Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1909-04-21
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 21 avril 1909 21 avril 1909
Description : 1909/04/21 (A30,N10762). 1909/04/21 (A30,N10762).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/07/2012
• *
) 30- ANNEE. — NUMERO 10782. PARIS BT DfiP&OTBHBmft : I* HtOttéro 15 Centimes MERORËDI 21 AVA1L 1909.
A. PERIVIER — P. OLLENDORïT
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Les Manuscrits ne sont pas rendus
« Si lu me lis avec attention, tu trouveras ici, suivant le précepte d'Horace,
futile mêlé à l'agréable ».
I (Préface de Gil Blas au lecteur)
ANDRÉ PUTZ
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- leine et s«ine-«t-0iM. 18 60 28. 60 »
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8, PLACR DB LA BOURSE, 8
Et à ladministration du Journal
- Noms de Navires
On vient de lancer à Saint-Nazaire le Dide-
rot, et l'on se prépare à lancer le Condorcet,
en attendant le Danton. Et je me permets de
trouver tout à fait ridicules les noms dont on
affuble nos navires de guerre.
Je ne sais pas quel bureaucrate idéologue,
quel Anaoharsis Klotz du rond-de-cuir, choisit
ces noms. Il est probable que c'est une com-
mission. Mais dans tous les cas, les inventeurs
de ces appellations grotesques contribuent,
dans la mesure de leurs moyens, à augmenter
la réputation d'incohérence de notre manne.
Passe encore pour Danton. Il a été, n'est-ce
pas, « le formidable tribun ». C'était un
homme de combat. Mais Diderot 1 Mais Con-
dorcet I
Inscrire sur le couronnement d'un vaisseau
île guerre ces noms qu'on saluerait sur le fron-
ton d'une bibliothèque ou d'une faculté ; met-
tre ces instruments de inort que sont les cui-
rassés sous l'invocation de la philosophie,
c'est de la pure et simple imbécillité.Si l'Eglise
était restée unie à .l'Etat, je ne désespérerais
pas de voir un jour baptiser an croiseur le
Fénelon, et un cuirassé de Saint-Vincent-de-
Paul. Au fait, je recommande à ces messieurs
de la commission les noms de ces philanthro-
pes laïques que sont MM. Frédéric Passy et
d'Estournelles de Constant. On ne s'en éton-
nera pas beaucoup plus que de voir affubler
un vaisseau des noms d'Ernest Renan ou
d'Edgard Quinet.
A quelle psychologie répond le nom d'un
navire ? Elle est à peu près la même que celle
du « vocable » d'une église.
Le vocable d'un bâtiment, c'est une sorte de
patronage, qui contient à la fois un souvenir
et un exemple. Il doit agir sur l'esprit des
marins en les encourageant à se montrer di-
gnes de cet. exemple et de ce souvenir. On
prend alors un capitaine célèbre ou une gran-
de bataille : le Jean-Bart, le Magenta. Parfois
aussi ce vocable est an de ces mots qui résu-
ment un devoir ou affermissent une espé-
rance : l'Indomptable, le Victorieux, Ylnvin-
- cible. On a été,-il faut le reconnaître, jusqu a
la gasconnade empanachée : le Foudroyant,
la Dévastation ! A tout prendre, cela valait
mieux encore, au point de vue militaire, que
les invraisemblables dénominations actuelles.
A la vérité, on sortait quelquefois du pro-
gramme. Mais c'était pour peindre sur les
poupes d'engageantes appellations mythologi-
ques : la Vénus, la Junon ; de jolies épithètes :
la GTacieuse, l'Elégante, 'lesquelles donnaient
aux fines corvettes je ne sais quel iprestige
féminin, qui doublait de galanterie française,
chez le matelot, son amour pour son bateau.
•A moins encore qu'on ne mit dans le voca-
ble toute l'énergie populaire de la Révolution,
comme dans cette héroïque Brûle-Gueule, que
monta le brave Dutertre, et qui justifla crâ-
nement son nom. Les Anglais s'en souvien-
nent encore !
* •
Donc, les noms actuels sont de véritables
non-sens.
Mais, .l'incohérence ne s'arrête pas là.
A côté des bateaux qui ont des noms absur-
des, il y a toute la catégorie de ceux qui n'ont
pas de nom du tout, et qui sont désignés par
de simples numéros.
Et c'est encore là une bêtise. Il ne faut pas
négliger ce qui peut exciter l'émulation des
équipages. Or, pour Je 'marin, son navire,
si modeste soit-il, devient une petite patrie
dans la grande. Le matelot ira jusqu'à tirer
une vanité, puérile soit, mais utile, du nom
'de son bâtiment. Interrogez deux marins sur
le bateau auquel ils appartiennent. Celui qui
vous répondra : « Je suis embarqué sur le
Duguay-Trouin », aura un ton tout différent
de celui qui vous dira : « Je suis sur le tor-
pilleur 83 ». L'un et l'autre sentent que le
premier a un état-civil, un ancêtre, un nom
qu'on retient, et que le second est un numéro
perdu dans d'autres numéros, qui ne dit rien
au souvenir et n'appel'le pas la mémoire.
Mais, dira-t-on, on donne bien de simples
numéros aux régiments ?
La situation est toute différente. Les an-
ciennes dénominations des * régiments gar-
daient l'empreinte des provinces. Elles ont
disparu dans la grande unification révolution-
naire comme les provinces elles-mêmes ont
été fondues dans la nouvelle division en dé-
partements. Il fallait affermir par tous les
moyens la République une et indivisible. Il
était tout à fait logique qu'il n'y eût plus de
régiment de Champagne, puisqu'il n'y avait
plus de Champagne.
Mais pour nos bâtiments, on ne peut rien
invoquer de pareil. Aucune raison n'oblige à
supprimer les noms. D'autant plus que rien
n'empêcherait de continuer à numéroter les
petites' unités pour les commodités adminis-
tratives, tout en leur donnant un état-civil. Et
il y aurait là un moyen de rendre hommage
à des quantités de bons serviteurs de la
France dont les noms ne sont pas de tout pre-
mier plan, par exemple, à ces braves corsaires
dont les ports bretons gardent un souvenir
qui ne franchit guère leurs vieilles murailles.
On pourrait, aussi, commémorer les épisodes
maritimes honorables qui fourmillent dans
nos annales. Et il y aurait là une utile leçon
d'histoire.
Nous expliquera-t-on, au surplus, pourquoi
on , donne des numéros aux torpilleurs, alors
qu'on donne des noms aux sous-marins ?
*%
Il est vrai que, comme on trouve, à la ma-
rine, le moyen de mettre de l'incohérence
dans l'incohérence, il y a des sous-marins qui
ont des noms et il y en a d'autre qui n'en ont
pas.
Seulement, ceux-ci ne sont pas désignés par
de simples chiffres. Ce chiffre est précédé
d'une lettre, et quelle lettre !
M. Alfred Picard est allé, l'autre jour, en
visiter deux, à Cherbourg. Fis s'appellent le
Q 73 et le Q 74 !
Evidemment, l'impassibilité scientifique des
ingénieurs a beaucoup de droits. Mais quand
cette impassibilité atteint un certain degré,
on est fondé à se demander si elle ne confine
pas au flegme des pince-sans-rire.
— A bord de quel bâtiment êtes-vous, com-
mandant ?
- A bord du Q 73, madade,
Et le succès du professeur d'histoire de
l'avenir, lorsqu'il racontera à sa classe :
— Cette année-là, le Q 74 fut mis à l'eau.
Et les poètes patriotes, lorsque, sur le
rythme de l'ode du Vengeur, ils s'écrieront :
Des marins de la République
Montaient le « Q soixante-treize 1 »
Le plus curieux de l'affaire, c'est que les
gens qui ont fait cette trouvaille en ont été si
contents, si contents, qu'ils l'ont généralisée.
Ouvrez le budget 'de 1909, et vous verrez, aux
Constructions Neuves, qu'il y a quarante sub-
mersibles, ni (p'ius ni moins, qui ont pour pré-
nom Q, et pour nom un chiffre partant de 70
pour atteindre 110 !
Les mathématiciens, j'aime à le croire, n'y
entendent pas malice. Nous l'avons tous ap-
pris au collège quand nous avons abordé les
équations du second degré : x* + px + q = 0
Us mettent les lettres comme elles leur vien-
nent. Il en est, cependant, qu'ils proscrivent.
Ainsi, ils n'emploient jamais le J, parce que,
dans les démonstrations, il serait possible de
le confondre avec l'I.
Il y a donc un précédent. Et puisque les
ingénieurs bafouent ainsi le J, est-ce qu'ils
ne pourraient pas donner le même coup de
pied au Q ?
Georges Price.
La Politigue
Les Conseils généraux
et le syndicalisme
Les Conseils généraux tiennent en ce mo-
ment leur session. Il est indispensable, dans
les circonstances présentes, que ces assem-
blées provinciales, qui puisent dans le contact
permanent de leurs membres avec le pays une
autorité particulière, prennent énergique-
ment l'initiative d'éclairer le gouvernement,
sur les sentiments de l'immense majorité de la
nation vis-à-vis du syndicalisme, et lui tracent
avec fermeté son devoir.
Ces vœux peuvent évidemment affecter des
formes différentes, s'inspirant tout naturelle-
ment des considérations locales. L'Alliance
Démocratique Républicaine a trouvé une for-
mule qui a été soumise au Conseil général de
la Haute-Garonne par M. Ourriac, et qui ré-
sume la question en bORS termes. Mais les
Conseils généraux ne s'astreindront certaine-
ment pas au vote d'une formule unique et
identique. L'essentiel, c'est qu'ils traduisent
le mouvement d'opinion du 'pays et montrent
au gouvernement qu'il sera appuyé dans la
lutte qu'il est appelé à soutenir.
Au surplus, il est un membre du cabinet qui
a posé la qestion avec sa netteté habituelle.
M. Caillaux, élu président du Conseil général
de la Sarthe par 20 voix sur 27, en remplace-
ment du regretté M. Le Qhevalier, s'est ex-
primé ainsi dans son discours de remercie-
ment à ses collègues :
C'est la même bonne volonté, la même bonne
foi que le gouvernement apporte et qu'il apportera
dans l'examen et la discussion des questions qui
surgissent à mesure que surviennent des trans-
formations économiques, que se préparent des évo-
lutions sociales, à mesure que s'imposent des mo-
difications dans nos méthodes administratives.
Mais il n'oublier a pas davantage qu'il a une mis-
sion essentielle à remplir : celle de rappeler avec
l'énergie nécessaire à ceux qui se réclament de
leurs droits qu'ils ont vis-à-vis de leur nays d'im-
prescriptibles devoirs, et qu'en aucun cas, sous
peine de faillir à sa tâche, le gouvernement de la
République ne peut céder devant des manœuvres
comminatoires ou violentes, puisqu'il ferait incli-
ner devant des factions la nation entière dont il
est le représentant.
