Titre : L'Aurore : littéraire, artistique, sociale / dir. Ernest Vaughan ; réd. Georges Clemenceau
Éditeur : L'Aurore (Paris)
Date d'édition : 1898-01-18
Contributeur : Vaughan, Ernest (1841-1929). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 janvier 1898 18 janvier 1898
Description : 1898/01/18 (Numéro 92). 1898/01/18 (Numéro 92).
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Dfeintèroe A r-pi'c. -NumAro 92
Cinq Centimes
MARDI }« JANVIER ISOfe.
, Directeur
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ABOUIvEMENTQ
.Sut Tçoîj .
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pAftlS 20 » 10 » 5 *
DiPARTBMKSTS Fl'ALÔKRÏÉV 24 » 13 * 6 »
Étranobr(UNtoN Postale). 36 » iS « 10 *
POUR LA RÉDACTION :
S'adresse? à M. A. BERTHIER
$ectétait* d$ la Rédaction
ÀDBKS3E TÉLtGKSFfiiQUE t AURORE-PARIS
L'AURORE
Littéraire, Artistique, Sociale
Directeur
ERNEST VAUGHAW
LES ANNONCES SONT REÇUES :
142 - Ruô Montmartre - 140
AUX BUREAUX DU JOURNAL
La manuscrits non insérés ne sont pas rendu»
ADRESSER LETTRES ET MANDATS :
ii M. A. BOUIT, Administrateur
Téléphone : 102-88
Au Tivoli Wanx-Hall
ENTRE EUX
A propos des études que nous avons
commencées et que nous continuerons ici
sur les abus, les usurpations, les crimes
et les menaces du Pouvoir militaire,
quelques imbéciles et quelques mou-
chards, pourvoyeurs des prochaines Cours
frevotâtes, nous ODt accusé d'attaquer
armée.
Ils désignaient par ce nom les mili-
taires professionnels, qui ne sont pas du
tout l'armée. Les militaires profession-
nels sont des fonctionna ires, nos salariés,
privés d« leurs droits politiques, au nom-
bre négligeable de vingt-deux mille.
L'armée, c'est les trois millions de ci-
toyens soldats qui payent la défense na-
tionale de leur argent et de leur sang.
Mais nous n'avons pas attaqué les fonc-
tionna ires militaires. Si nous les avions
injuriés, vilipendés, traînés dans la boue,
comme a fait trente ans M.Henri Rochefort
- si nous les avions appelés dix mille foi§
c traîtres, vendus, crapules, souteneurs,
assassins, lâches. galonnés, brutes empa-
nachées », comme a fait M. Henri Hoche-
fort - si même nous en avions fait mi-
trailler un certain nombre, comme M,
Henri Rochefort - nous aurions aujour-
d'hui la joie comme M. Henri Rochefort,
de voir leurs Grands Chefs dans notre an-
tichambre, affolés et suppliants, nous ap-
porter sur un plateau l'Honneur de l'état-
major à défendre.
Cette satisfaction nous sera refusée, car
au lieu d'insultes nous 'fournissons des
arguments et des documents, des raisons
et des faits. Outrager les généraux? les
officiers? Qu'est-ce que cela prouverait?
Or nous tâchons toujours de prouver quel-
que chose.
En eût-on m Ame envie, la besogne se-
rait superflue. Four voir les militaires ar- ?
rangés de la belle manière, il n'y a qu'à
leur donner la parole, à leur mettre la
plume à la main. Quand ils s'arrêtent, il
ne faut rien ajouter; il n'y a qu'à trans-
crire ?
Dans les Transformations de Varmée
française, M. le général Thoumas décrit
en ces termes la génération des officiers
du second empire, à laquelle il apparte-
nait, à laquelle appartiennent encore la
plupart de nos chefs et notre ministre de la
guerre ; - -
La lecture cle l'Annuaire et le calcul de
leurs chances d'avancé ment formèrent la base
de leur instruction militaire... L'étude était
en défaveur, le calé en honneur. Les officiers
qui seraient restés chez eux pour travailler
auraient été suspectés comme vivant en de-
hors de leurs camarades.
