qui est celle de l'art po-
pulaire, et comme un témoignage de la vo-
lonté vOggiienne- qui 'N:t'a doftné Mié forme/
Et elle continue et se renouvelle en se rçpé- -
tant. C'est en effet la pièce du début^gui
en 1895 consacra le Théâtre du Peuple, le
Diable mârchdnd de goutte, qui fera le spec-
tacle de la réouverture. Il y a là queLque
chose de symbolique. Ainsi iM. Mfumoe Pot-
Une scène du « Diable Marchand de Goutte »
tecjier atteste la permanence de son dessein
et sa fidélité à la tâche qui est celle de tou-
te sa yiè* ",
GEORGES BOURDON.
Comment M. Camille Saint-Saëns écrivit
Samson et Daïila
Les étapes d'un succès
La Revue Universelle qui continue à pu-
blier les remarquables articles de M. Ca-
mille Bellaigue : A travers le répertoire ly-
rique, nous donne dans son numéro du
premier août une belle étude sur Samson
et Dalila. Nous en extrayons cette lettre
que M. Saint-Saens écrivit récemment à
M. Camille Bellaigue, et qui nous donne
<$e précieux renseignements sur un point
de notre grande histoire musicale:
; Jadis, un vieux mélomane qui venait
souvent chez moi avait appelé mon atten-
iMon sur le sujet: de Samson ;;.en::v.1I£ dlitn
oratorio, car en ce temps-là; cette'. forfne
jétait en faveur. Grâce au progrès, elle
in'est plus utilisable : il n'y a plus que des
j concerts d'orchestre. On fait exception
pour la Damnation de Faust, parcê qu'on
[est assuré d'une recette. Alors que dans
¡tes autres pays, Angleterre, Allemagne,
¡Amérique, on peut entendre les grandes
! œuvres orchestrales et vocales, nous n'en
lavons plus. Mais passons.
Je connaissais alors un charmant gar-
,çon qu'une alliance avait rapproché de ma
¡famille, Fernand Lemaire, qui cultivait la
poésie en amateur. J'avais mis de ses vers
en musique. Je lui parlai du projet d'ora-
torio. « Un oratorio! me dit-il. Non. Fai-
sons un opéra. » Et nous partîmes pour
l'opéra. Dès que nous en parlâmes, ce
fut un toile général. Un opéra biblique!
Cependant, comme la mode était à l'opéra
légendaire, je ne me décourageais pas.,
- Mon poète avait écrit les deux premiers
actes. J'avais de mon côté fait quelques
griffonnages, lisibles pour moi seul, du
premier acte, et fait tout le second. Mais,
chose à peine croyable, à part l'esquisse
du prélude, il n'existait que dans ma tête,
et ayant voulu en donner une idée chez
moi à quelques amis, j'écrivis les irois
rôles, sans une note de Vorchestre.:
J'ai oublié le nom des trois chanteurs,
que j'accompagnais naturellement « par
cœur », puisque, à l'exception des parties
vocales, rien n'était écrit.
L'auditoire, restreint mais choisi (Antoi-
ne Rubeinstein en faisait partie), fut de
glace. Pas le moindre 'compliment, même
(Photo Henri Manuel)
Gamille SAINT-SAENS
de simple politesse, ne fut adressé a l'au-
teur.
Un peu plus tard, ce même second acte
fut joué chez moi par Augusta Holmes,
Henri Regnault (qui avait une charmante
voix de ténor et chantait fort bien), et Ro-
main Bussine. L'effet fut meilleur, maii
si peu encourageant que j'avais fini par
ne plus m'occuper de cet ouvrage chimé-
rique. Les années passèrent.
Un jour, j'étais en Allemagne, où j'é-
tais allé prendre part à des fêtes musica-
les présidées par Liszt. Comme je par-
tais pour revenir en France, en faisant
mes adieux au maître, l'idée me vint dn
lui parler de ce projet. « Terminez votre
opéra », me dit-il, sans en avoir entendu
une note « je le ferai jouer ». Il était com-
me vous savez, tout-puissant à Weimar.
- Mme v Viardot avait alors un regqin rde -
voix extraordinaire. Elle avait d&nnè à
Weimar des représentons éblouissantes,
C'est pour elle qué le rôle de Dalila 'faf"
écrit. A Croissy, sur un théâtre de socUa-
dressé dans un jardin, elle joua la moitié
du second acte avec Nicot et Romain lfus-
sine. M. Halanzier, alors directeur de iO-
péra, et quelques autres Parisiens, assis-
tèrent à cette épreuve, dont le résultat fut
négatif. , Il n'y avait pas d'orchestre, il
n'y avait que moi sur un grand piano.
Enfin, le moment était venu de repré-
senter l'ouvrage à Weimar, la traduction
était faite, quand la guerre de 1870 vint
tout arrêter. Ce ne fut qu'en décembre
1873 que Samson put voir les feux de là
rampe, mats sans Mme Viardot, hélas t
Il était trop tard.
Le succès fut énorme, mais sans leri*
demain. A Berlin, on prétendit que le suc*
ces à Weimar ne signifiait rien. On le
chanta à Hambourg et ce fut tout. ",
Ce ne fut qu'au bout de dix ans qui
l'ouvrage fut donné en français à Rouen,'
Mais Paris n'en voiUait pas. Il a fallu qué
M. Ritt l'entendît à l'Eden, pour qu'i'l se
décidât à le monter à l'Opéra, l'année dé
la grande éruption de l'Etna. Et j'ai dû
faire en-douze jours le voyage Parte-Etnçi,
et retour pour pouvoir assister à l'éruption
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