Au-dessus de la liberté- des individus et des
groupements, il n'y a qu'une chose, mais il y en a
une : c'est l'autorité de la nation.
M. Caillaux montre le but à poursuivre et
fixe en même temps les devoirs du gouverne-
ment : étudier de près les phases de l'évolu-
tion sociale, déterminer ses limites avec libé-
ralisme, mais maintenir ces limites avec fer-
meté. Il établit en même temps d'une façon
très claire les bases sur lesquelles peuvent
s'appuyer les vœux des Conseils généraux.
Ces déclarations constituent un véritable pro-
gramme.
Le ministre des finances a parlé en homme
de gouvernement. Nous voulons supposer que
le cabinet tout entier est d'accord avec lui. On
serait heureux, cependant, d'en avoir la con-
firmation.
C'est aux Conseils généraux qu'il appar-
tient de l'obtenir.
Il faut qu'ils se déclarent, au nom de leurs
commettants, formellement résolus à ne pas
laisser se développer un Etat dans l'Etat. —
Nous disons se développer, et non se consti-
tuer, parce que, hélas ! il est déjà constitué.
— Et il faut que le langage de ces assemblées
départementales soit assez haut, assez ferme,
assez unanime, pour que le gouvernement
soit forcé de répondre.
Si les Conseils généraux manquent à ce de-
voir, tant pis. Quand on s'abandonne soi-
même, on n'a plus à se plaindre d'être aban-
donné.
GIL BLAS
——————————— eo ————————
Echos
Les Courses.
Aujourd'hui, à deux heures, courses au Trem-
blay.
Pronostics de Gil Blas :
Prix Darioletta. - Ptolomée, Zerline Il.
Prix Barbette. — Sedge Moor, Ganga Chata.,
Prix Sultan. — Ma Chérie, Susquehanna.
'Prix Fiung-Dutchrnan. - Rose Noble.
Prix Bay-Middleton. - Florimond Robertet, Ma-
lachite. -
Prix Payment. — Roscoff, Lagadec.
MARINE ET MARINS
Quand je vous annonçais que cela ne pour-
rait pas durer longtemps ! Depuis quelques
années, et particulièrement depuis • quelques
mois, on disait trop de mal de notre marine !
On attestait avec trop d'empressement qu'elle
était la dernière des marines. On éprouvait
une certaine volupté et une volupté certaine à
constater notre effroyable décadence. Où al-
lait-on ? Où voulait-on en venir ?
On voulait en venir à l'éloge bien senti de
cette marine si vigoureusement décriée. Voici
que maintenant l'éloge commence.
Des gens qui n'avaient pas autre chose à
faire ont présidé au lancement de notre cui-
rassé du modèle le plus nouveau : le Diderot,
ainsi nommé parce que Diderot ne fut jamais
marin. Ce lancement fut bitm entendu, suivi
d'un banquet, et ce banquet fut naturellement
suivi de discours. Et M. Charles-Roux qui pré-
sidait, car il est dans son destin de présider
toujours, pérora, car il est dans la destinée des
présidents de toujours pérorer.
Mais il pérora utilement. Cela ne saurait
surprendre ceux qui connaissent M. Charles-
Roux. Il exalta la marine française et les ma-
rins fran.çais.n n'oublia guère que d'exalter Di-
derot. « Je n'ai pas la prétention de soutenir,
affirma-t-il, que tout est pour le mieux dans
le meilleur des mondes, mais il me semble
que, au lieu de mener si grand tapage, il eût
été préférable de panser nos blessures en fa-
mille et de ne pas proclamer urbi et orbi que
la France n'existe plus comme puissance na-
vale. » Et il ajoutait : « Malgré les difficultés
de l'heure présente que personne ne conteste,
il ne paraît pas admissible de se laisser aller
à un tel pessimisme, à une pareille abdication
qui équivaudrait en fait à un véritable sui-
cide. »
Parfait ! tOr, récemment, M. Charles-Roux
présidait — il préside toujours—une conféren-
ce extrêmement documentée faite sur la mari-
ne par un de nos plus spirituels Parisiens, et
qui était très sombre en ses conclusions.
Après le pessimisme, l'optimisme. Il fallait
s'y attendre. D'ici à Meux ans, on jugera que,
si tout n'est pas pour le mieux, tout est bien
et que cela suffit.
J. Ernest Charles.
-)(-
IL Y A CENT ANS
Mercredi 21 Avril 1809.
— De Valladolid, Napoléon écrit au comte Fou-
ché : « Nous sommes en 1809. Je pense qu'il serait
utile de faire faire quelques articles, bien faits, qui
comparent les malheurs qui ont affligé la France
en 1709 avec la situation prospère de l'Empire en
1809. Vous avez des hommes capables de faire, sur
cette matière fort importante, cinq à six bons arti-
cles qui donnent une bonne direction à l'opinion. »
- ■ ) < -.- - ( ————
LE BOULEVARD
« Hue donc, Clemenceau t)
Voir son nom donné à un cheval de course,
fût-il en plomb comme les étalons du Raeing-
Plomb Club, est le signe de la gloire. Mais à
un âne 1
Il y a deux ou trois matins, une brave mar-
chande de quatre-saisons, la trique à la main,
tirait par la bride an boairriquot attelé à la
carriole, dans la montueuse rue des Martyrs.
Soudain ranimai patient, doux et têtu, s'ar-
rête à mi-côte, refuse le service, et se met à
braire du haut de sa tête, tel un ténor à mille
dollars la séance.
Madame Crainquebilile attend que l'aubade
soit finie. Puis soudain : « En route mainte-
inant, Clemenceau 1 » Clemenceau s'obstine,
et ne démarre pas. Coups de trique. Clemen-
ceau ne bronche pas. « Hue donc, Clemen-
ceau, sale bête ! » reprend la fruitière ambu-
lante et irascible.
La fouie s'attroupe. Clemenceau est rivé au
sol. Clemenceau secoue ses longues oreilles
poilues. La fruitière redouble d'imprécations.
En moins de cinq minutes, un petit télégra-
phiste, un mitron, deux midinettes et un
zingueur, criaient, amusés, faisant chorus.
« Hue donc, Clemenceau, sale bête ! »
Si M. Sembat avait passé par là, il eût été
ravi.
Le plus beau vers (suite).
Le concours du « plus beau vers » institué
par l'Intransigeant ne manque pas de nous
apporter chaque jour un peu d'amusement.
Hier un lecteur enthousiaste et de sens cri-
tique donnait comme ivers le plus beau, celui-
ci de Verlaine :
Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville.
Le lecteur enthousiaste ne sait donc pas
qu'il y a là deux vers et qu'ils sont écrits
ainsi :
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Un autre proclame avec Alfred de Musset
que
Les chants désespérés sont les chants les plus
[beaux.
mais Alfred de Musset avait écrit : .—
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux.
Peu importe après tout, pourvu que l'enthou.
siasme y soit.
-X'-
Un autographe de Greuze.
Parmi les cinquante portraits de l'école fran-
çaise, qu'on admirera dès demain dans la
salle du Jeu de Paume, ,il est une curieuse
image d'une dame Deviette, due au pinceau
de Greuze, et qui appartient à Mme la mar-
quise d'Estampes.
En prêtant ce portrait à' lArmand Dayot, la
marquise d'Estampes a bien voulu donner à
notre éminent confrère et ami, copie d'un au-
tographe de Greuze, daté de l'époque où Jean-
Baptiste peignit Mme Deviette.
Voici le texte de cet autographe :
Je certifie que, dans l'année mil sejft cent qua-
tre-vingt-onze, j'ai fait pour M. Deviette le por-
trait de Mme son épouse, plutôt par amitié que
par intérêt, lequel il me demanda pour sa propre
jouissance, et je certifie, de plus, que je me char-
geai, pour l'obliger, de faire faire, par de Bréa,
peintre en miniatures, une copie de ce même por-
trait, pour être placée sur une tabatière qu'il des-
tinait à son beau-père.
Le potage aux hannetons.
Les poètes chinois ont chanté la soupe aux
nids d'hirondelle, mais saviez-vous que Bau-
delaire eût décrit, aimé, regretté, le potage
aux hannetons ?
C'est le docteur Fabre, baudelairien fervent
et directeur Ide la, revue le Centre médical,
qui nous l'apprend, en exhumant ce sonnet
sentimental à la fois et culinaire du poète des
Fleurs du Mal. ,
LE POTAGE AUX HANNETONS
0 temps des grands amours, ô jeunesse passée !
Le petit restaurant était au fond des bois.
Quel calme !. Dans la soupe aussitôt que versée,
Un lot de hannetons s'abattait chaque fois.
On les sentait craquer sous la dent agacée,
Leurs pattes du palais éraflaient les parois ;
Comme un fil de la Vierge, en la masse écrasée,
Un long boyau filant s'enroulait à nos doigts.
Vous en souvenez-vous, ô ma maîtresse blonde,
Combien l'odeur était âcre et nauséabonde ? •*
Et ce goût, qui toujours, vingt-quatre heures vous
[suit !.
Ce sont des jours pourtant que je pleure, madame,
Et leur souvenir tremble ,au lointain de mon âme,
Comme une pure étoile en l'ombre de la nuit !
M. Chéron va-t-il introduire cet original rata
dans les chambrées ?
■ 1 1"
Une mçin bien assurée.
Le célèbre virtuose du violon, 'Jean Kubelik,
sera'bienbôt dans nos murs. Nous l'entendrons
à nouveau moudre d'inexécutables concertos
dignes de l'archet diabolique d'e Paganini.
Vous pensez bien que l'Houdini du violon
a pris toutes ses précautions pour sauvegar-
der tous les intérêts considérables que repré-
sente son talent.
Il vient d'assurer les cinq doigts de sa main
droite pour-la somme de trente mille francs
par concert et les cinq de sa gauche pour vingt
mille francs.
-Chaque phalange des doigts de l'une et l'au-
tre main est tarifée suivant son importance
fonctionnelle. Cette arithmétique est un peu
compliquée, mais Kubelik ne craint du moins
ni foulure de poignet, ni cassuile de phalange.
Remarquons d'ailleurs qu'il n'aurait aucun
intérêt matériel à suibir une des détériorations
mentionnées au contrat d'assurance, puisque
ses concerts lui rapportent, bon an mal an,
un gracieux petit million.
-x-
« Gambetta », par Gambetta.
C'est le titre du nouveau volume de M. P.-B
Gheusi, qui vient de paraître. Léon Gambetta
revit plus glorieux, plus grand encore, dans
ce livre d'une indiscutable fidélité historique.