Pour arriver, il fallait avant tout avoir un
beau physique, une bonne conduite (comme
Eaterkazy) et une tenue correcte. Avec cola,
dans l'infanterie, comprendre le service d'offi-
cier comme celui de caporal; dans la cava-
lerie, réciter par coeur le littéral de la théorie
et faire du « passage » dans la cour du quar-
tier avec iin cheval bien dressé; dans l'artille-
rie, affecter le plus profond mépris pour les
connaissances techniques; enfin, dans toutes
les armes, être recommandé.
Formé à cette école, le général Billot,
sénateur et ministre, ne peut en renier les
principes qui Pont porté si haut; on doit
compter sur lui pour perpétuer ta tradition
dans l'armée remise à ses soins.
Si l'on ouvre la correspondance de Gam-
botta, les lettres que le général marquis de
Galliffet écrivait au président de la Cham-
bre offriront un certain nombre de juge-
ments pittoresques sur nos guerriers les
plus éminents. D'abord, « il est de prin-
cipe qu'en devenant vieux, tout général de-
vient en même temps clérical et réaction-
naire ». En détail, « le général d'Espeuil
lqs est un vieux rossignol, un paresseux,
un officier dont la conduite a Wissem-
bourg, Woerth et Sedan, a été condamnée
par l'opinion publique » ; le colonel Gran-
din (depuis général) est « un imbécile, un
indiscipliné, un sac de scepticisme et d'in-
différence, et l'àme des ennemis du gou-
vernement » ; hors vingt-cinq généraux,
« il ne faut rien conserver ».
C'était en 1880, M. le général de Galliffet
jugeait ses collègues ; « Carrelet, tout à
fait médiocre ; L'Hotte, vieux jeu, opposé
à tout progrès; Latheulade, Montarby,
Oudinot, de Dampierre, de La Rochère, Fé-
line, très mauvais ; de Quélen, archi-
mauvais ; de Séreville et d'Elchingen,
très médiocres ». Le général Arnaudeau,
« absolument incapable, en était devenu
ridicule ». Aux manoeuvres, le colonel
russe Kaulbars était frappé «du peu de
portée de intelligence du général L'Hotte
et de sa médiocrité ». Les divisionnaires
se montrèrent « aussi faibles que pos-
sible». Les officiers étrangers s'étonnaient
hautement « de l'incapacité physique, mo-
rale et intellectuelle des chefs de l'armée
française ».
Dix ans plus tard, par la plume de M.
Joseph Reinach, M. de Galliffet répéta sur
les généraux du moment les mômes appré-
ciations; il était alors général d'armée, au
sommet de la hiérarchie. Maintenant qu'il
a des loisirs, on devrait lui demander un
rapport sur les généraux de 1898.
Parcourez la correspondance de l'amiral
Courbet, que la Marine a essayé d'ôter de
la circulation, mais dont les exemplaires
ne sont pas introuvables. Et vous serez
fixés, par des amiraux, sur la valeur de
l'amiral Cloué, de l'amiral Bergasse, de
l'amiral Peyron, « qui manque presque
. toujours d'énergie». M. de Dompierre-
d'Hornoy, ancien ministre de la marine,
vice-amiral, écrit « qu'il n'a aucune con-
fiance dans aur éguiberry, ni dans Cloué »j
qu'il n'étonnera personne en déclarant que
la flotte est tombée à rien sous Jaurès et
sous Krantz ; que Gougeart e3t « un gou-
jat ».
Les lettres du général Thibaudin à la
Limouzin sont encore assez édifiantes, fi
ne faut pas parler du réquisitoire de M.
