Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1899-02-13
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 février 1899 13 février 1899
Description : 1899/02/13 (N7967,A22). 1899/02/13 (N7967,A22).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 18/09/2012
La Lanterne -
M NUMÉRO
V BKJ
- CENTIMES
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A. "Millerand
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Départements
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SIX MOIS .11 FR.
UN AN 20 FR.
VINGT-DEUXIÈME ANNÉE. — NUMÉRO 7967
LUNDI 13 FÉVRIER 1899
25 PLUVIOSE — AN 107
LES MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SONT PAS RENDUS
LE JFUMÊFÉ
5
CENTIMES
Tribune Libre
L'ENGRENAGE
Est-il possible de parler d'autre chose
que de l'événement d'hier et de ceux
qui doivent nécessairement en décou-
lerl Peut-il être question des progrès
que la France a à accomplir dans l'or-
dre social et politique quand ceux qui
la conduisent la poussentaux pires sa-
crifices des principes essentiels à toute
société.
Et tout de suite je félicite celui des
députés qui, pour justifier son vote en
faveur de la loi Dupuy, a prétendu ré-
server son effort à la défense des ré-
formes républicaines. A quelles réfor-
mes à-t-il bien pu faire allusion ?
Avant de prétendre faire.avancer la
machine, il faut d'abord l'empêcher de
marcher à reculons.
Il ne convient pas du reste de donner
trop d'importance à cette déclaration,
non qu'elle n'ait produit quelque effet.
Dans le désarroi où le chef du parti
radical laissait ses troupes, elle a per-
mis à quelques-uns de donner de leur
conduite une explication avouable, et
elle se chuchotait à travers les bancs.
Mais ce trop facile sophisme n'a pu
passer aux yeux de personne pour une
raison sérieuse. L'appel si éloquent et
si entraînant adressé par Millerand et
Camille Pelletan à tous les républi-
cains avait trop bien formulé à tous
J'idéedu devoir présent. L'aspect même
de la salle ne permettait à personne de
se méprendre sur le caractère de la
lutte engagée.
Nos ennemis formaient la masse
compacte, audacieuse et confiante de
l'armée gouvernementale. Elle atten-
dait, frémissante d'impatience et de
volonté contenues, l'heure où la Répu-
blique devait se porter à elle-même un
des coups les plus rudes qu'elle ait
jamais reçus. Non, personne ne s'y
trompait, personne. Et c'est par d'au-
tres sortes de mobiles qu'il faut s'ex-
pliquer l'attitude du petit nombre de
républicains qui ont donné la majorité
au cabinet.
Lisez ou relisez le discours de M. Le-
bret. C'est là qu'il faut chercher la clé
des cœurs et des consciences.
Plus tard, quand on voudra voir clair
dans l'histoire de la troisième Répu-
blique, il n'y aura pas de document
plus utile à consulter que celui-ci.
Comment des hommes chargés de dé-
fendre la loi ont été conduits à la dé-
truire, comment l'entreprise grossière
des Basile calomniateurs et dénoncia-
teurs a pu aboutir, comment le pays a
laissé commettre un coup de force
odieux ? On ne le comprendra jamais
si on ne se résout à méditer les pa-
roles de M. Lebret.
La démocratie n'est pas en effet, par
définition, destructrice des garanties
de la justice ni l'ennemie de la vérité:
Elle est, au contraire, par nature, le
défenseur le plus sur de ces deux idées
éternelles. Elle ne pardonne pas à ceux
qui ont la folie de se mettre en antago-
nisme avec elle. Mais la démocratie
délègue ses pouvoirs à quelques hom-
mes, ces hommes s'appuient eux-mê-
mes sur une clientèle faite de braves
gens ou de fripons, peu importe.
- Il faut, pour la satisfaire, gagner
une part d'influence, il faut exister et
un élu n'existe que s'il se manifeste
au monde par des distributions de
plaees. Ainsi s'éclaire la belle pensée
du garde des sceaux : « N'oubliez pas
vos circonscriptions. » Autrement dit,
pensez à ceux dont vous avez besoin.
- On peut mesurer la dignité et la va-
leur morale des dirigeants à la hau-
teur de ce langage.
Cherchez autre chose dans toutes
les raisons qui ont été données avant-
hier de la loi, vous en trouverez plu-
sieurs. Elles sont toutes de cet ordre.
On a dit et le gouvernement a répété,
qu'il n'y a pas de rapport entre l'en-
quête de MM. Mazeau, Dareste et Voi-
sin et la proposition de loi. Voilà une
.affirmation risquée. Il y a au moins ce
rapport-ci. L'enquête s'est traînée dans
les basses délations de police et les
examens de lettres anonymes. La pro-
position de loi n'a dû son succès qu'aux
plus honteuses capitulations de cons-
cience.
Il n'y a, du reste, que cela d'af-
fligeant. Le but poursuivi-par les me-
neurs est de supprimer l'enquête et
d'arrêter net le cours de la justice.
Mais ils ne s'aperçoivent pas que ce
but s'est brusquement éloigné d'eux.
La Cour de cassation, tout entière,
devient le défenseur de la loi.
Et la loi, il en reste assez pour impo-
ser son respect et sa force .aux magis-
trats qui ont charge de l'appliquer.
Ils ne tarderont pas à se trouver en
conflit avec les démagogues qui pen-
sent obtenir d'eux des délations nou-
velles et leur arracher par la peur un
arrêt complaisant.
Ce n'est pas la une œuvre si simple.
Et pour l'empêcher nous serons bien-
- tôt plus de deux cent sept.
Mais quels seront les remords de
ceux qui leur ont cédé une première
fois.
Acculés à leur résister, de quelles
armes se serviront-ils? Ils ont perdu
volontairement la direction rassurante
st forte du respect de la loi. La loi n'est
plus, à cause d'eux, qu'un texte chan-
geant et incertain variant suivant les
besoins du pouvoirpolitique et les agi-
otions de la rue.
Et nous savons comment nos advér-1
saires savent agiter la rue et manier
la calomnie. Nous savons aussi que
le gouvernement obéit à leurs injonc-
tions et accorde Ó leurs projets la sanc-
tion réservée jusqu'ici aux volontés de
la loi.
Ce sera le châtiment de ceux qui
n'ont pas obéi à leur conscience d'être
soumis à de nouvelles et peut-être plus
graves humiliations ou astreints à de
périlleuses défenses.
PIERRE BAUDÏN.
Nous publierons demain un article de
ANDRÉ LEFÈVRE
LEUR PLAN
- j
Comme nous avons de toute notre
énergie combattu un projet qui fait
à la plus haute juridiction de France
l'in 1111*0 la nliiecanclanlo At la mnino
méritée, des adversaires, plus passionnés
que logiques, en concluent que nous sus-
pectons les chambres civiles, puisque nous
avons défendu la Chambre criminelle. D'au-
cuns vont même jusqu'à nous prêter le des-
sein de préparer, contre les nouveaux juges,
je ne sais quelle campagne d'insinuation et
d'outrages.
Ces messieurs nous jugent d'après eux.
Jamais nous n'avons rêvé pareille entre-
prise. Tous nos vœux tendent a un arrêt
dicté par une exacte et saine justice. Nous
ne doutons pas que les conseillers des
chambres civiles ne soient tout aussi quali-
fiés pour le rendre que leurs collègues de
la Chambre criminelle. Entre les uns et les
autres, nous n'avons aucune préférence à
marquer, aucun choix à faire.
Ce n'est pas par méfiance contre deux4
chambres de la Cour de cassation que nous
avons soutenu les droits de la troisième.
Mais outre que le projet disqualifie sans
raison des magistrats professionnellement
irréprochables, il présente ce double et trop
certain péril de prolonger une crise désas-
treuse et de surexciter les passions au lieu
de les apaiser.
Car, si nous sommes résolus à garder
vis-à-vis de tous les membres de la Cour,
l'attitude calme et déférente dont nous ne
nous sommes pas départis depuis le début
de la procédure de revision ; il s'en faut que
cette réserve doive être imitée par nos ad-
versaires. :
M. Quesnay de Beaurepaire et, à sa suite,
tous les meneurs de la résistance antirevi-
sionniste vont reprendre, contre les cham-
bres civiles, la campagne ordurière qui
vient de leur valoir, grâce à la complicité
du gouvernement, un si honorable succès.
- Ils se flattent, par cette tactique, de ren-
dre impossible toute solution régulière et
légale et d'arracher à la faiblesse éprouvée
du ministère et du Parlement comme à la
lassitude du pays une mesure d'étouffement
définitif.