Des lettres émouvantes, des souvenirs de fa-
mille et des documents définitifs y méttent en
vive lumière cette grande figure.
M. Fallières a conté sur Gambetta, ce sou-
venir émouvant que rappelle M. Gheusi :
.Un jour, au palais de Versailles, il y avait eu
séance très mouvementée. La nuit était venue ;
chacun était las. Gambetta monte à la tribune.
Nous étions tous deux, Sénard et moi, au sommet
des gradins. En pleine verve et splendide d'allu-
re, comme il eut vite réveillé cette salle endormie !
Nous écoutions, non pas charmés, mais comme pé-
trifiés par ce flot dominateur ; et Sénard, me pre-
nant par le bras, me dit à voix très basse : —
« Regardez donc t. c'est Mirabeau ! » Pas un
mot de plus, — et peut-être l'illustre avocat n'au-
rait-il pas eu la force de le dire.
Le président de la République se souvien-
dra de ces lignes, au moment où il va inau-
gurer, à Nice, le monument de GambetLa.
Les inconvénients de la télégraphie sans fil.
Jusqu'à présent, les traversées transatlanti-
ques pouvaient, en raison de leur calme abso-
lu, être recommandées aux personnes ner-
veuses peu sujettes au mal de mer.
Désormais, il faudra renoncer au plaisir de
ne recevoir ni journaux ni nouvelles. La télé-
graphie sans fil, qui vient, en plusieurs cir-
coi stances, de faire ses preuves, sera pro-
chainement installée sur tous les narmebots.
Chacun d'eux sera relié aux gramdes capitales
et publiera des dépêches circonstanciées sur la
prise de Constantinople par les Jeunes-Turcs,
sur 'la question Chantecler, la Jacquerie de
l'Odse, etc., etc. On jouera au pari mutuel
par le moyen de la télégraphie sans ftl ; on
traitera ses affaires, comme si on n'avait ja-
mais quitté Paris ou New-York ; on lira le-der-
nier discours de Guillaume II, le dernier ro-
man /'1,0, M. Paul Bourget, la dernière pièce de
M. Bernstein.
On pourra se croire encore sur les boule-
vards, moins le mal de mer bien entendu 1
La langue simiesque.
On se souvient d'un certain professeur de
Chicago, nommé Richard Garher, qui se pro-
posa d'aller étudier sur place le langage des
singes.
Après s'être retiré quelques mois dans les
forets du Congo central pour y poursuivre
ses études, il vient de nous donner de ses
nouvelles.
Le professeur Garner n'a pas encore été
mangé par les tigres ni par ses frères anthro-
pophages. Et il a pu se persuader que les
singes parlent, autrement que nous, mais
comme nous.
Il se prépare à nous donner tout prochai-
nement un lexique complet de leur langue
avec traduction exacte dans tous les idiomes
européens.
:nsi il a noté les noms sans signification
littérale, exprimant la colère, la crainte, la
jalousie, la sympathie, rappel de la mère à
ses petits et la réponse de ceux-ci. Il a de mê-
me enregistré un certain nombre de mots qui
lui ont permis de tenir des conversations sui-
vies avec ses amis de la race simiesque.
Pour exprimeT là faim, les singes pronon-
cent « Koui » ; « Où es-tu ? » se traduit par
« Our'h ; « Ici » par « Qu'nh » ! « Ki-iou » est
le signal d'attention, et « Ki-iou-iouh » celui
de prendre la poudre d'escampette.
Au fait, pourquoi la langue si'miesque ne
deviendrait-elle pas langue universelle ? Elle
vaut bien l'Espéranto !
---
Beethoven et sa cuisinière.
A propos du beau drame de M. René Fau-
chois dont le succès s'accentue un peu plus
chaque jour, on a beaucoup discuté sur le
point de savoir si le poète de la Fille de Pilate
avait tracé un portrait du compositeur vrai-
ment conforme à la vérité historique. Il en est
d'ailleurs de mêlme chaque fois qu'un auteur
dramatique met à la scène un personnage qui
a réellement existé; et vous n'avez sans doute
pas oublié les savants articles que je ne sais
plus quel érudit consacra aux « erreurs de
documentation historique dans Cyrano de
Bergerac ».
Je ne sais si les historiens ne trouveraient
rien à reprendre au Beethoven que nous a
restitué M. Fauchois ; mais je sais fort bien
que si celui-ci avait voulu nous peindre le
compositeur de Fidelio tel qu'il fut réellement,
il aurait du mettre en scène le plus Insuppor-
table des maîtres de maison, perpétuellement
en dispute avec sa cuisinière.
Lisez en effet cet extrait d'un des « carnets
ide poche » de Beethoven, qui sont précieuse-
ment conservés au British Muséum :
31 janvier. - Renvoyé le domestique.
15 février. - Pris une cuisinière.
8 mars. - Renvoyé la cuisinière.
22 mars. — Pris un domestique.
1er avril. — Renvoyé le domestique.
16 mai. - Renvoyé la cuisinière.
30 mai. - Pris une femme de ménage.
1er juillet. - Pris une cuisinière.
28 juillet. - La cuisinière s'en va. Quatre mau-
vais jours. Mangé à Lerchenfeld.
29 août. — Congédié la femme de ménage.
6 septembre. - Pris une bonne.
3 décembre. - La bonne s'en va.
18 décembre. — Renvoyé la cuisinière.
22 décembre. — Pris une bonne.
Evidemment, vous allez en conclure que le
grand compositeur n'était pas d'humeur com-
mode et qu'il n'était pas facile à servir. Mais
venez donc me parQer maintenant de ces do-
mestiques d'autrefois qui étaient des modèles,
qui naissaient et mouraient dans la même
maison. Allons, allons 1 nos grands-pères
étalent tout aussi mal servis que nous.
Shake-hand meurtriers.
L'hygiène est une science bien tyrannique.
Voici maintenant qu'elle nous interdit de pro-
diguer à tort et à travers les poignées, de
mains.
Un médecin, qui n'est ni Gascon ni Améri-
cain, a établi dernièrement qu'une pression
mutuelle des mains n'est - autre chose que
l'échange d'un nombre infini de microbes, en-
viron quatre-vingt mille par décimètre carré
d'épiderme.
Cependant, ce bon docteur veut bien distin-
guer. Il y a poignée de main et poignée de
main comme il y a Martin et Martin. Les plus
dangereux shake-hand sont ceux des méde-
cins, des nourrices,, des coiffeurs, des charcu-
tiers. des tanneurs, des libraires d'occasion ;
les Dlus inoffensifs sont ceux des pharmaciens,
des avocats, des agriculteurs, des rentiers et
propriétaires, quand ils sont propres.
Cette révélation sensationnelle ne manquera
pas de modifier les conditions de noire «iteet
surtout les mœurs électorales. Jusqu'à présent
les élections législatives se faisaient à coup de
poignées de mains et de petits verres chez le
bistro. Désormais il ne restera au malheureux
candidat pour séduire la foule de ses élec-
teurs que les petits verres. Mais il s'y ruinera
et s'y gâtera l'estomac en même temps qu'il
compromettra gravement la longévité de ses
électeurs.
Le courrier des « Unie ».
Extrait d'une lettre de M. Malassis de la
Cussonnière, château de la Rimblière, à Cui-
sai, par Alençon (Orne), à la Société des Au-
tomobiles Unie, 1, quai National, Puteaux.
Lettre du 28 janvier 1909.
« Je suis toujours enchanté de la marche par-
faite de la machine, de sa faible consommation,
elle me donne une sécurité absolue, montant sou-
vent des côtes à 8 et 10 pour cent sans la moindre
faiblesse.
« Recevez, Monsieur, avec toutes mes félicita.
tions, l'expression. »
Un Anglais et un Français se battaient au
pistolet. Le premier, au moment de tirer, n'é-
tant pas encore bien décidé à se battre, dit :
— Parlementons.
— Soit, dit l'autre. Et la balle vint briser
da mâchoire de son adversaire.
Le Dlahla holldtm.
.90
Propos du Jour
La camelote -:.
Autrefois, lorsque je lisais les atrocités de nos
guerres de religion ou de nos crises révolution-
naires, je me laissais aller à des mouvements pué-
rils de réprobation pour les massacreurs.
Je croyais, naïvement, qu'il n'y avait riea de
plus vil au monde qu'un baron des Adrets, un
Jourdan coupe-têtes ou un Trestaillon.
Puis j'ai vu la Commune. J'ai contemplé de mes
yeux ces scènes horribles dont la lecture ne m'a-
vait donné qu'une bien faible idée.
J'ai suivi, de la place de la Bastille au canal
Saint-Martin, une foule ignoble qui s'acharnait
sur un malheureux gardien de la paix, le frappant,
le traînant, le làdhant, le rattrapant pendant des
heures avant de le jeter à l'eau définitivement.
J'ai vu les gardes nationaux fusiller les géné-
raux et accueillir à coups de fusils nos prison-
niers rentrant d'Allemagne, sous l'œil réjoui des
Prussiens de l'armée d'investissement.
Je trouvais tout cela infiniment triste, mais en-
fin ce n'était pas ridicule. Il y avait encore une
certaine grandeur dans ces convulsions d'un peu-
ple aux abois.
Dans les deux camps, il y avait de braves gens
qui risquaient leur vie pour défendre leurs opi-
nions, qui, de bonne foi, se croyant tyrannisés, en
appelaient aux armes pour défendre ce qu'ils
avaient de plus cher au monde, leur patrie, leur
religion, leur foi politique.
Mis au pied du mur — c'est, hélas ! le terme
exact —r- ils ne songeaient pas à tergiverser, à
biaiser, pour sauver leur peau. Alors encore en
France la lâcheté était considérée presque unani-
mement pour la pire des tares.
Que les temps sont changés ! De l'horreur Je la
guerre étrangère, notre population a passé tout
doucement à la sainte terreur de la guerre civile.
Ce n'est pas un mal, mon Dieu ! je le sais bien.
Ce serait même un très grand progrès si cela
attestait un retour à l'union nationale.
Mais il n'en va pas tout à fait ainsi. L'on se dé-
teste, l'on s'injurie, l'on se calomnie nour le moins
autant que par le passé. -
Mais au lieu de se battre l'on se fait des niches,
ou l'on s'envoie du papier timbré. Les catholiques,
chassés de leurs sanctuaires, criant urbi et orbi
que l'on opprime leur foi, que l'on persécute leurs
pasteurs, ne retrouvent plus pour se défendre les
faulx emmanchées à revers des Vendéens de" Gha-
rette ou les carabines des gardes-chasses de Stof-
flet. Ils jettent des ordures à la police, qui leur ré-
pond par des jets de pompes à incendie. Et tout est
dit.
