Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1899-02-12
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 février 1899 12 février 1899
Description : 1899/02/12 (N7966,A22). 1899/02/12 (N7966,A22).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/09/2012
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LE NUMÉRO
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CENTIMES
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Paris, Seine, Seine-&-Oise
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TROIS MOIS 5 FR.
SIX MOIS 0 FR.
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RÉDACTEUR EN CHEF
A Millerand
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Départements
UN MOIS 2 FR.
TROIS MOIS. 6 FR.
SIX MOIS 11 FR.
UHAN 20 FR.
VINGT-DEUXIÈME ANNÉE. — NUMÉRO 7966
DIMANCHE 12 FÉVRIER 1899
24 PLUVIOSE — AN 107
,
LES MANUSCRITS NON INSÉRÉS NB SONT PAS TTKNDUS
LE NUMÉRO
5
CENTIMES
--
AB!!!CAT!OM ÛE LA CHAMBRE
1 VOTE DU PROJETDVPVY — DISCOURS DE MILLERAND
Tribune Libre
r
TOUTE LA BONTE
Il est vraiment superflu de faire
remarquer qu'une fois de plus c'est
l'équivoque qui a triomphé hier. La
plus misérable car elle était glissée et
volontairement dans le débat le plus
grave qui se soit depuis longtemps
institué. A vrai dire, le projet gouver-
nemental, basé sur ce mélange d'im-
bécillités et d'infamies qu'on décore
du nom d'enquête, ne blesse pas seu-
lement les principes. Il est un outrage
au bon sens. Si chacun veut la fin de
ce mauvais rêve, il est inutile de le
redire ! Mais précisément le projet
rouvre le débat. Que fera-t-on demain
si les chambres civiles sont soumises
au même traitement que la Chambre
criminelle ? C'était la question très
nette posée par Millerand et Pelletan
avec une force souveraine. A question
gênante pas de réponse ! « Nous ver-
irons », a dit M. Dupuy. Nous verrons ?
Est-ce là la réponse d'un chef de gou-
vernement? Nous verrons quoi? Un
nouveau projet, aussi monstrueux que
celui-ci ? C'est probable, c'est sûr. Une
lâcheté est toujours suivie d'une autre
lâchetd. Le cabinet est sur la pente. Et
il n'attendra pas d'être au bout pour
tomber dans la honte.
Que dire de ces discours prononcés
par M. Lebret, par M. Dupuy? On ne
peut parler du premier. Il est tellement
inférieur à sa tâche qu'on ne sait si
l'inconscience ne plaide pas pour lui.
Au surplus, les conversations de tous
ont été l'accueil méprisant fait aux
divagations de ce chef de la justice
qui accepte que la justice soit mou-
chardée par les pires représentants de
la police secrète. M. Dupuy, qui s'es-
saie, sans succès, à des exercices de
voltige oratoire, a tout dit, sauf le
juste et le vraL Ce qui résulte de ce
discours, c'est que l'opinion publique
exigeait le dessaisissement! L'opinion
publique? .Laquelle? Comment repré-
sentée? Et qui ne sait qu'on la fait
parler comme on veut? Chacun l'a
dans sa poche. Et il est devenu puéril
de faire descendre, par des invocations
tragiques, ce grand juge dans tous les
débats — après avoir, au préalable,
faussé sa sentence. -
M. Dupuy obéit. Il obéit aux pires
instincts, aux menaces, aux injures, à
l'intimidation. L'Eglise et l'Etat-Major
manient cette volonté qui se donne
l'illusion de la force 8'quj est débile
aux mains de c&s matâtes comme le
vouloir d'ui* Xi^icwnme est prêt
à tout.
Demain le dessaisissement. Après
Tétouffement de la première enquête.
Et puis. ce qu'on voudra.
Oui, ce qu'on voudra. Il ne faut plus
compter sur cette Chambre. Ce n'est
pas que nous ayons escompté naïve.:
ment sa virilité, mais on pouvait pen-
ser qu'au moins une répugnance su-
prême la garderait du suprême ver-
lige. Voilà qui est fait. La chute est
accomplie. A la droite tout entière des
républicains se sont joints. Des radi-
caux,qui s'imaginent, les malheureux,
en parlant des réformes pour lesquelles
ils ne font rien, masquer leur retraite
honteuse vers la droite, ont parlé, cou-
verts d'applaudissements par les clé-
ricaux. Juste châtiment de la dé-
chéance et pire que les huées républi-
caines qui faisaient rougir leur front.
Mais, malgré tout, cela est peu de
chose. Après tout, ceux qui réclament
et qui votent un pareil projet ont au
moins le mérite de la franchise. Us
parlent et agissent en faveur de leur
opinion. Mais la dernière honte, celle
qui défie toutes les autres, c'est l'abs-
sention — est-ce le mot?— de ceux
dont la parole pouvait faire sur les
consciences hésitantes l'impression
salutaire.
Qui dira pourquoi MM. Bourgeois et
Poincaré et Ribot se sont tus ? Ils ont
contre le projet une opinion connue.
Les deux premiers l'ont exprimée sur-
tout dans un manifeste où leurs noms
se sont, joints aux nôtres. ,..
S'ils ont eu recours à ce suprême
appel après cette réunion de toutes les
opinions, c'est que sans doute — et ils
ont eu raison — le péril couru par la
République était grave. D'ailleurs, ils
l'ont dit, redit, écrit. Et c'est quand ils
portent cette opinion sur la situation
qu'ils s'abstiennent !
M. Bourgeois n'a pas trouvé un mot!
M. Poincaré n'a pas trouvé un geste!
Pourquoi? Est-ce parce que les ap-
plaudissements nourris du centre an-
nonçaient pour le cabinet une victoire
certaine? Peut-être l'auraient-ils di-
minuée cette odieuse victoire de la
force! Peut-être auraient-ils repris sur
le chemin de la défection des amis
&P$urés qui attendaient la parole ré-
confortante! Et quand même la défaite
eût été la même, comment ces mes-
sieurs n'ont-ils pas vu qu'ils se gran-
dissaient? On les accuse de nourrir
des intentions mesquines et basses à
l'endroit du cabinet. C'était montrer
leur pensée haute et dégagée de ces
vilenies. C'était sauver, avec le leur,
l'honneur de leur parti. Mais non!
Leur parole souple et gracieuse a be-
soin, pour s'étendre, des caresses de
la victoire.., Ni l'un ni l'autre ne peu-
vent supporter l'amertume de la dé-
faite. Et il s'agit de la défaite parle-
mentaire si voisine du triomphe pour
les hommes qui ne s'abandonnent
pas! Que serait-ce alors si la vraie dé-
faite, le désastre passager mais pro-
fond des idées de liberté s'ouvraient
devant eux!. Quelle misère! Ce qui
manque à la République ce ne sont
pas les intelligences brillantes et
cultivées. C'est que la volonté ne les
double pas.
Après tout, tant pis! Quand on a re-
connu la fragilité des appuis sur les-
quels la République menacée peut
s'appuyer, on est moins exposé, car
on cherche ailleurs. Au moins, le parti
socialiste par Millerand, et par Pelle-
tan le parti radical-socialiste, auront
mené la bataille, avec talent, courage,
énergie. Nous continuerons, ne re-
poussant aucun concours. Chaque fois
que les républicains, même faibles et
de volonté malade, nous demanderont
comme hier, de former le carré, ce
n'est pas nous qui manquerons à l'ap-
pel, même si au dernier moment ce
carré est déserté. Ce n'est pas par no-
tre faute que manqueront de se fonder
les unions nécessaires. Après tout, le
discrédit n'est pas pour ceux qui tien-
nent leur parole. Il est vrai que la for-
tune politique viont quelquefois aux
autres. S'ils ne la méprisent pas, tant
pis pour eux. Ils se mettent ainsi au
rang de cette prostituée.
RENÉ VIVIAMI.
Nous publierons demain un article de
PIERRE BAUDIN
LEUR TRIOMPHE
Ce n'est pas un succès qu'a rem-
porté le gouvernement : c'est un
triomphe. 120 voix de majorité ont
affirmé l'urgence de disqualifier
des magistrats, à la charge desquels il est
impossible d'établir aucune faute, et la né-
cessité de recommencer la procédure pour
en finir plus vite avec l'Affaire..