Quesnay de Beaurepaire, accusant au
nom dii gouvernement le général Bou-
langer d'avoir été corrompu à prix d'ar-
gent par des fournisseurs d'épaulettes et
des marchands de café en tablettes, ou
d'avoir payé sur les fonds de l'Etat sa ré-
clame et lés dettes de sa famille, ou d'a-
voir pris 100,000 francs aux Fonds secrets
de la Guerre pour sa propagande, ni
plus ni moins que Rouvier. 11 no faut pas
parler du général Caffarel et du général
comte d'Audlau,flétris et condamnés,, ou
du lieutenant Anastay, guillotiné, ou de
Ravigneaux l'avorteur parue que la Jus-
tice civile a prononcé sur leurs cas et que
nous voulons en croire seulement les mi-
litaires.
Laissons encore ie major Breton, le ca-
pitaine Doré, les chasseurs de Sodome au
camp de Châlous, et tous les disparus, les
exclus, les réformés, les suicidés. Lais-
sons cet officier do vaisseau empruntant
vingt-cinq louis à la femme qu il a fait
condamner pour adultère.
Mais écoutons.
Le colonel d'artillerie de marine Hum-
bert, promis à la plus brillante carrière,
donne sa démission pour accuser publi-
quement îe général Borgnis-Desbordes de
scandaleuses iniquités ; il déclare que le
colonel Archinard est un menteur, uue ca-
naille, un lâche.
Le capitaine de frégate Picard-Destelan,
officier de la Légion d'honneur, ayant ga-
gné ses grades au feu, dans la campagne
du Mexique et dans les combats de Fou- ;
Tchéou, dénonce comme un voleur le lieu-
tenant de vaisseau M..., depuis promu au
galon supérieur; il convainc l'amiral
Charles Duperrê, hier encore dictateur de !
la marine et grand-croix de la Légion
d'honneur, d'avoir déserté devant l'en-
nemi, de s'être sauvé à Londres, tandis
que ses camarades tombaient sur les
champs de bataille de France.
Le colonel Allaire, breveté d'état-major,
publie un mémoire bourré de preuves et
de noms, pour établir l'infamie de plu-
sieurs officiers, perdus. de dettes, vivant
des courses et du baccara, volant l'argent
de la troupe, touchant des pots-de-vin des
fournisseurs, et protégés jusqu'au bout
par des généraux sans scrupules. Le com-
mandait Dubreuil-Myszkowski rend iï son
tour le même témoignage : et le tableau
d'intérieur du bataillon d'infanterie coïn-
cide exactement avec le tableau d'intérieur
du régiment de cavalerie. Et le général
Giovaninelli d'un côté et 1e général de Li-
gnières de l'autre sont mis dans la même
posture par leurs subalternes révoltés.
Le panamiste Cornély, qui se venge de
ses maîtres par de terribles ironies, dé-
cernait l'autre jour « un bon point au sa-
bre pour l'admirable discrétion que les mi-
litaires auraient gardée pendant l'enquête
Dreyfus-Esterhazy.En eftet, les militaires
haut placés poussent la discrétion jusqu'à
venir prendre leurs repas dans les restau-
rants de journalistes, pour qu'aucun de
leurs propos ne soit perdu. C'est par un
raffinement de discrétion que lG chet d'état-
major général de l'armée a porté ses confi-!
dences au discret Rochefort. Et qui donc j
emplit les journaux de potins presque tou-
jours vrais, et toujours infamants, sur la
plupart des chefs, sinon leurs camarades
ou leurs subalternes ?
Les journalistes écrivent sous la dictée.
Ils n'ont pas la prétention de connaître
mieux îe monde militaire que les officiers
eux-mêmes. Le plus souvent, c'est par
ordre que ess officiers parlent; c'est par j
ordre que le-commandant Pauffin de Saint-
Morel a porté des documents dans telle
maison ; par ordre, que îe contrôleur gé-
néral Marti nie et le colonel Peigné ont
porté des propositions ailleurs.
Insultes à l'armée ?... Mais les jures
viennent du ministre ou du grand état-
major.
Quel spectacle, que celui des Bureaux,
tels qu'ils se découvrent dans les inci-
dents actuels. Trente millions de Français
croient qu'on y travaille à la défense na-
tionale ; et tous ces grands militaires, in-
vestis des plus redoutables missions, ne
! sont occupés qu'à se tendre mutuellement
s des embûches, à se dénoncer, à s'espion-
ner, à se cambrioler, à machiner « des il-
légalités monstrueuses ».