Et maintenant, voilà la guerre des camelots. A
ceux du roy - ô les compagnons du Béarnais !
les fiers gentilshommes à bec d'aigle et aux lon-
gues rapières — voilà qu'il est question d'opposer
les camelots du peuple.
Et ils iront chacun de leur côté, à la nuit tom-
bante, barbouiller les monuments qui leur déplai-
sent. Et quand deux de leurs bandes opposées se
rencontreront, ils combattront à coups de pin-
ceaux et de pots à colle.
Ce n'est pas la poudre qu'ils feront parler, mais
la poudrette.
Et ces gaillards-là ont le toupet de fêter Jeanne
d'Arc d'un côté et Danton de l'autre.
Où sont les héros du cloître Saint-Merry ou de
la Pénissière ?
Quelle histoire de France que celle de nos con-
temporains ! Histoire de pacotille, histoire de ca-
melote ! 1
Louis d'Hurcourt.
——————————— ————————-——
EN FEU 1 L LET A N T GIL BLAS
Jeudi 21 Avril 1881.
— Le président de la République, accompagné
de Mlle Grévy, a visité hier l'exposition de peinture
des Indépendants, où, par hasard, se trouvait réu-
nie une foule de notabilités parisiennes. Parmi ces
dernières se trouvaient le maréchal Canrobert, le
due- de Broglie, le prince de Hohenlohe, le mar-
quis de Saint-Sauveur et le général de Galliffet.
— La répétition générale du Monde où Von s'en-
nuie, de M. E. Pailleron, doit avoir lieu dimandhe
prochain à la Comédie-Française, à une heure. La
première est fixée au lendemain lundi. Mlle Sama-
ry, complètement rétablie, est venue répéter hier,
et sait, du reste, entièrement son rôle.
COUPS DE CRAYON
Concours à tous les étages
J'ai appris avec un grand plaisir que les forts
de la halle étaient nommés au concours, que ce
concours était double, qu'il comprenait une épreu-
ve de force et un examen à La préfecture de police
où les aspirants-forts font deux problèmes et une
dictée.
Lorsque j'ai lu cela, j'ai compris que je faisais
vraiment partie d'une société policée où la culture
n'était pas un vain mot.
Je savais déjà qu'on avait mis des concours à
l'entrée de chaque carrière officielle, que le doua-
nier qui fouille mes malles a « composé » sur
Jeanne d'Arc ou sur Napoléon pour avoir le droit
de porter son uniforme, et que, pour être sergent
de ville, il faut passer un examen compliqué et dif-
ficile.
Mais j'ignorais que les forts de la halle dussent
passer devant un jury d'instituteurs. J'imaginais
qu'il leur suffisait de porter sans fléchir deux cents
kilos sur leurs rudes épaules.
J'admirais ces magnifiques hercules urbains,
aux vastes chapeaux, à la démarche lente, aux
cheveux saupoudrés de fariue. Je voyais en eux
les derniers représentants de la force brute.
Comme je méconnaissais- notre époque 1 Comme
je méconnaissais les forts de la halle !
Ces hommes, pour porter de lourds fardeaux,
doivent d'abord connaître l'orthographe. Je Vari&
qu'ils trouvent ceci plus dur que cela et la régit
du partici'pe passé plus difficile à manier qu'un sac
de pommes de terre.
.n faut aussi qu'ils résolvent deux problèmee.
Quel problème ! - *• • - -
Il est vraisemblable qu'on rendra l'examen tou.
jours plus difficile.
Quelle carrière, en effet, n'est encombrée ? -,
Mais qu'on y prenne garde. Lorsqu'on deman-
dera aux forts de la halle d'être des intellectuels,
ils ne voudront plus être forts de la halle.
Ils exigeront à leur tour un travail de bureau
pas fatigant et coupé de longues conversations
avec leurs collègues.
Mais qui portera les sacs de farine ?
- Claude Anei
o — ■
LA VIE ARTISTIQUE
Les Cent Portraits
Dût notre royal cousin Edouard VII d'An.
gleterre s'en formaliser, nous d vons à la vé-
rité de proclamer que l'ensemble français, à
la salle du Jeu de Paume, domine incontesta-
blement l'ensemble anglais.
Loin de nous la vaine pensée de déprécier
le puissant Hogarth, ennemi juré des fausses
élégances, et sir Joshna Reynolds, et Gainsbo-
rough, si sensible, si sincère et Lawrence.
Mais allez donc voir' après les avoir vus, Lar-
gillière, et sa gloire majestueuse, Prudhon,
Perronneau, et notre David.
La riche variété des cinquante tableaux
français s'oppose à l'uniformité des œuvres
britanniques. Quelle richesse là, et ici quelle
habileté, monotone à la longue 1
La raison profonde de notre victoire, c'est
que l'art du portrait au dix-huitième siècle
français se rattache à une longue et L'onde
tradition. Largallière, Carie Van Loo, Nattier,
Boucher, Fragonard, Perronneau, Mme Vigée-
Lebrun, ont des ancêtres de chez nous, d*
Qlouet à Lebrun, et Le Brun, et Philippe de
Champagne, et même La Fosse et Antoine
Coypel, L'analyse s'y transmet (et le métier
aussi) de maître à djscipJe.
Tandis que les Anglais, avant le dix-huitic-
me siècle, n'ont pas d'ascendants, leur école
date du dix-huitième siècle même. Hogarth,
Reynolds, Gain&borough, sont ses primitifs, a
remarqué avec justesse Armand Dayot, histo-
rien savant de la peinture anglaise et de la
peinture française, que son autorité désignait
pour procéder à une aussi décisive démonstra-
tion.
Oui, ces aristocratiques effigies de nobles
ladies à la fraîche et vive carnation de roses
et de lait, semblent encore des reflets — reflets
exquis, mais reflets — de Venise et des
Flandres. Van Dyck triomphe à la salle an-
glaise, et le noble Titien avec lui.
Ceci dit (et ce sont là restrictions, non point
critique amère), l'impression générale est d'é-
blouissement. B n'y a pas de conflit enLre les
deux races, et leurs illustres peintres. L'en-
tente règne, intime et cordiale.
La politesse (« Messieurs les Anglais, tirez
les premiers ») nous incite à rendre hommage
d'abord à nos voisins. Ils se sont libéralement
dégarnis de chefs-d'œuvre. M. Dayot a pillé
les châteaux de Grande-Bretagne avec un goût
raffiné.
Le génie de Hogarth nous sollicite dès l'en-
trée. Voilà un homme uniquement soucieux
de dire la vérité, de confesser ses modèles.
S'il est parfois lourd dans le traité des étoffes,
quelle pénétration dans l'étude du visage hu-
main, quelle scrutation aiguë, quelle subor-
dination du décor à l'expression.
Reynolds (le plus grand esthéticien — d'au-
tre part — avec Baudelaire, que la critique
d'art ait révétlé), est, par contre, un beau
«flatteur)), ainsi que Gainsborough et Romney.
Certes, il décrit, selon la parole connue, la
beauté sereine et nonchalante d'une grande ra-
ce inoccupée, mais il embellit. Sir Johsna a
installé son chevalet dans les boudoirs les
plus somptueux, sous les charmilles ombreu-
ses des parcs seigneuriaux. Mais il vise à re-
présenter l'aristocratie féminine de son épo-
que, comme Van Dyck représenta le cour de
Charles Ier et Peter Lely celle de Charles II.
Ce fils d'un instituteur est le peintre de la
vie fastueuse,,à noter en passant que ses ému-
les Gainsborough, Lawrence et Romney son
respectivement fils d'un marchand de drap,
d'un charpentier rural, et d'un comédien de
province). Son talent réflérhi, volontaire, très
composé, très fait, nourri de la culture des
musées d'Itailie, vaut par un coloris éclatant,
les rouges et les bruns de sa palette sont iné-
galables, mais une assimilation, prodigieuse-
ment habite soit-el'le, ne rachète pas à nos
yeux la pauvreté, le superficiel de l'observa-
tion. J'excepte sa Kitty Fisher (que Ricard a
aimée, s'il la connut) et l'esquisse adorable de
la comtesse Spencer et sa fille, prêtée par le
duc de Devonshire.
La sensibilité mélancolique de Gainsbo-
rough, l'impulsive spontanéité de sa nature,
son charme divinement nacré, nous enchan-
tent (la Reine Charlotte est vraiment la « Jo-
conde britannique ») mais comment oublier
les derniers mots que prononça ce ravissant
artiste : « Nous allions tous au ciel et Van
Dyck est de la partie ».
Ah ! oui ! Van Dyck est de la partie. Son in-
fluence est là, tyrannique. Et sans doute aus-
si celle de Watteau que Gravelot révéla à
Gainsboroug'h. Enfin, ne le chicanons pas.
M. Humbert (sans parler de Jacques Blanche
qui du moins est un artiste), lui a repris — ou
a cru lui reprendre — ce que Watteau lui
avait donné.
Son œuvre est d'une distinction souveraine,
et d'une étincelante virtuosité.
Je ne puis étudier ici Romney, Raeburn..
Romney excellait à réparer des ans le répara-
ble outrage. Sa Lady Milnes est une bien jolie
créature.
Raeburn est un Ecossais Hardi, fougueux.
S'il ne rend pas, comme les précéstents, la dia-
phanéité des étoffes ou le rosé des visages, il
est plus emporté, plus musclequ'eux. John
Opie m'alpparait comme un Bolonais au milieu
de ces Vénitiens. Son clair-obscur manque, de
moelleux, de fondu, d'enveloppe, mais non pas
d'énergie. -
Lawrence, ainsi que Hoppner, est un Rey-
nolds plus mince. Il est inégal, parfois mou,
un peu hâtif : songez que Lawrence a peint
six cents portraits ! Son calories chaud, am-
bré, vous séduira.
Et voyez encore Northcote, plus connu d'or-
dinaire comme peintre d'histoire, et dont les
Deux demoiselles Bulwer sont bien amusan-"
tes, en-dépit du parti pris de sécheresse vou-
lue et de découpage d'ombres chinoises sur
un fond opaque.
.-.
L'ensemble français est admirable. Largil-
lière, assurément, doit aux Flamands et aux
Italiens (qui ne leur doit ?) mais quel style
magnifique, rivalisant avec l'ordonnance d'un
Rigaud, et surpassant ce grand homme dans
lé portrait féminin. Des sept Largiflière expo-
sés ici, nous connaissions, pour l'avoir vue
au foyer des artistes du Théâtre Français, la
Comédienne Duclos en Ariane. C'est un chef-
¡d'œuvre. Et la Marquise de Dreux-Brézé )prê-
tée par M. Edouard de Rothschild) ne lui est
pas inférieure. Cet art-là est-il bien du dix-
ïiuitième siècle ? Largillicre, ne l'oublions
pasv est né avant 1.660. El cela se sent dans
) 30- ANNEE. — NUMERO 10782. PARIS BT DfiP&OTBHBmft : I* HtOttéro 15 Centimes MERORËDI 21 AVA1L 1909.