Tel est leur plan. Nous ne négligerons
rien pour en empêcher le succès.
A. MILLERAND.
Simples Propos
Dans la Dame de chez Maxim, l'amu-
sante pièce de M. Georges Feydeau, pa-
raissait un gros curé naïf et bon enfant,
qui faisait le désespoir du public bien
pensant. Ce n'est pas qu'en sa rubiconde
personne la religion fût aucunement
bafouée, mais il accompagnait au piano
l'héroïne dans une chanson un peu ris-
quée et surtout lui adressait quelques
questions plutôt grivoises dans leur -in-
nocente simplicité. ~-~-t-.-.-~,.~-.~-
Qu'il s'agisse de ceux qu'on nomme les
soutiens de la société, comme le magis-
trat, le savant ou l'officier, et le grand
monde stamusera à leurs dépens sans
arrière-pensée. N'est-on pas au théâtre
pour rire un peu des défauts et des fai-
blesses d'autrui ?
Mais un curé en soutane, quel scan-
dale 1 Et une véritable cabale fut mon-
tée, non pas franche et tapageuse, mais
sournoise et active. L'auteur reçut des
lettres de lmules dames de la noblesse,
amies du clergés tant et si bien qu'il a
enfin cédé.
Dorénavant, le joyeux curé de M.
Georges Feydeau restera loin du piano
et ne risquera plus ses piquantes ques-
tions.
N'est-il pas curieux de voir le monde
clérical se réjouir et s'amuser de ce que
les magistrats suprêmes sont ridiculisés
jusque dans leur prétoire, alors que
pour quelques inoffensives réparties d'un
curé sur la scène, ce même monde se
scandalise et s'insurge.
Là comme toujours, le clergé recueille
les bénéfices de la fortnidable influence
qu'on lui laisse prendre sur la femme.
Par elle il est certain d'être défendu
jusque dans les moindres attaques : par
elle il règne aussi bien au théâtre que
dans les salons.
Dans toutes les affaires où la femme
intervient, il suffit de chercher un peu
pour trouver le curé.
L'Ingénu.
La Responsabilité civile des Instituteurs
L'article que nous publiions, il y a un mois,
sur cette question n'a peut-être pas été inutile.
Nous rappelions qu'au mois de mars 1890 la
Chambre a voté une proposition de loi qui fait
passer de l'instituteur public à l'Etat la res-
ponsabilité édictée par l'article 1384 du Code
civil.
« Ce projet dort au Sénat », disions-nous, et
nous réclamions quelqu'un pour le tirer de
son trop long sommeil. Notre désir est en par-
tie réalisé : M. le sénateur Thézard vient de
déposer son rapport.
Nous ne chicanerons pas sur les onze mois
qu'a pris la rédaclion de ce rapport de huit
pages où l'étude préalable d'un texte de loi que
la commission sénatoriale a adopté sans y
changer une lettre ; l'essentiel est que le Sé-
naL ait enfin cette question inscrite à son ordre
du jour.
Le rapporteur du Sénat approuve trop faci-
lement certaines décisions judiciaires dont
nous avons fait une vigoureuse critique parce
qu'elles nous semblaient inspirées par l'esprit
clérical et que nous les estimions en opposi-
tion formelle avec le texte et surtout avec l'es-
prit de l'article 1384.
Qu'importe? M. Thézard reprend la thèse
sur laquelle M. Hubbard, M. Malzac et moi,
nous avions appuyé nos proDositions :
« L'Etat est, dit-il, suivant une expression
heureuse, quant aux établissements qui relè-
vent de lui, un entrepreneur d'éducation ; il
est le patron suprême de tous ces établisse-
ments. Les maitres ne sont que ses préposés
responsables sans doute de leur faute person-
nelle, mais que nulle raison ne permet de
rendre responsables de la faute d'aulrui. »
Et, à leur tour, M. Thézard et la commission,
dont il est l'organe, reportent à l'Etat la res-
ponsabilité que l'article 1384 fait supporter au
patron en ce qui concerne les actes domma-
geables de ses ouvriers, employés ou ap-
prentis.
Encore un bon mouvement, un tout petit ef-
fort qui ne troublera pas trop la quiète hu-
meur du Sénat, et la loi sera votée, et nos ins-
tituteurs seront débarrassés du cauchemar de
la responsabilité civile.
A. Lavy.
On nous communique le procès-verbal sui-
vant:
A la suite du discours prononcé par M.
Millerand, député de Paris, dans la séance
.du vendredi 10 février 1899, M. Cavaignac,
député de la Sarthe, se considérant comme
offensé par une phrase de ce discours, a
chargé M. le général de brigade Roget et
M. PailIard-Ducléré, ancien député de la
Sarthe, de demander à M. Millerand des
explications.
M. Millerand a chargé MM. Ranc, séna-
teur de la Seine, et René Viviani, député de
la Seine, de le représenter.
Après avoir consulté le texte du discours
publié au Journal officiel du samedi 11 fé-
vrier, le seul texte exact et auquel les té-
moins aient à se référer, les témoins de
M. Cavaignac ayant en outre entendu les
explications de MM. Ranc et Viviani, il a
été reconnu entre les témoins, d'un commun
accord, que la phrase incriminée ne conte-
nait aucune intention offensante ni aucune
attaque visant la bonne foi de M. Cavai-
gnac et qu'en conséquence, il n'y avait pas'
lieu à rencontre.
Fait en double à Paris, le 11 février 1899.
Pour M. Millerand : Pour M. Cavaignac :
A. RANC. Général HOGET.
René VIVIANI. C. PAILLARD-DUCLÉRÉ.
Voici la phrase dont M. Cavaignac voulait
avoir les explications que le procès-verbal ci-
dessus lui a fournies: r
Pas de revision ! c'est le cri de l'homme
qui, au lendemain même du faux Henry,,
convaincu de s'être laissé grossièrement
duper et d'avoir dupé avec lui et la France
et le Parlement, émettait la prétention inqua-
lifiable de barrer la route à la revision au
nom de son infaillibilité. jm^'
ÉCHOS
Observations météorologiques :
Température la plus
basse à 8 heures matin. ioo5 au-dessus de o
La plus élevée du jour
2 heures soir. 160 au-dessus de o
Temps probable pour aujourd'hui: Variable.
Aujourd'hui, à deux heures, courses à
Pau.
NOS FAVORIS
Prix du Bois : Ravello ou Le Valé-
rien.
Prix des Fougères : Ganet ou Bay
Monarch.
Prix du Pont-Long : Cluny II ou Ra-
meur.---- -
Prix de la Société des Steeple-Chases :
Aristo ou Barbotine.
PETIT CARNET
HIER. - Sortie des lycées et collèges pour
les Jours Gras. (Rentrée mercredi soir.)
AUJOURD'HUI. — Election sénatoriale (Seine).
A L'ACADÉMIE
L'Académie des sciences morales et politi-
ques a procédé hier après-midi à l'élection
d'un académicien libre, en remplacement de
M. Buffet, et à celle d'un associé étranger, en
remplacement de M. Gladstone.
Pour la place d'académicien libre, le baron
de Courcel, sénateur de Seine-et-Oise, ancien
ambassadeur de France en Angleterre, a été
élu.
Les candidats à la place d'associé étranger
étaient MM. Luzzatti et Gustave Moynier.
M. Luzzatti,l'homme d'Etat italien bien connu,
a été élu. M. Tolstoï a obtenu 6 voix et M. Moy-
nier, 4.
IttUitt*
AU MUSÉE DU LOUVRE
On annonce que le musée du Louvre vient
d'acquérir un tableau d'Ingres, l'Odalisque
couchée, que le grand artiste a exécuté à Rome
en 1814.
tHNlNHt
LE SQUARE DE CLUNY
Les négociations entre la Ville de Paris et
les héritiers Delalain pour l'achat du terrain
situé entre la Sorbonne et le musée de Cluny
sont terminées. Ce terrain est cédé à l'amiable
par les héritiers Delalain, pour la somme de
975,000 francs.
On sait que la Ville de Paris et l'Etat doivent
payer chacun là moitié du prix d'achat.
C'est M. Formigé qui a été chargé de dessi-
ner le nouveau square.
- '., -; /
LA RUE VANEAU
On sait que le Conseil municipal a décidé
l'élargissement de la rue Vaneau.
Cette rue a toujours, en certaine partie, la
largeur qu'elle avait en 1642 quand elle s'ap-
pelait la « rue des Brodeurs ». Dans ce quar-
tier misérable habitaient beaucoup de pauvres
femmes qui brodaient pour les grands confec-
tionneurs de la cour et de la ville qui les
payaient d'un salaire dérisoire.