En vain, après M. Renault-Morlière, qui
a prononcé un discours décisif, nous avons
demandé comment le gouvernement comp-
tait s'y prendre pour empêcher les adversai-
res de la revision de déshonorer les Cham-
bres réunies, comme ils viennent de discré-
diter la Chambre criminelle; nous avons
trouvé bouche close.
M. Dupuy s'est contenté de nous assurer
qu'il montait autour de la République une
garde vigilante; et un brave député radical,
qui fait la politique de M. Méline en haine
de M. Barthou, s'est précipité à la tribune
pour jurer que, le jour où nos institutions
seraient en péril, il se ferait tuer pour elle.
C'est de quelques semaines avant le Deux
décembre que date la fameuse parole : « Re-
présentants du peuple, délibérez en paix! »
Et la mort de Baudin n'a servi qu'à immor-
taliser la victime du coup d'Etat triomphant.
On ne nous en voudra donc pas d'être
médiocrement rassuré par des protestations
de ce genre. Au risque de passer pour un
incorrigible naïf, nous persistons à croire
que le plus sûr moyen de défendre la Répu-
blique est encore de rester fidèle aux prin-
cipes républicains.
Nous allons voir ce que le Gouvernement
va faire de sa victoire. Ses nouveaux alliés
ne l'ont pas pris en traître. Ils lui ont tracé,
étape par étape, l'itinéraire qu'ils comptent
lui imposer. Ils entendent le faire passer
par un petit chemin où il y a des pierres.
Comment, après avoir capitulé entre leurs
mains, le ministère, à supposer qu'il en ait
la velléité, pourrait-il reprendre sa liberté ?
Nous l'ignorons.
La journée d'hier n'est qu'un commence,
ment. Attendons la suite.
A. MILLERAND.
Courte Explication
Le Temps, on ne sait trop pourquoi, prend
à partie les citoyens Millerand et Viviani.
Il s'étonne que ces deux députés aient signé
le manifeste des républicains — tout en se
félicitant, d'ailleurs, de leur attitude.
Notre confrère prétend relever une contra-
diction entre le discours que Viviani pro-
nonçait jadis contre une certaine catégorie
de magistrats et les sentiments que les so-
cialistes professent aujourd'hui pour la
Chambre criminelle. La contradiction
n'existe que pour les esprits prévenus ou
malveillants. On se demande pourquoi, dans
les circonstances présentes, le Temps s'est
plu à
plu à pareil jeu.
* Lorsque viviani, aux applaudissements
de la Chambre, flétrissait Quesnay de Beau-
repaire, il attaquait un magistrat indigne,
que ses actes avaient rendu complice des
hommes du Panama, et en même temps il
stigmatisait les magistrats qui, à des titres
divers, avaient couvert de leur protection
les puissants corrompus et les escrocs
millionnaires.
Lorsque, maintenant, Millerand et Viviani
défendent les droits de la Chambre crimi-
nelle, diffamée, calomniée, ils restent fidèles
à eux-mêmes. Ils prennent contre Quesnay
de Beaurepaire, contre les amis des faus-
saires qui le soutiennent, le parti d'une
magistrature sans reproche. Ils sont avec
tous les républicains contre les tenants de
la réaction.
Dans les deux cas, ils ont fait leur devoir.
Au reste, pour apprécier leur attitude, il
suffit de s'en référer à ce critérium ; hier,
comme alors, ils combattaient et dénon-
çaient les menées d'un Quesnay. Cela seul
explique leur rôle et les dégage de toute
contradiction.
Le Temps eût pu être mieux inspiré. Mil-
lerand et Viviani ne se sont pas déjugés ;
ils se sont encore moins repentis; ils ont été
conséquents avec eux-mêmes.
Simples Propos
Il est rare que les gazettes du Monde
et de la Noblesse s'arrêtent aux ter-
ribles abus qui découlent de notre société
encore mal organisée. Elles passent avec
une légèreté spéciale sur les misères de
l'ouorier et les suicides du pauvre.
Mais par contre, si l'un de ces menus
ennuis qui guettent tout contribuable
vient à les atteindre dans leurs jouis-
sances et leurs plaisirs, nos privilégiés
crient qu'on les écorche et qu'on les
assassine.
Cette année, à Nice et à Cannes, la
douane dont on connaît la sévérité pour
tous les pêcheurs de nos côtes, s'est ima-
giné de pratiquer des visites à bord des
bateaux de plaisance. C'était mettre tous
les citoyens sur le pied d'égalité.
Mais les propriétaires de yachts ne
l'entendent pas ainsi. A l'un l'on a dé-
rangé ses chemises, à l'autre on a inter-
rompu sa sieste, un troisième cachait à
son bord une femme mariée et la visite
des douaniers a provoqué chez la cou-
pable une crise de nerfs qui a pour
longtemps privé l'amant de ses moyens.
Et c'est de tous côtés des plaintes aussi
tapageuses qu'enfantines.
Mais là ne s'arrête pas la comédie.
Les propriétaires de yachts menacent
de cingler à toute vapeur vers les ré-
gions où ils ne sont pas exposés à ces
visites domiciliaires.
Ils préféreraient s'expatrier plutôt
que de laisser l'Etat français s'assurer
qu'ils ne font pas de contrebande.
Ces susceptibilités exagérées se com-
prenaient encore il y a deux siècles.
Aujourd'hui elles sont aussi ridicules
que maladroites.
L'Ingénu.
ÉCHOS
*-
Ohservationsmétéorologiquel :
Température la plus
basse à,8 heures matin. 110 au-dessus de o
La plus élevée du jour
2 heuresioir. 170 au-dessus de o
Tenips prpoiir aujourdiiii i: Variable.
LES MAITRES RÉPÉTITEURS
Le président du-Conseil vient -d'autoriser la
création de VAssociation des répétiteurs des
lycées et colléges de l'Université de Paris.
Le siège social de cette association est dans
un des lycées de l'Académie.
L'Association a pour but d'étudier les per-
fectionnements à apporter dans le rôle péda-
gogique des répétiteurs et d'entretenir entre
ses membres des rapports de bonne confra-
ternité et d'assistance mutuelle.
LE CAPITAINE POINCARÉ
Parmi les nominations faites récemment
dans l'armée territoriale, figure la promotion
au grade de capitaine de M. Raymond Poin-
caré, député de la Meuse.
L'ancien ministre était lieutenant au 1er ba-
taillon territorial de chasseurs à pied, à An-
necy, si nous ne nous trompons; il est nommé
capitaine au 107* territorial d'infanterie.
~~M~~
« SUR SON TRENTE ET UN »
D'où vient l'expression, d'un si fréquent
usage « se mettre sur son trente-et-un » ?
La Revue Encyclopédique emprunte à un
vieux numéro de la Chronique scientifique
l'explication suivante, qui en vaut une au-
tre, après tout : Se mettre sur son trente et
'Un, revêtir ses plus beaux habits. Dans cette
locution, trente et un est une altération du
mot trentain, qui, autrefois, désignait un drap
de luxe dont la chaîne était composée de trente
fois cent fils ou trois mille fils, et qui ne s'em-
ployait que pour la confection des vêtements
de cérémonie. Porter du trentain, c'était donc
s'habiller richement.
De ce terme technique, le peuple a d'a-
bord fait trente-un, puis trente et un.
LE VIEUX HOLLANDAIS
On annonce la mort, à Groningue, du plus
vieux des habitants de la Hollande, M. G.
Boomgard.
Le patriarche Boomgard était capitaine de
vaisseau - en retraite. C'était le dernier survi-
vant des soldats hollandais qui avaient fait
-partie de l'armée de Napoléon I" pendant la
campagne de Russie.
Nous le croyons volontiers.
MOT DE LA FIN
Crétinot à son fils, élève des ignoran-
tins :
— Eh bien, vous fait-on faire un peu
d'exercice à votre école ?
— Oh ! oui, papa.
— Quel genre d'exercice ?
— Le matin, exercice de lecture et
d'écriture; l'après-midi, exercice de gram-
maire et d'arithmétique.
Passe-Partout.
LE DROIT D'ENSEIGNER
Le citoyen Carnau di au nom du groupe so
cialisle* a déposé hier sur le bureau de la
Chambre une proposition tendant à interdire
le droit d'enseigner à tous ceux qui font vœu
de chasteté.
Voici le texte de cette proposition :
S'il est un devoir sacré qui incombe au légis-
lateur, c'est assurément d'entourer l'enfance
d'une protection tutélaire qui la garantisse de
toute souitlure.
