Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1906-07-16
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 juillet 1906 16 juillet 1906
Description : 1906/07/16 (N9768,A27). 1906/07/16 (N9768,A27).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 25/10/2012
27e ANNEE - N° 9768
PARIS ET DÉPARTEMENTS: Le Numéro 15 Centimes
LUNDI 16 JUILLET 1900
A. PÉRIVIER -P. OLLENDORFB
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11, Boulevard des Italiens, 11
PARIS (2-A.W»)
l' TÉLÉPHONE J 102-74
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a Si tu me lis avec attention, tu trouverai ici, suivant le précepte tI: Horace
s l'utile mêlé à Vagréable. »
t (Préface de Gil Blas au lecteur).
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8, Pue* DX LA BouaaK, 8
Et à VAdministration du Journal
lx "-"
M. 6. Lenôtre
A
iVieilles maisons, vieux papiers, c'est le titre
tJàJ.n ouvrage dont la troisième. série vient de
paraître, ce pourrait être aussi la formule du
goût littéraire contemporain. Il semble que le
public des livres ait pris tout à coup une âme
antiquaire, l'antiquaire de Momsen; qui
fest spécialement attiré vers ce qui ne vaut pas
la peine d'être connu. On sort de l'oubli les
plus négligeables personnages, on exhume des
lettres et des chiffres insignifiants, on se pas-
sionne pour, des masures qui abritèrent des
acteurs de cinquième ordre — l'affaire de Mont
Saint-Jean, qui mit l'Europe en ébullition est
typique de cet état d'esprit. Et le public s'ex-
clame et soupire. Il croit bonnement qu'il mon-
!tre par là son culte du passé, ainsi que les
îàévots qui s'imaginent rendre hommage à la
divinité lorsqu'ils se prosternent devant la sta-
tue de saint Antoine de Padoue. C'est ce qu'on
peut appeler du snobisme historique, dans
toute sa hideur. -
Faut-il rendre responsable M. Lenôtre ? Ce
serait excessif. Il est certain que cet écrivain,
par son talent, a favorisé ce goût moderne. H
a, trop souvent, comme dans le Baron de Boty,
par exemple, flatté nos âmes d'antiquaires
4c qui sont attirées vers ce qui ne peut être dé-
couvert », et il a, dès lors, écrit sur des hom-
mes dont il n'avait ri-en à dire puisqu'il ne sa-
vait rien sur eux. Mais, d'autre part, il n'est
jpas douteux que les mœurs de la presse de-
puis vingt ans devaient engendrer cet art nou-
veau, ce reportage rétrospectif. M. G. Lenôtre
ia, d'emblée, porté à sa perfection ; ce serait
iirie trop criante injustice que de lui imputer
& crime cetté perfection même, qui lui a valu
ses succès. Et si M. Lenôtre restait seul déten-
teur d'un genre qu'il a pour ainsi dire créé, il
ïl'y aurait pas lieu d'être inquiet. Il a du flair,
du goût et même quelques idées générales. Il
sait encore choisir ses vieux papiers ; tandis
que ses disciples avalent tout, indistinctement.
Il y en a un, en ce moment-ci, qui est en train
tie découvrir la Madeleine, la Bastille et la pla-
;ce Saint-Michel, et qui est bien le plus ridicule
pèlerin que les routes du passé aient porté.
Ce n'est pas à M. Lenôtre, sauf pour deux ou
trois chapitres comme le Baron de Boty, qu'il
faut crier casse-cou. Mais au public qui ris-
que, à ce petit jeu des vieux papiers, de per-
dre tout sens des seules réalités, qui sont les
idées. L'anecdote historique est légitime et
iutile, mais à son rang. Elle est un document,
.une preuve, un rayon lumineux. Jamais, à au-
OOn moment, elle ne peut constituer l'histoire.
Il ne faut pas qu'elle s'y subsiste, pas plus
,que l'article de reportage ne peut rempla-
cer l'article de fond. Il est quelquefois, et j'en
suis bien sûr, plus amusant. Mais il n'est pas
lui et, tout de même, sans lui, qui en tire la
signification, le reportage resterait incompris.
ipr, c'est, de plus en plus, au reportage que
(tourne aujourd'hui l'art de l'histoire. Tout le
monde veut publier ses mémoires, ses lettres,
Ses archives. De l'ombre sortent les plus fa-
lotes figures, et de terre les plus écroulées des
maisons. Si ces exhumations se tenaient à leur
ïang de matériaux historiques, il n'y aurait
jrien à dire. Il y a cinquante ans, on en eût
Itiré un article de revue, une brochure, ou bien
même un document, pour les autres, comme
fit M. de Chantelange, qui donna son admira-
ble Rancé à Sainte-Beuve. Aujourd'hui, autour
@,'une lettre ou d'un acte de naissance, on bâtit
lune ville, on construit un monument. C'est le
rabâchage, le papotage, le factice et le faux
poussés à leur extrême limite.
L'histoire est le plus fallacieux des arts, si
ïslle se contente de disposer bout à bout les
événements et les hommes. Sa légitimité et sa
;igloire, c'est de concevoir dans le temps une
; période assez ample pour eh tirer une mora-
lité, un enseignement, des idées enfin. SI l'his-
toire était la simple succession des individus
jet non l'enchaînement des grandes lois humai-
nes, le plus grand historien de France aurait
iété Louis-Philippe, le jour où il suspendait
Sans le palais de Versailles les portraits des
rois de France depuis Pharamond ; il ne man-
quait pas une année dans cette chronologie.
A
Mais M. Lenôtre, il faut s'empresser de le
reconnaître, désarme presque cette critique.
Certains de ses livres sont des manières de
ic-he fs -d'ce uvre. Et si l'on songe que l'auteur de
:fLa Rouerie a réussi dans un genre qu'il in-
tenta, on comprendra que son mérite, double,
"est plus grand encore.
Aussi ont-ils justement pensé, ceux qui lan-
iebrent la candidature de M. Lenôtre à l'Acadé-
mie française. Si l'on veut que l'Académie
reste ce qu'elle doit être, un assemblage de
itous ceux qui se montrèrent éminents et ori-
iginaux à la fois dans un genre quelconque des
productions de l'esprit, et littéraire principa-
lement, il n'est pas de récipiendaire à qui l'on
doive faire plus belle fête. M. Lenôtre ne se
pique pas de dresser en pied un Colbert com-
me vient de le faire M. Ernest Lavisse, encore
moins de rechercher les origines de la France
ou du -christianisme, comme l'ont fait Taine et
Renan. Dans sa sphère plus modeste et plus
restreinte, il n'en a pas moins accompli œu-
vre méritoire. Ses monographies sont des ré-
cits scrupuleux et vivants où l'histoire générale
forme une base solide. Elle est invisible com-
me dans les monuments qu'elle ne porte pas
moins. Episodes, comparses, sans doute. Mais
il est rare que M. Lenôtre en choisisse qui n'en
vaillent pas la peine. Son chef-d'œuvre, à mon
seps, est ce marquis de la Rouërie sans lequel
il ne nous est plus possible, aujourd'hui, d'as-
sister aux guerres de chouannerie. Tournebut,
à son gré, rentrerait plutôt dans l'excès de ce
genre, avec le baron de Botll. Oh ! il est ten-
tant sur un indice, sur un parchemin, sur un
paquet de lettres, de partir à la découverte, de
rechercher dans les archives tout ce qui peut
-compléter la trouvaille. Cela est tentant, mais
cela impose des devoirs, dont le premier est
la clairvoyance et le second le courage à re-
noncer. M. Lenôtre, qui sait renoncer cepen-
dant, a été entraîné deux ou trois fois plus
loin qu'il n'aurait voulu. Très fin d'esprit, très
averti et subtil, il s'est bien gardé jusqu'à
présent de mettre sa main dans le guêpier
Louis XVII. C'est qu'il connaît le danger scien-
tifiaue de ces Questions où les véritables doeu-
ments, s'ils ont existé, ont été certainement
détruits par les tout-puissants et qui étaient
justement intéressés à leur disparition. Et
c'est parce qu'il est prévenu, que M. Lenôtre
aurait dû s'abstenir de certaines excursions.
Si l'on voulait voir, tout de suite, le danger,
s'en rendre compte par un exemple saisissant,
il n'y aurait qu'à songer au chevalier de Mai-
son Rouge. Si habile, si descriptif- et vivifiant
que soit M. Lenôtre, il ne nous donne, puis-
qu'il ne nous apporte de documents qu'insi-
gnifiants, que l'envie de relire Alexandre Du-
mas, dont l'imagination poétique suffit ample-
ment, et bien mieux, à recréer les êtres.
Voyez, au contraire, ce qu'un sens critique
aussi avisé obtient lorsqu'il s'attaque à des
sujets où le document, où l'histoire, soutien-
nent solidement le récit ! Varennes ne pouvait
rien offrir qui ne fût connu dans son fond,
dans sa moralité. M. Lenôtre marchait ici sur
un terrain ferme, sur une terre dont on a ana-
lysé tous les éléments. Et son véritable génie
de reporter lui a inspiré un admirable livre.
Plus de fantaisie, plus de suppositions, plus
de fable. Un fait précis, depuis .longtemps dis-
séqué et dont il ne s'agit plus que de fixer la
forme M. Lenôtre est maître à ce jeu. Il a re-
fait étape par étape, 'minute par minute, le
voyage tragique ; par la portière, il a revu les
paysages ; il s'est assis aux tables d'auberge.
Et c'est alors de l'évocation ; Michelet évoqua,
lui aussi, mais sur des bases. Trop souvent
M. Lenôtre a manqué de celles-ci. Et lorsqu'il
en a eu, il a écrit ses meilleures pages.
♦**
Il y a, lorsqu'on travaille en ce genre d'his-
toire anecdotique, extérieure pour ainsi dire,
l'histoire du décor et non de la pièce, qui est
à l'histoire proprement dite ce que la « soirée
théâtrale » est à la critique dramatique, il y a
un péril auquel M. Lenôtre n'a pas échappé.
Ceux qui connaissent l'auteur de la Routne
savent la générosité de son esprit, sa vigueur
et sa bravoure. Un esprit aussi moderne que
le sien, qui a osé appliquer à l'histoire les pro-
cédés du journalisme le plus actuel, n'est pas
homme à s'effrayer devant les idées et, dans
les crises contemporaines, à se ranger du côté
des rétrogrades. Pour synthétiser l'intelligence
de M. Lenôtre, on ne peut mieux trouver que
cette image, qui rentre dans le sujet de cet
article, d'ailleurs : M. Lenôtre est, à l'Acadé-
mie, un candidat de « gauche ».
Et pourtant, voyez à quel malentendu l'abus
du détail peut entraîner ! M. Lenôtre est,
à l'Académie, le candidat de M. Paul Berviou
et de M. Henri Lavedan. Si on reconnaît, dans
cette candidature, l'extrême souplesse et le
flair littéraire de M. Paul Hervieu, il faut ad-
mettre tout de suite que l'auteur de l'Arma-
ture a bien su qu'elle plairait à la droite et que
ce serait par une sorte d'amphibologie doctri-
nale qu'il ferait admettre son ami. M. Henri
Lavedan n'en répond-il pas aussi ?