La rue n'avait pas encore de lanternes en
1722. elle était habitée par ce qu'on était con-
| venu d'appeltrr de trop petites gens. Il y avait
cependant plusieurs vieux hôtels, les hôtels
du Lude, du Chayla et de Vendôme.'
[ C'est au coin de la rue Vaneau que fut tué le
polytechnicien Vaneau, au moment où l'on ve-
nait de faire sommation inutilement aux Suis-
ses de la caserne Babylone; il dirigea l'atta-
que, l'épée à la main.
t~v~
CHOUETTE DYSPEPTIQUE
Nous avons annoncé qu'un conflit s'était
élevé entre le professeur Wiggin, de la Fa-
culté de médecine de Chicago, et les étudian-
tes, scandalisées par le qualificatif de « chouet-
te dyspeptique », appliqué par M. Wiggin à la.
femme considérée au point de vue physiolo-
gique.
Ce conflit n'est pas, tant sans faut, apaisé.
Les étudiantes ont soumis le cas à un plé-
biscite de la ligue des femmes exerçant une
profession. Cette consultation a abouti à la
conclusion que, la chouette étant l'oiseau de
Minerce et le symbole de la sagesse, le carac-
tère injurieux de l'expression du professeur
Wiggin résidait dans le mot : « dyspepti-
que. »
Bien que l'outrage fait au sexe faible perde
ainsi beaucoup de sa gravité, la ligue n'en a
pas moins résolu de boycotter la femme qui
épousera M. Wiggin, lequel, heureusement
pour lui, n'est pas marié. Elle menace le pro-
fesseur de bien d'autres châtiments plus ter-
ribles encore s'il est réintégré dans sa chaire.
Quels châtiments? Nous ne sommes pas cu-
rieux, mais nous voudrions bien savoir.
LA DIGNITÉ DE LA POLICE
On s'ingénie, en Angleterre, â tirer des poli-
cemen le meilleur parti passible. Ils rendent
quelques services, cela est certain; mais le
plus clair de leur temps s'écoule en prome-
nades et l'on s'est demandé parfois s'il n'y au
rait pas moyen de les employer plus utile-
ment.
La municipalité de Tunbridge-Wells, près de
Londres, a pensé à en faire des allumeurs de
réverbères. L'idée semblait à la fois originale
et pratique. Chaque îlot étant pourvu d'une
lance, le policeman s'emparait de cet instru-
ment à l'heure déterminée par les règlements
municipaux et allumait les réverbères, tout en
achevant sa ronde accoutumée. L'éclairage de
la ville s'accomplissait plus rapidement, et
l'édilité réalisait une économie en licenciant
ses allumeurs.
Dès que l'adoption de cette mesure a été
connue, les agents de police ont signé une
protestation où ils déclarent que «leur dignité
ne leur permet pas de descendre au rôle d'al-
lumeurs de becs de gaz ».
iti
,,.,.,,,.,.
MOT DE LA FIN
Mme Crétinot confie à son mari une
lettre qu'elle vient d'écrire, en le priant
de la mettre.à la poste.
Le soir, elle lui dit :
— Comment ! vous avez été assez bête
pour jeter ma lettre dans la boîte sans
remarquer que j'avais oublié de mettre
l'adresse? - -
Et Crétinot : ;". -
— Mais, ma bonne amie, j'ai pensé sim-
plement : elle ne veut pas que je sache à
qui elle écrit!. J'étais même assez vexé
de ce manque de confiance.
Passe-Partout.
LE CRIME DE LILLE
Le crime de Lille se présente avecun côté mys-
térieux qu'il ne semblait pas avoir d'après les
premières dépêches. Tout fait croire, comme
on le voit par les nouveaux renseignements,
que le frère Flamidien a des complices. Peut-
êlre aussi a-t-il eu des concurrents et des ri-
vaux dans la première partie de son crime et
se trouve-t-on devant une de ces épidémies de
pratiques contre nature et de ces jalousies
étranges qui déshonore trop souvent les écoles
eongréganistes.
Aussi ne saurait-on trop demander à la jus-
tice qui a l'affaire entre les mains de ne rien
négliger pour connaître l'étendue du mal et.
saisir les coupables, tous les coupables quel-
que diversion qu'ils osent tenter. C'est une
question de moralité, nous dirions presque de
salubrité publique.
En prescrivant la fermeture de l'établisse-
ment qui a été le théâtre du crime abomina-
ble, le préfet a pris une mesure qui s'impo-
sait. C'est à l'instruction judiciaire à étudier
les faits de près, à poursuivre l'enquête, sans
se laisser détourner ni intimider. Des pres-
sions de toutes sortes vont être opérées sur
les magistrats, on voudra brouiller les cartes,
déplacer les responsabilités, et l'on peut s'at-
tendre à une résistance extrême et désespé-
rée de la part des coupables.
Nous vivons à une époque où la justice est
soumise à tant d'influences extérieures qu'elle
a besoin de se sentir soutenue dans son œu-
vre par l'opinion publique et la presse indé-
pendante. C'est un devoir auquel, pour notre
part, nous ne faillirons pas.
LE PRÉSIDENT BONNET
La chose est définitive : le conseiller Bonnet,
qui doit présider les débats de la Cour d'assi-
ses où comparaîtra notre confrère Urbain
Gohier, vient de refuser à notre ami Jaurès
l'autorisation de défendre l'accusé du minis-
tère de la guerre.
Le fait vaut d'être cité, car il est rare. Faut-
il rappeler que déjà une fois notre ami Jaurès
défendit Gérault-Richard, que ces temps der-
niers M. Clemenceau fut à plusieurs reprises
au banc de la défense dans les procès Zola, et
pour cent exemples que nous pourrions don-
ner de ce genre, nous n'en trouverions pas un
confirmant la façon d'agir du conseiller Bon-
net.
Ces temps ne sont plus, parait-il, et Bonnet
veut oublier la courtoisie. Pourquoi? Il a tort,
car mieux vaudrait pour lui rester ignoré
et bénéficier du silence. Il tient encore à ac-
centuer la défavorable opinion que l'on a de
lui au Palais où il passe pour un magistrat
grincheux, désagréable, dur aux accusés con tre
lesquels ses questions affectent toujours la
forme de brefs réquisitoires. Du reste cette
réputation, si justifiée par ses actes, ne date
pas d'hier et n'est pas spéciale à Paris.
Avant que d'opérer au, quai de l'Horloge,
M. Bonnet était conseiller à Riom, où par sa
morgue il avait su se mettre tout le monde à
dos. Magistrat sans conscience, il paraissait
toujours assouvir de basses rancunes, condam-
nait pour le plaisir de condamner, confirmait
en appel tous les jugements, sans se donner
même la neine de les accompagner d'attendus
sérieux. C'était son bon plaisir et cela devait
suffire. * <-> - -
Cette attitude fit tellement scandale dans le
monde du Palais qu'avoués et avocats s'enten-
dirent pour refuser de plaider devant ce ma-
gistrat. Il fallut le changer, et c'est à ce mo-
ment sans doute qu'on nous l'expédia à Paris,
ce qui était, avouez-le, une singulière disgrâce.
Mais il n'est pas inutile de dire que M. Bonnet
est fortement « pistoné » par d'influents per-
sonnages politiques que d'ailleurs il oublie
très volontiers dès qu'il n'en a plus besoin.
Et c'est ce personnage qui interdit la parole
à notre ami Jaurès, rétrécissant ainsi de sa
propre initiative le droit de la défense.
Peut-être aurait-il mieux fait de songer à la
sienne propre, ce qui est bien une manière de
parler. J.-M. G.
Magistrat hygiéniste
A la bonne heure, voilà un juge qui vient de faire
œuvre saine en supprimant une coutume qui, jusqu'à ce
jour, était en vigueur dans tous les Palais de Justice
des Etats-Unis d'Amérique.
Cette coutume, qui non seulement était d'un ridicule
achevé mais de plus était tout simplement dégoûtante,
consistait à obliger les témoins à prêter serment en
baisant la Bible.
Un vieux bouquin était disposé à cet usage sur un
pupitre devant la barre des témoins qui, tous, étaient
contraints d'apposer leurs lèvres sur la page où des
milliers de lèvres avaient déjà laissé leur empreinte.
Cette Bible, que tant de bouches mouillaient ainsi,
ne tardait pas à devenir un nid de microbes et à emma-
gasiner entre ses feuillets les germes de toutes sortes de
maladies.