Dans ce but, la première et la plus impor-
tante des précautions à prendre, c'est d'inter-
dire l'enseignement à tout homme qui veut
tenter sur lui une expérience contre nature
en s'imposant la continence la plus absolue. Il
faut prévoir, en effet, le i cas probable où son
cerveau ne pourra résister a une pareille
épreuve.
Mettre de tels hommes, qui peuvent devenir
des fous dangereux, en contact avec les en-
fants, c'est organiser de parti pris, avec la
complicité de l'Etat, des attentats pareils à
celui qui s'est accompli à Lille avant-hier,
dens un pensionnat dirigé par les frères. C'est
pour prévenir le retour de semblables crimes
que nous avons l'honneur de présenter le pro-
jet de loi suivant :
Article unique. — Le droit d'enseigner est
interdit en France à tout homme qui fait vœu
dechasteté.
En présence des scandales qui se reprodui-
sent si fréquemment dans les maisons d'édu-
cation dirigées par des congréganisles et dont
les cours d'assises nous apportent les échos,
à la suite surtout du monstrueux crime de
Lille, la proposition Carnaud arrive fort à pro-
pDS: Naus n'osons pas espérer qu'elle sera
votée; mais, dans tous les cas, elle donnera
lieu à das débats utiles et instructifs qui pour-
ront éclairer les parents imprudents qui con-
fient l'éducation de leurs enfants à des maîtres
qui ont fait vœu de vivre en dehors des lois
de la nature.
Lire à la deuxième page
Les nouveaux détails sur le CRIME
DE LILLE. Chez les bons frères
LE BUT DE M. DUPUY
M. Dupuy a soigneusement évité hier
d'entendre les raisons qu'on lui donnait.
M. Renault-Morlière d'abord et Millerand
ensuite eurent beau s'escrimer à lui démon-
trer que le projet de dessaisissement n'apai-
serait rien et ne ferait que prolonger la
crise. M. Dupuy n'entendait point.
II n'entendait pas davantage quand on lui
signalait le péril et quand on lui disait que
les nationalistes, après avoir obtenu le sa-
crifice de la chambre criminelle, demande-
raient demain qu'on recommence l'en-
quête. •
Il ne comprenait pas, il ne voulait pas
comprendre.
C'est, qu'en effet, la suppression de l'en-
quête est le plus cher de ses désirs.
Car il a un intérêt personnel à faire dis-
paraître au moins une déposition qui le met
personnellement en cause : celle de M. Casi-
mir-Perier.
Tous les orateurs qui se sont succédé à
la tribune ont cherché à s'expliquer la
volte-face ministérielle et se sont demandé
pourquoi le gouvernement avait été amené
à proposer un projet presque identique au
projet Rose qu'il avait jadis combattu.
C'est la connaissance de la déposition de
M. Casimir-Perier qui en est cause.
Le témoignage de l'ancien président de la
République, écrasant pour le général Mer-
cier, est loin d'être obligeant pour M. Du-
puy qui était, comme on sait, président du
conseil en 1894. Ce témoignage établit que
M. Dupuy fut au courant de l'illégalité com-
mise et de l'emploi des fausses pièces diplo-
matiques dont ce gouvernement avait pro-
mis qu'on ne se servirait point.
M. Dupuy, ignorant encore ces faits, com-
battait les - propositions Rose et Gerville-
Réache. "Il changea d'avis dès qu'il connut
les déclarations faites —par suite, croyons-
nous, de la communication des dépositions
aux représentants du ministère de la guerre.
'Il n'eut plus alors qu'un seul but : gagner
du temps et faire l'impossible pour tenter
d'étouffer cette déposition gênante.
C'est là qu'il faut chercher la raison de
cet entêtement à commettre une nouvelle
violation du droit. C'est pour cela que M.
Dupuy ne voulait pas, ne pouvait pas com-
prendre toutes les objections qu'on lui
adressait.
Il luttait avec l'énergie d'un homme per-
sonnellement mis eu cause et qui se défend.
Il a obtenu d'une majorité servile la loi qu'il
sollicitait.
Il aurait tort de considérer cela comme
une victoire définitive. C'est un simple ré-
pit. Devant toutes les Chambres réunies, la
lumière se fera comme elle s'est faite déjà
devant la Chambre criminelle. Et par elle,
les complices, tous les complices, que leur
complicité ait été morale ou matérielle, se-
ront éclaboussés.
ALIMIIH* Lefèvre»
Autre. Miate
LA CHAMBRE DE M. DUPUY CONTRE
LA CHAMBRE CRIMINELLE
LE VOTE DU PROJET
Grand spectacle. — L'urgence déclarée. —
M. Renault-Morlière à la tribune. -
Lebret bafouille. — Discours de Mil-
lerand. — L'arme sur l'épaule.
droite. — Les sophismes de M. Du-
puy. — Singuliers républicains.
— Discours de Pelletan. —
Rien n'y fait. — La réaction
triomphe.
Je crois que nous avons eu hier à la
Chambre le plus grand gala qui s'y soit
donné de l'année. Au théâtre on appelle cela
faire le maximum ; les Folies-Bourbon le
dépassèrent hier.
Donc, bien avant deux heures, les tribunes
du public s'emplissent. Les belles madames
sont là avec leurs traditionnelles toilettes
claires et même, nous fait-on remarquer, on
en a juché jusqu'au deuxième étage, ce qui
s'explique étant donné l'intérêt que devait
avoir la journée. Je dis « que devait avoir »
car, pour l'intérêt qu'elle a eu, j'aimerais
mieux ne point avoir à en parler. En effet,
hier, la Chambre s'est surpassée, elle a été
en dessous de l'en dessous de tout où elle
se tient habituellement.
La séance
Deux heures. Des « ran » et des « plan »
roulent à la cantonade sur un tambour et
M. Deschanel fait son entrée en séance.
Les députés le suivent en un flot tumul-
tueux, et les ministres s'installent à leurs
bancs. Ils sont tous là, sous là haute direc-
tion du gros Dupuy, chef d'orchestre de
la bande et plus particulièrement chapeau-
chinois de la compagnie. Tout à l'heure, il
va nous exécuter un solo dont vous me
direz des nouvelles. Puis, à sa droite, l'inef-
fable Lebret, homme aux opinions su-
perposées, auquel on connaît autant de
convictions que M. Nisard avait de mo-
rales. Ce maître Jacques de la politique a
deux faces : celle du député et celle du mi-
nistre.
Puis voici Lockroy, radical à l'époque des
élections seulement et modéré pour rester
ministre; Delcassé dont nous ne dirons rien
pour n'en point avoir a dire de mal; Leygues
qui manifestait violemment en faveur de
Dreyfus au moment du premier procès Zola;
Viger le trahisseur et d'autres comme De-
lombre et Krantz. Seule la souris blanche
de Freycinet n'est pas là, mais elle arrivera
une fois la bataille engagée. Et la troupe
étant au complet, Deschanel dit : Que la
fête commence.
Le rapport
On aborde immédiatement le projet de loi
relatif au dessaisissement de la Chambre
criminelle, et la parole est à M. Renault-
Morlière, rapporteur.
Mon Dieu 1 M. Renault-Morlière est un
modéré ; il y avait à côté de lui le président
de la commission qui a repoussé le projet
du gouvernement, qui est M. Christophie,
lequel ne passe pas non plus pour un exalté.
Eh bien! ils ont encore été trop républicains
pour M. Dupuy qui a fait voter une loi dont
aurait rougi l'Empire.
Oh! le discours de M. Renault-Morlière
fut simple. Il s'est contenté de dire qu'ayant
toujours été libéral, il ne lui était pas per-
mis d'être partisan d'aucune loi d'exception
et que celle qu'apportait Dupuy était terri-
blement dangereuse. comme toutes ses
semblables d ailleurs. C'était d'ailleurs l'a-
vis dugouvernement il y a peu de semaines,
alors que Dupuy, ayant son fusil sur l'é-
paule gauche, repoussait avec indignation
des propositions pareilles faites par MM.
Rose et Gerville-Réaclie. C'était aussi l'avis
de Lebret qui, prononçant un discours au
Sénat, à peu près sur le même sujet, répon-
dait en invoquant de son républicanisme
avec cette ritournelle revenant toujours :
principe sacré de la séparation des pou-
voirs.