Colonel Henry, colonel Sandherr, colonel
Picquart, commandant Esterbazy, capi-
taine Dreyfus : tous officiers d élite, triés
sur le volet. Les conseils de guerre, com-
posés de leurs pairs et de leurs supérieurs,
proclament ; « Le capitaine Dreyfus est un
traître : Dieu merci ! Le commandant Es-
terhazy est un ruffian : à la bonne heure !
Le colonel Picquait est un calomniateur,
: un fourbe, un misérable : hochhoch /
tdreimahl hoch i hurrah !
Si l'on était officier, qu'est-ce qu'on
éprouverait, sous le coup de tant de scan-
dales ?... AU fait, qu'éprouvent donc vingt
mille officiers, honnêtes gens, qui, la cor-
vée du service achevée, dépouillent préci-
pitamment l'uniforme pour se mettre en
civils - ou, comme ils disent, eu
voyousi
Urbain Gohier.
PROTESTATIONS
S La lettre suivante a été adressée aux direc-
| teurs des journaux promoteurs du meeting
» \ aux-Hall ;
Paris, le 17 janvier 1898
Monsieur le Directeur,
Nous apprenons que nos noms figurent Kur le»
affiches du comité qui convoque à un meeting
peur ce soir au Tivoli Vaux-Rail.
Nous protestons très énergiquement contre cette
façon, de ae servir dos noms da certains élus sans
avoir reçu leur adhésion, ot nous n'assisterons pas
d'ailleurs à cette manifestation, quel que soit notre
sentiment dans l'affairc Dreyfus.
Veuillez agréer nos s ulula lions."
L. LEVRAUD À. BREUILLÉ M. Fourest
Conseillers municipaux de Paris.
Il me semble que te g syndicat « gran-
dit. La vertu de l'action est si grande que,
des points opposés de l'horizon, d'Alle-
mane à Gabriel Séailles, de-Jaurès h Paul
Desjardins, de Louise Michel à Duclaux,
à Anatole France, à Eugène Carrière, à
Claude Mo net, les adhésions arrivent à
Zola. Il faut le dire à leur honneur, les
hommes de pensée se sont mis en mouve-
ment d'abord. C'est un signe à ne pas né-
gliger. Il est rare que, dans les mouve-
ments d'opinion publique, les hommes de
pur labeur intellectuel se manifestent au
premier rang.
Le caractère de leurs travaux, leurs habi-
tudes mentales, le genre de vie auquel ils
sont tenus de s'astreindre, tout les éloi-
gne des hommes d'action enclins à dé-
passer la mesure. Dans le cas présent,
il semble qu'un lent travail se fût fait
dans les esprits - obscur, car il n'est pas
agréable de se donner l'apparence de dé-
fendre un traître - mais fiévreusement
agité de doutes et d'angoisses.
Et voici qu'au premier geste de Zola,
jusqu'alors si éloigné de la place publique,
se jetant en avant, et devançant d'un
bond ceux qui soutenaient le plus ar-
demment le combat, les consciences se
sont senties libérées de l'affreux cauche-
mar, les langues se sont déliées, et sous les
clameurs de messieurs les étudiants des
cercles catholiques, on a entendu le
beau cri retentir : Me, me, adsum qui
feci, on a Vu des hommes apporter leur
nom pour l'oeuvre de justice.
Et voilà que dans notre France de
fonctionnaires où l'on tient tant de gens
par les croix, par les places, par les fa-
veurs de toutes sortes dont la centralisa-
tion fait du gouvernement l'universel dis-
tributeur, des hommes de cabinet, de la-
boratoire, des professeurs, des savants
ennemis des agitations publiques,s'éman-
cipent jusqu'à protester à la face de tous
en faveur du droit cyniquement violé.