Aussi le juge de Morrisania vient-il d'interdire, au
tribunal où il siège, ce peu ragoûtant usage; les témoins
qui auront à prêter serment devant lui se contenteront
dorénavant de lever la main droite ; c'est le système
adopté chez nous. Il est d'ailleurs tout aussi ridicule,
car je ne comprends pas très bien ce qu'ajoute de force
à l'affirmation d'un témoin c# fait de montrer le plafond;
sans compter que, lorsqu'il s'agit d'un témoin manchot,
la chose ve doit point être aisée. Mais enfin, ce système
a au moins l'avantage de n'être point sale.
M. Pool, le juge en question, a donc agi, là, non
seulement en magistrat mais en hygiéniste, et ses
administrés ne doivent pas s'en plaindre.
Jean Reyval.
A QUAND. LA FIN?
Alors que la revision du procès Dreyfus
s'imposait impérieusement, le ministère
Méline prolongea, par ses coupables ma-
nœuvres, le trouble dans lequel s'agitait
douloureusement l'opinion publique.
Quand la revision fut décidée par le minis-
tère Brisson, tous les hommes de bonne foi
poussèrent un soupir de soulagement. On
voyait avec satisfaction arriver la fin de cet
horrible cauchemar, et chacun pensa que,
puisque l'instruction était ouverte, la France
allait bientôt retrouver le calme qu'elle rie
connaissait plus depuis longtemps.
Hier nous touchions au but. La Chambre
d'instruction criminelle avait terminé ses
travaux et le pays allait être appelé à con-
naître, par des débats publics, tous les des-
sous de cette lamentable affaire.
Mais cette solution si rapprochée et si
naturelle ne Douvait plaire ni aux pêcheurs
en eau trouble, ni aux césariens, ni à ceux
qui ont pris à tâche de couvrir les méfaits
des hauts gradés compromis dans ce scan-
dale.
Il leur était, à tout prix, nécessaire de
gagner du temps et d'éloigner la terrible
échéance. Grâce à la complicité du gouver-
nement, ils ont réussi dans leurs manœu-
vres.
La solution de l'affaire Dreyfus est ren-
voyée aux calendes grecques, et, pendant
de longs mois encore, le pays va se débattre
dans de nouvelles épreuves. Par le fait du
gouvernement, dont la mission était de
dénouer la situation le plus rapidement pos-
sible, tout est remis en question, et les inté-
rêts du pays vont continuer à souffrir pen-
dant longtemps encore.
Il est impossible, en effet, de prévoir
maintenant quand tout cela finira. Il faut
d'abord attendre le vote du Sénat; puis,
quand le Sénat aura parlé, il faudra, s'il
vote la loi, attendre la fin du supplément
d'enquête que la Cour ne manquera pas
d'ordonner. Des complications vont surgir
Inévitablement, car les nationalistes, mis
en goût par les premières concessions de
M. Dupuy, vont en exiger de nouvelles et
vouloir mener les événements à leur gré.
Ah! nous avons encore du scandale sur
la planche. La campagne césarienne, forte
de l'appui de minsitres inconscients ou traî-
tres à la République, va redoubler d'ardeur
et croître en audace. Jusqu'où le gouverne-
ment poussera-t-il la lâcheté ?
Dans tous les cas, il se passera encore de
longs mois avant que le pays ne retrouve
sa tranquillité. Que la responsabilité en
retombe sur ceux qui ont donné une nou-
velle acuité à l'affaire, au moment même
où elle allait se clore.
Maurice Allard.
La publication de l'Enquête
Une nouvelle des plus graves et que jusqu'à
preuve du contraire, nous voulons croire er-
ronée, nous a été donnée hier dans les cou-
loirs de la Chambre.
Il paraîtrait que le gouvernement, qui aurait
bien voulu échapper à l'obligation de publier
le dossier de l'enquête à laquelle se sont li-
vrés les membres de la chambre criminelle,
à l'occasion de la revision Dreyfus, aurait dé-
cidé que cette publication serait faite sous son
propre contrôle, à l'exclusion de tous les con-
seillers de la chambre criminelle.
Ne tenant aucun compte de la décision de
la Chambre criminelle qui avait nommé une
commission composée de trois de ses mem-
bres pour surveiller l'impression des pièces
de l'enquête, les collationner, etc., le gouver-
nement aurait pris la détermination de procé-
der lui-même à cette besogne et aurait fait
savoir aux conseillers en question que les
travaux d'impression de l'enquête, qui vont
être effectués à l'imprimerie nationale, seront
contrôlés par un représentant du cabinet.
Si cette nouvelle se confirmait, elle prouve-
rait que le gouvernement a l'intention de
faire une publication qui ne sera ni loyale ni
complète; et, de laquelle, il éliminerait les
documents qui lui paraîtraient gênants.
Si c'est là le but que MM. Dupuy et Lebret
veulent atteindre, ils se trompent, car toutes
les pièces de l'enquête sont cotées et para-
phées, de telle façon que toute suppression, !
toute addition, toute interpolation serait fata-
lement connue à bref délai.
CHEZ LES MIS FBEBES
LES OBSÈQUES DU JEUNE GASTON
FO VEAUX
Cent mille personnes suivent le cercueil, m?
Imposante manifestation. — La foule
indignée. - L'enquête. - Les frères
toujours gardés à vue. — La soi-
rée. — Charges de police.—
Appel de la municipa-
lité à la population.
(De notre envoyé)
Lille, 11 février. — Lille est toujours sous
le coup d'une profonde émotion produite
par l'horrible crime commis à l'école des
frères de la rue de la Monnaie. Tout la
monde est sur le qui-vive, attendant avec
une fébrile impatience que des aveux sor4
tent de la bouche de Flavidien et que les
complices de ce monstre soient arrêtés.
1 - - - FRÈRE FLAMIDIEN
Mais avant de parler des nouveaux rcn-
seig-nements recueillis par l'enquête judi-
ciaire, disons que la population lilloise el
de nombreux citoyens venus de tous les
points du département ont fait au jeune
Gaston Foveaux d'admirables funérailles.
Cent mille personnes ont accompagné le
cercueil jusqu'au cimetière de l'Est. Ce fut
une imposante manifestation et ce fut aussi
une protestation indignée contre renseigne-
ment clérical. "*
La mise en bière avait eu lieu la veille en
présence du père qui, regardant une der-
nière fois son enfant, s'écria : « C'est af-
freux, je n'ai plus de larmes, je suis anéanti.»
Immédiatement après cette suprême en-
trevue, le cercueil fut cloué et porté rue des
Prêtres, au domicile des malheureux pa-
rents. Sur la porte, on avait affichée la lettre
mortuaire dont uoici le texte :
M. et Mme Elisée Foveaux-Leu.
M. et Mme Foveaux-Piérache,
Mlle Amandide Foveaux, etc., etc.
Ont la douleur de vous faire part de la perle
irréparable qu'ils viennent d éprouver en la
personne de
GASTON-LOUIS-ALPHONSE
FOVEAUX
leur Fils, Petit-Fils, Neveu et Cousin, décédé
accidentellement à Lille, le 5 février 1809,
dans sa treizième année.
Ils vous prient d'assister aux convoi et ser-
vice qui auront lieu le samedit 11 dudit mois,
à neuf heures trois quarts en l'église Saint-
Etienne, sa paroisse, d'où son corps sera con-
duit au cimetière de l'Est pour y être inhumé.
L'assemblée à la maison mortuaire, rue des
Prêtres, 27, à neuf heures et demie.
Les dames sont priées d'y assister.
Un De Profundis s. v. p.
« Décédé accidentellement », telle est l'ex-
pression employée. N'aurait-il pas convenu
de dire exactement : « Assassiné par un
frère des écoles cltrétiennes. »
1 LE PETIT GASTON
Dès neuf heures, une foule immcnse,
composée en grande partie de femmes, sta-
tionnait aux alentours de la maison mor-
tuaire, tendue de draperies blanches et
bleues.
A dix heures, le clergé, qui avait4jté sifflé
à sa sortie de l'Eglise, est arrivé rue des
Prêtres.
Dans les rues avoisinantes on entendait
chanter ce refrain :
A bas les frères
Il faut les pendre
Il faut les pendre
Aux réverbères.
La levée du corps eut lieu aussitôt cl 1er
cortège funèbre s'est mis en marche, pré-
cédé par des gendarmes à cheval.
Le cercueil est porté à bras et recouvert
d'un poêle bleu lamé d'argent. De nom-
breuses fleurs ont été placées sur le drap
mortuaire, dont les coins sont tenus par des
amis de la famille.