A droite
Depuis lors, les temps sont changés et le
gouvernement justifie son changement d'o-
pinion par des faits et des légendes qui se
sont créés avec sa complicité. Les lois
d'exception ne lui paraissent plus exécra-
bles, mais nécessaires, parce qu'une en-
quête dirigée contre certains magistrats de
la Cour de cassation tourne tout à leur
honneur. Et M. Renault-Morlière poursuit
ainsi :
Le gouvernement lui-même s'est rendu
compte de la gravité de l'acte qu'il vous de-
mande ; aussi cherche-t-it à l'expliquer en
vous disant qu'il s'agit d'une loi de sincérité
et d'apaisement. Une loi de nécessité si vous
aviez trouvé des magistrats prévaricateurs,
oui, mais pourquoi alors que vous ne pouvez
pas faire le moindre reproche à ces magis-
trats?-Allez-vous les dessaisir? (Interruptions
à droite. — Applaudis sements à gauche.)
Je regrette d'avoir soulevé vos protestations.
Il m'est facile d'exprimer la même pensée
sous une autre forme et de dire que je ne
comprends pas la nécessité qu'il y aurait de
dessaisir des magistrats qu'on n'a pas déféré
au conseil supérieur de la magistrature. (Très
bien ! très bien 1 à gauche.)
Le gouvernement fait, dit-on. un acte d'apai-
sement. Je dis, moi, que c'est un acte de fai-
blesse oui est inutile et dangereux.
Il est inutile, car quelqu'un de vous peut-il
avoir l'illusion qu'en déférant l'affaire Dreyfus
aux chambres réunies, la procédure marchera
plus vite? (Très bien! très bien! à gauche.)
Non seulement il faudra obtenir de la Cham-
bre et ensuite du Sénat le vote de la loi ; mais
croyez-vous que les Chambres réunies statue-
ront dès que vous leur aurez remis le dossier?
Elles éprouveront ie besoin de s'éclairer à
leur tour. Comment ferez-vous pour commu-
niauer le dossier secret, non plus à auinze
conseillers, mais à quarante-neuf, car, voua le
savez, il n'a pas été pris copie de ces pièce.
secrètes.
Que de difficultés et de retards ! Et puis,
croyez-vous que l'opinion publique dont vous
parlez acceptera plutôt l'arrêt de la Cour de
cassation tout entière que celui de la Chambre
criminelle ? (Oui! oui ! à droite.—Dénégations
à gauche.)
D'autre part, ne voyez-vous pas les inconvé-
nients du projet? Comment, vous cédez sur
un point essentiel, la composition du tribunal
et vous ne comprenez pas que ce n'est qu'un
premier pas dans une voie où vous ne pour-
rez plus vous arrêter? (Très bien ! très bien ! à
gauche.)
Quand vous aurez laissé détruire la Chaav
bre criminelle, on détruira par les mêmes pro-
cédés les autres Chambres (Applaudissements
à gauche), la magistrature tout entière et jus-
qu'à l'idée de justice. (Nouveaux apphtudis.
sements à gauche. — Exclamations sur divers
bancs.)
Le devoir républicain
En présentant ces observations, je remplis
un devoir, et j'en prévois les inconvénients.
(Très bien! très bien ! à gauche. — Exelama.
tionssur divers bancs,) Je me suis volontaire-
ment exposé à certaines attaques (Vifs ap.
plaudissements a gauche.), car nous vivons à
une singulière époque. On s'obstine dans une
partie du pays à nous diviser en deux camps:
les uns seraient pour et les autres contre Drey-
fus. Je proteste pour ma part. (Applaudisse-
ments a gauche.) Je ne suis ni pour ni contre
Dreyfus. (Vifs applaudissements à gauche).
Je vois plus loin, à l'heure actuelle, je n'ai
pas le droit de croire à son innocence, tant
qu'il restera sous le coup du jugement qui le
condamne, tant que ce jugement n'aura pas
été réformé par les voies légales, je ne me
permettrai pas de croire que Dreyfus est in-
nocent. (Applaudissements sur un grand nom-
bre de bancs.)
Me ferait-on. aussi, à moi, qui aurais, vous
le savez, des raisons particulières pour être
blessé de ce reproche, l'injure de croire que
je ne porte pas au fond du cœur des senti-
ments d'affection pour l'armée? (Applaudisse-
ments.) Je m'attends à tout, mais je proteste
d'avance contre certaines accusations qui se-
raient vraiment misérables.
J'honore l'armée autant que qui que ce
soit, plus que beaucoup, mais je ne croirai
jamais que, pour honorer l'armée, il soit né-
cessaire de violer les principes et de désho-
norer la magistrature. (Vifs applaudisse-
ments.)
Je suis venu ici défendre, sinon ave.:- élo-
quence du moins avec une conviction pro-
fonde, des principes que j'ai respectés toute
ma vie. Quoi qu'il arrive, je considérerai tou-
jours comme l'honneur de ma vie d'être
monté aujourd'hui à la tribune pour y défendre
la cause que j'ai soutenue devant vous. (Vifs
applaudissements. —L'orateur, en retournant
à son banc, reçoit des félicitations.)
C'est plus qu'un succès que l'on fait à
M. Renault-Morlière lorsqu'il descend de la
tribune : c'est une ovation bien méritée.
Toute la gauche applaudit et aussi le centre,
ce qui laisse à penser que le ministère est
bien malade. Mais tout à l'heure, ces gre-
nouilles du centre, dont l'unique politique
est de suivre les ministres quels qu ils
soient, applaudiront de même manière
Dupuy lorsqu'il dira exactement le contraire.
Et de cette dégoûtante comédie nous ne
pouvons plus guère nous indigner: c'est
tellement dans nos mœurs parlementaires
que nous commençons à nous y habituer.
M. Rose
Voici M. Rose, auteur d'un projet simi-
laire à celui du gouvernement. Par amour-
propre d'auteur, M. Rose ne dissimule point
qu'il préférerait voir adopter son projet plu-
tôt que celui de M. Dupuy. Mais encore,
comme la chose à laquelle il tient le plus
est que nous soyons doté d'une nouvelle loi
d'exception, déclare-t-il, qu'il se contentera
du projet du gouvernement. Cet homme dé-
sire être bridé ou, comme certaines femmes,
être battu..11 y a des heures, déclare-t-il,
où dans un pays des lois d'exception sont
nécessaires.
— Oui, monsieur, aux heures louches où
l'on rêve de coup d'Etat ou autres manifes-
tations policières, comme dirait M. de Vo-
guë. Est-ce cela que vous rêvez? Sans doute.
Alors il ne fallait pas venir nous chanter
un refrain sur votre républicanisme. D'ail-
leurs, pour nous prouver sa bonne foi, M.
Rose s appuie sur une autorité: celle de
M. Méline.
0 alors!.
L'homme aux deux opinions
Naturellement, c'est Lebret. Aujourd'hui
il s'est surpassé, trouvant moyen de recu-
ler les bornes du ridicule et du grotesque.
Et il défend sa loi comme il peut, assurant
qu'elle est réclamée par tout le pays — de-
puis huit jours seulement, sans doute — as-
surant que les yeux des populations sont
tournés vers la Cour de cassation, toutes
chambres réunies. D'ailleurs, c'est bien sim-
ple, M. Lebret a demandé son opinion à
M. Mazeau, qui lui a dit de réunir toutes les
chambres et il fait ce que lui dit le premier
président de la Côur de cassation. Alors,
c'est lui qui est ministre et non Lebret !
Et Lebret descend de la tribune bien per-
suadé qu'il vient de prononcer un discours
et de défendre la loi.
Le pauvre homme !
On étouffait dans cet atmosphère de bouf-
fonnerie et de bêtise où, lorsque l'on parlait
des principes essentiels delà République, un
pitre ministériel venait, pour toute réponse,
apporter des paroles ridicules qu'accom-
pagnaient. de grands gestes.
Heureusement, Millerand a replacé la
question sur son véritable terrain et élève
le débat, si considérablement rabaissé par
Lebret. Nous ne pouvons faire mieux que
de publier ce discours d'après l'analytique ;
DISCOURS DE MILLERAND
M. Jlillf"rand.- Nous attendions du gouver.
nement des raisons. Il nous apporte une au-
torité. Il vous dit : Vous pouvez voler notre
projet sans crainte, car j'ai pour vous couvrir,
et pour me couvriraussi, l'avis de M. Mazeau.
(Très bien ! très bien ! à gauche.)