Et que serait-ce si des institutions libéra-
les laissaient chaque Français maître de
sa volonté? Hier, un de nos plus distin-
gués professeurs de renseignement se-
condaire me disait : « Vous n'aurez per-
sonne des lycées. Si je vous donnais mon
nom, cet imbécile de Rambaud (j'atténue)
m'enverrait pourrir au fond do la Breta-
gne, »
Le populaire, je l'avoue, a paru plus
tardif à s'émouvoir. Lassé de vingt-cinq
ans de paroles sans actes, dégoûté des pro-
messes, toujours renouvelées, jamais te-
nues, il en est arrivé - je l'en blâme -. à
se désintéresser de beaucoup de choses
qui le passionnaient jadis. Victime de tous
les dénis de justice, que lui importe un
nouvel acte d'arbitraire et d'iniquité dans
le camp de ses maîtres, au détrimentde l'un
d'eux C'est le redressement total qu'il rêve.
Combien de fois tenté! Pour aboutir à
quelles catastrophes ! Moi aussi, j'ai foi
dans l'avenir de-justice sociale. Mais je
sais qu'une si haute construction ne peut
s'élaborer qu'à la condition que le sen-
timent de solidarité humaine ait pénétré
profondément nos coeurs.
Je le disais hier ; la vraie révolution est
faite quand l'esclave, plus grand que son
maître, découvre qu'il doit la justice même
à ses tortureurs. Cette générosité sublime,
le peuple, instinctif, l'éprouve à des heures
qui passent. Mais la tentation est si forte,
à d'autres moments, de répondre aux
actes barbares par une explosion de bar-
barie! Ainsi se fait la chaîne sans fin des I
violences, dans un décor menteur de jus-
tice et de liberté! Ainsi les siècles ont
forgé le dur anneau que nous voulons
rompre pour libérer l'homme de l'ini-
quité H
Le soldat qui n'a d'autre emploi de sa
vie que l'art de tuer ne peut pas s'arrêter
à ces idées qui ne sont, pour lui, que des
misères. One lui importe la forme d'un
jugement ? Il n'a, sous le3 beaux noms
dont il se couvre, qu'un culte, celui de la
force qui se dresse en tous lieux contre le
! droit. Aussi je ne lui en veux pas de ne
| pas comprendre. C'est aux civils, dans,
le plus noble sens du mot, aux policés, à
ceux qui fondent la civilisation sur le
droit qu'il appartient de réagir : aux
penseurs, aux savants qui préparent l'a-
venir, et, avec eux, aux faibles qui sont
le nombre, livrés par l'anarchie mentale
à la tyrannie des plus forts.
Il ne se peut léser un droit chez le
dernier des nommes sans que tous les op-
primés aient intérêt à s'en l'aire solidaires#
Ils ne le comprennent que lentement, bê-
las ! obligés de se soumettre pour vivre, et
ne pouvant suivre que de loin l'effort des
pensées. Il faut cependant que le nombre
et la pensée se rejoignent pour rétablisse-
ment de justice dans la cité humaine.
Nous marchons vers ce beau jour.
L'affaire qui émeut si fortement l'opi-
nion n'est qu'un incident &e la gra^
bataille contre la férocité des intérêts cotP
Usés. Le peuple ne l'a pas compris tout
d'abord. Mais la belle lettre d'Allemane à
Zola prouve qu'au moins quelques-uns de
ses chefs ont la claire perception des dan-
gers qui nous pressent. Honneur à eux !
Qu'ils amènent tous ceux qui, haïssant la
trahison, ne détestent pas moins l'iniquité
sous toutes ses formes, et veulent qu'un
homme, quel que soit son crime, puisse
revendiquer les garanties de justice.
La cause du droit humain ne se peut
diviser. H faut être pour ou contre. Fit, si
le u syndicat » grandit, c'est qu'après
tant d'épreuves la France est en évo-
lution de solidarité.
G. Clemenceau.
cÉchos et Nouvelles
CALENDRIER. - Mardi 18 janvier.
Lever du soleil : 7 U. 48. Coucher : 4 h. 33.
Temps d'hier : Brouillard.