Le père de la victime, qui est très affecté,
suit immédiatement, puis viennent la fa-
mille, le préfet du Nord, le maire de Lille,
les adjoints, le procureur de la République
et presque toutes les autorités civiles et mi-
litaires,
Les couronnes, au iiombrede quinze, sont
M NUMÉRO
V BKJ
- CENTIMES
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UN AN 20 FR.
VINGT-DEUXIÈME ANNÉE. — NUMÉRO 7967
LUNDI 13 FÉVRIER 1899
25 PLUVIOSE — AN 107
LES MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SONT PAS RENDUS
LE JFUMÊFÉ
5
CENTIMES
Tribune Libre
L'ENGRENAGE
Est-il possible de parler d'autre chose
que de l'événement d'hier et de ceux
qui doivent nécessairement en décou-
lerl Peut-il être question des progrès
que la France a à accomplir dans l'or-
dre social et politique quand ceux qui
la conduisent la poussentaux pires sa-
crifices des principes essentiels à toute
société.
Et tout de suite je félicite celui des
députés qui, pour justifier son vote en
faveur de la loi Dupuy, a prétendu ré-
server son effort à la défense des ré-
formes républicaines. A quelles réfor-
mes à-t-il bien pu faire allusion ?
Avant de prétendre faire.avancer la
machine, il faut d'abord l'empêcher de
marcher à reculons.
Il ne convient pas du reste de donner
trop d'importance à cette déclaration,
non qu'elle n'ait produit quelque effet.
Dans le désarroi où le chef du parti
radical laissait ses troupes, elle a per-
mis à quelques-uns de donner de leur
conduite une explication avouable, et
elle se chuchotait à travers les bancs.
Mais ce trop facile sophisme n'a pu
passer aux yeux de personne pour une
raison sérieuse. L'appel si éloquent et
si entraînant adressé par Millerand et
Camille Pelletan à tous les républi-
cains avait trop bien formulé à tous
J'idéedu devoir présent. L'aspect même
de la salle ne permettait à personne de
se méprendre sur le caractère de la
lutte engagée.
Nos ennemis formaient la masse
compacte, audacieuse et confiante de
l'armée gouvernementale. Elle atten-
dait, frémissante d'impatience et de
volonté contenues, l'heure où la Répu-
blique devait se porter à elle-même un
des coups les plus rudes qu'elle ait
jamais reçus. Non, personne ne s'y
trompait, personne. Et c'est par d'au-
tres sortes de mobiles qu'il faut s'ex-
pliquer l'attitude du petit nombre de
républicains qui ont donné la majorité
au cabinet.
Lisez ou relisez le discours de M. Le-
bret. C'est là qu'il faut chercher la clé
des cœurs et des consciences.
Plus tard, quand on voudra voir clair
dans l'histoire de la troisième Répu-
blique, il n'y aura pas de document
plus utile à consulter que celui-ci.
Comment des hommes chargés de dé-
fendre la loi ont été conduits à la dé-
truire, comment l'entreprise grossière
des Basile calomniateurs et dénoncia-
teurs a pu aboutir, comment le pays a
laissé commettre un coup de force
odieux ? On ne le comprendra jamais
si on ne se résout à méditer les pa-
roles de M. Lebret.
La démocratie n'est pas en effet, par
définition, destructrice des garanties
de la justice ni l'ennemie de la vérité:
Elle est, au contraire, par nature, le
défenseur le plus sur de ces deux idées
éternelles. Elle ne pardonne pas à ceux
qui ont la folie de se mettre en antago-
nisme avec elle. Mais la démocratie
délègue ses pouvoirs à quelques hom-
mes, ces hommes s'appuient eux-mê-
mes sur une clientèle faite de braves
gens ou de fripons, peu importe.
- Il faut, pour la satisfaire, gagner
une part d'influence, il faut exister et
un élu n'existe que s'il se manifeste
au monde par des distributions de
plaees. Ainsi s'éclaire la belle pensée
du garde des sceaux : « N'oubliez pas
vos circonscriptions. » Autrement dit,
pensez à ceux dont vous avez besoin.
- On peut mesurer la dignité et la va-
leur morale des dirigeants à la hau-
teur de ce langage.
Cherchez autre chose dans toutes
les raisons qui ont été données avant-
hier de la loi, vous en trouverez plu-
sieurs. Elles sont toutes de cet ordre.
On a dit et le gouvernement a répété,
qu'il n'y a pas de rapport entre l'en-
quête de MM. Mazeau, Dareste et Voi-
sin et la proposition de loi. Voilà une
.affirmation risquée. Il y a au moins ce
rapport-ci. L'enquête s'est traînée dans
les basses délations de police et les
examens de lettres anonymes. La pro-
position de loi n'a dû son succès qu'aux
plus honteuses capitulations de cons-
cience.
Il n'y a, du reste, que cela d'af-
fligeant. Le but poursuivi-par les me-
neurs est de supprimer l'enquête et
d'arrêter net le cours de la justice.
Mais ils ne s'aperçoivent pas que ce
but s'est brusquement éloigné d'eux.
La Cour de cassation, tout entière,
devient le défenseur de la loi.
Et la loi, il en reste assez pour impo-
ser son respect et sa force .aux magis-
trats qui ont charge de l'appliquer.
Ils ne tarderont pas à se trouver en
conflit avec les démagogues qui pen-
sent obtenir d'eux des délations nou-
velles et leur arracher par la peur un
arrêt complaisant.
Ce n'est pas la une œuvre si simple.
Et pour l'empêcher nous serons bien-
- tôt plus de deux cent sept.
Mais quels seront les remords de
ceux qui leur ont cédé une première
fois.
Acculés à leur résister, de quelles
armes se serviront-ils? Ils ont perdu
volontairement la direction rassurante
st forte du respect de la loi. La loi n'est
plus, à cause d'eux, qu'un texte chan-
geant et incertain variant suivant les
besoins du pouvoirpolitique et les agi-
otions de la rue.
Et nous savons comment nos advér-1
saires savent agiter la rue et manier
la calomnie. Nous savons aussi que
le gouvernement obéit à leurs injonc-
tions et accorde Ó leurs projets la sanc-
tion réservée jusqu'ici aux volontés de
la loi.
Ce sera le châtiment de ceux qui
n'ont pas obéi à leur conscience d'être
soumis à de nouvelles et peut-être plus
graves humiliations ou astreints à de
périlleuses défenses.
PIERRE BAUDÏN.
Nous publierons demain un article de
ANDRÉ LEFÈVRE
LEUR PLAN
- j
Comme nous avons de toute notre
énergie combattu un projet qui fait
à la plus haute juridiction de France
l'in 1111*0 la nliiecanclanlo At la mnino
méritée, des adversaires, plus passionnés
que logiques, en concluent que nous sus-
pectons les chambres civiles, puisque nous
avons défendu la Chambre criminelle. D'au-
cuns vont même jusqu'à nous prêter le des-
sein de préparer, contre les nouveaux juges,
je ne sais quelle campagne d'insinuation et
d'outrages.
Ces messieurs nous jugent d'après eux.
Jamais nous n'avons rêvé pareille entre-
prise. Tous nos vœux tendent a un arrêt
dicté par une exacte et saine justice. Nous
ne doutons pas que les conseillers des
chambres civiles ne soient tout aussi quali-
fiés pour le rendre que leurs collègues de
la Chambre criminelle. Entre les uns et les
autres, nous n'avons aucune préférence à
marquer, aucun choix à faire.
Ce n'est pas par méfiance contre deux4
chambres de la Cour de cassation que nous
avons soutenu les droits de la troisième.
Mais outre que le projet disqualifie sans
raison des magistrats professionnellement
irréprochables, il présente ce double et trop
certain péril de prolonger une crise désas-
treuse et de surexciter les passions au lieu
de les apaiser.
Car, si nous sommes résolus à garder
vis-à-vis de tous les membres de la Cour,
l'attitude calme et déférente dont nous ne
nous sommes pas départis depuis le début
de la procédure de revision ; il s'en faut que
cette réserve doive être imitée par nos ad-
versaires. :
M. Quesnay de Beaurepaire et, à sa suite,
tous les meneurs de la résistance antirevi-
sionniste vont reprendre, contre les cham-
bres civiles, la campagne ordurière qui
vient de leur valoir, grâce à la complicité
du gouvernement, un si honorable succès.
- Ils se flattent, par cette tactique, de ren-
dre impossible toute solution régulière et
légale et d'arracher à la faiblesse éprouvée
du ministère et du Parlement comme à la
lassitude du pays une mesure d'étouffement
définitif.
Tel est leur plan. Nous ne négligerons
rien pour en empêcher le succès.