Une voix à droite. - t l'opinion publique t
M. Millerand. — Nous en parlerons. Mail
voyons l'avis du premier président et des
doyens. Si cet avis était la seule pièce qm
vous fût soumise, ie comprendrais rargumeep"'
~":,lllJ_~,~';-
LE NUMÉRO
es
CENTIMES
ADMINISTRATION, RÉDACTION & ANNONCES
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doit être adressé à l'Administrateur. ¡¡,.
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RÉDACTEUR EN CHEF
A Millerand
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TROIS MOIS. 6 FR.
SIX MOIS 11 FR.
UHAN 20 FR.
VINGT-DEUXIÈME ANNÉE. — NUMÉRO 7966
DIMANCHE 12 FÉVRIER 1899
24 PLUVIOSE — AN 107
,
LES MANUSCRITS NON INSÉRÉS NB SONT PAS TTKNDUS
LE NUMÉRO
5
CENTIMES
--
AB!!!CAT!OM ÛE LA CHAMBRE
1 VOTE DU PROJETDVPVY — DISCOURS DE MILLERAND
Tribune Libre
r
TOUTE LA BONTE
Il est vraiment superflu de faire
remarquer qu'une fois de plus c'est
l'équivoque qui a triomphé hier. La
plus misérable car elle était glissée et
volontairement dans le débat le plus
grave qui se soit depuis longtemps
institué. A vrai dire, le projet gouver-
nemental, basé sur ce mélange d'im-
bécillités et d'infamies qu'on décore
du nom d'enquête, ne blesse pas seu-
lement les principes. Il est un outrage
au bon sens. Si chacun veut la fin de
ce mauvais rêve, il est inutile de le
redire ! Mais précisément le projet
rouvre le débat. Que fera-t-on demain
si les chambres civiles sont soumises
au même traitement que la Chambre
criminelle ? C'était la question très
nette posée par Millerand et Pelletan
avec une force souveraine. A question
gênante pas de réponse ! « Nous ver-
irons », a dit M. Dupuy. Nous verrons ?
Est-ce là la réponse d'un chef de gou-
vernement? Nous verrons quoi? Un
nouveau projet, aussi monstrueux que
celui-ci ? C'est probable, c'est sûr. Une
lâcheté est toujours suivie d'une autre
lâchetd. Le cabinet est sur la pente. Et
il n'attendra pas d'être au bout pour
tomber dans la honte.
Que dire de ces discours prononcés
par M. Lebret, par M. Dupuy? On ne
peut parler du premier. Il est tellement
inférieur à sa tâche qu'on ne sait si
l'inconscience ne plaide pas pour lui.
Au surplus, les conversations de tous
ont été l'accueil méprisant fait aux
divagations de ce chef de la justice
qui accepte que la justice soit mou-
chardée par les pires représentants de
la police secrète. M. Dupuy, qui s'es-
saie, sans succès, à des exercices de
voltige oratoire, a tout dit, sauf le
juste et le vraL Ce qui résulte de ce
discours, c'est que l'opinion publique
exigeait le dessaisissement! L'opinion
publique? .Laquelle? Comment repré-
sentée? Et qui ne sait qu'on la fait
parler comme on veut? Chacun l'a
dans sa poche. Et il est devenu puéril
de faire descendre, par des invocations
tragiques, ce grand juge dans tous les
débats — après avoir, au préalable,
faussé sa sentence. -
M. Dupuy obéit. Il obéit aux pires
instincts, aux menaces, aux injures, à
l'intimidation. L'Eglise et l'Etat-Major
manient cette volonté qui se donne
l'illusion de la force 8'quj est débile
aux mains de c&s matâtes comme le
vouloir d'ui* Xi^icwnme est prêt
à tout.
Demain le dessaisissement. Après
Tétouffement de la première enquête.
Et puis. ce qu'on voudra.
Oui, ce qu'on voudra. Il ne faut plus
compter sur cette Chambre. Ce n'est
pas que nous ayons escompté naïve.:
ment sa virilité, mais on pouvait pen-
ser qu'au moins une répugnance su-
prême la garderait du suprême ver-
lige. Voilà qui est fait. La chute est
accomplie. A la droite tout entière des
républicains se sont joints. Des radi-
caux,qui s'imaginent, les malheureux,
en parlant des réformes pour lesquelles
ils ne font rien, masquer leur retraite
honteuse vers la droite, ont parlé, cou-
verts d'applaudissements par les clé-
ricaux. Juste châtiment de la dé-
chéance et pire que les huées républi-
caines qui faisaient rougir leur front.
Mais, malgré tout, cela est peu de
chose. Après tout, ceux qui réclament
et qui votent un pareil projet ont au
moins le mérite de la franchise. Us
parlent et agissent en faveur de leur
opinion. Mais la dernière honte, celle
qui défie toutes les autres, c'est l'abs-
sention — est-ce le mot?— de ceux
dont la parole pouvait faire sur les
consciences hésitantes l'impression
salutaire.
Qui dira pourquoi MM. Bourgeois et
Poincaré et Ribot se sont tus ? Ils ont
contre le projet une opinion connue.
Les deux premiers l'ont exprimée sur-
tout dans un manifeste où leurs noms
se sont, joints aux nôtres. ,..
S'ils ont eu recours à ce suprême
appel après cette réunion de toutes les
opinions, c'est que sans doute — et ils
ont eu raison — le péril couru par la
République était grave. D'ailleurs, ils
l'ont dit, redit, écrit. Et c'est quand ils
portent cette opinion sur la situation
qu'ils s'abstiennent !
M. Bourgeois n'a pas trouvé un mot!
M. Poincaré n'a pas trouvé un geste!
Pourquoi? Est-ce parce que les ap-
plaudissements nourris du centre an-
nonçaient pour le cabinet une victoire
certaine? Peut-être l'auraient-ils di-
minuée cette odieuse victoire de la
force! Peut-être auraient-ils repris sur
le chemin de la défection des amis
&P$urés qui attendaient la parole ré-
confortante! Et quand même la défaite
eût été la même, comment ces mes-
sieurs n'ont-ils pas vu qu'ils se gran-
dissaient? On les accuse de nourrir
des intentions mesquines et basses à
l'endroit du cabinet. C'était montrer
leur pensée haute et dégagée de ces
vilenies. C'était sauver, avec le leur,
l'honneur de leur parti. Mais non!
Leur parole souple et gracieuse a be-
soin, pour s'étendre, des caresses de
la victoire.., Ni l'un ni l'autre ne peu-
vent supporter l'amertume de la dé-
faite. Et il s'agit de la défaite parle-
mentaire si voisine du triomphe pour
les hommes qui ne s'abandonnent
pas! Que serait-ce alors si la vraie dé-
faite, le désastre passager mais pro-
fond des idées de liberté s'ouvraient
devant eux!. Quelle misère! Ce qui
manque à la République ce ne sont
pas les intelligences brillantes et
cultivées. C'est que la volonté ne les
double pas.
Après tout, tant pis! Quand on a re-
connu la fragilité des appuis sur les-
quels la République menacée peut
s'appuyer, on est moins exposé, car
on cherche ailleurs. Au moins, le parti
socialiste par Millerand, et par Pelle-
tan le parti radical-socialiste, auront
mené la bataille, avec talent, courage,
énergie. Nous continuerons, ne re-
poussant aucun concours. Chaque fois
que les républicains, même faibles et
de volonté malade, nous demanderont
comme hier, de former le carré, ce
n'est pas nous qui manquerons à l'ap-
pel, même si au dernier moment ce
carré est déserté. Ce n'est pas par no-
tre faute que manqueront de se fonder
les unions nécessaires. Après tout, le
discrédit n'est pas pour ceux qui tien-
nent leur parole. Il est vrai que la for-
tune politique viont quelquefois aux
autres. S'ils ne la méprisent pas, tant
pis pour eux. Ils se mettent ainsi au
rang de cette prostituée.
RENÉ VIVIAMI.
Nous publierons demain un article de
PIERRE BAUDIN
LEUR TRIOMPHE
Ce n'est pas un succès qu'a rem-
porté le gouvernement : c'est un
triomphe. 120 voix de majorité ont
affirmé l'urgence de disqualifier
des magistrats, à la charge desquels il est
impossible d'établir aucune faute, et la né-
cessité de recommencer la procédure pour
en finir plus vite avec l'Affaire..
En vain, après M. Renault-Morlière, qui
a prononcé un discours décisif, nous avons
demandé comment le gouvernement comp-
tait s'y prendre pour empêcher les adversai-
res de la revision de déshonorer les Cham-
bres réunies, comme ils viennent de discré-
diter la Chambre criminelle; nous avons
trouvé bouche close.