Cette confusion, très légitime et très loyale,
c'est l'œuvre de M. Lenôtre qui l'autorise. Si
l'on ne connaît, en effet, de cet écrivain que
son œuvre écrite, il apparaît comme un esprit
imbu de préjugés monarchiques, les plus anti-
ques et les plus faux. A force de suivre, par
exemple, un héroïque la Rouerie, un fou Mai-
son-Rouge, une Marie-Antoinette captive, ou
un roi en fuite, il a perdu peu à peu, dans l'en-
traînement larmoyant que l'accumulation des
détails ménagers provoqua nécessairement,
toute vision supérieure, toute philosophie ; il
a oublié tout ce qui condamne ces héros ou
doit s'opposer à toute pitié. Le détail, si on
s'y obstine, est le plus grand destructeur d'i-
dées qui soit. L'idée naît des détails et non
pas du détail. Il faut faire la synthèse. M. Le-
nôtre ne la fait pas et, en balance de ses api-
toiements, il est impossible de ne pas relever
ses sévérités injustifiables contre un Danton,
un Marat. Dans le déroulement des grands
événements révolutionnaires, M. Lenôtre s'est
attaché à nous fournir quelques lumières sur
des hommes. Et aussitôt il s'est pris lui-même
à la lampe qu'il allumait. Dans les hommes,
il n'a plus vu que l'homme. Bien plus, il s'est
acharné contre Michelet. Et cela est frappant,
caractéristique au plus haut point. M. Lenôtre
a trop vécu dans l'intimité domestique de ses
héros. Il les a aimés comme on aimefeeux avec
qui on passa ses jours et ses nuits ; on chérit
jusqu'à leurs défauts. La vision générale de
Michelet a heurté ses petites affections de se-
crétaire intime, de majordome et d'architecte
particulier. Tandis que Michelet ne voit en
Danton que l'âme même de la patrie, M. Le-
nôtre s'hypnotise sur le mari pitoyable tt
l'homme indélicat. Il n'y a pas moyen de s'en-
tendre. Mais qui ne comprend que Michelet
a raison lorsqu'il refuse de juger sur les mi-
sères humaines le cœur d'un grand citoyen ?
Grâce à cet entraînement de son esprit, M.
Lenôtre trouvera sur les bancs de la droite
académique bien des suffrages. Les individus
agissent rarement pour les raisons majeures
qui devraient les décider. Les académiciens
aimeront en l'auteur de Vieux papiers, vieilles
maisons ce qui le rend le moins aimable, ainsi
qu'il aima ses héros dans ce qui ne les rend
pas plus charmants ou ce qui ne les empêche
pas d'être sublimes. Encore une fois, les pas-
sions auront servi la justice et les petites eau
ses engendreront de bons effets.
André Maurel.
!'!'! < --
Echos
Les Courses
Aujourd'hui, à deux heures, courses à Saint-
Ouen.
Pronostics de Gil Blas ;
Prix de l'Aude. — Ecurie Fischhof, Maroc.
Prix du Roussillon. — Chauve Souris, Kioto.
Prix de l'Hérault. — La Bréauté, Ruy Blas III.
Prix de la Cerdagne. — Fanfaron II, Antinoë.
Prix Vanille. — Polichinelle II, L'Enfer.
Prix de Cerbère. --- Le Ta Tchou, Ladislas IV.
Le temps d'hier,
Dimanche soir. - Le ciel est encore couvert ce
matin, mais s'éclaircit à partir de neuf heures.
Les vents, modérés, soufflent des régions ouest.
La température fournit hier des maxima voisins
de 20° ; elle ne s'abaisse qu'à 13°7 ce matin, à la
tour Saint-Jacques.
La pression barométrique, peu variable, accuse
à midi 766 mm.
Dieppe à 2 h. 43' de Paris, temps beau, mer
agitée, 19 degrés.
X
Les origines des grands artistes,
A la veille des examens du Conservatoire, -ces
souvenirs seront d'actualité :
ViUaret, le ténor qui faillit créer rAjricaine,
puis parut dans cet ouvrage avec tant de suo-
cès, succès retrouvé dans tous les rôles du ré-
pertoire, commença par être ouvrier, puis con-
tre-maître brasseur à Nîmes et à Beaucaire.
Bosquin, à qui M. Massenet confia le rôle de
Jésus dans sa Marie-Magdeleine, avait été cor-
donnier.- Vergnet, autre ténor, courait le ca-
chet comme violoniste, dans les petits orches-
tres de Paris et de la banlieue, avant de se
faire un nom au café-conoert de la Pépinière
en tant que chanteur de romances ; le Conser-
vatoire, dont il sortit trois fois lauréat, ne vint
qu'après. Salomon, l'Alim du Roi de Lahore,
était fils de commerçants et s'établit lui-même ;
ruiné par la guerre de 1870, ce parent d'Hec-
tor Berlioz, né comme lui à la Côte-Saint-An-
dré (Isère), s'en vint à Marseille utiliser sa vo'ix,
que M. Halanzier .entendit et. dont il engagea
le propriétaire.
Faure, le grand Faure, Faure a débuté com-
me souffleur d'orgues à Notre-Dame,' aux ap-
pointements de 200 fr. par an. M. Lassalle a
été, à 17 ans, un très habile dessinateur de
châles dans une maison de soieries, à Lyon, à
peu près à la même époque où un de ses futurs
camarades de l'Opéra, Félix DieuiF dont le père
professait à la faculté des sciences, était expé-
diteur dans un quartier de la Guillotière.
Boudouresque eut l'entreprise de l'éclairage
à Marseille, où il monta ensuite un grand café.
M. Halanzier ne l'eut comme pensionnaire qu'a-
près ces deux avatars. Baroilhet, M. Auguez,
M. Manoury ont connu et pratiqué le commer-
ce, le premier à Bayonne, le second à Paris, le
troisième à Suresnes. Roger, le Jean de Leyde
du Prophète ; Obin, qui triompha dans Moïse
et dans Don Carlos, ont fréquenté l'un et l'au-
tre l'étude d'un notaire. Poultier chantait, en
cerclant des tonneaux à Rouen ; Renard, en co-
gnant sur l'enclume dans une forge, à Lille. Ils
furent deux ténors applaudis. Gueymard avait
travaillé la terre avant sa voix, et pour passe
à deux contemporains, M. Alvarez a été sous-
chef de musique dans un régiment de ligne, et
M. Fugère s'annonçait comme un habile sculp-
teur.
-x-
Le rasoir A demi.
Les coiffeurs, qui auront à fermer boutique
le Ci n-nche, à midi, sous le régime de la loi
du repos hebdomadaire, se sont demandés ce
qui arrivera lorsqu'ayant rasé un client à moi-
tié, l'heure fatale où doit s'arrêter tout travail
sonnera.
Ceci nous remet en mémoire une ftes farces
de feu Barnum, le grand exhibettr américain
de nains à deux têtes, qui fut en son temps
le farceur par excellence du Nouveau-Monde.
Voyageant depuis deux jours sur le lac Missis-
sipi, de nombreux amis devaient débarquer
avec lui, dans uns grande ville, pour y assister
le dimanche, à une fête. Une tempête survient
qui retarde le navire. Le dimanche matin, on
est encore sur l'eau. Et chacun est mécontent
de penser que, grâce au repos dominical, très
observé là-bas, il sera déshonoré par une af-
freuse barbe de plusieurs jours.
Quà cela ne tienne, dit Barnum, j'ai un
rasoir, et nous aurons le temps de nous faire
la barbe tour à tour avant de débarquer. Et
même, si vous voulez, nous allons bien rire.
Chacun de nous va commencer par se raser la
moitié du menton seulement.
Et, en effet, Barnum s'étant tondu le côté
gauche du menton, en laissant le côté droit in-
tact, une explosion d'hilarité violente éclata de-
vant le grotesque aspect de cette figure mi-gla-
bre mi-poilue. Il en fut de même du second
voyageur auquel Barnum passa l'instrument,
du troisième, du quatrième et ainsi jusqu'au
dernier. On s'amusait fort.
Le rasoir revint alors au célèbre montreur de
phénomènes, pour achever sa toilette.
— Dépêchez-vous, crièrent les autres, car
nous allons bientôt débarquer !
Barnum, cependant, procédait avec une sage
mais singulière lenteur.
— Plus vite ! plus vite !. insistèrent les au-
tres. Tenez, \On voit déjà la terre.
Affectant l'incrédulité, Barnum, le menton
net, se pencha et tout à coup jeta un cri de dé-
sespoir : le rasoir avait chû dans l'eau 1
Et ses compagnons, honteux, débarquèrent
sous les quolibets de la foule : ce qui ravit le
farceur bien rasé.
-)('-
L'automobilisme et la chique.
On a constaté en Amérique une augmentation
notable dans la consommation du tabac « à
mâcher » et un grand commerçant de New-
York a pu calculer que l'augmentation va jus-
qu'à 50 Il attribue ce fait à l'usage progressif
des automobiless en observant que ceux qui se
servent de ce magnifique moyen de locomotion
n'ont pas la possibilité de fumer des cigares ou
des cigarettes dans leurs courses vertigineuses,
parce que la cendre, dispersée par le vent im-
pétueux, pourrait nuire au fumeur ou à d'au-
tres personnes de son entourage. Et, pour ne
pas renoncer aux plaisirs que le bon Nicot a
procurés à l'humanité, les chauffeurs et leurs
amis se sont donnés au tabac « à mâcher » et
en ont éprouvé, à ce qu'il semble, un vit plaisir.
-)(-
Les souverains espagnols à Luchon.
Le prince et la princesse de Bourbon-Bra-
gance sont arrivés dans la station-reine des Py-
rénées et se préparent à recevoir leurs Altesses
Royales d'Espagne au château Guran* qui su-
- bit, en ce moment, toutes les appropriations
commandées par l'importance de l'événement.
Les représentants les plus distingués des
aristocraties française, espagnole et anglaise
sont, d'ores et déjà, présents à Luchon, où la
saison bat son plein avec une magnificence
tout à fait digne de remarque.
-x-
Nettoyage parle vide « Soterkenos w.
Pour nettoyer vos appartements, tapis, ten-
tures, même les plus délicates, adressez-vous
à la Société Française du « Soterkenos », 80,
rue Taitbout (tél. 318-12).
Catalogues et devis gratuits sur demande.
-X-
La saison de Vichy offre un tel programme
de distractions, et de plaisirs qu'il n'y aurait
bientôt plus de place pour personne, si, par
bonheur, la station n'était la mieux organisée
du monde au point de vue de l'hospitalité et des
facilités de la vie.
A Vichy, quand il n'y a plus de place, il y en
a encore, et à tous les prix ; mais il faut se
hâter.
On parle d'un auteur arrivé, mais grâce, is-
sure-t-on, à des collaborations féminines :
— Vous savez qu'il a eu des hauts et des
bas.
- Oui, surtout des bas-bleus !.
Le Diable Boiteux.
- '.—— —-———" "-" '-"
Propos du Jour
A la statue captive
J'ai été avec une poignée de fidèles de la patrie,
accomplir le douloureux pèlerinage du 14 juillet
aux pieds de la statue des Provinces-Martyres.
Je n'y ai pas manqué une seule fois depuis.
vous savez quand : il est des dates inutiles 41
rappeler.
Quel calvaire ! te Vous devez souffrir comme un
damné, me disait un jour mon vieil ami Henry
Roujon, quand je lui parlais de nos pays perdus.
C'est vrai • rien ne peut se comparer à ce dé-
chirement perpétuel, à ce désespoir qui va tou-
jours plus profond, plus bas, à cet étonnant isole-
ment dans lequel vivent ici les exilés volontaires
des provinces arrachées à la France lors de .son
dixième démenbrement, isolement d'autant plus
amer qu'il est plus injuste au milieu de ceux pour
qui nous souffrons — et qui s'en moquent.
Les années succèdent aux années en augmen-
tant toujours ce linceuil d'indifférence, de renon-
cement, ,qui pèse sur nous. Nous défilons quel-
ques centaines à peine, perdus dans cette ville
immense, dans cette population babylonienne dont
les miuions d'habitants ne daignent pas s'arrêter
un instant, en allant à leurs plaisirs, pour don-
ner le plus léger témoignage d'intérêt, de curiosité
même, au cortège et au symbole de nos douleurs.
Paris, qui envoie huit cent mille spectateurs à
ses champs de courses ou de foire, ne déplace
pas cinq mille badauds pour Strasbourg en croix.
Il ne veut rien savoir, c'est plus commode. Des
canons Krunp braqués sur les remparts de Metz
et de Strasbourg, des musiques allemandes qui
jouent autour des statues de Fabert et de Kléber,
des milliers de conscrits Alsaciens-Lorrains rui
continuent à se mettre au rang des parias pour
fuir le serment abhorré de fidélité au conquérant
et venir servir la France — à la légion étrangère,
juste Dieu ! — Paris ne sait rien.