A. PERIVIER — P. OLLENDORïT
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Les Manuscrits ne sont pas rendus
« Si lu me lis avec attention, tu trouveras ici, suivant le précepte d'Horace,
futile mêlé à l'agréable ».
I (Préface de Gil Blas au lecteur)
ANDRÉ PUTZ
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il. Boulevard des Italiens, fi
., PARIS Isle,
Prix des Abonnements : V
Troi* moi* Six mois Un ta
- leine et s«ine-«t-0iM. 18 60 28. 60 »
Départements. 15 » 28 » 54 »
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8, PLACR DB LA BOURSE, 8
Et à ladministration du Journal
- Noms de Navires
On vient de lancer à Saint-Nazaire le Dide-
rot, et l'on se prépare à lancer le Condorcet,
en attendant le Danton. Et je me permets de
trouver tout à fait ridicules les noms dont on
affuble nos navires de guerre.
Je ne sais pas quel bureaucrate idéologue,
quel Anaoharsis Klotz du rond-de-cuir, choisit
ces noms. Il est probable que c'est une com-
mission. Mais dans tous les cas, les inventeurs
de ces appellations grotesques contribuent,
dans la mesure de leurs moyens, à augmenter
la réputation d'incohérence de notre manne.
Passe encore pour Danton. Il a été, n'est-ce
pas, « le formidable tribun ». C'était un
homme de combat. Mais Diderot 1 Mais Con-
dorcet I
Inscrire sur le couronnement d'un vaisseau
île guerre ces noms qu'on saluerait sur le fron-
ton d'une bibliothèque ou d'une faculté ; met-
tre ces instruments de inort que sont les cui-
rassés sous l'invocation de la philosophie,
c'est de la pure et simple imbécillité.Si l'Eglise
était restée unie à .l'Etat, je ne désespérerais
pas de voir un jour baptiser an croiseur le
Fénelon, et un cuirassé de Saint-Vincent-de-
Paul. Au fait, je recommande à ces messieurs
de la commission les noms de ces philanthro-
pes laïques que sont MM. Frédéric Passy et
d'Estournelles de Constant. On ne s'en éton-
nera pas beaucoup plus que de voir affubler
un vaisseau des noms d'Ernest Renan ou
d'Edgard Quinet.
A quelle psychologie répond le nom d'un
navire ? Elle est à peu près la même que celle
du « vocable » d'une église.
Le vocable d'un bâtiment, c'est une sorte de
patronage, qui contient à la fois un souvenir
et un exemple. Il doit agir sur l'esprit des
marins en les encourageant à se montrer di-
gnes de cet. exemple et de ce souvenir. On
prend alors un capitaine célèbre ou une gran-
de bataille : le Jean-Bart, le Magenta. Parfois
aussi ce vocable est an de ces mots qui résu-
ment un devoir ou affermissent une espé-
rance : l'Indomptable, le Victorieux, Ylnvin-
- cible. On a été,-il faut le reconnaître, jusqu a
la gasconnade empanachée : le Foudroyant,
la Dévastation ! A tout prendre, cela valait
mieux encore, au point de vue militaire, que
les invraisemblables dénominations actuelles.
A la vérité, on sortait quelquefois du pro-
gramme. Mais c'était pour peindre sur les
poupes d'engageantes appellations mythologi-
ques : la Vénus, la Junon ; de jolies épithètes :
la GTacieuse, l'Elégante, 'lesquelles donnaient
aux fines corvettes je ne sais quel iprestige
féminin, qui doublait de galanterie française,
chez le matelot, son amour pour son bateau.
•A moins encore qu'on ne mit dans le voca-
ble toute l'énergie populaire de la Révolution,
comme dans cette héroïque Brûle-Gueule, que
monta le brave Dutertre, et qui justifla crâ-
nement son nom. Les Anglais s'en souvien-
nent encore !
* •
Donc, les noms actuels sont de véritables
non-sens.
Mais, .l'incohérence ne s'arrête pas là.
A côté des bateaux qui ont des noms absur-
des, il y a toute la catégorie de ceux qui n'ont
pas de nom du tout, et qui sont désignés par
de simples numéros.
Et c'est encore là une bêtise. Il ne faut pas
négliger ce qui peut exciter l'émulation des
équipages. Or, pour Je 'marin, son navire,
si modeste soit-il, devient une petite patrie
dans la grande. Le matelot ira jusqu'à tirer
une vanité, puérile soit, mais utile, du nom
'de son bâtiment. Interrogez deux marins sur
le bateau auquel ils appartiennent. Celui qui
vous répondra : « Je suis embarqué sur le
Duguay-Trouin », aura un ton tout différent
de celui qui vous dira : « Je suis sur le tor-
pilleur 83 ». L'un et l'autre sentent que le
premier a un état-civil, un ancêtre, un nom
qu'on retient, et que le second est un numéro
perdu dans d'autres numéros, qui ne dit rien
au souvenir et n'appel'le pas la mémoire.
Mais, dira-t-on, on donne bien de simples
numéros aux régiments ?
La situation est toute différente. Les an-
ciennes dénominations des * régiments gar-
daient l'empreinte des provinces. Elles ont
disparu dans la grande unification révolution-
naire comme les provinces elles-mêmes ont
été fondues dans la nouvelle division en dé-
partements. Il fallait affermir par tous les
moyens la République une et indivisible. Il
était tout à fait logique qu'il n'y eût plus de
régiment de Champagne, puisqu'il n'y avait
plus de Champagne.
Mais pour nos bâtiments, on ne peut rien
invoquer de pareil. Aucune raison n'oblige à
supprimer les noms. D'autant plus que rien
n'empêcherait de continuer à numéroter les
petites' unités pour les commodités adminis-
tratives, tout en leur donnant un état-civil. Et
il y aurait là un moyen de rendre hommage
à des quantités de bons serviteurs de la
France dont les noms ne sont pas de tout pre-
mier plan, par exemple, à ces braves corsaires
dont les ports bretons gardent un souvenir
qui ne franchit guère leurs vieilles murailles.
On pourrait, aussi, commémorer les épisodes
maritimes honorables qui fourmillent dans
nos annales. Et il y aurait là une utile leçon
d'histoire.
Nous expliquera-t-on, au surplus, pourquoi
on , donne des numéros aux torpilleurs, alors
qu'on donne des noms aux sous-marins ?
*%
Il est vrai que, comme on trouve, à la ma-
rine, le moyen de mettre de l'incohérence
dans l'incohérence, il y a des sous-marins qui
ont des noms et il y en a d'autre qui n'en ont
pas.
Seulement, ceux-ci ne sont pas désignés par
de simples chiffres. Ce chiffre est précédé
d'une lettre, et quelle lettre !
M. Alfred Picard est allé, l'autre jour, en
visiter deux, à Cherbourg. Fis s'appellent le
Q 73 et le Q 74 !
Evidemment, l'impassibilité scientifique des
ingénieurs a beaucoup de droits. Mais quand
cette impassibilité atteint un certain degré,
on est fondé à se demander si elle ne confine
pas au flegme des pince-sans-rire.
— A bord de quel bâtiment êtes-vous, com-
mandant ?
- A bord du Q 73, madade,
Et le succès du professeur d'histoire de
l'avenir, lorsqu'il racontera à sa classe :
— Cette année-là, le Q 74 fut mis à l'eau.
Et les poètes patriotes, lorsque, sur le
rythme de l'ode du Vengeur, ils s'écrieront :
Des marins de la République
Montaient le « Q soixante-treize 1 »
Le plus curieux de l'affaire, c'est que les
gens qui ont fait cette trouvaille en ont été si
contents, si contents, qu'ils l'ont généralisée.
Ouvrez le budget 'de 1909, et vous verrez, aux
Constructions Neuves, qu'il y a quarante sub-
mersibles, ni (p'ius ni moins, qui ont pour pré-
nom Q, et pour nom un chiffre partant de 70
pour atteindre 110 !
Les mathématiciens, j'aime à le croire, n'y
entendent pas malice. Nous l'avons tous ap-
pris au collège quand nous avons abordé les
équations du second degré : x* + px + q = 0
Us mettent les lettres comme elles leur vien-
nent. Il en est, cependant, qu'ils proscrivent.
Ainsi, ils n'emploient jamais le J, parce que,
dans les démonstrations, il serait possible de
le confondre avec l'I.
Il y a donc un précédent. Et puisque les
ingénieurs bafouent ainsi le J, est-ce qu'ils
ne pourraient pas donner le même coup de
pied au Q ?
Georges Price.
La Politigue
Les Conseils généraux
et le syndicalisme
Les Conseils généraux tiennent en ce mo-
ment leur session. Il est indispensable, dans
les circonstances présentes, que ces assem-
blées provinciales, qui puisent dans le contact
permanent de leurs membres avec le pays une
autorité particulière, prennent énergique-
ment l'initiative d'éclairer le gouvernement,
sur les sentiments de l'immense majorité de la
nation vis-à-vis du syndicalisme, et lui tracent
avec fermeté son devoir.
Ces vœux peuvent évidemment affecter des
formes différentes, s'inspirant tout naturelle-
ment des considérations locales. L'Alliance
Démocratique Républicaine a trouvé une for-
mule qui a été soumise au Conseil général de
la Haute-Garonne par M. Ourriac, et qui ré-
sume la question en bORS termes. Mais les
Conseils généraux ne s'astreindront certaine-
ment pas au vote d'une formule unique et
identique. L'essentiel, c'est qu'ils traduisent
le mouvement d'opinion du 'pays et montrent
au gouvernement qu'il sera appuyé dans la
lutte qu'il est appelé à soutenir.
Au surplus, il est un membre du cabinet qui
a posé la qestion avec sa netteté habituelle.
M. Caillaux, élu président du Conseil général
de la Sarthe par 20 voix sur 27, en remplace-
ment du regretté M. Le Qhevalier, s'est ex-
primé ainsi dans son discours de remercie-
ment à ses collègues :
C'est la même bonne volonté, la même bonne
foi que le gouvernement apporte et qu'il apportera
dans l'examen et la discussion des questions qui
surgissent à mesure que surviennent des trans-
formations économiques, que se préparent des évo-
lutions sociales, à mesure que s'imposent des mo-
difications dans nos méthodes administratives.
Mais il n'oublier a pas davantage qu'il a une mis-
sion essentielle à remplir : celle de rappeler avec
l'énergie nécessaire à ceux qui se réclament de
leurs droits qu'ils ont vis-à-vis de leur nays d'im-
prescriptibles devoirs, et qu'en aucun cas, sous
peine de faillir à sa tâche, le gouvernement de la
République ne peut céder devant des manœuvres
comminatoires ou violentes, puisqu'il ferait incli-
ner devant des factions la nation entière dont il
est le représentant.