M. Dupuy s'est contenté de nous assurer
qu'il montait autour de la République une
garde vigilante; et un brave député radical,
qui fait la politique de M. Méline en haine
de M. Barthou, s'est précipité à la tribune
pour jurer que, le jour où nos institutions
seraient en péril, il se ferait tuer pour elle.
C'est de quelques semaines avant le Deux
décembre que date la fameuse parole : « Re-
présentants du peuple, délibérez en paix! »
Et la mort de Baudin n'a servi qu'à immor-
taliser la victime du coup d'Etat triomphant.
On ne nous en voudra donc pas d'être
médiocrement rassuré par des protestations
de ce genre. Au risque de passer pour un
incorrigible naïf, nous persistons à croire
que le plus sûr moyen de défendre la Répu-
blique est encore de rester fidèle aux prin-
cipes républicains.
Nous allons voir ce que le Gouvernement
va faire de sa victoire. Ses nouveaux alliés
ne l'ont pas pris en traître. Ils lui ont tracé,
étape par étape, l'itinéraire qu'ils comptent
lui imposer. Ils entendent le faire passer
par un petit chemin où il y a des pierres.
Comment, après avoir capitulé entre leurs
mains, le ministère, à supposer qu'il en ait
la velléité, pourrait-il reprendre sa liberté ?
Nous l'ignorons.
La journée d'hier n'est qu'un commence,
ment. Attendons la suite.
A. MILLERAND.
Courte Explication
Le Temps, on ne sait trop pourquoi, prend
à partie les citoyens Millerand et Viviani.
Il s'étonne que ces deux députés aient signé
le manifeste des républicains — tout en se
félicitant, d'ailleurs, de leur attitude.
Notre confrère prétend relever une contra-
diction entre le discours que Viviani pro-
nonçait jadis contre une certaine catégorie
de magistrats et les sentiments que les so-
cialistes professent aujourd'hui pour la
Chambre criminelle. La contradiction
n'existe que pour les esprits prévenus ou
malveillants. On se demande pourquoi, dans
les circonstances présentes, le Temps s'est
plu à
plu à pareil jeu.
* Lorsque viviani, aux applaudissements
de la Chambre, flétrissait Quesnay de Beau-
repaire, il attaquait un magistrat indigne,
que ses actes avaient rendu complice des
hommes du Panama, et en même temps il
stigmatisait les magistrats qui, à des titres
divers, avaient couvert de leur protection
les puissants corrompus et les escrocs
millionnaires.
Lorsque, maintenant, Millerand et Viviani
défendent les droits de la Chambre crimi-
nelle, diffamée, calomniée, ils restent fidèles
à eux-mêmes. Ils prennent contre Quesnay
de Beaurepaire, contre les amis des faus-
saires qui le soutiennent, le parti d'une
magistrature sans reproche. Ils sont avec
tous les républicains contre les tenants de
la réaction.
Dans les deux cas, ils ont fait leur devoir.
Au reste, pour apprécier leur attitude, il
suffit de s'en référer à ce critérium ; hier,
comme alors, ils combattaient et dénon-
çaient les menées d'un Quesnay. Cela seul
explique leur rôle et les dégage de toute
contradiction.
Le Temps eût pu être mieux inspiré. Mil-
lerand et Viviani ne se sont pas déjugés ;
ils se sont encore moins repentis; ils ont été
conséquents avec eux-mêmes.
Simples Propos
Il est rare que les gazettes du Monde
et de la Noblesse s'arrêtent aux ter-
ribles abus qui découlent de notre société
encore mal organisée. Elles passent avec
une légèreté spéciale sur les misères de
l'ouorier et les suicides du pauvre.
Mais par contre, si l'un de ces menus
ennuis qui guettent tout contribuable
vient à les atteindre dans leurs jouis-
sances et leurs plaisirs, nos privilégiés
crient qu'on les écorche et qu'on les
assassine.
Cette année, à Nice et à Cannes, la
douane dont on connaît la sévérité pour
tous les pêcheurs de nos côtes, s'est ima-
giné de pratiquer des visites à bord des
bateaux de plaisance. C'était mettre tous
les citoyens sur le pied d'égalité.
Mais les propriétaires de yachts ne
l'entendent pas ainsi. A l'un l'on a dé-
rangé ses chemises, à l'autre on a inter-
rompu sa sieste, un troisième cachait à
son bord une femme mariée et la visite
des douaniers a provoqué chez la cou-
pable une crise de nerfs qui a pour
longtemps privé l'amant de ses moyens.
Et c'est de tous côtés des plaintes aussi
tapageuses qu'enfantines.
Mais là ne s'arrête pas la comédie.
Les propriétaires de yachts menacent
de cingler à toute vapeur vers les ré-
gions où ils ne sont pas exposés à ces
visites domiciliaires.
Ils préféreraient s'expatrier plutôt
que de laisser l'Etat français s'assurer
qu'ils ne font pas de contrebande.
Ces susceptibilités exagérées se com-
prenaient encore il y a deux siècles.
Aujourd'hui elles sont aussi ridicules
que maladroites.
L'Ingénu.
ÉCHOS
*-
Ohservationsmétéorologiquel :
Température la plus
basse à,8 heures matin. 110 au-dessus de o
La plus élevée du jour
2 heuresioir. 170 au-dessus de o
Tenips prpoiir aujourdiiii i: Variable.
LES MAITRES RÉPÉTITEURS
Le président du-Conseil vient -d'autoriser la
création de VAssociation des répétiteurs des
lycées et colléges de l'Université de Paris.
Le siège social de cette association est dans
un des lycées de l'Académie.
L'Association a pour but d'étudier les per-
fectionnements à apporter dans le rôle péda-
gogique des répétiteurs et d'entretenir entre
ses membres des rapports de bonne confra-
ternité et d'assistance mutuelle.
LE CAPITAINE POINCARÉ
Parmi les nominations faites récemment
dans l'armée territoriale, figure la promotion
au grade de capitaine de M. Raymond Poin-
caré, député de la Meuse.
L'ancien ministre était lieutenant au 1er ba-
taillon territorial de chasseurs à pied, à An-
necy, si nous ne nous trompons; il est nommé
capitaine au 107* territorial d'infanterie.
~~M~~
« SUR SON TRENTE ET UN »
D'où vient l'expression, d'un si fréquent
usage « se mettre sur son trente-et-un » ?
La Revue Encyclopédique emprunte à un
vieux numéro de la Chronique scientifique
l'explication suivante, qui en vaut une au-
tre, après tout : Se mettre sur son trente et
'Un, revêtir ses plus beaux habits. Dans cette
locution, trente et un est une altération du
mot trentain, qui, autrefois, désignait un drap
de luxe dont la chaîne était composée de trente
fois cent fils ou trois mille fils, et qui ne s'em-
ployait que pour la confection des vêtements
de cérémonie. Porter du trentain, c'était donc
s'habiller richement.
De ce terme technique, le peuple a d'a-
bord fait trente-un, puis trente et un.
LE VIEUX HOLLANDAIS
On annonce la mort, à Groningue, du plus
vieux des habitants de la Hollande, M. G.
Boomgard.
Le patriarche Boomgard était capitaine de
vaisseau - en retraite. C'était le dernier survi-
vant des soldats hollandais qui avaient fait
-partie de l'armée de Napoléon I" pendant la
campagne de Russie.
Nous le croyons volontiers.
MOT DE LA FIN
Crétinot à son fils, élève des ignoran-
tins :
— Eh bien, vous fait-on faire un peu
d'exercice à votre école ?
— Oh ! oui, papa.
— Quel genre d'exercice ?
— Le matin, exercice de lecture et
d'écriture; l'après-midi, exercice de gram-
maire et d'arithmétique.
Passe-Partout.
LE DROIT D'ENSEIGNER
Le citoyen Carnau di au nom du groupe so
cialisle* a déposé hier sur le bureau de la
Chambre une proposition tendant à interdire
le droit d'enseigner à tous ceux qui font vœu
de chasteté.
Voici le texte de cette proposition :
S'il est un devoir sacré qui incombe au légis-
lateur, c'est assurément d'entourer l'enfance
d'une protection tutélaire qui la garantisse de
toute souitlure.