Thermomètre de l'Aurore : Maximum, 4»
au-dessus; minimum, au-dessous.
Baromètre de l'ingénieur Secretan : A midi,
77Gm ; à minuit, 775 Vent d'est.
LA POLITIQUE
A la veille des élections, la droite a tenu à
donner une leçon au ministère. En votant
l'ajournement d'une interpellation qui était la
leur aussi bien que celle de M. Cavaignac,
MM. de Pontbriand et consorts ont voulu
faire comprendre à M. Méline qu'il était plus
que jamais à leur merci et qu'il n'avait qu'à
marcher droit. C'est l'explication d'une tac-
tique incohérente en apparence, mais singu-
lièrement suggestive au fond.
Quant à M. Méline, son attitude a été la-
mentable. Evidemment, il s'est cm perdu.
Hésitant, cherchant ses mots, n'osant prendre
un parti relativement à cette date qu'on lui
dt mandait cle fixer, il en était arrivé à parler
le l'alliance russe et à faire l'apologie de son
ministère. Etait-ce le chant du cygne ou l'ap-
pel désespéré de l'homme qui se noie?
La droite a eu pitié du cabinet, et M, Méline
est encore au pouvoir. Il n'y a qu'une victime
dans tout cela, c'est ce pauvre a Honneur de
l'armée », qui, vers trois heures de l'après-
midi. semblait courir les plus graves périls
et qui, à six heures, se voyait lâché par ses
amis et renvoyé aux calendes grecque#.
An, M,
GUIGNARDS
La maison qui fait te coin de la rue Joque-
let et de la rue Montmartre, côté de la rue
Réaumur. va disparaître, La démolition en a
commencé Mer. Cette vieille masure restait
toute noire à côté des constructions nouvel-
les, comme une vieille dent au milieu d'un
râtelier neuf, La plupart des logements
étaient vides, les fenetres étaient sans vitres,
les murs étaient enveloppés de poutres de
soutien.
Si on ne l'avait pas renversée en même
temps que les autres, c'est qu'il restait encore
dans l'immeuble quelques boutiquiers ou lo-
cataires d'appartements, dont les baux expi-
raient le 15 janvier dernier. On a fait l'éco-
nomie do leur expropriation en attendant la
iin du bail.
Mais quelle guigne pour ces braves gens
qui avaient dû. escompter l'indemnité que de-
vait leur procurer le percement de fa rue
Réaumur et qui, négliges et déçus, ont vu la
voie nouvelle s'ouvrir,se construire et s'inau-
gurer pendant qu'ils attendaient l'expiration
ae leur 3-6-9.
J.ES « RACHELIERS »
D'après des documents authentiques, la
Revue des Revues vient de dresser l'effroyable
statistique que voici :
L'Université crée 1,000 licenciés par an
pour 200 ou 300 places vacantes dans les ly-
cées ; l'Ecole polytechnique offre une moyenne
annuelle de 1;800 candidats pour 250 places ;
l'Ecole centrale produit chaque année 800 à
900 ingénieurs, dont les ponts et chaussées et
les Compagnies de chemins de fer retiennent
quelques-uns, le reste devant sè caser dans
l'industrie ou ils gagnent moins que certains
ouvriers d'élite ; dans renseignement pri-
maire, sur 150,000 instituteurs mu institutrices
ayant leur diplôme, il y en a 100,000 dans
une gêne très- voisine Vie la misère» 15,000
candidats pour 150 places vacantes, par exem-
ple, dans les écoles de Paris ; les autres, par
milliers, vont aux magasins, hommes ou fem-
mes, et celles-ci, hélas ! souvent à la prosti-
tution : â la préfecture de police, il y a eu en
18% pour 40 places 2,300 candidats et à l'As-
sistance publique on compte 250 candidats
pour 8 emplois à donner. A Paris, sur 2,-500
médecins, la moitié ne gagnent pas de quoi
se tirer d'affaire; sur 3,000 avocats, il y
en a tout au plus 30 qui réussissent; les
juges de paix, presque tous licenciés ou
docteurs en droit, végètent misérablement,
quand ils n'ont pas de fortune personnelle.