A. MILLERAND.
Simples Propos
Dans la Dame de chez Maxim, l'amu-
sante pièce de M. Georges Feydeau, pa-
raissait un gros curé naïf et bon enfant,
qui faisait le désespoir du public bien
pensant. Ce n'est pas qu'en sa rubiconde
personne la religion fût aucunement
bafouée, mais il accompagnait au piano
l'héroïne dans une chanson un peu ris-
quée et surtout lui adressait quelques
questions plutôt grivoises dans leur -in-
nocente simplicité. ~-~-t-.-.-~,.~-.~-
Qu'il s'agisse de ceux qu'on nomme les
soutiens de la société, comme le magis-
trat, le savant ou l'officier, et le grand
monde stamusera à leurs dépens sans
arrière-pensée. N'est-on pas au théâtre
pour rire un peu des défauts et des fai-
blesses d'autrui ?
Mais un curé en soutane, quel scan-
dale 1 Et une véritable cabale fut mon-
tée, non pas franche et tapageuse, mais
sournoise et active. L'auteur reçut des
lettres de lmules dames de la noblesse,
amies du clergés tant et si bien qu'il a
enfin cédé.
Dorénavant, le joyeux curé de M.
Georges Feydeau restera loin du piano
et ne risquera plus ses piquantes ques-
tions.
N'est-il pas curieux de voir le monde
clérical se réjouir et s'amuser de ce que
les magistrats suprêmes sont ridiculisés
jusque dans leur prétoire, alors que
pour quelques inoffensives réparties d'un
curé sur la scène, ce même monde se
scandalise et s'insurge.
Là comme toujours, le clergé recueille
les bénéfices de la fortnidable influence
qu'on lui laisse prendre sur la femme.
Par elle il est certain d'être défendu
jusque dans les moindres attaques : par
elle il règne aussi bien au théâtre que
dans les salons.
Dans toutes les affaires où la femme
intervient, il suffit de chercher un peu
pour trouver le curé.
L'Ingénu.
La Responsabilité civile des Instituteurs
L'article que nous publiions, il y a un mois,
sur cette question n'a peut-être pas été inutile.
Nous rappelions qu'au mois de mars 1890 la
Chambre a voté une proposition de loi qui fait
passer de l'instituteur public à l'Etat la res-
ponsabilité édictée par l'article 1384 du Code
civil.
« Ce projet dort au Sénat », disions-nous, et
nous réclamions quelqu'un pour le tirer de
son trop long sommeil. Notre désir est en par-
tie réalisé : M. le sénateur Thézard vient de
déposer son rapport.
Nous ne chicanerons pas sur les onze mois
qu'a pris la rédaclion de ce rapport de huit
pages où l'étude préalable d'un texte de loi que
la commission sénatoriale a adopté sans y
changer une lettre ; l'essentiel est que le Sé-
naL ait enfin cette question inscrite à son ordre
du jour.
Le rapporteur du Sénat approuve trop faci-
lement certaines décisions judiciaires dont
nous avons fait une vigoureuse critique parce
qu'elles nous semblaient inspirées par l'esprit
clérical et que nous les estimions en opposi-
tion formelle avec le texte et surtout avec l'es-
prit de l'article 1384.
Qu'importe? M. Thézard reprend la thèse
sur laquelle M. Hubbard, M. Malzac et moi,
nous avions appuyé nos proDositions :
« L'Etat est, dit-il, suivant une expression
heureuse, quant aux établissements qui relè-
vent de lui, un entrepreneur d'éducation ; il
est le patron suprême de tous ces établisse-
ments. Les maitres ne sont que ses préposés
responsables sans doute de leur faute person-
nelle, mais que nulle raison ne permet de
rendre responsables de la faute d'aulrui. »
Et, à leur tour, M. Thézard et la commission,
dont il est l'organe, reportent à l'Etat la res-
ponsabilité que l'article 1384 fait supporter au
patron en ce qui concerne les actes domma-
geables de ses ouvriers, employés ou ap-
prentis.
Encore un bon mouvement, un tout petit ef-
fort qui ne troublera pas trop la quiète hu-
meur du Sénat, et la loi sera votée, et nos ins-
tituteurs seront débarrassés du cauchemar de
la responsabilité civile.
A. Lavy.
On nous communique le procès-verbal sui-
vant:
A la suite du discours prononcé par M.
Millerand, député de Paris, dans la séance
.du vendredi 10 février 1899, M. Cavaignac,
député de la Sarthe, se considérant comme
offensé par une phrase de ce discours, a
chargé M. le général de brigade Roget et
M. PailIard-Ducléré, ancien député de la
Sarthe, de demander à M. Millerand des
explications.
M. Millerand a chargé MM. Ranc, séna-
teur de la Seine, et René Viviani, député de
la Seine, de le représenter.
Après avoir consulté le texte du discours
publié au Journal officiel du samedi 11 fé-
vrier, le seul texte exact et auquel les té-
moins aient à se référer, les témoins de
M. Cavaignac ayant en outre entendu les
explications de MM. Ranc et Viviani, il a
été reconnu entre les témoins, d'un commun
accord, que la phrase incriminée ne conte-
nait aucune intention offensante ni aucune
attaque visant la bonne foi de M. Cavai-
gnac et qu'en conséquence, il n'y avait pas'
lieu à rencontre.
Fait en double à Paris, le 11 février 1899.
Pour M. Millerand : Pour M. Cavaignac :
A. RANC. Général HOGET.
René VIVIANI. C. PAILLARD-DUCLÉRÉ.
Voici la phrase dont M. Cavaignac voulait
avoir les explications que le procès-verbal ci-
dessus lui a fournies: r
Pas de revision ! c'est le cri de l'homme
qui, au lendemain même du faux Henry,,
convaincu de s'être laissé grossièrement
duper et d'avoir dupé avec lui et la France
et le Parlement, émettait la prétention inqua-
lifiable de barrer la route à la revision au
nom de son infaillibilité. jm^'
ÉCHOS
Observations météorologiques :
Température la plus
basse à 8 heures matin. ioo5 au-dessus de o
La plus élevée du jour
2 heures soir. 160 au-dessus de o
Temps probable pour aujourd'hui: Variable.
Aujourd'hui, à deux heures, courses à
Pau.
NOS FAVORIS
Prix du Bois : Ravello ou Le Valé-
rien.
Prix des Fougères : Ganet ou Bay
Monarch.
Prix du Pont-Long : Cluny II ou Ra-
meur.---- -
Prix de la Société des Steeple-Chases :
Aristo ou Barbotine.
PETIT CARNET
HIER. - Sortie des lycées et collèges pour
les Jours Gras. (Rentrée mercredi soir.)
AUJOURD'HUI. — Election sénatoriale (Seine).
A L'ACADÉMIE
L'Académie des sciences morales et politi-
ques a procédé hier après-midi à l'élection
d'un académicien libre, en remplacement de
M. Buffet, et à celle d'un associé étranger, en
remplacement de M. Gladstone.
Pour la place d'académicien libre, le baron
de Courcel, sénateur de Seine-et-Oise, ancien
ambassadeur de France en Angleterre, a été
élu.
Les candidats à la place d'associé étranger
étaient MM. Luzzatti et Gustave Moynier.
M. Luzzatti,l'homme d'Etat italien bien connu,
a été élu. M. Tolstoï a obtenu 6 voix et M. Moy-
nier, 4.
IttUitt*
AU MUSÉE DU LOUVRE
On annonce que le musée du Louvre vient
d'acquérir un tableau d'Ingres, l'Odalisque
couchée, que le grand artiste a exécuté à Rome
en 1814.
tHNlNHt
LE SQUARE DE CLUNY
Les négociations entre la Ville de Paris et
les héritiers Delalain pour l'achat du terrain
situé entre la Sorbonne et le musée de Cluny
sont terminées. Ce terrain est cédé à l'amiable
par les héritiers Delalain, pour la somme de
975,000 francs.
On sait que la Ville de Paris et l'Etat doivent
payer chacun là moitié du prix d'achat.
C'est M. Formigé qui a été chargé de dessi-
ner le nouveau square.
- '., -; /
LA RUE VANEAU
On sait que le Conseil municipal a décidé
l'élargissement de la rue Vaneau.
Cette rue a toujours, en certaine partie, la
largeur qu'elle avait en 1642 quand elle s'ap-
pelait la « rue des Brodeurs ». Dans ce quar-
tier misérable habitaient beaucoup de pauvres
femmes qui brodaient pour les grands confec-
tionneurs de la cour et de la ville qui les
payaient d'un salaire dérisoire.