Dans ce but, la première et la plus impor-
tante des précautions à prendre, c'est d'inter-
dire l'enseignement à tout homme qui veut
tenter sur lui une expérience contre nature
en s'imposant la continence la plus absolue. Il
faut prévoir, en effet, le i cas probable où son
cerveau ne pourra résister a une pareille
épreuve.
Mettre de tels hommes, qui peuvent devenir
des fous dangereux, en contact avec les en-
fants, c'est organiser de parti pris, avec la
complicité de l'Etat, des attentats pareils à
celui qui s'est accompli à Lille avant-hier,
dens un pensionnat dirigé par les frères. C'est
pour prévenir le retour de semblables crimes
que nous avons l'honneur de présenter le pro-
jet de loi suivant :
Article unique. — Le droit d'enseigner est
interdit en France à tout homme qui fait vœu
dechasteté.
En présence des scandales qui se reprodui-
sent si fréquemment dans les maisons d'édu-
cation dirigées par des congréganisles et dont
les cours d'assises nous apportent les échos,
à la suite surtout du monstrueux crime de
Lille, la proposition Carnaud arrive fort à pro-
pDS: Naus n'osons pas espérer qu'elle sera
votée; mais, dans tous les cas, elle donnera
lieu à das débats utiles et instructifs qui pour-
ront éclairer les parents imprudents qui con-
fient l'éducation de leurs enfants à des maîtres
qui ont fait vœu de vivre en dehors des lois
de la nature.
Lire à la deuxième page
Les nouveaux détails sur le CRIME
DE LILLE. Chez les bons frères
LE BUT DE M. DUPUY
M. Dupuy a soigneusement évité hier
d'entendre les raisons qu'on lui donnait.
M. Renault-Morlière d'abord et Millerand
ensuite eurent beau s'escrimer à lui démon-
trer que le projet de dessaisissement n'apai-
serait rien et ne ferait que prolonger la
crise. M. Dupuy n'entendait point.
II n'entendait pas davantage quand on lui
signalait le péril et quand on lui disait que
les nationalistes, après avoir obtenu le sa-
crifice de la chambre criminelle, demande-
raient demain qu'on recommence l'en-
quête. •
Il ne comprenait pas, il ne voulait pas
comprendre.
C'est, qu'en effet, la suppression de l'en-
quête est le plus cher de ses désirs.
Car il a un intérêt personnel à faire dis-
paraître au moins une déposition qui le met
personnellement en cause : celle de M. Casi-
mir-Perier.
Tous les orateurs qui se sont succédé à
la tribune ont cherché à s'expliquer la
volte-face ministérielle et se sont demandé
pourquoi le gouvernement avait été amené
à proposer un projet presque identique au
projet Rose qu'il avait jadis combattu.
C'est la connaissance de la déposition de
M. Casimir-Perier qui en est cause.
Le témoignage de l'ancien président de la
République, écrasant pour le général Mer-
cier, est loin d'être obligeant pour M. Du-
puy qui était, comme on sait, président du
conseil en 1894. Ce témoignage établit que
M. Dupuy fut au courant de l'illégalité com-
mise et de l'emploi des fausses pièces diplo-
matiques dont ce gouvernement avait pro-
mis qu'on ne se servirait point.
M. Dupuy, ignorant encore ces faits, com-
battait les - propositions Rose et Gerville-
Réache. "Il changea d'avis dès qu'il connut
les déclarations faites —par suite, croyons-
nous, de la communication des dépositions
aux représentants du ministère de la guerre.
'Il n'eut plus alors qu'un seul but : gagner
du temps et faire l'impossible pour tenter
d'étouffer cette déposition gênante.
C'est là qu'il faut chercher la raison de
cet entêtement à commettre une nouvelle
violation du droit. C'est pour cela que M.
Dupuy ne voulait pas, ne pouvait pas com-
prendre toutes les objections qu'on lui
adressait.
Il luttait avec l'énergie d'un homme per-
sonnellement mis eu cause et qui se défend.
Il a obtenu d'une majorité servile la loi qu'il
sollicitait.
Il aurait tort de considérer cela comme
une victoire définitive. C'est un simple ré-
pit. Devant toutes les Chambres réunies, la
lumière se fera comme elle s'est faite déjà
devant la Chambre criminelle. Et par elle,
les complices, tous les complices, que leur
complicité ait été morale ou matérielle, se-
ront éclaboussés.
ALIMIIH* Lefèvre»
Autre. Miate
LA CHAMBRE DE M. DUPUY CONTRE
LA CHAMBRE CRIMINELLE
LE VOTE DU PROJET
Grand spectacle. — L'urgence déclarée. —
M. Renault-Morlière à la tribune. -
Lebret bafouille. — Discours de Mil-
lerand. — L'arme sur l'épaule.
droite. — Les sophismes de M. Du-
puy. — Singuliers républicains.
— Discours de Pelletan. —
Rien n'y fait. — La réaction
triomphe.
Je crois que nous avons eu hier à la
Chambre le plus grand gala qui s'y soit
donné de l'année. Au théâtre on appelle cela
faire le maximum ; les Folies-Bourbon le
dépassèrent hier.
Donc, bien avant deux heures, les tribunes
du public s'emplissent. Les belles madames
sont là avec leurs traditionnelles toilettes
claires et même, nous fait-on remarquer, on
en a juché jusqu'au deuxième étage, ce qui
s'explique étant donné l'intérêt que devait
avoir la journée. Je dis « que devait avoir »
car, pour l'intérêt qu'elle a eu, j'aimerais
mieux ne point avoir à en parler. En effet,
hier, la Chambre s'est surpassée, elle a été
en dessous de l'en dessous de tout où elle
se tient habituellement.
La séance
Deux heures. Des « ran » et des « plan »
roulent à la cantonade sur un tambour et
M. Deschanel fait son entrée en séance.
Les députés le suivent en un flot tumul-
tueux, et les ministres s'installent à leurs
bancs. Ils sont tous là, sous là haute direc-
tion du gros Dupuy, chef d'orchestre de
la bande et plus particulièrement chapeau-
chinois de la compagnie. Tout à l'heure, il
va nous exécuter un solo dont vous me
direz des nouvelles. Puis, à sa droite, l'inef-
fable Lebret, homme aux opinions su-
perposées, auquel on connaît autant de
convictions que M. Nisard avait de mo-
rales. Ce maître Jacques de la politique a
deux faces : celle du député et celle du mi-
nistre.
Puis voici Lockroy, radical à l'époque des
élections seulement et modéré pour rester
ministre; Delcassé dont nous ne dirons rien
pour n'en point avoir a dire de mal; Leygues
qui manifestait violemment en faveur de
Dreyfus au moment du premier procès Zola;
Viger le trahisseur et d'autres comme De-
lombre et Krantz. Seule la souris blanche
de Freycinet n'est pas là, mais elle arrivera
une fois la bataille engagée. Et la troupe
étant au complet, Deschanel dit : Que la
fête commence.
Le rapport
On aborde immédiatement le projet de loi
relatif au dessaisissement de la Chambre
criminelle, et la parole est à M. Renault-
Morlière, rapporteur.
Mon Dieu 1 M. Renault-Morlière est un
modéré ; il y avait à côté de lui le président
de la commission qui a repoussé le projet
du gouvernement, qui est M. Christophie,
lequel ne passe pas non plus pour un exalté.
Eh bien! ils ont encore été trop républicains
pour M. Dupuy qui a fait voter une loi dont
aurait rougi l'Empire.
Oh! le discours de M. Renault-Morlière
fut simple. Il s'est contenté de dire qu'ayant
toujours été libéral, il ne lui était pas per-
mis d'être partisan d'aucune loi d'exception
et que celle qu'apportait Dupuy était terri-
blement dangereuse. comme toutes ses
semblables d ailleurs. C'était d'ailleurs l'a-
vis dugouvernement il y a peu de semaines,
alors que Dupuy, ayant son fusil sur l'é-
paule gauche, repoussait avec indignation
des propositions pareilles faites par MM.
Rose et Gerville-Réaclie. C'était aussi l'avis
de Lebret qui, prononçant un discours au
Sénat, à peu près sur le même sujet, répon-
dait en invoquant de son républicanisme
avec cette ritournelle revenant toujours :
principe sacré de la séparation des pou-
voirs.