Cela le gênerait pour s'amuser le jour de sa
fête nationale, pour aller à ses parades militaires
et théâtrales, à ses revues de Longchamp et de
scafé-concert !
Paris a raison, mes pays ! Il ne faùt pas être
plus royalistes que le roi ni plus français que
la France.
Soyons modestes, ne gÓnons personne, n'en par-
lons jamais, ou n'en parlons qu'entre nous tout
bas, tout bas, comme on parle de santé dans la
chambre d'un malade.
Soyons sages ; on nous tolèrera !
Louis d'Hurcoun.
Le Prix flu Prisiflent Se la RéDubliune
A MAISONS-LAFFITTE
M. FALLIERES A L'HIPPODROME DE
MAISONS LAFFTTTE
Prestige de grosses allocutions, de visites
oifiioieMesr de l'affiche et du panache, une fois
de plus on a constaté ta souveraineté. Maisons-
Laffitte a battu son propre record et au mois de
juillet, sous un soleil un peu ardent, avec des
moyens de communications dénotant plus de
bon vouloir que de commodité, la recette a
presque atteint 70.000 francs. Et M. Ruau a pu
jeter un coup d'œil satisfait du côté des bran-
cards du pari-mutuel, chacun venait apporter
sa bonne galette, dont une partie se réduira
non en fumée, mais en eau potable.
Maisons-Laffitte était en fête ; son pesage
était brillamment garni ; sa pelouse, où flot-
taient des petites bannières, avait son aspect
de petite foire où la musique est le tintement
des pièces de cent sous. Au oentre de sa tribu-
ne, l'or rutilait, le velours s'étalait et tout notre
gouvernement se prélassait. A la deuxième
course, la Marseillaise saluait la venue d'une
automobile conduite par un chauffeur ultra-
chic, aussi chic que Troude ou Monjaret : c'é-
tait le. char 4e l'Etat.
Le président de la République descendait de
cette auto accompagné de Mme et de Mlle
Fallières, et prenait place dans la tribune offi-
cielile. Remarqué à ses côtés : Mrs.:tongworth,
Mmes Autrand et Caron ; MM. Ruau, général
Dalstein, Berteaux, Lanes, Hornèz et Cabanel,
tous les comités des différentes Sociétés de
courses. -
M. Fallières a décidément.J.conquis toutes les
sympathies des sportsmen. On ne peut-pal "être
plus aimable, plus affable que le nouveau pré-
sident, qui saisit avec un à-propos aussi re-
marqué que gracieux, toutes les occasions de
s'intéresser — et de le prouver — aux ques-
tions de notre élevage. Son empressement à
descendre, après la course, dans l'enceinte ré-
servée pour féliciter les propriétaires en a été
une nouvelle preuve. Très sporlman, notre pré-
sident. Avec un tact parfait, il a rappelé aux
dirigeants de la Société Sportive d'Encoura.
gement son œuvre et son essor, et, avec une
bonne grâce charmante, il a décoré son J pré-
sident, M. Robert Papin, sur le champ de ba-
taille, comme il l'a dit avec beaucoup d'à-pro-
pos.
Inutile de dire que cette petite manifestation
a été soulignée par des applaudissements fré-
nétiques. M. Papin est une autorité très sym-
pathique et la marque de distinction dont il
vient d'être l'objet ne peut être accueillie qu'a- ,,
vec une réelle satisfaction par tous.
M. Fallières a également félicité M. Vander-
bilt, propriétaire du vainqueur, et surtout M.
Gaston Dreyfus, son éleveur.
Je serais heureux de vous dire quelques mots
du sport, mais il est plus convenable de donner
un aperçu mondain :
Princesse Murât, robe broderies anglaises ; la
baronne Edouard de Rothschild, en toilette blan-
che ajourée ; mistress Longworth, robe batiste
blanche ajourée ; Mme Bischoffsheim, née de Che-
vigno, toile blanche, redingote guipures blanches ;
comtesse Adhéaume de Chevigllé, tussor belge ;
marquise de Gouy, tussor belge ; comtesse Hélie
de Noailles, crêpe de Chine noir ; comtesse de Che*
risey, toile blanche ; baronne Merlin, toile blanche
brodée ; Mme Fernand Halphen, toute en blanc ;
Mme Mérino, mousseline de soie noire sur trans.
parent blanc - Mme Delorme, en blanc ; vicomtes-
se Foy, toile blanche et guipures anglaises ; com-
tesse Lepic, batiste blanche.
La grande épreuve semblait très ouverte.
mais son résultat, en somme, a prouvé ce que;
nous savions déjà : que Maintenon, qui n'est
pas joli, joli, est un des meilleurs chevaux de
son année. Le vainqueur du prix du Jockey*
Club est d'un tempérament froid, mais il a une
grande qualité. M. Vanderbilt, avec cette veina,
aveugle qui favorise les millionnaires, a eu, la
même année, les deux meilleurs : Prestige et
Maintenon, achetés par le plus grand des ha«
sards.
Hier, parti dans les premiers, il a été repris
avant d'aborder le dernier tournant, puis il est
revenu dans la ligne droite et, à la lutte, il a
eu raison de Punta Gorda.
Parmi les concurrents qui ont figuré, on
peut citer Procope, qui a mené jusqu'à l'entrée
de la ligne droite ; Strozzi, qui a fait un bon
effort, et, c'est tout. Moulins la Marche n'a pas
existé, non plus que Clyde; tous les deux dot.
vent être hors de forme.
Dans cette victoire de couleurs américaines,
on doit voir une nouvelle preuve de notre hos-.'
pitalité et de notre courtoisie.
La fille du président des Etats-Unis a vu le
triomphe d'un propriétaire américain, comma
la venue de S. M. Edouard VII avait coïncidé
avec la victoire du seul produit que nous avions
à ce moment de son étalon Persimmun.
Raymond Isabel.
■ ♦ • » - ■■
La santé de M. Sarraut
Les médecins qui soignent M. Albert Sarrauti
se sont réunis en consultation hier. Voici le bulles
tin qu'ils ont rédigé :
Ville-d'Avray, 15 juillet. - Nuit bonne, état sa"
tisfaisant, pas de fièvre, repos et isolement tou-
jours complets.
On nous affirme, au ministère de l'intérieur, que
les fréquentes informations reçues depuis hier ma-
tin, de Ville-d'Avray, sont très rassurantes, et que
l'état de santé de M. Sarraut va s'améliorant d'heu- ,
re en heure.
Ajoutons que M. Clemenceau et M. Henri Bris-
son sont allés, hier matin, à Ville^i'Avray, pour
rendre visite à M. Albert Sarraut.
A onze heures du soir, le téléphone du ministè-
re de l'intérieur, nous apprend que les nouvelles
sont des meilleures, et que le blessé n'inspire plus
aucune inquiétude à ses nombreux amis.
Ajoutons que M. Antonin Dubost, président du
Sénat, accompagné de M. Dupré, secrétaire géné-
rai; s'est rendu hier à Ville-d'Avray, à six heures.,
Il a chargé Mme Albert Sarraut et M. Maurice
Sarraut de transmettre au sous-secrétaire d'Etat
l'expression de sa sympathie et de ses meilleurs.
souhaits de guérison. -
♦ m » -
Un Musée des Poètes
Shakespeare à Stratford-on-Avon ; Gœthe à
Francfort ; Beethoven à Bonn ont leur musée.;
Celui de Dante, à Florence, est, sans doute,,
aménagé de façon rudimentaire, mais, à Paris,
place des Vosges, les souvenirs de Victor Hugo,
ont trouvé un cadre somptueux.
Il ne va bientôt pdus tenir qu'à la municipa-
lité parisienne que les poètes, les poètes fran
çais, aient aussi leur maison. Là, leurs admU
rateurs pourront feuilleter leurs œuvres auto-
graphes ; contempler les traits sous lesquels
les artistes de leur temps les ont représentés ;
voire, s'asseoir devant la table sur laquelle ils.
écrivirent leurs chefs-d'œuvre.
L'initiative de ce bel et noble projet revient
à M. Emile Blémont, dont on connaît le culte
pour la poésie. M. Alcanter de Brahm, secrée.
taire de la Société des Poètes français, dont
M. Blémont est lui-même président, mène de
son côté le bon combat en faveur de cette ten-
tative. Enfin, M. Quentin-Bauchard, tout acquii
à la cause, la plaidera auprès du préfet de la;
Seine et du conseil municipal, qui en sont déjà
saisis.
Chez M. Emile Blémont, où jû' me suis PM-,
santé cet après-midi, j'ai r le meilleur ac.
cueil. .,;-
Je l'ai trouvé dans son coq»et hôtel de la rue
d'Offémont, qui est à hii^il un musée, parmi
ses livres et ses collectons. Dès que je l'eus in-.,
formé du but de ma visite, il s'empussa de me J
renseigner : '--'.
— En effet, j'ai songé, après le musée Victor,
Hugo, à fonder, dans un esprit plus large, eette
fois, un musée qui serait consacré à to,us les
poètes. La question du local devant abriter,
les collections éventuelles n'était pas la moins
embarrassante. Je vous avoue que je caresse
amoureusement la pensée qu'à Bagatelle nos
poètes trouveraient un cadre approprié, tant
par le paysage, le décor, que par rIa disposition
de l'immeuble lui-même. ,
— Mais, avez-vous l'assentiment de la muni<'
cipalité ?
— C'est précisément là que se trouve, si je
puis dire, le nœud de la difficulté. Et il ne dé<
pend pas, en effet, de moi seul de la trancher.
Ce serait trop beau ! Du conseil municipal,
nous aurons des appuis certains, mais aurollt,
FEUILLETON DE « GIL BLAS » »
du 16 juillet 1906 (34)
La Vie
Littéraire
Georges de Peyrebrune
jugée par ses contemporains
!! - -H:iI
- jOipinions de Hewry Houssaye, Catulle Mendès, Oc-
ve Mirbeau, Armand Silvestre, Mistral, Eugè-
ne Brieux, Joseph Reinachj Henry Fouquier, Ga-
briel Bertrand, etc.
La rumeur est au camp des romancières.
t'est le 14 juiillet qui en est cause, le 14 juillet,
Idate à laquelle les ancêtres prirent d'assaut la
Bastille et les petits-fils prennent d'assaut les
rubans. Je ne sais si M. Aristide Briand, qui
itient à décorer Mme Sarah Bernihardt - certes,
ila belle, la juste action ! proposera cette fois
à la Légion d'honneur une autre femme. Mais,
s'ill veut décorer une romancière, nulle parmi
elles ne mérite davantage — Gil Blas l'a dit et
le répète — cette haute distinction. La preuve
en est facile à faire et, puisque nous avons été
les premiers à présenter la candidature 9e ia
doyenne des femmes écrivains, c'est un agréa-
ble devoir pour le critique littéraire de ce jour-
nal, de réunir en un faisceau les hommages
que rendirent à son talent ses confrères les
plus illustres et de résumer la carrière labo-
rieuse, vaillante, noble et infatigable de Geor-
ges de Peyrebrune.
1 Je viens de recevoir le trente-deuxième volu-
Iffie qu'elle a publié : Dona Quichotta. Ce roman
mérite, en effet, de figurer dans la collection
fiite « Hermine »A par la délicatesse avec laquel-
le est traité le thème, trois fois mis à la scène,
cet hiver, de la Déserteuse. Cela nous change
de tant d'autres romans féminins ou féminis-
tes ; ceux-ci ne sont pas très loin de faire, rou-
gir les hommes qui, souvent, ne valent pas
mieux que les singes. Il ne faudrait pas croire
cependant que l'auteur de Victoire la Rouge et
de Marco ait toujours écrit pour les jeunes
filles. Eille n'appartient pas à la catégorie de
ces ouvrières modérées et rassises qui confec-
tionnent un livre comme d'autres s'exercent à
la tapisserie.
Dans la préface de Deux amoureuses, M. Ca-
tulle Mendès constate que Georges de Peyre-
brune obéit à « l'impérieuse exigence de facul-
tés qui veulent être employées », c'est-à-dire à
la poussée irrésistible de son talent.