Et Jules Vallès, l'auteur du Bachelier, n'a
pas encore sa rue à Paris,
LA FIN DE LA IlEPUBLIQUE
C'est de la première qu'il est question.
On en fixait la fin jusqu'ici â l'année 1804,
mais il n'est pas besoin d'être numismate
pour savoir que, jusqu'en 1808, lies pièces
ont été frappées avec les mota « République
française » autour de la vignette.
M.' Aulard, le savant historien de la Révo-
lution française, vient de déterminer la date
exacte de la disparition officielle du mot, la
chose n'existant plus depuis longtemps.
C'est le 29 août 18QG que pour la première
fois une loi fut promulguée an nom de:
a Napoléon, par la grace ae Dieu et la Cons-
titution, empereur des Français. »
M. Aulard, dans son intéressant article de
la Revue bleue sur ce sujet, cite le discours
du président du Sénat,le 10 frimaire' an XIII :
M. François de Neufchateau félicitait l'empereur
du résultat du plébiscite sur l'hérédité et le louait
d'avoir conduit au port le Vaisseau de ht Répu-
blique. a Oui sire, disait-il, de la République î Ce
mot peut blesser les oreilles d'un monarque ordi-
naire, Ici, le mot est à sa place, devant ce-
lui dont le génie nous a fait jouir de la chose,
Sans le sens où la chose £CUt CJ^r UA
un grand peuple, i;
Enfïn, ajoutons que la fête commémorative
du 22 septembre, anniversaire de la fonda-
tion de la République, fut célébrée jusqu'en
1805.
Il faut avouer que cette fètô était un peu
un enterrement.
"" ÇA ET LA
Une EXPOSITION d'oeuvres nouvelles, les Aspects
de la nature, du peintre graveur Henri Rivière,
vient do s'ouvrir dans là salle des dépêches du
théâtre Antoine, 14, boulevard de Strasbourg.
Le Salon des Cent vient d'ouvrir, rue Bona-
parte. la seconde exposition d'un choix d'oeuvres
de l'imagier Andhré des Gâchons. Celte intéres-
sante exposition durera jusqu'au 15 février.
Usr NOUVEAU FUSIL.. -* Vendredi dernier, à la*
salle de la Société d'encouragement de l'industrie
nationale, M. Arthur Nouvelle, le savant arquebu-
sier, a développé devant un nombreux auditoire
rïtî«torique et W mécanisme du nouveau fusil de
châsse français, dont il est l'inventeur. Cette armé,
qui a uns portée et une pénétration supérieures aux
armes anglaises, a obtenu le grand pris d'hon-
neur à l'Exposition do Bruxelles en 1897.
L'OEuvre de Français - Très prochainement
s'ouvrira, k l'Ecole des beaux-arts, l'exposition
publique des oeuvres du maître paysagiste Louis
Français, mort l'an dernier.
Tri A VAUX MANUELS. - Très curieuse, la nouvelle
publication bimensuelle dont le premier numéro
a paru hier. Lo Journal dès travaux manuels est
un recueil de tous les travaux que l'on peut exécu-
ter soi-même {travail du bois, du fer, du carton,
etc.), une encyclopédie des arts et métiers mise â
la portée de tous.
BALIVERNES
Mot d'enfant,
Lili (cinq ans) vient d'être grondée par son
père. Elle va pleurer, quand arrive près d'elle
ora. ie chien de la maison, son grand ami.
Elle renfonce ses larmes et entourant le cou
du chien de ses petits bras.
- Viens, mon Tom. Tu iîè me grondes pas,
toi. Si tu veux, tu seras mon papa.
Scaramouche
LA GRACE DE CYVOCT
On annonce que 1e décret graciant Cyvoct
a été transmis par câble à la Nouvelle-Calé-
donie. Cyvoct sera donc probablement rapa-
trié par le prochain courrier.
Et, maintenant, à quand l'amnistie pleine
pour Cyvoct et pour 1RS condamnés de Mont-
ceau-les-Mines, dont notre collaborateur Ley-
ret a si éloquemment plaidé la cause?