Au-dessus de la liberté- des individus et des
groupements, il n'y a qu'une chose, mais il y en a
une : c'est l'autorité de la nation.
M. Caillaux montre le but à poursuivre et
fixe en même temps les devoirs du gouverne-
ment : étudier de près les phases de l'évolu-
tion sociale, déterminer ses limites avec libé-
ralisme, mais maintenir ces limites avec fer-
meté. Il établit en même temps d'une façon
très claire les bases sur lesquelles peuvent
s'appuyer les vœux des Conseils généraux.
Ces déclarations constituent un véritable pro-
gramme.
Le ministre des finances a parlé en homme
de gouvernement. Nous voulons supposer que
le cabinet tout entier est d'accord avec lui. On
serait heureux, cependant, d'en avoir la con-
firmation.
C'est aux Conseils généraux qu'il appar-
tient de l'obtenir.
Il faut qu'ils se déclarent, au nom de leurs
commettants, formellement résolus à ne pas
laisser se développer un Etat dans l'Etat. —
Nous disons se développer, et non se consti-
tuer, parce que, hélas ! il est déjà constitué.
— Et il faut que le langage de ces assemblées
départementales soit assez haut, assez ferme,
assez unanime, pour que le gouvernement
soit forcé de répondre.
Si les Conseils généraux manquent à ce de-
voir, tant pis. Quand on s'abandonne soi-
même, on n'a plus à se plaindre d'être aban-
donné.
GIL BLAS
——————————— eo ————————
Echos
Les Courses.
Aujourd'hui, à deux heures, courses au Trem-
blay.
Pronostics de Gil Blas :
Prix Darioletta. - Ptolomée, Zerline Il.
Prix Barbette. — Sedge Moor, Ganga Chata.,
Prix Sultan. — Ma Chérie, Susquehanna.
'Prix Fiung-Dutchrnan. - Rose Noble.
Prix Bay-Middleton. - Florimond Robertet, Ma-
lachite. -
Prix Payment. — Roscoff, Lagadec.
MARINE ET MARINS
Quand je vous annonçais que cela ne pour-
rait pas durer longtemps ! Depuis quelques
années, et particulièrement depuis • quelques
mois, on disait trop de mal de notre marine !
On attestait avec trop d'empressement qu'elle
était la dernière des marines. On éprouvait
une certaine volupté et une volupté certaine à
constater notre effroyable décadence. Où al-
lait-on ? Où voulait-on en venir ?
On voulait en venir à l'éloge bien senti de
cette marine si vigoureusement décriée. Voici
que maintenant l'éloge commence.
Des gens qui n'avaient pas autre chose à
faire ont présidé au lancement de notre cui-
rassé du modèle le plus nouveau : le Diderot,
ainsi nommé parce que Diderot ne fut jamais
marin. Ce lancement fut bitm entendu, suivi
d'un banquet, et ce banquet fut naturellement
suivi de discours. Et M. Charles-Roux qui pré-
sidait, car il est dans son destin de présider
toujours, pérora, car il est dans la destinée des
présidents de toujours pérorer.
Mais il pérora utilement. Cela ne saurait
surprendre ceux qui connaissent M. Charles-
Roux. Il exalta la marine française et les ma-
rins fran.çais.n n'oublia guère que d'exalter Di-
derot. « Je n'ai pas la prétention de soutenir,
affirma-t-il, que tout est pour le mieux dans
le meilleur des mondes, mais il me semble
que, au lieu de mener si grand tapage, il eût
été préférable de panser nos blessures en fa-
mille et de ne pas proclamer urbi et orbi que
la France n'existe plus comme puissance na-
vale. » Et il ajoutait : « Malgré les difficultés
de l'heure présente que personne ne conteste,
il ne paraît pas admissible de se laisser aller
à un tel pessimisme, à une pareille abdication
qui équivaudrait en fait à un véritable sui-
cide. »
Parfait ! tOr, récemment, M. Charles-Roux
présidait — il préside toujours—une conféren-
ce extrêmement documentée faite sur la mari-
ne par un de nos plus spirituels Parisiens, et
qui était très sombre en ses conclusions.
Après le pessimisme, l'optimisme. Il fallait
s'y attendre. D'ici à Meux ans, on jugera que,
si tout n'est pas pour le mieux, tout est bien
et que cela suffit.
J. Ernest Charles.
-)(-
IL Y A CENT ANS
Mercredi 21 Avril 1809.
— De Valladolid, Napoléon écrit au comte Fou-
ché : « Nous sommes en 1809. Je pense qu'il serait
utile de faire faire quelques articles, bien faits, qui
comparent les malheurs qui ont affligé la France
en 1709 avec la situation prospère de l'Empire en
1809. Vous avez des hommes capables de faire, sur
cette matière fort importante, cinq à six bons arti-
cles qui donnent une bonne direction à l'opinion. »
- ■ ) < -.- - ( ————
LE BOULEVARD
« Hue donc, Clemenceau t)
Voir son nom donné à un cheval de course,
fût-il en plomb comme les étalons du Raeing-
Plomb Club, est le signe de la gloire. Mais à
un âne 1
Il y a deux ou trois matins, une brave mar-
chande de quatre-saisons, la trique à la main,
tirait par la bride an boairriquot attelé à la
carriole, dans la montueuse rue des Martyrs.
Soudain ranimai patient, doux et têtu, s'ar-
rête à mi-côte, refuse le service, et se met à
braire du haut de sa tête, tel un ténor à mille
dollars la séance.
Madame Crainquebilile attend que l'aubade
soit finie. Puis soudain : « En route mainte-
inant, Clemenceau 1 » Clemenceau s'obstine,
et ne démarre pas. Coups de trique. Clemen-
ceau ne bronche pas. « Hue donc, Clemen-
ceau, sale bête ! » reprend la fruitière ambu-
lante et irascible.
La fouie s'attroupe. Clemenceau est rivé au
sol. Clemenceau secoue ses longues oreilles
poilues. La fruitière redouble d'imprécations.
En moins de cinq minutes, un petit télégra-
phiste, un mitron, deux midinettes et un
zingueur, criaient, amusés, faisant chorus.
« Hue donc, Clemenceau, sale bête ! »
Si M. Sembat avait passé par là, il eût été
ravi.
Le plus beau vers (suite).
Le concours du « plus beau vers » institué
par l'Intransigeant ne manque pas de nous
apporter chaque jour un peu d'amusement.
Hier un lecteur enthousiaste et de sens cri-
tique donnait comme ivers le plus beau, celui-
ci de Verlaine :
Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville.
Le lecteur enthousiaste ne sait donc pas
qu'il y a là deux vers et qu'ils sont écrits
ainsi :
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Un autre proclame avec Alfred de Musset
que
Les chants désespérés sont les chants les plus
[beaux.
mais Alfred de Musset avait écrit : .—
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux.
Peu importe après tout, pourvu que l'enthou.
siasme y soit.
-X'-
Un autographe de Greuze.
Parmi les cinquante portraits de l'école fran-
çaise, qu'on admirera dès demain dans la
salle du Jeu de Paume, ,il est une curieuse
image d'une dame Deviette, due au pinceau
de Greuze, et qui appartient à Mme la mar-
quise d'Estampes.
En prêtant ce portrait à' lArmand Dayot, la
marquise d'Estampes a bien voulu donner à
notre éminent confrère et ami, copie d'un au-
tographe de Greuze, daté de l'époque où Jean-
Baptiste peignit Mme Deviette.
Voici le texte de cet autographe :
Je certifie que, dans l'année mil sejft cent qua-
tre-vingt-onze, j'ai fait pour M. Deviette le por-
trait de Mme son épouse, plutôt par amitié que
par intérêt, lequel il me demanda pour sa propre
jouissance, et je certifie, de plus, que je me char-
geai, pour l'obliger, de faire faire, par de Bréa,
peintre en miniatures, une copie de ce même por-
trait, pour être placée sur une tabatière qu'il des-
tinait à son beau-père.
Le potage aux hannetons.
Les poètes chinois ont chanté la soupe aux
nids d'hirondelle, mais saviez-vous que Bau-
delaire eût décrit, aimé, regretté, le potage
aux hannetons ?
C'est le docteur Fabre, baudelairien fervent
et directeur Ide la, revue le Centre médical,
qui nous l'apprend, en exhumant ce sonnet
sentimental à la fois et culinaire du poète des
Fleurs du Mal. ,
LE POTAGE AUX HANNETONS
0 temps des grands amours, ô jeunesse passée !
Le petit restaurant était au fond des bois.
Quel calme !. Dans la soupe aussitôt que versée,
Un lot de hannetons s'abattait chaque fois.
On les sentait craquer sous la dent agacée,
Leurs pattes du palais éraflaient les parois ;
Comme un fil de la Vierge, en la masse écrasée,
Un long boyau filant s'enroulait à nos doigts.
Vous en souvenez-vous, ô ma maîtresse blonde,
Combien l'odeur était âcre et nauséabonde ? •*
Et ce goût, qui toujours, vingt-quatre heures vous
[suit !.
Ce sont des jours pourtant que je pleure, madame,
Et leur souvenir tremble ,au lointain de mon âme,
Comme une pure étoile en l'ombre de la nuit !
M. Chéron va-t-il introduire cet original rata
dans les chambrées ?
■ 1 1"
Une mçin bien assurée.
Le célèbre virtuose du violon, 'Jean Kubelik,
sera'bienbôt dans nos murs. Nous l'entendrons
à nouveau moudre d'inexécutables concertos
dignes de l'archet diabolique d'e Paganini.
Vous pensez bien que l'Houdini du violon
a pris toutes ses précautions pour sauvegar-
der tous les intérêts considérables que repré-
sente son talent.
Il vient d'assurer les cinq doigts de sa main
droite pour-la somme de trente mille francs
par concert et les cinq de sa gauche pour vingt
mille francs.
-Chaque phalange des doigts de l'une et l'au-
tre main est tarifée suivant son importance
fonctionnelle. Cette arithmétique est un peu
compliquée, mais Kubelik ne craint du moins
ni foulure de poignet, ni cassuile de phalange.
Remarquons d'ailleurs qu'il n'aurait aucun
intérêt matériel à suibir une des détériorations
mentionnées au contrat d'assurance, puisque
ses concerts lui rapportent, bon an mal an,
un gracieux petit million.
-x-
« Gambetta », par Gambetta.
C'est le titre du nouveau volume de M. P.-B
Gheusi, qui vient de paraître. Léon Gambetta
revit plus glorieux, plus grand encore, dans
ce livre d'une indiscutable fidélité historique.