A droite
Depuis lors, les temps sont changés et le
gouvernement justifie son changement d'o-
pinion par des faits et des légendes qui se
sont créés avec sa complicité. Les lois
d'exception ne lui paraissent plus exécra-
bles, mais nécessaires, parce qu'une en-
quête dirigée contre certains magistrats de
la Cour de cassation tourne tout à leur
honneur. Et M. Renault-Morlière poursuit
ainsi :
Le gouvernement lui-même s'est rendu
compte de la gravité de l'acte qu'il vous de-
mande ; aussi cherche-t-it à l'expliquer en
vous disant qu'il s'agit d'une loi de sincérité
et d'apaisement. Une loi de nécessité si vous
aviez trouvé des magistrats prévaricateurs,
oui, mais pourquoi alors que vous ne pouvez
pas faire le moindre reproche à ces magis-
trats?-Allez-vous les dessaisir? (Interruptions
à droite. — Applaudis sements à gauche.)
Je regrette d'avoir soulevé vos protestations.
Il m'est facile d'exprimer la même pensée
sous une autre forme et de dire que je ne
comprends pas la nécessité qu'il y aurait de
dessaisir des magistrats qu'on n'a pas déféré
au conseil supérieur de la magistrature. (Très
bien ! très bien 1 à gauche.)
Le gouvernement fait, dit-on. un acte d'apai-
sement. Je dis, moi, que c'est un acte de fai-
blesse oui est inutile et dangereux.
Il est inutile, car quelqu'un de vous peut-il
avoir l'illusion qu'en déférant l'affaire Dreyfus
aux chambres réunies, la procédure marchera
plus vite? (Très bien! très bien! à gauche.)
Non seulement il faudra obtenir de la Cham-
bre et ensuite du Sénat le vote de la loi ; mais
croyez-vous que les Chambres réunies statue-
ront dès que vous leur aurez remis le dossier?
Elles éprouveront ie besoin de s'éclairer à
leur tour. Comment ferez-vous pour commu-
niauer le dossier secret, non plus à auinze
conseillers, mais à quarante-neuf, car, voua le
savez, il n'a pas été pris copie de ces pièce.
secrètes.
Que de difficultés et de retards ! Et puis,
croyez-vous que l'opinion publique dont vous
parlez acceptera plutôt l'arrêt de la Cour de
cassation tout entière que celui de la Chambre
criminelle ? (Oui! oui ! à droite.—Dénégations
à gauche.)
D'autre part, ne voyez-vous pas les inconvé-
nients du projet? Comment, vous cédez sur
un point essentiel, la composition du tribunal
et vous ne comprenez pas que ce n'est qu'un
premier pas dans une voie où vous ne pour-
rez plus vous arrêter? (Très bien ! très bien ! à
gauche.)
Quand vous aurez laissé détruire la Chaav
bre criminelle, on détruira par les mêmes pro-
cédés les autres Chambres (Applaudissements
à gauche), la magistrature tout entière et jus-
qu'à l'idée de justice. (Nouveaux apphtudis.
sements à gauche. — Exclamations sur divers
bancs.)
Le devoir républicain
En présentant ces observations, je remplis
un devoir, et j'en prévois les inconvénients.
(Très bien! très bien ! à gauche. — Exelama.
tionssur divers bancs,) Je me suis volontaire-
ment exposé à certaines attaques (Vifs ap.
plaudissements a gauche.), car nous vivons à
une singulière époque. On s'obstine dans une
partie du pays à nous diviser en deux camps:
les uns seraient pour et les autres contre Drey-
fus. Je proteste pour ma part. (Applaudisse-
ments a gauche.) Je ne suis ni pour ni contre
Dreyfus. (Vifs applaudissements à gauche).
Je vois plus loin, à l'heure actuelle, je n'ai
pas le droit de croire à son innocence, tant
qu'il restera sous le coup du jugement qui le
condamne, tant que ce jugement n'aura pas
été réformé par les voies légales, je ne me
permettrai pas de croire que Dreyfus est in-
nocent. (Applaudissements sur un grand nom-
bre de bancs.)
Me ferait-on. aussi, à moi, qui aurais, vous
le savez, des raisons particulières pour être
blessé de ce reproche, l'injure de croire que
je ne porte pas au fond du cœur des senti-
ments d'affection pour l'armée? (Applaudisse-
ments.) Je m'attends à tout, mais je proteste
d'avance contre certaines accusations qui se-
raient vraiment misérables.
J'honore l'armée autant que qui que ce
soit, plus que beaucoup, mais je ne croirai
jamais que, pour honorer l'armée, il soit né-
cessaire de violer les principes et de désho-
norer la magistrature. (Vifs applaudisse-
ments.)
Je suis venu ici défendre, sinon ave.:- élo-
quence du moins avec une conviction pro-
fonde, des principes que j'ai respectés toute
ma vie. Quoi qu'il arrive, je considérerai tou-
jours comme l'honneur de ma vie d'être
monté aujourd'hui à la tribune pour y défendre
la cause que j'ai soutenue devant vous. (Vifs
applaudissements. —L'orateur, en retournant
à son banc, reçoit des félicitations.)
C'est plus qu'un succès que l'on fait à
M. Renault-Morlière lorsqu'il descend de la
tribune : c'est une ovation bien méritée.
Toute la gauche applaudit et aussi le centre,
ce qui laisse à penser que le ministère est
bien malade. Mais tout à l'heure, ces gre-
nouilles du centre, dont l'unique politique
est de suivre les ministres quels qu ils
soient, applaudiront de même manière
Dupuy lorsqu'il dira exactement le contraire.
Et de cette dégoûtante comédie nous ne
pouvons plus guère nous indigner: c'est
tellement dans nos mœurs parlementaires
que nous commençons à nous y habituer.
M. Rose
Voici M. Rose, auteur d'un projet simi-
laire à celui du gouvernement. Par amour-
propre d'auteur, M. Rose ne dissimule point
qu'il préférerait voir adopter son projet plu-
tôt que celui de M. Dupuy. Mais encore,
comme la chose à laquelle il tient le plus
est que nous soyons doté d'une nouvelle loi
d'exception, déclare-t-il, qu'il se contentera
du projet du gouvernement. Cet homme dé-
sire être bridé ou, comme certaines femmes,
être battu..11 y a des heures, déclare-t-il,
où dans un pays des lois d'exception sont
nécessaires.
— Oui, monsieur, aux heures louches où
l'on rêve de coup d'Etat ou autres manifes-
tations policières, comme dirait M. de Vo-
guë. Est-ce cela que vous rêvez? Sans doute.
Alors il ne fallait pas venir nous chanter
un refrain sur votre républicanisme. D'ail-
leurs, pour nous prouver sa bonne foi, M.
Rose s appuie sur une autorité: celle de
M. Méline.
0 alors!.
L'homme aux deux opinions
Naturellement, c'est Lebret. Aujourd'hui
il s'est surpassé, trouvant moyen de recu-
ler les bornes du ridicule et du grotesque.
Et il défend sa loi comme il peut, assurant
qu'elle est réclamée par tout le pays — de-
puis huit jours seulement, sans doute — as-
surant que les yeux des populations sont
tournés vers la Cour de cassation, toutes
chambres réunies. D'ailleurs, c'est bien sim-
ple, M. Lebret a demandé son opinion à
M. Mazeau, qui lui a dit de réunir toutes les
chambres et il fait ce que lui dit le premier
président de la Côur de cassation. Alors,
c'est lui qui est ministre et non Lebret !
Et Lebret descend de la tribune bien per-
suadé qu'il vient de prononcer un discours
et de défendre la loi.
Le pauvre homme !
On étouffait dans cet atmosphère de bouf-
fonnerie et de bêtise où, lorsque l'on parlait
des principes essentiels delà République, un
pitre ministériel venait, pour toute réponse,
apporter des paroles ridicules qu'accom-
pagnaient. de grands gestes.
Heureusement, Millerand a replacé la
question sur son véritable terrain et élève
le débat, si considérablement rabaissé par
Lebret. Nous ne pouvons faire mieux que
de publier ce discours d'après l'analytique ;
DISCOURS DE MILLERAND
M. Jlillf"rand.- Nous attendions du gouver.
nement des raisons. Il nous apporte une au-
torité. Il vous dit : Vous pouvez voler notre
projet sans crainte, car j'ai pour vous couvrir,
et pour me couvriraussi, l'avis de M. Mazeau.
(Très bien ! très bien ! à gauche.)
Une voix à droite. - t l'opinion publique t
M. Millerand. — Nous en parlerons. Mail
voyons l'avis du premier président et des
doyens. Si cet avis était la seule pièce qm
vous fût soumise, ie comprendrais rargumeep"'
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