La rue n'avait pas encore de lanternes en
1722. elle était habitée par ce qu'on était con-
| venu d'appeltrr de trop petites gens. Il y avait
cependant plusieurs vieux hôtels, les hôtels
du Lude, du Chayla et de Vendôme.'
[ C'est au coin de la rue Vaneau que fut tué le
polytechnicien Vaneau, au moment où l'on ve-
nait de faire sommation inutilement aux Suis-
ses de la caserne Babylone; il dirigea l'atta-
que, l'épée à la main.
t~v~
CHOUETTE DYSPEPTIQUE
Nous avons annoncé qu'un conflit s'était
élevé entre le professeur Wiggin, de la Fa-
culté de médecine de Chicago, et les étudian-
tes, scandalisées par le qualificatif de « chouet-
te dyspeptique », appliqué par M. Wiggin à la.
femme considérée au point de vue physiolo-
gique.
Ce conflit n'est pas, tant sans faut, apaisé.
Les étudiantes ont soumis le cas à un plé-
biscite de la ligue des femmes exerçant une
profession. Cette consultation a abouti à la
conclusion que, la chouette étant l'oiseau de
Minerce et le symbole de la sagesse, le carac-
tère injurieux de l'expression du professeur
Wiggin résidait dans le mot : « dyspepti-
que. »
Bien que l'outrage fait au sexe faible perde
ainsi beaucoup de sa gravité, la ligue n'en a
pas moins résolu de boycotter la femme qui
épousera M. Wiggin, lequel, heureusement
pour lui, n'est pas marié. Elle menace le pro-
fesseur de bien d'autres châtiments plus ter-
ribles encore s'il est réintégré dans sa chaire.
Quels châtiments? Nous ne sommes pas cu-
rieux, mais nous voudrions bien savoir.
LA DIGNITÉ DE LA POLICE
On s'ingénie, en Angleterre, â tirer des poli-
cemen le meilleur parti passible. Ils rendent
quelques services, cela est certain; mais le
plus clair de leur temps s'écoule en prome-
nades et l'on s'est demandé parfois s'il n'y au
rait pas moyen de les employer plus utile-
ment.
La municipalité de Tunbridge-Wells, près de
Londres, a pensé à en faire des allumeurs de
réverbères. L'idée semblait à la fois originale
et pratique. Chaque îlot étant pourvu d'une
lance, le policeman s'emparait de cet instru-
ment à l'heure déterminée par les règlements
municipaux et allumait les réverbères, tout en
achevant sa ronde accoutumée. L'éclairage de
la ville s'accomplissait plus rapidement, et
l'édilité réalisait une économie en licenciant
ses allumeurs.
Dès que l'adoption de cette mesure a été
connue, les agents de police ont signé une
protestation où ils déclarent que «leur dignité
ne leur permet pas de descendre au rôle d'al-
lumeurs de becs de gaz ».
iti
,,.,.,,,.,.
MOT DE LA FIN
Mme Crétinot confie à son mari une
lettre qu'elle vient d'écrire, en le priant
de la mettre.à la poste.
Le soir, elle lui dit :
— Comment ! vous avez été assez bête
pour jeter ma lettre dans la boîte sans
remarquer que j'avais oublié de mettre
l'adresse? - -
Et Crétinot : ;". -
— Mais, ma bonne amie, j'ai pensé sim-
plement : elle ne veut pas que je sache à
qui elle écrit!. J'étais même assez vexé
de ce manque de confiance.
Passe-Partout.
LE CRIME DE LILLE
Le crime de Lille se présente avecun côté mys-
térieux qu'il ne semblait pas avoir d'après les
premières dépêches. Tout fait croire, comme
on le voit par les nouveaux renseignements,
que le frère Flamidien a des complices. Peut-
êlre aussi a-t-il eu des concurrents et des ri-
vaux dans la première partie de son crime et
se trouve-t-on devant une de ces épidémies de
pratiques contre nature et de ces jalousies
étranges qui déshonore trop souvent les écoles
eongréganistes.
Aussi ne saurait-on trop demander à la jus-
tice qui a l'affaire entre les mains de ne rien
négliger pour connaître l'étendue du mal et.
saisir les coupables, tous les coupables quel-
que diversion qu'ils osent tenter. C'est une
question de moralité, nous dirions presque de
salubrité publique.
En prescrivant la fermeture de l'établisse-
ment qui a été le théâtre du crime abomina-
ble, le préfet a pris une mesure qui s'impo-
sait. C'est à l'instruction judiciaire à étudier
les faits de près, à poursuivre l'enquête, sans
se laisser détourner ni intimider. Des pres-
sions de toutes sortes vont être opérées sur
les magistrats, on voudra brouiller les cartes,
déplacer les responsabilités, et l'on peut s'at-
tendre à une résistance extrême et désespé-
rée de la part des coupables.
Nous vivons à une époque où la justice est
soumise à tant d'influences extérieures qu'elle
a besoin de se sentir soutenue dans son œu-
vre par l'opinion publique et la presse indé-
pendante. C'est un devoir auquel, pour notre
part, nous ne faillirons pas.
LE PRÉSIDENT BONNET
La chose est définitive : le conseiller Bonnet,
qui doit présider les débats de la Cour d'assi-
ses où comparaîtra notre confrère Urbain
Gohier, vient de refuser à notre ami Jaurès
l'autorisation de défendre l'accusé du minis-
tère de la guerre.
Le fait vaut d'être cité, car il est rare. Faut-
il rappeler que déjà une fois notre ami Jaurès
défendit Gérault-Richard, que ces temps der-
niers M. Clemenceau fut à plusieurs reprises
au banc de la défense dans les procès Zola, et
pour cent exemples que nous pourrions don-
ner de ce genre, nous n'en trouverions pas un
confirmant la façon d'agir du conseiller Bon-
net.
Ces temps ne sont plus, parait-il, et Bonnet
veut oublier la courtoisie. Pourquoi? Il a tort,
car mieux vaudrait pour lui rester ignoré
et bénéficier du silence. Il tient encore à ac-
centuer la défavorable opinion que l'on a de
lui au Palais où il passe pour un magistrat
grincheux, désagréable, dur aux accusés con tre
lesquels ses questions affectent toujours la
forme de brefs réquisitoires. Du reste cette
réputation, si justifiée par ses actes, ne date
pas d'hier et n'est pas spéciale à Paris.
Avant que d'opérer au, quai de l'Horloge,
M. Bonnet était conseiller à Riom, où par sa
morgue il avait su se mettre tout le monde à
dos. Magistrat sans conscience, il paraissait
toujours assouvir de basses rancunes, condam-
nait pour le plaisir de condamner, confirmait
en appel tous les jugements, sans se donner
même la neine de les accompagner d'attendus
sérieux. C'était son bon plaisir et cela devait
suffire. * <-> - -
Cette attitude fit tellement scandale dans le
monde du Palais qu'avoués et avocats s'enten-
dirent pour refuser de plaider devant ce ma-
gistrat. Il fallut le changer, et c'est à ce mo-
ment sans doute qu'on nous l'expédia à Paris,
ce qui était, avouez-le, une singulière disgrâce.
Mais il n'est pas inutile de dire que M. Bonnet
est fortement « pistoné » par d'influents per-
sonnages politiques que d'ailleurs il oublie
très volontiers dès qu'il n'en a plus besoin.
Et c'est ce personnage qui interdit la parole
à notre ami Jaurès, rétrécissant ainsi de sa
propre initiative le droit de la défense.
Peut-être aurait-il mieux fait de songer à la
sienne propre, ce qui est bien une manière de
parler. J.-M. G.
Magistrat hygiéniste
A la bonne heure, voilà un juge qui vient de faire
œuvre saine en supprimant une coutume qui, jusqu'à ce
jour, était en vigueur dans tous les Palais de Justice
des Etats-Unis d'Amérique.
Cette coutume, qui non seulement était d'un ridicule
achevé mais de plus était tout simplement dégoûtante,
consistait à obliger les témoins à prêter serment en
baisant la Bible.
Un vieux bouquin était disposé à cet usage sur un
pupitre devant la barre des témoins qui, tous, étaient
contraints d'apposer leurs lèvres sur la page où des
milliers de lèvres avaient déjà laissé leur empreinte.
Cette Bible, que tant de bouches mouillaient ainsi,
ne tardait pas à devenir un nid de microbes et à emma-
gasiner entre ses feuillets les germes de toutes sortes de
maladies.