Des lettres émouvantes, des souvenirs de fa-
mille et des documents définitifs y méttent en
vive lumière cette grande figure.
M. Fallières a conté sur Gambetta, ce sou-
venir émouvant que rappelle M. Gheusi :
.Un jour, au palais de Versailles, il y avait eu
séance très mouvementée. La nuit était venue ;
chacun était las. Gambetta monte à la tribune.
Nous étions tous deux, Sénard et moi, au sommet
des gradins. En pleine verve et splendide d'allu-
re, comme il eut vite réveillé cette salle endormie !
Nous écoutions, non pas charmés, mais comme pé-
trifiés par ce flot dominateur ; et Sénard, me pre-
nant par le bras, me dit à voix très basse : —
« Regardez donc t. c'est Mirabeau ! » Pas un
mot de plus, — et peut-être l'illustre avocat n'au-
rait-il pas eu la force de le dire.
Le président de la République se souvien-
dra de ces lignes, au moment où il va inau-
gurer, à Nice, le monument de GambetLa.
Les inconvénients de la télégraphie sans fil.
Jusqu'à présent, les traversées transatlanti-
ques pouvaient, en raison de leur calme abso-
lu, être recommandées aux personnes ner-
veuses peu sujettes au mal de mer.
Désormais, il faudra renoncer au plaisir de
ne recevoir ni journaux ni nouvelles. La télé-
graphie sans fil, qui vient, en plusieurs cir-
coi stances, de faire ses preuves, sera pro-
chainement installée sur tous les narmebots.
Chacun d'eux sera relié aux gramdes capitales
et publiera des dépêches circonstanciées sur la
prise de Constantinople par les Jeunes-Turcs,
sur 'la question Chantecler, la Jacquerie de
l'Odse, etc., etc. On jouera au pari mutuel
par le moyen de la télégraphie sans ftl ; on
traitera ses affaires, comme si on n'avait ja-
mais quitté Paris ou New-York ; on lira le-der-
nier discours de Guillaume II, le dernier ro-
man /'1,0, M. Paul Bourget, la dernière pièce de
M. Bernstein.
On pourra se croire encore sur les boule-
vards, moins le mal de mer bien entendu 1
La langue simiesque.
On se souvient d'un certain professeur de
Chicago, nommé Richard Garher, qui se pro-
posa d'aller étudier sur place le langage des
singes.
Après s'être retiré quelques mois dans les
forets du Congo central pour y poursuivre
ses études, il vient de nous donner de ses
nouvelles.
Le professeur Garner n'a pas encore été
mangé par les tigres ni par ses frères anthro-
pophages. Et il a pu se persuader que les
singes parlent, autrement que nous, mais
comme nous.
Il se prépare à nous donner tout prochai-
nement un lexique complet de leur langue
avec traduction exacte dans tous les idiomes
européens.
:nsi il a noté les noms sans signification
littérale, exprimant la colère, la crainte, la
jalousie, la sympathie, rappel de la mère à
ses petits et la réponse de ceux-ci. Il a de mê-
me enregistré un certain nombre de mots qui
lui ont permis de tenir des conversations sui-
vies avec ses amis de la race simiesque.
Pour exprimeT là faim, les singes pronon-
cent « Koui » ; « Où es-tu ? » se traduit par
« Our'h ; « Ici » par « Qu'nh » ! « Ki-iou » est
le signal d'attention, et « Ki-iou-iouh » celui
de prendre la poudre d'escampette.
Au fait, pourquoi la langue si'miesque ne
deviendrait-elle pas langue universelle ? Elle
vaut bien l'Espéranto !
---
Beethoven et sa cuisinière.
A propos du beau drame de M. René Fau-
chois dont le succès s'accentue un peu plus
chaque jour, on a beaucoup discuté sur le
point de savoir si le poète de la Fille de Pilate
avait tracé un portrait du compositeur vrai-
ment conforme à la vérité historique. Il en est
d'ailleurs de mêlme chaque fois qu'un auteur
dramatique met à la scène un personnage qui
a réellement existé; et vous n'avez sans doute
pas oublié les savants articles que je ne sais
plus quel érudit consacra aux « erreurs de
documentation historique dans Cyrano de
Bergerac ».
Je ne sais si les historiens ne trouveraient
rien à reprendre au Beethoven que nous a
restitué M. Fauchois ; mais je sais fort bien
que si celui-ci avait voulu nous peindre le
compositeur de Fidelio tel qu'il fut réellement,
il aurait du mettre en scène le plus Insuppor-
table des maîtres de maison, perpétuellement
en dispute avec sa cuisinière.
Lisez en effet cet extrait d'un des « carnets
ide poche » de Beethoven, qui sont précieuse-
ment conservés au British Muséum :
31 janvier. - Renvoyé le domestique.
15 février. - Pris une cuisinière.
8 mars. - Renvoyé la cuisinière.
22 mars. — Pris un domestique.
1er avril. — Renvoyé le domestique.
16 mai. - Renvoyé la cuisinière.
30 mai. - Pris une femme de ménage.
1er juillet. - Pris une cuisinière.
28 juillet. - La cuisinière s'en va. Quatre mau-
vais jours. Mangé à Lerchenfeld.
29 août. — Congédié la femme de ménage.
6 septembre. - Pris une bonne.
3 décembre. - La bonne s'en va.
18 décembre. — Renvoyé la cuisinière.
22 décembre. — Pris une bonne.
Evidemment, vous allez en conclure que le
grand compositeur n'était pas d'humeur com-
mode et qu'il n'était pas facile à servir. Mais
venez donc me parQer maintenant de ces do-
mestiques d'autrefois qui étaient des modèles,
qui naissaient et mouraient dans la même
maison. Allons, allons 1 nos grands-pères
étalent tout aussi mal servis que nous.
Shake-hand meurtriers.
L'hygiène est une science bien tyrannique.
Voici maintenant qu'elle nous interdit de pro-
diguer à tort et à travers les poignées, de
mains.
Un médecin, qui n'est ni Gascon ni Améri-
cain, a établi dernièrement qu'une pression
mutuelle des mains n'est - autre chose que
l'échange d'un nombre infini de microbes, en-
viron quatre-vingt mille par décimètre carré
d'épiderme.
Cependant, ce bon docteur veut bien distin-
guer. Il y a poignée de main et poignée de
main comme il y a Martin et Martin. Les plus
dangereux shake-hand sont ceux des méde-
cins, des nourrices,, des coiffeurs, des charcu-
tiers. des tanneurs, des libraires d'occasion ;
les Dlus inoffensifs sont ceux des pharmaciens,
des avocats, des agriculteurs, des rentiers et
propriétaires, quand ils sont propres.
Cette révélation sensationnelle ne manquera
pas de modifier les conditions de noire «iteet
surtout les mœurs électorales. Jusqu'à présent
les élections législatives se faisaient à coup de
poignées de mains et de petits verres chez le
bistro. Désormais il ne restera au malheureux
candidat pour séduire la foule de ses élec-
teurs que les petits verres. Mais il s'y ruinera
et s'y gâtera l'estomac en même temps qu'il
compromettra gravement la longévité de ses
électeurs.
Le courrier des « Unie ».
Extrait d'une lettre de M. Malassis de la
Cussonnière, château de la Rimblière, à Cui-
sai, par Alençon (Orne), à la Société des Au-
tomobiles Unie, 1, quai National, Puteaux.
Lettre du 28 janvier 1909.
« Je suis toujours enchanté de la marche par-
faite de la machine, de sa faible consommation,
elle me donne une sécurité absolue, montant sou-
vent des côtes à 8 et 10 pour cent sans la moindre
faiblesse.
« Recevez, Monsieur, avec toutes mes félicita.
tions, l'expression. »
Un Anglais et un Français se battaient au
pistolet. Le premier, au moment de tirer, n'é-
tant pas encore bien décidé à se battre, dit :
— Parlementons.
— Soit, dit l'autre. Et la balle vint briser
da mâchoire de son adversaire.
Le Dlahla holldtm.
.90
Propos du Jour
La camelote -:.
Autrefois, lorsque je lisais les atrocités de nos
guerres de religion ou de nos crises révolution-
naires, je me laissais aller à des mouvements pué-
rils de réprobation pour les massacreurs.
Je croyais, naïvement, qu'il n'y avait riea de
plus vil au monde qu'un baron des Adrets, un
Jourdan coupe-têtes ou un Trestaillon.
Puis j'ai vu la Commune. J'ai contemplé de mes
yeux ces scènes horribles dont la lecture ne m'a-
vait donné qu'une bien faible idée.
J'ai suivi, de la place de la Bastille au canal
Saint-Martin, une foule ignoble qui s'acharnait
sur un malheureux gardien de la paix, le frappant,
le traînant, le làdhant, le rattrapant pendant des
heures avant de le jeter à l'eau définitivement.
J'ai vu les gardes nationaux fusiller les géné-
raux et accueillir à coups de fusils nos prison-
niers rentrant d'Allemagne, sous l'œil réjoui des
Prussiens de l'armée d'investissement.
Je trouvais tout cela infiniment triste, mais en-
fin ce n'était pas ridicule. Il y avait encore une
certaine grandeur dans ces convulsions d'un peu-
ple aux abois.
Dans les deux camps, il y avait de braves gens
qui risquaient leur vie pour défendre leurs opi-
nions, qui, de bonne foi, se croyant tyrannisés, en
appelaient aux armes pour défendre ce qu'ils
avaient de plus cher au monde, leur patrie, leur
religion, leur foi politique.
Mis au pied du mur — c'est, hélas ! le terme
exact —r- ils ne songeaient pas à tergiverser, à
biaiser, pour sauver leur peau. Alors encore en
France la lâcheté était considérée presque unani-
mement pour la pire des tares.
Que les temps sont changés ! De l'horreur Je la
guerre étrangère, notre population a passé tout
doucement à la sainte terreur de la guerre civile.
Ce n'est pas un mal, mon Dieu ! je le sais bien.
Ce serait même un très grand progrès si cela
attestait un retour à l'union nationale.
Mais il n'en va pas tout à fait ainsi. L'on se dé-
teste, l'on s'injurie, l'on se calomnie nour le moins
autant que par le passé. -
Mais au lieu de se battre l'on se fait des niches,
ou l'on s'envoie du papier timbré. Les catholiques,
chassés de leurs sanctuaires, criant urbi et orbi
que l'on opprime leur foi, que l'on persécute leurs
pasteurs, ne retrouvent plus pour se défendre les
faulx emmanchées à revers des Vendéens de" Gha-
rette ou les carabines des gardes-chasses de Stof-
flet. Ils jettent des ordures à la police, qui leur ré-
pond par des jets de pompes à incendie. Et tout est
dit.