M. Catulle Mendès s'adresse à Mme de Pey-
rebrune directement :
Plusieurs femmes, dont quelques-unes ne sont
pas dépourvues de mérite, ont vu, dans l'art ou
le métier d'écrire, une occasion d'indépendance,
ou l'amusement de quelque éclat, ou une res-
source : vous n'y avez vu que la réalisation né-
cessaire d'un besoin inné : vous avez fait des
romans parce qu'il vous eût été impossible de ne
pas en faire ; la fécondité de votre esprit s'affirme
de livre en livre, avec la régularité normale, avec
le naturel, avec le contentement simple d'une ma-
ternité. Ce que je dis, ici paraîtra évident à tout
lecteur perspicace de vos ouvrages. Chez vous,
dans les aujets ou dans le style, nulle recherche
de ce qui peut séduire ou étonner le public par
l'accomodement aux mod-es courantes de la pen-
sée et du langage, ow par la contradiction imper-
tinente,, qui aurait bon air, avec ces modes ; vous
êtes totalement dépourvue de snobisme, et d'anti-
snobisme, ce snobisme aussi.
Le premier qui salua îa Jeune aurore de ce
talent, aujourd hui en pleine maturité, fut M.
Henry Houssaye. La Revue des Deux Mondes,
ten un coup de hardiesse imprévue, venait de
donner à ses lecteurs Marco, histoire à la fois
réaliste et romantique, tragique et tendre, que
M. Tony Révillon avait recommandée à Bu-
loz.
Marco, écrit M. Henry Houssaye, révèle de ra-
res qualités de style, — un style très personnel,
très curieux, très robuste. L'auteur a un sentiment
(profond de La nature qu'il rend dans son impres-
sion de grandeur et ie force. Les caractères, tracés
avec moins de minutie que. de largeur, sont vi-
vants. On sent, dans cette œuvre, la libre inspi-
ration de George Sand et de Gustave Flaubert.
Gioorges de Peyrebrune ne s'arrêtera pas sans doute
à ce premier roman. Pour notre part, nous se-
rions fort surpris si l'auteur de Marco ne justi-
fiait pas bientôt les sérieuses espérances que fait
naître ce livre.
Notez qu'à cette époque, vers 1880, l'esprit
public, et les lettrés eux-mêmes étaient vio-
lemment rebellles à l'éclosion de toute gloire
féminine. Seule, à cette époque, Mme Juliette
Adam conquérait déjà la notoriété. Après
Marco, Gatienne, les Femmes qui tombent, les
Frères Colombo (je ne cite que les romans prin-
cipaux), affermirent la réputation de la nou-
velle Sand. Avec Victoire la Rouge, le triomphe
s'affirme éclatant.
Octave Mirbeau écrit dans Les Grimaces, avec
cette impétuosité généreuse qui le caractérise
lorsqu'il découvre une personnalité, originale
encore, peu connue ou méconnue.
Je Veux parler de Victoire la Rouge, de Georges
de Peyrebrune, ce roman d'un talent si âpre et si
ému à la fois, auquel la critique, retenue ailleurs,
n'a pas fait l'honneur d'une attention sérieuse. Je
voudrais avoir en moi assez de puissance pour
venger à moi seul l'auteur de ce livre de l'injus-
tice commise à son égard. Car, je pense que
Victoire la Rouge est un des romans des plus
complets qui aient paru depuis longtemps.
Par sa vérité d'observation, par la beauté pro-
fonde de ses paysages, par la simplicité savante
de sa composition, et, surtout, par cette pitié qui
entoure cette malheureuse et inconsciente fille des
champs d'une auréole de douleurs si humaines,
Victoire la Rouge mérite d'être classée parmi les
chefs-d'œuvre contemporains. Une émotion vous
prend à la lecture de ce livre, pareille à celle
que l'on ressent devant les tableaux de Millet.
C'estja même compréhension de la nature, la mê-
me froésie franche, la même rudesse qui fait cour-
ber l'homme sur la terre ingrate ,en face des lar-
ges horizons embrasés de soleil ou parmi les clai.
res nuits balayées de lune.
Un tel livre console des inepties .et des ordures,
et il faut que ceux qui aiment les lettréS^l^ saluent
respectueusement, comme au sortir d'un bougé on
a plaisir à saMuer l'honnête femme qui passe. ,
De son mas provençal, le poète de Mireille,
ému par l'épopée rustique et intime de l'infor-
tunée fille-mère, envoya à cette poétesse en
prose un billet tout parfumé de grâce méridio-
nale et d'enthousiasme.
Ma belle Dame,
J'ai lu, moi aussi, Victoire la Rouge, intéressé
d'un bout à l'autre, les yeux souvent humides,
j'ai été étonné, ravi, de voir une femme, une belle
grande. dme, savoir si bien, les cjho&es des
champs, les peindre d'une main si vigoureuse et
se jouer pour ainsi dire, avec tant de naturel, dans
les rudes broussailles de la vie populaire ; vous
avez vécu longtemps parmi les paysans ? Votre
roman est d'une vérité navrante, d'une sincérité
admirable et adorable. Ce drame de la batarde,
livrée à toutes les brutalités des rustres, battue
comme une épave par la férocité des mœurs et
de la destinée, je l'ai rencontré aussi devant mes
(pas. Vous l'avez retracé avec une vigueur super-
be et une piété divine.
Votre roman est une bonne œuvre et une fière
œuvre d'art, je vous félicite et vous félicite de
toute mon âme.
MISTRAL.
En effet, c'est un chef-d'œuvre que Victoire
la Rouge, où passe Tèxistence de cette pay-
sanne, marquée d'un mauvais signe dès sa nais-
sance.
Victoire-la-Rouge avait les senteurs fauves de
sa couleur violente, mêlées à l'âpre fumet de la
terre qu'elle retournait sans cesse, et à la sen-
teur des herbes et des fenaisons, des blés mûrs et
des menthes sauvages, qui tapissent les fossés où
s'endorment parfois les filles de labour.
Le récit de la première chute de Victoire est
d'une narrante intensité. On est arrivé à la sai-
son des vendanges ; la Rouge trime dur avec
les autres. Le dernier jour, Périco, un ouvrier
de la ferme, vers lequel penchait le pauvre
cœur naïf de Victoire, imagina, par grossière
plaisanterie, de la faire entrer dans da cabane
des vignes et de l'y enfermer à clef. A la nuit
tombante, Périco vint délivrer la pauvre fille.
Comme il approchait, il vit de la lumière aux
fentes et la fumée au toit, en même temps qu'il
entendait Victoire qui descellait la porte à grands
ooups de pierre. Elle s était éclairée pour faire ce
travail. Ef comme elle cognait rude, elle avait je-
té Son fichu d'épaules, et celui de Sa tête était tofli-
bé. Elle tirait la porte de toutes ses forces, et Pé-
rico l'entendait râler de l'effort. Tout doucement,
il tourna la clef, et Victoire, qui tirait d'un bon
coup, s'en alla rouler sur les sarments épandus
toute étendue et les bras en croix. Elle geignait,
suffoquée, les cheveux pris dans les brindilles du
bois. Des cheveux magnifiques, roux comme de
l'or, si longs, si épais, qu'ils l'ensoleillaient toute.
Avec cela, elle n'avait au corps que sa chemise et
sa jupe écourtée, et sa peau blanche se voyait un
peu partout.
Périco, qui la regardait sans rien dire, eut une
pensée soudaine, qui lui fit refermer la porte der-
rière lui. D'abord, il pensa que c'était un bon tour
à jouer à la Rouge. Et puis une tentation l'allu-
mait.
Et comme elle allait se remettre debout, il la
rejeta brutalement par terre. Ce fut ainsi que Vic-
toire connut l'amour, et quand quelques mois plus
tard sa grossesse devint visible, on l'injuria, on
s'indigna.
— Tu ne savais pas ? Tu n'avais pas la force de
te défendre, non plus pas vrai ?
— J'ai pas pu, j'ai pas pu. recommençait tou-
jours la Rouge, qui semblait vouloir s'expliquer ;
elle marmottait des mots. Enfin, elle dit : « C'est
pas la force qui m'a manqué, au contraire, c'est
que je ne voulais pas lui faire du mal, parce que,
voyez-vous, avant lui, personne jamais ne m'a-
vait embrassée ! Jamais. Et alors, ç'a m'a tour-
né le cœur ; il m'aurait tuée que j'aurais pas pu
me, défendre. »
Pauvre fille bestiale et touchante 1
Les fermiers ne la jugeront pas digne de pi-
tié. « Tu as travaillé comme un bœuf chez nous,
tu es vaillante, honnête, dévouée,. mais tu ne
t'es pas défendue contre le premier baiser. La
douceur de cette caresse, unique dans ta vie,
t'a perdue. Hors d'ici 1 tu vas être mère, re-
tourne à l'hôpital où tu es née t, là, dans la
honte, possède pleinement le seul orgueil que
doive avoir une femme : celui d'enfanter un
être. » 14
La destinée de Victoire la Rouge sera, non
d'être aimée, mais d'être la servante du désir,
la victime de la maternité. Après ses premières
couches, elle se place dans une maison bour-
geoise, où son rude labeur lui conquiert une
situation, qu'elle a lieu de croire durable, mais
un soir de mariage, après les fêtes et les repas
qui le suivirent, quand, la nuit venue, haras-
sée de fatigues, elle va dans l'étable se jeter sur
une botte de palllle, un nomme la surprena aang
son sommeil et, pour la seconde fois, ses rO:-I
bustes flancs serontf fécondés.
Et elle avait des heures d'hébétement, le regard
vague, fixé devant elle, dans l'immobilité de tout
son corps et l'oubli du travail commencé. Puiat
elle se remettait subitement à l'ouvrage dans des
à-coup de fureur ; contre lui ? Elle n'en savaitf
rien. C'était le malheur qui la poursuivait. Et elle
se levait, et elle rabaissait le bigot ou la pioche,
faisant des entailles énormes dans la terre,
comme si, à force de creuser, toujours plus bas,:
elle allait y cacher sa faute. Et voilà que son;
ventre montait, montait. Bientôt elle ne pourrait
Ktis fe cacher, et on allait la jeter à la porte em
lui criant des injures.
Dans ces heures de colère et d'effroi, où elle se
tenait accroupie tassée et comme acculée à la
haie qui la cachait, semblable à une bête, avec
son poil fauve qui lui tombait sur les yeux, et sesf
mamelles lourdes, et ses mains crispées sur laf
terre comme des griffes sanglantes au bout d'un!
bras raide et roux, guettant pour n'être pas sur"!,
prise — quelquefois passait au loin, vers la cou-
lée des prés, quelque vache lente et rêveuse, brou-
tillant, la tête retournée vers le petit, blond et
tendre, qui la suivait en piquant du nez sa ma-
melle pendante. La Victoire attachait sur eux
ses yeux agrandis ; elle souflait plus fort, en
regardant sans lâcher, l'allure rythmée de la va-
che paresseuse, battant ses flancs féconds- de saI
queue doucement balancée, ou s'arrêtant, la
jambe écartée, pour livrer son pis gonflé à son
petit, qui mordillait et tiraillait la tête penchée,
flageolant sur ses longues jambes fines de nou-o
veau-né.
Et Victoire s'aubliait à crier, le poing en avanvr
tout aveuglée de larmes. « Elle est heureuse, au
moins, celle-là. ! » Et la pauvre triste fille, en proie
à l'horrible peur d'être de nouveau chassée, inju-*
riée, ira un jour qu'on la croit occupée aux champef
senfant les premières douleurs, venir accoucher;
dans un fossé. et comme l'enfant criait, et qu'mil
homme passait, affolée, pour faire taire ses va-
gissements, eJIle mit son pied nu sur la bouche de
son petit. quand elle le retira. il était mort.,
Alors toutes les hontes, toutes les douleurs:
toutes les humiliations l'assaillirent. Son çriméf
déoeuyert, la Rouge sera emprisonnée, jugee
et edflnamnée à cinq ans de travaux forcés. Et
le père ? Ah bien ! oui, le père 1 elle ne l
jamais revu, il est en garnison quelque pad..
il s'inquiète bien d'elle, le père.