Aussi le juge de Morrisania vient-il d'interdire, au
tribunal où il siège, ce peu ragoûtant usage; les témoins
qui auront à prêter serment devant lui se contenteront
dorénavant de lever la main droite ; c'est le système
adopté chez nous. Il est d'ailleurs tout aussi ridicule,
car je ne comprends pas très bien ce qu'ajoute de force
à l'affirmation d'un témoin c# fait de montrer le plafond;
sans compter que, lorsqu'il s'agit d'un témoin manchot,
la chose ve doit point être aisée. Mais enfin, ce système
a au moins l'avantage de n'être point sale.
M. Pool, le juge en question, a donc agi, là, non
seulement en magistrat mais en hygiéniste, et ses
administrés ne doivent pas s'en plaindre.
Jean Reyval.
A QUAND. LA FIN?
Alors que la revision du procès Dreyfus
s'imposait impérieusement, le ministère
Méline prolongea, par ses coupables ma-
nœuvres, le trouble dans lequel s'agitait
douloureusement l'opinion publique.
Quand la revision fut décidée par le minis-
tère Brisson, tous les hommes de bonne foi
poussèrent un soupir de soulagement. On
voyait avec satisfaction arriver la fin de cet
horrible cauchemar, et chacun pensa que,
puisque l'instruction était ouverte, la France
allait bientôt retrouver le calme qu'elle rie
connaissait plus depuis longtemps.
Hier nous touchions au but. La Chambre
d'instruction criminelle avait terminé ses
travaux et le pays allait être appelé à con-
naître, par des débats publics, tous les des-
sous de cette lamentable affaire.
Mais cette solution si rapprochée et si
naturelle ne Douvait plaire ni aux pêcheurs
en eau trouble, ni aux césariens, ni à ceux
qui ont pris à tâche de couvrir les méfaits
des hauts gradés compromis dans ce scan-
dale.
Il leur était, à tout prix, nécessaire de
gagner du temps et d'éloigner la terrible
échéance. Grâce à la complicité du gouver-
nement, ils ont réussi dans leurs manœu-
vres.
La solution de l'affaire Dreyfus est ren-
voyée aux calendes grecques, et, pendant
de longs mois encore, le pays va se débattre
dans de nouvelles épreuves. Par le fait du
gouvernement, dont la mission était de
dénouer la situation le plus rapidement pos-
sible, tout est remis en question, et les inté-
rêts du pays vont continuer à souffrir pen-
dant longtemps encore.
Il est impossible, en effet, de prévoir
maintenant quand tout cela finira. Il faut
d'abord attendre le vote du Sénat; puis,
quand le Sénat aura parlé, il faudra, s'il
vote la loi, attendre la fin du supplément
d'enquête que la Cour ne manquera pas
d'ordonner. Des complications vont surgir
Inévitablement, car les nationalistes, mis
en goût par les premières concessions de
M. Dupuy, vont en exiger de nouvelles et
vouloir mener les événements à leur gré.
Ah! nous avons encore du scandale sur
la planche. La campagne césarienne, forte
de l'appui de minsitres inconscients ou traî-
tres à la République, va redoubler d'ardeur
et croître en audace. Jusqu'où le gouverne-
ment poussera-t-il la lâcheté ?
Dans tous les cas, il se passera encore de
longs mois avant que le pays ne retrouve
sa tranquillité. Que la responsabilité en
retombe sur ceux qui ont donné une nou-
velle acuité à l'affaire, au moment même
où elle allait se clore.
Maurice Allard.
La publication de l'Enquête
Une nouvelle des plus graves et que jusqu'à
preuve du contraire, nous voulons croire er-
ronée, nous a été donnée hier dans les cou-
loirs de la Chambre.
Il paraîtrait que le gouvernement, qui aurait
bien voulu échapper à l'obligation de publier
le dossier de l'enquête à laquelle se sont li-
vrés les membres de la chambre criminelle,
à l'occasion de la revision Dreyfus, aurait dé-
cidé que cette publication serait faite sous son
propre contrôle, à l'exclusion de tous les con-
seillers de la chambre criminelle.
Ne tenant aucun compte de la décision de
la Chambre criminelle qui avait nommé une
commission composée de trois de ses mem-
bres pour surveiller l'impression des pièces
de l'enquête, les collationner, etc., le gouver-
nement aurait pris la détermination de procé-
der lui-même à cette besogne et aurait fait
savoir aux conseillers en question que les
travaux d'impression de l'enquête, qui vont
être effectués à l'imprimerie nationale, seront
contrôlés par un représentant du cabinet.
Si cette nouvelle se confirmait, elle prouve-
rait que le gouvernement a l'intention de
faire une publication qui ne sera ni loyale ni
complète; et, de laquelle, il éliminerait les
documents qui lui paraîtraient gênants.
Si c'est là le but que MM. Dupuy et Lebret
veulent atteindre, ils se trompent, car toutes
les pièces de l'enquête sont cotées et para-
phées, de telle façon que toute suppression, !
toute addition, toute interpolation serait fata-
lement connue à bref délai.
CHEZ LES MIS FBEBES
LES OBSÈQUES DU JEUNE GASTON
FO VEAUX
Cent mille personnes suivent le cercueil, m?
Imposante manifestation. — La foule
indignée. - L'enquête. - Les frères
toujours gardés à vue. — La soi-
rée. — Charges de police.—
Appel de la municipa-
lité à la population.
(De notre envoyé)
Lille, 11 février. — Lille est toujours sous
le coup d'une profonde émotion produite
par l'horrible crime commis à l'école des
frères de la rue de la Monnaie. Tout la
monde est sur le qui-vive, attendant avec
une fébrile impatience que des aveux sor4
tent de la bouche de Flavidien et que les
complices de ce monstre soient arrêtés.
1 - - - FRÈRE FLAMIDIEN
Mais avant de parler des nouveaux rcn-
seig-nements recueillis par l'enquête judi-
ciaire, disons que la population lilloise el
de nombreux citoyens venus de tous les
points du département ont fait au jeune
Gaston Foveaux d'admirables funérailles.
Cent mille personnes ont accompagné le
cercueil jusqu'au cimetière de l'Est. Ce fut
une imposante manifestation et ce fut aussi
une protestation indignée contre renseigne-
ment clérical. "*
La mise en bière avait eu lieu la veille en
présence du père qui, regardant une der-
nière fois son enfant, s'écria : « C'est af-
freux, je n'ai plus de larmes, je suis anéanti.»
Immédiatement après cette suprême en-
trevue, le cercueil fut cloué et porté rue des
Prêtres, au domicile des malheureux pa-
rents. Sur la porte, on avait affichée la lettre
mortuaire dont uoici le texte :
M. et Mme Elisée Foveaux-Leu.
M. et Mme Foveaux-Piérache,
Mlle Amandide Foveaux, etc., etc.
Ont la douleur de vous faire part de la perle
irréparable qu'ils viennent d éprouver en la
personne de
GASTON-LOUIS-ALPHONSE
FOVEAUX
leur Fils, Petit-Fils, Neveu et Cousin, décédé
accidentellement à Lille, le 5 février 1809,
dans sa treizième année.
Ils vous prient d'assister aux convoi et ser-
vice qui auront lieu le samedit 11 dudit mois,
à neuf heures trois quarts en l'église Saint-
Etienne, sa paroisse, d'où son corps sera con-
duit au cimetière de l'Est pour y être inhumé.
L'assemblée à la maison mortuaire, rue des
Prêtres, 27, à neuf heures et demie.
Les dames sont priées d'y assister.
Un De Profundis s. v. p.
« Décédé accidentellement », telle est l'ex-
pression employée. N'aurait-il pas convenu
de dire exactement : « Assassiné par un
frère des écoles cltrétiennes. »
1 LE PETIT GASTON
Dès neuf heures, une foule immcnse,
composée en grande partie de femmes, sta-
tionnait aux alentours de la maison mor-
tuaire, tendue de draperies blanches et
bleues.
A dix heures, le clergé, qui avait4jté sifflé
à sa sortie de l'Eglise, est arrivé rue des
Prêtres.
Dans les rues avoisinantes on entendait
chanter ce refrain :
A bas les frères
Il faut les pendre
Il faut les pendre
Aux réverbères.
La levée du corps eut lieu aussitôt cl 1er
cortège funèbre s'est mis en marche, pré-
cédé par des gendarmes à cheval.
Le cercueil est porté à bras et recouvert
d'un poêle bleu lamé d'argent. De nom-
breuses fleurs ont été placées sur le drap
mortuaire, dont les coins sont tenus par des
amis de la famille.
Le père de la victime, qui est très affecté,
suit immédiatement, puis viennent la fa-
mille, le préfet du Nord, le maire de Lille,
les adjoints, le procureur de la République
et presque toutes les autorités civiles et mi-
litaires,
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