Et maintenant, voilà la guerre des camelots. A
ceux du roy - ô les compagnons du Béarnais !
les fiers gentilshommes à bec d'aigle et aux lon-
gues rapières — voilà qu'il est question d'opposer
les camelots du peuple.
Et ils iront chacun de leur côté, à la nuit tom-
bante, barbouiller les monuments qui leur déplai-
sent. Et quand deux de leurs bandes opposées se
rencontreront, ils combattront à coups de pin-
ceaux et de pots à colle.
Ce n'est pas la poudre qu'ils feront parler, mais
la poudrette.
Et ces gaillards-là ont le toupet de fêter Jeanne
d'Arc d'un côté et Danton de l'autre.
Où sont les héros du cloître Saint-Merry ou de
la Pénissière ?
Quelle histoire de France que celle de nos con-
temporains ! Histoire de pacotille, histoire de ca-
melote ! 1
Louis d'Hurcourt.
——————————— ————————-——
EN FEU 1 L LET A N T GIL BLAS
Jeudi 21 Avril 1881.
— Le président de la République, accompagné
de Mlle Grévy, a visité hier l'exposition de peinture
des Indépendants, où, par hasard, se trouvait réu-
nie une foule de notabilités parisiennes. Parmi ces
dernières se trouvaient le maréchal Canrobert, le
due- de Broglie, le prince de Hohenlohe, le mar-
quis de Saint-Sauveur et le général de Galliffet.
— La répétition générale du Monde où Von s'en-
nuie, de M. E. Pailleron, doit avoir lieu dimandhe
prochain à la Comédie-Française, à une heure. La
première est fixée au lendemain lundi. Mlle Sama-
ry, complètement rétablie, est venue répéter hier,
et sait, du reste, entièrement son rôle.
COUPS DE CRAYON
Concours à tous les étages
J'ai appris avec un grand plaisir que les forts
de la halle étaient nommés au concours, que ce
concours était double, qu'il comprenait une épreu-
ve de force et un examen à La préfecture de police
où les aspirants-forts font deux problèmes et une
dictée.
Lorsque j'ai lu cela, j'ai compris que je faisais
vraiment partie d'une société policée où la culture
n'était pas un vain mot.
Je savais déjà qu'on avait mis des concours à
l'entrée de chaque carrière officielle, que le doua-
nier qui fouille mes malles a « composé » sur
Jeanne d'Arc ou sur Napoléon pour avoir le droit
de porter son uniforme, et que, pour être sergent
de ville, il faut passer un examen compliqué et dif-
ficile.
Mais j'ignorais que les forts de la halle dussent
passer devant un jury d'instituteurs. J'imaginais
qu'il leur suffisait de porter sans fléchir deux cents
kilos sur leurs rudes épaules.
J'admirais ces magnifiques hercules urbains,
aux vastes chapeaux, à la démarche lente, aux
cheveux saupoudrés de fariue. Je voyais en eux
les derniers représentants de la force brute.
Comme je méconnaissais- notre époque 1 Comme
je méconnaissais les forts de la halle !
Ces hommes, pour porter de lourds fardeaux,
doivent d'abord connaître l'orthographe. Je Vari&
qu'ils trouvent ceci plus dur que cela et la régit
du partici'pe passé plus difficile à manier qu'un sac
de pommes de terre.
.n faut aussi qu'ils résolvent deux problèmee.
Quel problème ! - *• • - -
Il est vraisemblable qu'on rendra l'examen tou.
jours plus difficile.
Quelle carrière, en effet, n'est encombrée ? -,
Mais qu'on y prenne garde. Lorsqu'on deman-
dera aux forts de la halle d'être des intellectuels,
ils ne voudront plus être forts de la halle.
Ils exigeront à leur tour un travail de bureau
pas fatigant et coupé de longues conversations
avec leurs collègues.
Mais qui portera les sacs de farine ?
- Claude Anei
o — ■
LA VIE ARTISTIQUE
Les Cent Portraits
Dût notre royal cousin Edouard VII d'An.
gleterre s'en formaliser, nous d vons à la vé-
rité de proclamer que l'ensemble français, à
la salle du Jeu de Paume, domine incontesta-
blement l'ensemble anglais.
Loin de nous la vaine pensée de déprécier
le puissant Hogarth, ennemi juré des fausses
élégances, et sir Joshna Reynolds, et Gainsbo-
rough, si sensible, si sincère et Lawrence.
Mais allez donc voir' après les avoir vus, Lar-
gillière, et sa gloire majestueuse, Prudhon,
Perronneau, et notre David.
La riche variété des cinquante tableaux
français s'oppose à l'uniformité des œuvres
britanniques. Quelle richesse là, et ici quelle
habileté, monotone à la longue 1
La raison profonde de notre victoire, c'est
que l'art du portrait au dix-huitième siècle
français se rattache à une longue et L'onde
tradition. Largallière, Carie Van Loo, Nattier,
Boucher, Fragonard, Perronneau, Mme Vigée-
Lebrun, ont des ancêtres de chez nous, d*
Qlouet à Lebrun, et Le Brun, et Philippe de
Champagne, et même La Fosse et Antoine
Coypel, L'analyse s'y transmet (et le métier
aussi) de maître à djscipJe.
Tandis que les Anglais, avant le dix-huitic-
me siècle, n'ont pas d'ascendants, leur école
date du dix-huitième siècle même. Hogarth,
Reynolds, Gain&borough, sont ses primitifs, a
remarqué avec justesse Armand Dayot, histo-
rien savant de la peinture anglaise et de la
peinture française, que son autorité désignait
pour procéder à une aussi décisive démonstra-
tion.
Oui, ces aristocratiques effigies de nobles
ladies à la fraîche et vive carnation de roses
et de lait, semblent encore des reflets — reflets
exquis, mais reflets — de Venise et des
Flandres. Van Dyck triomphe à la salle an-
glaise, et le noble Titien avec lui.
Ceci dit (et ce sont là restrictions, non point
critique amère), l'impression générale est d'é-
blouissement. B n'y a pas de conflit enLre les
deux races, et leurs illustres peintres. L'en-
tente règne, intime et cordiale.
La politesse (« Messieurs les Anglais, tirez
les premiers ») nous incite à rendre hommage
d'abord à nos voisins. Ils se sont libéralement
dégarnis de chefs-d'œuvre. M. Dayot a pillé
les châteaux de Grande-Bretagne avec un goût
raffiné.
Le génie de Hogarth nous sollicite dès l'en-
trée. Voilà un homme uniquement soucieux
de dire la vérité, de confesser ses modèles.
S'il est parfois lourd dans le traité des étoffes,
quelle pénétration dans l'étude du visage hu-
main, quelle scrutation aiguë, quelle subor-
dination du décor à l'expression.
Reynolds (le plus grand esthéticien — d'au-
tre part — avec Baudelaire, que la critique
d'art ait révétlé), est, par contre, un beau
«flatteur)), ainsi que Gainsborough et Romney.
Certes, il décrit, selon la parole connue, la
beauté sereine et nonchalante d'une grande ra-
ce inoccupée, mais il embellit. Sir Johsna a
installé son chevalet dans les boudoirs les
plus somptueux, sous les charmilles ombreu-
ses des parcs seigneuriaux. Mais il vise à re-
présenter l'aristocratie féminine de son épo-
que, comme Van Dyck représenta le cour de
Charles Ier et Peter Lely celle de Charles II.
Ce fils d'un instituteur est le peintre de la
vie fastueuse,,à noter en passant que ses ému-
les Gainsborough, Lawrence et Romney son
respectivement fils d'un marchand de drap,
d'un charpentier rural, et d'un comédien de
province). Son talent réflérhi, volontaire, très
composé, très fait, nourri de la culture des
musées d'Itailie, vaut par un coloris éclatant,
les rouges et les bruns de sa palette sont iné-
galables, mais une assimilation, prodigieuse-
ment habite soit-el'le, ne rachète pas à nos
yeux la pauvreté, le superficiel de l'observa-
tion. J'excepte sa Kitty Fisher (que Ricard a
aimée, s'il la connut) et l'esquisse adorable de
la comtesse Spencer et sa fille, prêtée par le
duc de Devonshire.
La sensibilité mélancolique de Gainsbo-
rough, l'impulsive spontanéité de sa nature,
son charme divinement nacré, nous enchan-
tent (la Reine Charlotte est vraiment la « Jo-
conde britannique ») mais comment oublier
les derniers mots que prononça ce ravissant
artiste : « Nous allions tous au ciel et Van
Dyck est de la partie ».
Ah ! oui ! Van Dyck est de la partie. Son in-
fluence est là, tyrannique. Et sans doute aus-
si celle de Watteau que Gravelot révéla à
Gainsboroug'h. Enfin, ne le chicanons pas.
M. Humbert (sans parler de Jacques Blanche
qui du moins est un artiste), lui a repris — ou
a cru lui reprendre — ce que Watteau lui
avait donné.
Son œuvre est d'une distinction souveraine,
et d'une étincelante virtuosité.
Je ne puis étudier ici Romney, Raeburn..
Romney excellait à réparer des ans le répara-
ble outrage. Sa Lady Milnes est une bien jolie
créature.
Raeburn est un Ecossais Hardi, fougueux.
S'il ne rend pas, comme les précéstents, la dia-
phanéité des étoffes ou le rosé des visages, il
est plus emporté, plus musclequ'eux. John
Opie m'alpparait comme un Bolonais au milieu
de ces Vénitiens. Son clair-obscur manque, de
moelleux, de fondu, d'enveloppe, mais non pas
d'énergie. -
Lawrence, ainsi que Hoppner, est un Rey-
nolds plus mince. Il est inégal, parfois mou,
un peu hâtif : songez que Lawrence a peint
six cents portraits ! Son calories chaud, am-
bré, vous séduira.
Et voyez encore Northcote, plus connu d'or-
dinaire comme peintre d'histoire, et dont les
Deux demoiselles Bulwer sont bien amusan-"
tes, en-dépit du parti pris de sécheresse vou-
lue et de découpage d'ombres chinoises sur
un fond opaque.
.-.
L'ensemble français est admirable. Largil-
lière, assurément, doit aux Flamands et aux
Italiens (qui ne leur doit ?) mais quel style
magnifique, rivalisant avec l'ordonnance d'un
Rigaud, et surpassant ce grand homme dans
lé portrait féminin. Des sept Largiflière expo-
sés ici, nous connaissions, pour l'avoir vue
au foyer des artistes du Théâtre Français, la
Comédienne Duclos en Ariane. C'est un chef-
¡d'œuvre. Et la Marquise de Dreux-Brézé )prê-
tée par M. Edouard de Rothschild) ne lui est
pas inférieure. Cet art-là est-il bien du dix-
ïiuitième siècle ? Largillicre, ne l'oublions
pasv est né avant 1.660. El cela se sent dans
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