PARIS ET DÉPARTEMENTS: Le Numéro 15 Centimes
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a Si tu me lis avec attention, tu trouverai ici, suivant le précepte tI: Horace
s l'utile mêlé à Vagréable. »
t (Préface de Gil Blas au lecteur).
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Et à VAdministration du Journal
lx "-"
M. 6. Lenôtre
A
iVieilles maisons, vieux papiers, c'est le titre
tJàJ.n ouvrage dont la troisième. série vient de
paraître, ce pourrait être aussi la formule du
goût littéraire contemporain. Il semble que le
public des livres ait pris tout à coup une âme
antiquaire, l'antiquaire de Momsen; qui
fest spécialement attiré vers ce qui ne vaut pas
la peine d'être connu. On sort de l'oubli les
plus négligeables personnages, on exhume des
lettres et des chiffres insignifiants, on se pas-
sionne pour, des masures qui abritèrent des
acteurs de cinquième ordre — l'affaire de Mont
Saint-Jean, qui mit l'Europe en ébullition est
typique de cet état d'esprit. Et le public s'ex-
clame et soupire. Il croit bonnement qu'il mon-
!tre par là son culte du passé, ainsi que les
îàévots qui s'imaginent rendre hommage à la
divinité lorsqu'ils se prosternent devant la sta-
tue de saint Antoine de Padoue. C'est ce qu'on
peut appeler du snobisme historique, dans
toute sa hideur. -
Faut-il rendre responsable M. Lenôtre ? Ce
serait excessif. Il est certain que cet écrivain,
par son talent, a favorisé ce goût moderne. H
a, trop souvent, comme dans le Baron de Boty,
par exemple, flatté nos âmes d'antiquaires
4c qui sont attirées vers ce qui ne peut être dé-
couvert », et il a, dès lors, écrit sur des hom-
mes dont il n'avait ri-en à dire puisqu'il ne sa-
vait rien sur eux. Mais, d'autre part, il n'est
jpas douteux que les mœurs de la presse de-
puis vingt ans devaient engendrer cet art nou-
veau, ce reportage rétrospectif. M. G. Lenôtre
ia, d'emblée, porté à sa perfection ; ce serait
iirie trop criante injustice que de lui imputer
& crime cetté perfection même, qui lui a valu
ses succès. Et si M. Lenôtre restait seul déten-
teur d'un genre qu'il a pour ainsi dire créé, il
ïl'y aurait pas lieu d'être inquiet. Il a du flair,
du goût et même quelques idées générales. Il
sait encore choisir ses vieux papiers ; tandis
que ses disciples avalent tout, indistinctement.
Il y en a un, en ce moment-ci, qui est en train
tie découvrir la Madeleine, la Bastille et la pla-
;ce Saint-Michel, et qui est bien le plus ridicule
pèlerin que les routes du passé aient porté.
Ce n'est pas à M. Lenôtre, sauf pour deux ou
trois chapitres comme le Baron de Boty, qu'il
faut crier casse-cou. Mais au public qui ris-
que, à ce petit jeu des vieux papiers, de per-
dre tout sens des seules réalités, qui sont les
idées. L'anecdote historique est légitime et
iutile, mais à son rang. Elle est un document,
.une preuve, un rayon lumineux. Jamais, à au-
OOn moment, elle ne peut constituer l'histoire.
Il ne faut pas qu'elle s'y subsiste, pas plus
,que l'article de reportage ne peut rempla-
cer l'article de fond. Il est quelquefois, et j'en
suis bien sûr, plus amusant. Mais il n'est pas
lui et, tout de même, sans lui, qui en tire la
signification, le reportage resterait incompris.
ipr, c'est, de plus en plus, au reportage que
(tourne aujourd'hui l'art de l'histoire. Tout le
monde veut publier ses mémoires, ses lettres,
Ses archives. De l'ombre sortent les plus fa-
lotes figures, et de terre les plus écroulées des
maisons. Si ces exhumations se tenaient à leur
ïang de matériaux historiques, il n'y aurait
jrien à dire. Il y a cinquante ans, on en eût
Itiré un article de revue, une brochure, ou bien
même un document, pour les autres, comme
fit M. de Chantelange, qui donna son admira-
ble Rancé à Sainte-Beuve. Aujourd'hui, autour
@,'une lettre ou d'un acte de naissance, on bâtit
lune ville, on construit un monument. C'est le
rabâchage, le papotage, le factice et le faux
poussés à leur extrême limite.
L'histoire est le plus fallacieux des arts, si
ïslle se contente de disposer bout à bout les
événements et les hommes. Sa légitimité et sa
;igloire, c'est de concevoir dans le temps une
; période assez ample pour eh tirer une mora-
lité, un enseignement, des idées enfin. SI l'his-
toire était la simple succession des individus
jet non l'enchaînement des grandes lois humai-
nes, le plus grand historien de France aurait
iété Louis-Philippe, le jour où il suspendait
Sans le palais de Versailles les portraits des
rois de France depuis Pharamond ; il ne man-
quait pas une année dans cette chronologie.
A
Mais M. Lenôtre, il faut s'empresser de le
reconnaître, désarme presque cette critique.
Certains de ses livres sont des manières de
ic-he fs -d'ce uvre. Et si l'on songe que l'auteur de
:fLa Rouerie a réussi dans un genre qu'il in-
tenta, on comprendra que son mérite, double,
"est plus grand encore.
Aussi ont-ils justement pensé, ceux qui lan-
iebrent la candidature de M. Lenôtre à l'Acadé-
mie française. Si l'on veut que l'Académie
reste ce qu'elle doit être, un assemblage de
itous ceux qui se montrèrent éminents et ori-
iginaux à la fois dans un genre quelconque des
productions de l'esprit, et littéraire principa-
lement, il n'est pas de récipiendaire à qui l'on
doive faire plus belle fête. M. Lenôtre ne se
pique pas de dresser en pied un Colbert com-
me vient de le faire M. Ernest Lavisse, encore
moins de rechercher les origines de la France
ou du -christianisme, comme l'ont fait Taine et
Renan. Dans sa sphère plus modeste et plus
restreinte, il n'en a pas moins accompli œu-
vre méritoire. Ses monographies sont des ré-
cits scrupuleux et vivants où l'histoire générale
forme une base solide. Elle est invisible com-
me dans les monuments qu'elle ne porte pas
moins. Episodes, comparses, sans doute. Mais
il est rare que M. Lenôtre en choisisse qui n'en
vaillent pas la peine. Son chef-d'œuvre, à mon
seps, est ce marquis de la Rouërie sans lequel
il ne nous est plus possible, aujourd'hui, d'as-
sister aux guerres de chouannerie. Tournebut,
à son gré, rentrerait plutôt dans l'excès de ce
genre, avec le baron de Botll. Oh ! il est ten-
tant sur un indice, sur un parchemin, sur un
paquet de lettres, de partir à la découverte, de
rechercher dans les archives tout ce qui peut
-compléter la trouvaille. Cela est tentant, mais
cela impose des devoirs, dont le premier est
la clairvoyance et le second le courage à re-
noncer. M. Lenôtre, qui sait renoncer cepen-
dant, a été entraîné deux ou trois fois plus
loin qu'il n'aurait voulu. Très fin d'esprit, très
averti et subtil, il s'est bien gardé jusqu'à
présent de mettre sa main dans le guêpier
Louis XVII. C'est qu'il connaît le danger scien-
tifiaue de ces Questions où les véritables doeu-
ments, s'ils ont existé, ont été certainement
détruits par les tout-puissants et qui étaient
justement intéressés à leur disparition. Et
c'est parce qu'il est prévenu, que M. Lenôtre
aurait dû s'abstenir de certaines excursions.
Si l'on voulait voir, tout de suite, le danger,
s'en rendre compte par un exemple saisissant,
il n'y aurait qu'à songer au chevalier de Mai-
son Rouge. Si habile, si descriptif- et vivifiant
que soit M. Lenôtre, il ne nous donne, puis-
qu'il ne nous apporte de documents qu'insi-
gnifiants, que l'envie de relire Alexandre Du-
mas, dont l'imagination poétique suffit ample-
ment, et bien mieux, à recréer les êtres.
Voyez, au contraire, ce qu'un sens critique
aussi avisé obtient lorsqu'il s'attaque à des
sujets où le document, où l'histoire, soutien-
nent solidement le récit ! Varennes ne pouvait
rien offrir qui ne fût connu dans son fond,
dans sa moralité. M. Lenôtre marchait ici sur
un terrain ferme, sur une terre dont on a ana-
lysé tous les éléments. Et son véritable génie
de reporter lui a inspiré un admirable livre.
Plus de fantaisie, plus de suppositions, plus
de fable. Un fait précis, depuis .longtemps dis-
séqué et dont il ne s'agit plus que de fixer la
forme M. Lenôtre est maître à ce jeu. Il a re-
fait étape par étape, 'minute par minute, le
voyage tragique ; par la portière, il a revu les
paysages ; il s'est assis aux tables d'auberge.
Et c'est alors de l'évocation ; Michelet évoqua,
lui aussi, mais sur des bases. Trop souvent
M. Lenôtre a manqué de celles-ci. Et lorsqu'il
en a eu, il a écrit ses meilleures pages.
♦**
Il y a, lorsqu'on travaille en ce genre d'his-
toire anecdotique, extérieure pour ainsi dire,
l'histoire du décor et non de la pièce, qui est
à l'histoire proprement dite ce que la « soirée
théâtrale » est à la critique dramatique, il y a
un péril auquel M. Lenôtre n'a pas échappé.
Ceux qui connaissent l'auteur de la Routne
savent la générosité de son esprit, sa vigueur
et sa bravoure. Un esprit aussi moderne que
le sien, qui a osé appliquer à l'histoire les pro-
cédés du journalisme le plus actuel, n'est pas
homme à s'effrayer devant les idées et, dans
les crises contemporaines, à se ranger du côté
des rétrogrades. Pour synthétiser l'intelligence
de M. Lenôtre, on ne peut mieux trouver que
cette image, qui rentre dans le sujet de cet
article, d'ailleurs : M. Lenôtre est, à l'Acadé-
mie, un candidat de « gauche ».
Et pourtant, voyez à quel malentendu l'abus
du détail peut entraîner ! M. Lenôtre est,
à l'Académie, le candidat de M. Paul Berviou
et de M. Henri Lavedan. Si on reconnaît, dans
cette candidature, l'extrême souplesse et le
flair littéraire de M. Paul Hervieu, il faut ad-
mettre tout de suite que l'auteur de l'Arma-
ture a bien su qu'elle plairait à la droite et que
ce serait par une sorte d'amphibologie doctri-
nale qu'il ferait admettre son ami. M. Henri
Lavedan n'en répond-il pas aussi ?
Cette confusion, très légitime et très loyale,
c'est l'œuvre de M. Lenôtre qui l'autorise. Si
l'on ne connaît, en effet, de cet écrivain que
son œuvre écrite, il apparaît comme un esprit
imbu de préjugés monarchiques, les plus anti-
ques et les plus faux. A force de suivre, par
exemple, un héroïque la Rouerie, un fou Mai-
son-Rouge, une Marie-Antoinette captive, ou
un roi en fuite, il a perdu peu à peu, dans l'en-
traînement larmoyant que l'accumulation des
détails ménagers provoqua nécessairement,
toute vision supérieure, toute philosophie ; il
a oublié tout ce qui condamne ces héros ou
doit s'opposer à toute pitié. Le détail, si on
s'y obstine, est le plus grand destructeur d'i-
dées qui soit. L'idée naît des détails et non
pas du détail. Il faut faire la synthèse. M. Le-
nôtre ne la fait pas et, en balance de ses api-
toiements, il est impossible de ne pas relever
ses sévérités injustifiables contre un Danton,
un Marat. Dans le déroulement des grands
événements révolutionnaires, M. Lenôtre s'est
attaché à nous fournir quelques lumières sur
des hommes. Et aussitôt il s'est pris lui-même
à la lampe qu'il allumait. Dans les hommes,
il n'a plus vu que l'homme. Bien plus, il s'est
acharné contre Michelet. Et cela est frappant,
caractéristique au plus haut point. M. Lenôtre
a trop vécu dans l'intimité domestique de ses
héros. Il les a aimés comme on aimefeeux avec
qui on passa ses jours et ses nuits ; on chérit
jusqu'à leurs défauts. La vision générale de
Michelet a heurté ses petites affections de se-
crétaire intime, de majordome et d'architecte
particulier. Tandis que Michelet ne voit en
Danton que l'âme même de la patrie, M. Le-
nôtre s'hypnotise sur le mari pitoyable tt
l'homme indélicat. Il n'y a pas moyen de s'en-
tendre. Mais qui ne comprend que Michelet
a raison lorsqu'il refuse de juger sur les mi-
sères humaines le cœur d'un grand citoyen ?
Grâce à cet entraînement de son esprit, M.
Lenôtre trouvera sur les bancs de la droite
académique bien des suffrages. Les individus
agissent rarement pour les raisons majeures
qui devraient les décider. Les académiciens
aimeront en l'auteur de Vieux papiers, vieilles
maisons ce qui le rend le moins aimable, ainsi
qu'il aima ses héros dans ce qui ne les rend
pas plus charmants ou ce qui ne les empêche
pas d'être sublimes. Encore une fois, les pas-
sions auront servi la justice et les petites eau
ses engendreront de bons effets.
André Maurel.
!'!'! < --
Echos
Les Courses
Aujourd'hui, à deux heures, courses à Saint-
Ouen.
Pronostics de Gil Blas ;
Prix de l'Aude. — Ecurie Fischhof, Maroc.
Prix du Roussillon. — Chauve Souris, Kioto.
Prix de l'Hérault. — La Bréauté, Ruy Blas III.
Prix de la Cerdagne. — Fanfaron II, Antinoë.
Prix Vanille. — Polichinelle II, L'Enfer.
Prix de Cerbère. --- Le Ta Tchou, Ladislas IV.
Le temps d'hier,
Dimanche soir. - Le ciel est encore couvert ce
matin, mais s'éclaircit à partir de neuf heures.
Les vents, modérés, soufflent des régions ouest.
La température fournit hier des maxima voisins
de 20° ; elle ne s'abaisse qu'à 13°7 ce matin, à la
tour Saint-Jacques.
La pression barométrique, peu variable, accuse
à midi 766 mm.
Dieppe à 2 h. 43' de Paris, temps beau, mer
agitée, 19 degrés.
X
Les origines des grands artistes,
A la veille des examens du Conservatoire, -ces
souvenirs seront d'actualité :
ViUaret, le ténor qui faillit créer rAjricaine,
puis parut dans cet ouvrage avec tant de suo-
cès, succès retrouvé dans tous les rôles du ré-
pertoire, commença par être ouvrier, puis con-
tre-maître brasseur à Nîmes et à Beaucaire.
Bosquin, à qui M. Massenet confia le rôle de
Jésus dans sa Marie-Magdeleine, avait été cor-
donnier.- Vergnet, autre ténor, courait le ca-
chet comme violoniste, dans les petits orches-
tres de Paris et de la banlieue, avant de se
faire un nom au café-conoert de la Pépinière
en tant que chanteur de romances ; le Conser-
vatoire, dont il sortit trois fois lauréat, ne vint
qu'après. Salomon, l'Alim du Roi de Lahore,
était fils de commerçants et s'établit lui-même ;
ruiné par la guerre de 1870, ce parent d'Hec-
tor Berlioz, né comme lui à la Côte-Saint-An-
dré (Isère), s'en vint à Marseille utiliser sa vo'ix,
que M. Halanzier .entendit et. dont il engagea
le propriétaire.
Faure, le grand Faure, Faure a débuté com-
me souffleur d'orgues à Notre-Dame,' aux ap-
pointements de 200 fr. par an. M. Lassalle a
été, à 17 ans, un très habile dessinateur de
châles dans une maison de soieries, à Lyon, à
peu près à la même époque où un de ses futurs
camarades de l'Opéra, Félix DieuiF dont le père
professait à la faculté des sciences, était expé-
diteur dans un quartier de la Guillotière.
Boudouresque eut l'entreprise de l'éclairage
à Marseille, où il monta ensuite un grand café.
M. Halanzier ne l'eut comme pensionnaire qu'a-
près ces deux avatars. Baroilhet, M. Auguez,
M. Manoury ont connu et pratiqué le commer-
ce, le premier à Bayonne, le second à Paris, le
troisième à Suresnes. Roger, le Jean de Leyde
du Prophète ; Obin, qui triompha dans Moïse
et dans Don Carlos, ont fréquenté l'un et l'au-
tre l'étude d'un notaire. Poultier chantait, en
cerclant des tonneaux à Rouen ; Renard, en co-
gnant sur l'enclume dans une forge, à Lille. Ils
furent deux ténors applaudis. Gueymard avait
travaillé la terre avant sa voix, et pour passe
à deux contemporains, M. Alvarez a été sous-
chef de musique dans un régiment de ligne, et
M. Fugère s'annonçait comme un habile sculp-
teur.
-x-
Le rasoir A demi.
Les coiffeurs, qui auront à fermer boutique
le Ci n-nche, à midi, sous le régime de la loi
du repos hebdomadaire, se sont demandés ce
qui arrivera lorsqu'ayant rasé un client à moi-
tié, l'heure fatale où doit s'arrêter tout travail
sonnera.
Ceci nous remet en mémoire une ftes farces
de feu Barnum, le grand exhibettr américain
de nains à deux têtes, qui fut en son temps
le farceur par excellence du Nouveau-Monde.
Voyageant depuis deux jours sur le lac Missis-
sipi, de nombreux amis devaient débarquer
avec lui, dans uns grande ville, pour y assister
le dimanche, à une fête. Une tempête survient
qui retarde le navire. Le dimanche matin, on
est encore sur l'eau. Et chacun est mécontent
de penser que, grâce au repos dominical, très
observé là-bas, il sera déshonoré par une af-
freuse barbe de plusieurs jours.
Quà cela ne tienne, dit Barnum, j'ai un
rasoir, et nous aurons le temps de nous faire
la barbe tour à tour avant de débarquer. Et
même, si vous voulez, nous allons bien rire.
Chacun de nous va commencer par se raser la
moitié du menton seulement.
Et, en effet, Barnum s'étant tondu le côté
gauche du menton, en laissant le côté droit in-
tact, une explosion d'hilarité violente éclata de-
vant le grotesque aspect de cette figure mi-gla-
bre mi-poilue. Il en fut de même du second
voyageur auquel Barnum passa l'instrument,
du troisième, du quatrième et ainsi jusqu'au
dernier. On s'amusait fort.
Le rasoir revint alors au célèbre montreur de
phénomènes, pour achever sa toilette.
— Dépêchez-vous, crièrent les autres, car
nous allons bientôt débarquer !
Barnum, cependant, procédait avec une sage
mais singulière lenteur.
— Plus vite ! plus vite !. insistèrent les au-
tres. Tenez, \On voit déjà la terre.
Affectant l'incrédulité, Barnum, le menton
net, se pencha et tout à coup jeta un cri de dé-
sespoir : le rasoir avait chû dans l'eau 1
Et ses compagnons, honteux, débarquèrent
sous les quolibets de la foule : ce qui ravit le
farceur bien rasé.
-)('-
L'automobilisme et la chique.
On a constaté en Amérique une augmentation
notable dans la consommation du tabac « à
mâcher » et un grand commerçant de New-
York a pu calculer que l'augmentation va jus-
qu'à 50 Il attribue ce fait à l'usage progressif
des automobiless en observant que ceux qui se
servent de ce magnifique moyen de locomotion
n'ont pas la possibilité de fumer des cigares ou
des cigarettes dans leurs courses vertigineuses,
parce que la cendre, dispersée par le vent im-
pétueux, pourrait nuire au fumeur ou à d'au-
tres personnes de son entourage. Et, pour ne
pas renoncer aux plaisirs que le bon Nicot a
procurés à l'humanité, les chauffeurs et leurs
amis se sont donnés au tabac « à mâcher » et
en ont éprouvé, à ce qu'il semble, un vit plaisir.
-)(-
Les souverains espagnols à Luchon.
Le prince et la princesse de Bourbon-Bra-
gance sont arrivés dans la station-reine des Py-
rénées et se préparent à recevoir leurs Altesses
Royales d'Espagne au château Guran* qui su-
- bit, en ce moment, toutes les appropriations
commandées par l'importance de l'événement.
Les représentants les plus distingués des
aristocraties française, espagnole et anglaise
sont, d'ores et déjà, présents à Luchon, où la
saison bat son plein avec une magnificence
tout à fait digne de remarque.
-x-
Nettoyage parle vide « Soterkenos w.
Pour nettoyer vos appartements, tapis, ten-
tures, même les plus délicates, adressez-vous
à la Société Française du « Soterkenos », 80,
rue Taitbout (tél. 318-12).
Catalogues et devis gratuits sur demande.
-X-
La saison de Vichy offre un tel programme
de distractions, et de plaisirs qu'il n'y aurait
bientôt plus de place pour personne, si, par
bonheur, la station n'était la mieux organisée
du monde au point de vue de l'hospitalité et des
facilités de la vie.
A Vichy, quand il n'y a plus de place, il y en
a encore, et à tous les prix ; mais il faut se
hâter.
On parle d'un auteur arrivé, mais grâce, is-
sure-t-on, à des collaborations féminines :
— Vous savez qu'il a eu des hauts et des
bas.
- Oui, surtout des bas-bleus !.
Le Diable Boiteux.
- '.—— —-———" "-" '-"
Propos du Jour
A la statue captive
J'ai été avec une poignée de fidèles de la patrie,
accomplir le douloureux pèlerinage du 14 juillet
aux pieds de la statue des Provinces-Martyres.
Je n'y ai pas manqué une seule fois depuis.
vous savez quand : il est des dates inutiles 41
rappeler.
Quel calvaire ! te Vous devez souffrir comme un
damné, me disait un jour mon vieil ami Henry
Roujon, quand je lui parlais de nos pays perdus.
C'est vrai • rien ne peut se comparer à ce dé-
chirement perpétuel, à ce désespoir qui va tou-
jours plus profond, plus bas, à cet étonnant isole-
ment dans lequel vivent ici les exilés volontaires
des provinces arrachées à la France lors de .son
dixième démenbrement, isolement d'autant plus
amer qu'il est plus injuste au milieu de ceux pour
qui nous souffrons — et qui s'en moquent.
Les années succèdent aux années en augmen-
tant toujours ce linceuil d'indifférence, de renon-
cement, ,qui pèse sur nous. Nous défilons quel-
ques centaines à peine, perdus dans cette ville
immense, dans cette population babylonienne dont
les miuions d'habitants ne daignent pas s'arrêter
un instant, en allant à leurs plaisirs, pour don-
ner le plus léger témoignage d'intérêt, de curiosité
même, au cortège et au symbole de nos douleurs.
Paris, qui envoie huit cent mille spectateurs à
ses champs de courses ou de foire, ne déplace
pas cinq mille badauds pour Strasbourg en croix.
Il ne veut rien savoir, c'est plus commode. Des
canons Krunp braqués sur les remparts de Metz
et de Strasbourg, des musiques allemandes qui
jouent autour des statues de Fabert et de Kléber,
des milliers de conscrits Alsaciens-Lorrains rui
continuent à se mettre au rang des parias pour
fuir le serment abhorré de fidélité au conquérant
et venir servir la France — à la légion étrangère,
juste Dieu ! — Paris ne sait rien.
Cela le gênerait pour s'amuser le jour de sa
fête nationale, pour aller à ses parades militaires
et théâtrales, à ses revues de Longchamp et de
scafé-concert !
Paris a raison, mes pays ! Il ne faùt pas être
plus royalistes que le roi ni plus français que
la France.
Soyons modestes, ne gÓnons personne, n'en par-
lons jamais, ou n'en parlons qu'entre nous tout
bas, tout bas, comme on parle de santé dans la
chambre d'un malade.
Soyons sages ; on nous tolèrera !
Louis d'Hurcoun.
Le Prix flu Prisiflent Se la RéDubliune
A MAISONS-LAFFITTE
M. FALLIERES A L'HIPPODROME DE
MAISONS LAFFTTTE
Prestige de grosses allocutions, de visites
oifiioieMesr de l'affiche et du panache, une fois
de plus on a constaté ta souveraineté. Maisons-
Laffitte a battu son propre record et au mois de
juillet, sous un soleil un peu ardent, avec des
moyens de communications dénotant plus de
bon vouloir que de commodité, la recette a
presque atteint 70.000 francs. Et M. Ruau a pu
jeter un coup d'œil satisfait du côté des bran-
cards du pari-mutuel, chacun venait apporter
sa bonne galette, dont une partie se réduira
non en fumée, mais en eau potable.
Maisons-Laffitte était en fête ; son pesage
était brillamment garni ; sa pelouse, où flot-
taient des petites bannières, avait son aspect
de petite foire où la musique est le tintement
des pièces de cent sous. Au oentre de sa tribu-
ne, l'or rutilait, le velours s'étalait et tout notre
gouvernement se prélassait. A la deuxième
course, la Marseillaise saluait la venue d'une
automobile conduite par un chauffeur ultra-
chic, aussi chic que Troude ou Monjaret : c'é-
tait le. char 4e l'Etat.
Le président de la République descendait de
cette auto accompagné de Mme et de Mlle
Fallières, et prenait place dans la tribune offi-
cielile. Remarqué à ses côtés : Mrs.:tongworth,
Mmes Autrand et Caron ; MM. Ruau, général
Dalstein, Berteaux, Lanes, Hornèz et Cabanel,
tous les comités des différentes Sociétés de
courses. -
M. Fallières a décidément.J.conquis toutes les
sympathies des sportsmen. On ne peut-pal "être
plus aimable, plus affable que le nouveau pré-
sident, qui saisit avec un à-propos aussi re-
marqué que gracieux, toutes les occasions de
s'intéresser — et de le prouver — aux ques-
tions de notre élevage. Son empressement à
descendre, après la course, dans l'enceinte ré-
servée pour féliciter les propriétaires en a été
une nouvelle preuve. Très sporlman, notre pré-
sident. Avec un tact parfait, il a rappelé aux
dirigeants de la Société Sportive d'Encoura.
gement son œuvre et son essor, et, avec une
bonne grâce charmante, il a décoré son J pré-
sident, M. Robert Papin, sur le champ de ba-
taille, comme il l'a dit avec beaucoup d'à-pro-
pos.
Inutile de dire que cette petite manifestation
a été soulignée par des applaudissements fré-
nétiques. M. Papin est une autorité très sym-
pathique et la marque de distinction dont il
vient d'être l'objet ne peut être accueillie qu'a- ,,
vec une réelle satisfaction par tous.
M. Fallières a également félicité M. Vander-
bilt, propriétaire du vainqueur, et surtout M.
Gaston Dreyfus, son éleveur.
Je serais heureux de vous dire quelques mots
du sport, mais il est plus convenable de donner
un aperçu mondain :
Princesse Murât, robe broderies anglaises ; la
baronne Edouard de Rothschild, en toilette blan-
che ajourée ; mistress Longworth, robe batiste
blanche ajourée ; Mme Bischoffsheim, née de Che-
vigno, toile blanche, redingote guipures blanches ;
comtesse Adhéaume de Chevigllé, tussor belge ;
marquise de Gouy, tussor belge ; comtesse Hélie
de Noailles, crêpe de Chine noir ; comtesse de Che*
risey, toile blanche ; baronne Merlin, toile blanche
brodée ; Mme Fernand Halphen, toute en blanc ;
Mme Mérino, mousseline de soie noire sur trans.
parent blanc - Mme Delorme, en blanc ; vicomtes-
se Foy, toile blanche et guipures anglaises ; com-
tesse Lepic, batiste blanche.
La grande épreuve semblait très ouverte.
mais son résultat, en somme, a prouvé ce que;
nous savions déjà : que Maintenon, qui n'est
pas joli, joli, est un des meilleurs chevaux de
son année. Le vainqueur du prix du Jockey*
Club est d'un tempérament froid, mais il a une
grande qualité. M. Vanderbilt, avec cette veina,
aveugle qui favorise les millionnaires, a eu, la
même année, les deux meilleurs : Prestige et
Maintenon, achetés par le plus grand des ha«
sards.
Hier, parti dans les premiers, il a été repris
avant d'aborder le dernier tournant, puis il est
revenu dans la ligne droite et, à la lutte, il a
eu raison de Punta Gorda.
Parmi les concurrents qui ont figuré, on
peut citer Procope, qui a mené jusqu'à l'entrée
de la ligne droite ; Strozzi, qui a fait un bon
effort, et, c'est tout. Moulins la Marche n'a pas
existé, non plus que Clyde; tous les deux dot.
vent être hors de forme.
Dans cette victoire de couleurs américaines,
on doit voir une nouvelle preuve de notre hos-.'
pitalité et de notre courtoisie.
La fille du président des Etats-Unis a vu le
triomphe d'un propriétaire américain, comma
la venue de S. M. Edouard VII avait coïncidé
avec la victoire du seul produit que nous avions
à ce moment de son étalon Persimmun.
Raymond Isabel.
■ ♦ • » - ■■
La santé de M. Sarraut
Les médecins qui soignent M. Albert Sarrauti
se sont réunis en consultation hier. Voici le bulles
tin qu'ils ont rédigé :
Ville-d'Avray, 15 juillet. - Nuit bonne, état sa"
tisfaisant, pas de fièvre, repos et isolement tou-
jours complets.
On nous affirme, au ministère de l'intérieur, que
les fréquentes informations reçues depuis hier ma-
tin, de Ville-d'Avray, sont très rassurantes, et que
l'état de santé de M. Sarraut va s'améliorant d'heu- ,
re en heure.
Ajoutons que M. Clemenceau et M. Henri Bris-
son sont allés, hier matin, à Ville^i'Avray, pour
rendre visite à M. Albert Sarraut.
A onze heures du soir, le téléphone du ministè-
re de l'intérieur, nous apprend que les nouvelles
sont des meilleures, et que le blessé n'inspire plus
aucune inquiétude à ses nombreux amis.
Ajoutons que M. Antonin Dubost, président du
Sénat, accompagné de M. Dupré, secrétaire géné-
rai; s'est rendu hier à Ville-d'Avray, à six heures.,
Il a chargé Mme Albert Sarraut et M. Maurice
Sarraut de transmettre au sous-secrétaire d'Etat
l'expression de sa sympathie et de ses meilleurs.
souhaits de guérison. -
♦ m » -
Un Musée des Poètes
Shakespeare à Stratford-on-Avon ; Gœthe à
Francfort ; Beethoven à Bonn ont leur musée.;
Celui de Dante, à Florence, est, sans doute,,
aménagé de façon rudimentaire, mais, à Paris,
place des Vosges, les souvenirs de Victor Hugo,
ont trouvé un cadre somptueux.
Il ne va bientôt pdus tenir qu'à la municipa-
lité parisienne que les poètes, les poètes fran
çais, aient aussi leur maison. Là, leurs admU
rateurs pourront feuilleter leurs œuvres auto-
graphes ; contempler les traits sous lesquels
les artistes de leur temps les ont représentés ;
voire, s'asseoir devant la table sur laquelle ils.
écrivirent leurs chefs-d'œuvre.
L'initiative de ce bel et noble projet revient
à M. Emile Blémont, dont on connaît le culte
pour la poésie. M. Alcanter de Brahm, secrée.
taire de la Société des Poètes français, dont
M. Blémont est lui-même président, mène de
son côté le bon combat en faveur de cette ten-
tative. Enfin, M. Quentin-Bauchard, tout acquii
à la cause, la plaidera auprès du préfet de la;
Seine et du conseil municipal, qui en sont déjà
saisis.
Chez M. Emile Blémont, où jû' me suis PM-,
santé cet après-midi, j'ai r le meilleur ac.
cueil. .,;-
Je l'ai trouvé dans son coq»et hôtel de la rue
d'Offémont, qui est à hii^il un musée, parmi
ses livres et ses collectons. Dès que je l'eus in-.,
formé du but de ma visite, il s'empussa de me J
renseigner : '--'.
— En effet, j'ai songé, après le musée Victor,
Hugo, à fonder, dans un esprit plus large, eette
fois, un musée qui serait consacré à to,us les
poètes. La question du local devant abriter,
les collections éventuelles n'était pas la moins
embarrassante. Je vous avoue que je caresse
amoureusement la pensée qu'à Bagatelle nos
poètes trouveraient un cadre approprié, tant
par le paysage, le décor, que par rIa disposition
de l'immeuble lui-même. ,
— Mais, avez-vous l'assentiment de la muni<'
cipalité ?
— C'est précisément là que se trouve, si je
puis dire, le nœud de la difficulté. Et il ne dé<
pend pas, en effet, de moi seul de la trancher.
Ce serait trop beau ! Du conseil municipal,
nous aurons des appuis certains, mais aurollt,
FEUILLETON DE « GIL BLAS » »
du 16 juillet 1906 (34)
La Vie
Littéraire
Georges de Peyrebrune
jugée par ses contemporains
!! - -H:iI
- jOipinions de Hewry Houssaye, Catulle Mendès, Oc-
ve Mirbeau, Armand Silvestre, Mistral, Eugè-
ne Brieux, Joseph Reinachj Henry Fouquier, Ga-
briel Bertrand, etc.
La rumeur est au camp des romancières.
t'est le 14 juiillet qui en est cause, le 14 juillet,
Idate à laquelle les ancêtres prirent d'assaut la
Bastille et les petits-fils prennent d'assaut les
rubans. Je ne sais si M. Aristide Briand, qui
itient à décorer Mme Sarah Bernihardt - certes,
ila belle, la juste action ! proposera cette fois
à la Légion d'honneur une autre femme. Mais,
s'ill veut décorer une romancière, nulle parmi
elles ne mérite davantage — Gil Blas l'a dit et
le répète — cette haute distinction. La preuve
en est facile à faire et, puisque nous avons été
les premiers à présenter la candidature 9e ia
doyenne des femmes écrivains, c'est un agréa-
ble devoir pour le critique littéraire de ce jour-
nal, de réunir en un faisceau les hommages
que rendirent à son talent ses confrères les
plus illustres et de résumer la carrière labo-
rieuse, vaillante, noble et infatigable de Geor-
ges de Peyrebrune.
1 Je viens de recevoir le trente-deuxième volu-
Iffie qu'elle a publié : Dona Quichotta. Ce roman
mérite, en effet, de figurer dans la collection
fiite « Hermine »A par la délicatesse avec laquel-
le est traité le thème, trois fois mis à la scène,
cet hiver, de la Déserteuse. Cela nous change
de tant d'autres romans féminins ou féminis-
tes ; ceux-ci ne sont pas très loin de faire, rou-
gir les hommes qui, souvent, ne valent pas
mieux que les singes. Il ne faudrait pas croire
cependant que l'auteur de Victoire la Rouge et
de Marco ait toujours écrit pour les jeunes
filles. Eille n'appartient pas à la catégorie de
ces ouvrières modérées et rassises qui confec-
tionnent un livre comme d'autres s'exercent à
la tapisserie.
Dans la préface de Deux amoureuses, M. Ca-
tulle Mendès constate que Georges de Peyre-
brune obéit à « l'impérieuse exigence de facul-
tés qui veulent être employées », c'est-à-dire à
la poussée irrésistible de son talent.
M. Catulle Mendès s'adresse à Mme de Pey-
rebrune directement :
Plusieurs femmes, dont quelques-unes ne sont
pas dépourvues de mérite, ont vu, dans l'art ou
le métier d'écrire, une occasion d'indépendance,
ou l'amusement de quelque éclat, ou une res-
source : vous n'y avez vu que la réalisation né-
cessaire d'un besoin inné : vous avez fait des
romans parce qu'il vous eût été impossible de ne
pas en faire ; la fécondité de votre esprit s'affirme
de livre en livre, avec la régularité normale, avec
le naturel, avec le contentement simple d'une ma-
ternité. Ce que je dis, ici paraîtra évident à tout
lecteur perspicace de vos ouvrages. Chez vous,
dans les aujets ou dans le style, nulle recherche
de ce qui peut séduire ou étonner le public par
l'accomodement aux mod-es courantes de la pen-
sée et du langage, ow par la contradiction imper-
tinente,, qui aurait bon air, avec ces modes ; vous
êtes totalement dépourvue de snobisme, et d'anti-
snobisme, ce snobisme aussi.
Le premier qui salua îa Jeune aurore de ce
talent, aujourd hui en pleine maturité, fut M.
Henry Houssaye. La Revue des Deux Mondes,
ten un coup de hardiesse imprévue, venait de
donner à ses lecteurs Marco, histoire à la fois
réaliste et romantique, tragique et tendre, que
M. Tony Révillon avait recommandée à Bu-
loz.
Marco, écrit M. Henry Houssaye, révèle de ra-
res qualités de style, — un style très personnel,
très curieux, très robuste. L'auteur a un sentiment
(profond de La nature qu'il rend dans son impres-
sion de grandeur et ie force. Les caractères, tracés
avec moins de minutie que. de largeur, sont vi-
vants. On sent, dans cette œuvre, la libre inspi-
ration de George Sand et de Gustave Flaubert.
Gioorges de Peyrebrune ne s'arrêtera pas sans doute
à ce premier roman. Pour notre part, nous se-
rions fort surpris si l'auteur de Marco ne justi-
fiait pas bientôt les sérieuses espérances que fait
naître ce livre.
Notez qu'à cette époque, vers 1880, l'esprit
public, et les lettrés eux-mêmes étaient vio-
lemment rebellles à l'éclosion de toute gloire
féminine. Seule, à cette époque, Mme Juliette
Adam conquérait déjà la notoriété. Après
Marco, Gatienne, les Femmes qui tombent, les
Frères Colombo (je ne cite que les romans prin-
cipaux), affermirent la réputation de la nou-
velle Sand. Avec Victoire la Rouge, le triomphe
s'affirme éclatant.
Octave Mirbeau écrit dans Les Grimaces, avec
cette impétuosité généreuse qui le caractérise
lorsqu'il découvre une personnalité, originale
encore, peu connue ou méconnue.
Je Veux parler de Victoire la Rouge, de Georges
de Peyrebrune, ce roman d'un talent si âpre et si
ému à la fois, auquel la critique, retenue ailleurs,
n'a pas fait l'honneur d'une attention sérieuse. Je
voudrais avoir en moi assez de puissance pour
venger à moi seul l'auteur de ce livre de l'injus-
tice commise à son égard. Car, je pense que
Victoire la Rouge est un des romans des plus
complets qui aient paru depuis longtemps.
Par sa vérité d'observation, par la beauté pro-
fonde de ses paysages, par la simplicité savante
de sa composition, et, surtout, par cette pitié qui
entoure cette malheureuse et inconsciente fille des
champs d'une auréole de douleurs si humaines,
Victoire la Rouge mérite d'être classée parmi les
chefs-d'œuvre contemporains. Une émotion vous
prend à la lecture de ce livre, pareille à celle
que l'on ressent devant les tableaux de Millet.
C'estja même compréhension de la nature, la mê-
me froésie franche, la même rudesse qui fait cour-
ber l'homme sur la terre ingrate ,en face des lar-
ges horizons embrasés de soleil ou parmi les clai.
res nuits balayées de lune.
Un tel livre console des inepties .et des ordures,
et il faut que ceux qui aiment les lettréS^l^ saluent
respectueusement, comme au sortir d'un bougé on
a plaisir à saMuer l'honnête femme qui passe. ,
De son mas provençal, le poète de Mireille,
ému par l'épopée rustique et intime de l'infor-
tunée fille-mère, envoya à cette poétesse en
prose un billet tout parfumé de grâce méridio-
nale et d'enthousiasme.
Ma belle Dame,
J'ai lu, moi aussi, Victoire la Rouge, intéressé
d'un bout à l'autre, les yeux souvent humides,
j'ai été étonné, ravi, de voir une femme, une belle
grande. dme, savoir si bien, les cjho&es des
champs, les peindre d'une main si vigoureuse et
se jouer pour ainsi dire, avec tant de naturel, dans
les rudes broussailles de la vie populaire ; vous
avez vécu longtemps parmi les paysans ? Votre
roman est d'une vérité navrante, d'une sincérité
admirable et adorable. Ce drame de la batarde,
livrée à toutes les brutalités des rustres, battue
comme une épave par la férocité des mœurs et
de la destinée, je l'ai rencontré aussi devant mes
(pas. Vous l'avez retracé avec une vigueur super-
be et une piété divine.
Votre roman est une bonne œuvre et une fière
œuvre d'art, je vous félicite et vous félicite de
toute mon âme.
MISTRAL.
En effet, c'est un chef-d'œuvre que Victoire
la Rouge, où passe Tèxistence de cette pay-
sanne, marquée d'un mauvais signe dès sa nais-
sance.
Victoire-la-Rouge avait les senteurs fauves de
sa couleur violente, mêlées à l'âpre fumet de la
terre qu'elle retournait sans cesse, et à la sen-
teur des herbes et des fenaisons, des blés mûrs et
des menthes sauvages, qui tapissent les fossés où
s'endorment parfois les filles de labour.
Le récit de la première chute de Victoire est
d'une narrante intensité. On est arrivé à la sai-
son des vendanges ; la Rouge trime dur avec
les autres. Le dernier jour, Périco, un ouvrier
de la ferme, vers lequel penchait le pauvre
cœur naïf de Victoire, imagina, par grossière
plaisanterie, de la faire entrer dans da cabane
des vignes et de l'y enfermer à clef. A la nuit
tombante, Périco vint délivrer la pauvre fille.
Comme il approchait, il vit de la lumière aux
fentes et la fumée au toit, en même temps qu'il
entendait Victoire qui descellait la porte à grands
ooups de pierre. Elle s était éclairée pour faire ce
travail. Ef comme elle cognait rude, elle avait je-
té Son fichu d'épaules, et celui de Sa tête était tofli-
bé. Elle tirait la porte de toutes ses forces, et Pé-
rico l'entendait râler de l'effort. Tout doucement,
il tourna la clef, et Victoire, qui tirait d'un bon
coup, s'en alla rouler sur les sarments épandus
toute étendue et les bras en croix. Elle geignait,
suffoquée, les cheveux pris dans les brindilles du
bois. Des cheveux magnifiques, roux comme de
l'or, si longs, si épais, qu'ils l'ensoleillaient toute.
Avec cela, elle n'avait au corps que sa chemise et
sa jupe écourtée, et sa peau blanche se voyait un
peu partout.
Périco, qui la regardait sans rien dire, eut une
pensée soudaine, qui lui fit refermer la porte der-
rière lui. D'abord, il pensa que c'était un bon tour
à jouer à la Rouge. Et puis une tentation l'allu-
mait.
Et comme elle allait se remettre debout, il la
rejeta brutalement par terre. Ce fut ainsi que Vic-
toire connut l'amour, et quand quelques mois plus
tard sa grossesse devint visible, on l'injuria, on
s'indigna.
— Tu ne savais pas ? Tu n'avais pas la force de
te défendre, non plus pas vrai ?
— J'ai pas pu, j'ai pas pu. recommençait tou-
jours la Rouge, qui semblait vouloir s'expliquer ;
elle marmottait des mots. Enfin, elle dit : « C'est
pas la force qui m'a manqué, au contraire, c'est
que je ne voulais pas lui faire du mal, parce que,
voyez-vous, avant lui, personne jamais ne m'a-
vait embrassée ! Jamais. Et alors, ç'a m'a tour-
né le cœur ; il m'aurait tuée que j'aurais pas pu
me, défendre. »
Pauvre fille bestiale et touchante 1
Les fermiers ne la jugeront pas digne de pi-
tié. « Tu as travaillé comme un bœuf chez nous,
tu es vaillante, honnête, dévouée,. mais tu ne
t'es pas défendue contre le premier baiser. La
douceur de cette caresse, unique dans ta vie,
t'a perdue. Hors d'ici 1 tu vas être mère, re-
tourne à l'hôpital où tu es née t, là, dans la
honte, possède pleinement le seul orgueil que
doive avoir une femme : celui d'enfanter un
être. » 14
La destinée de Victoire la Rouge sera, non
d'être aimée, mais d'être la servante du désir,
la victime de la maternité. Après ses premières
couches, elle se place dans une maison bour-
geoise, où son rude labeur lui conquiert une
situation, qu'elle a lieu de croire durable, mais
un soir de mariage, après les fêtes et les repas
qui le suivirent, quand, la nuit venue, haras-
sée de fatigues, elle va dans l'étable se jeter sur
une botte de palllle, un nomme la surprena aang
son sommeil et, pour la seconde fois, ses rO:-I
bustes flancs serontf fécondés.
Et elle avait des heures d'hébétement, le regard
vague, fixé devant elle, dans l'immobilité de tout
son corps et l'oubli du travail commencé. Puiat
elle se remettait subitement à l'ouvrage dans des
à-coup de fureur ; contre lui ? Elle n'en savaitf
rien. C'était le malheur qui la poursuivait. Et elle
se levait, et elle rabaissait le bigot ou la pioche,
faisant des entailles énormes dans la terre,
comme si, à force de creuser, toujours plus bas,:
elle allait y cacher sa faute. Et voilà que son;
ventre montait, montait. Bientôt elle ne pourrait
Ktis fe cacher, et on allait la jeter à la porte em
lui criant des injures.
Dans ces heures de colère et d'effroi, où elle se
tenait accroupie tassée et comme acculée à la
haie qui la cachait, semblable à une bête, avec
son poil fauve qui lui tombait sur les yeux, et sesf
mamelles lourdes, et ses mains crispées sur laf
terre comme des griffes sanglantes au bout d'un!
bras raide et roux, guettant pour n'être pas sur"!,
prise — quelquefois passait au loin, vers la cou-
lée des prés, quelque vache lente et rêveuse, brou-
tillant, la tête retournée vers le petit, blond et
tendre, qui la suivait en piquant du nez sa ma-
melle pendante. La Victoire attachait sur eux
ses yeux agrandis ; elle souflait plus fort, en
regardant sans lâcher, l'allure rythmée de la va-
che paresseuse, battant ses flancs féconds- de saI
queue doucement balancée, ou s'arrêtant, la
jambe écartée, pour livrer son pis gonflé à son
petit, qui mordillait et tiraillait la tête penchée,
flageolant sur ses longues jambes fines de nou-o
veau-né.
Et Victoire s'aubliait à crier, le poing en avanvr
tout aveuglée de larmes. « Elle est heureuse, au
moins, celle-là. ! » Et la pauvre triste fille, en proie
à l'horrible peur d'être de nouveau chassée, inju-*
riée, ira un jour qu'on la croit occupée aux champef
senfant les premières douleurs, venir accoucher;
dans un fossé. et comme l'enfant criait, et qu'mil
homme passait, affolée, pour faire taire ses va-
gissements, eJIle mit son pied nu sur la bouche de
son petit. quand elle le retira. il était mort.,
Alors toutes les hontes, toutes les douleurs:
toutes les humiliations l'assaillirent. Son çriméf
déoeuyert, la Rouge sera emprisonnée, jugee
et edflnamnée à cinq ans de travaux forcés. Et
le père ? Ah bien ! oui, le père 1 elle ne l
jamais revu, il est en garnison quelque pad..
il s'inquiète bien d'elle, le père.
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