Autres Titres
Quel souverain mépris doivent avoir pour
les généraux do la première légume, les Grands
Galons d'aujourd'hui î Tous vilains, tous ma-
nants, ces chefs d'armée de 93.
Hoche, Marceau, Kleber, Moreau, Jourdan,
Bonaparte même, pas un seul qui fût né.
Voyez au contraire tous les anciens élèves
des Postes qui peuplent aujourd'hui la rue
Saint-Dominique, quelle noblesse : Général de
Boisdeffre; général de Pc! Lieux, général de
Luxer, commandant du Paiy de, Clam, com-
mandant d'Ormescheville !
Jusqu'à Es terhazy - qui est comte, tout le
monde est titré du*côté huis clos.
Tout de même les titres de Hoche et des
autres, pour roturiers qu'ils fussent, valaient
mieux. Ils avaient moins de quartiers de no-
blesse, mais un peu plus de victoires à leur
actif.
FEUILLES VOLANTES
LE CHAT SAUVEUR
J'ai connu plusieurs personnes qui ne
craignaient pas d'affirmer que leur amour
pour les chats leur avait coûté « les yeux
de la tète »...
Ma conviction est que ces détracteurs des
gentils animaux au pelage soyeux étaient
des esprits chagrins ou malveillants qui
se forgeaient des chimères ou qui se .
jouaient de ma crédulité. J'en suis d autant
plus certain, qu'en dépit de leur affirma-
tion, j'ai toujours constaté que ces indivi-
dus avaient leurs deux yeux à la place habi-
tuelle. Par conséquent, il était faux qu'au-
cun chat les leur eût coûtés. Mais nous vi-
vons à une époque où les gens vous sou-
tiennent en face, avec un aplomb imper-
turbable, les mensonges les plus flagrants.
Admettons cependant, pour complaire
aux âmes antifélines, que la passion ex-
cessive des chats peut, quelquefois, par
suite de circonstances exceptionnelles, vous
attirer quelques ennuis et, vous causer
quelques dépenses.
En revanche, de combien de joies les
chats ne sont-ils pas la source vive S Et non
seulement ils vous procurent d'ineffables
contentements, mais ils peuvent vous ren-
dre maint signalé service.
Quel? diront les sceptiques. - Quel?
Sauver la vie, tout simplement! Je n'en
veux pour preuve que l'anecdote suivante,
qui date d'hier, et a laquelle je tiens à don-
ner toute la publicité dont je dispose, car
elle est faite pour réjouir mon vieux coeur
de minettophile :
Deux employés de commerce, Georges
Lemèze et Louis Maze, demeurant rue
Feydeau (vous voyez qu'on peut aller aux
renseignements et vérifier l'exactitude des
faits), préparaient leur déjeuner sur un
réchaud. Soudain, M. Lemèze se sent pris
d'une envie irrésistible de dormir et va
s'étendre sur son lit. Bientôt M. Maze s'as-
soupit à son tour et se laisse tomber sur le
parquet, sans avoir la force de se relever.
A ce moment, il entend miauler le chat
familier, hôte de leur domicile ; puis il s'é-
vanouit..
^Quelques instants plus tard, il revenait à
lui, ranimé par une bouffée d'air pur, La
chaise sur laquelle le chat reposait tout à
l'heure était renversée contre la fenêtre,
[ une vitre était brisée .et maître Mistigris
s'était réfugié dans la gouttière, d'où il con-
tinuait de miauler lamentablement.
M. Maze courut au lit où son ami gisait
sans connaissance. Il le transporta dans
une pharmacie ; là, des soins empressés le ,
rappelèrent à la vie...
Ainsi, dans cette périlleuse occurrence,,
le chat seul avait cardé toute sa lucidité,
tout son sang-froid ; et, n'écoutant que son
dévouement, son courage (et peut-etre un
peu l instinct de la conservation), il avait
trouvé moyen d'enfoncer un carreau, d'aé-
rer cette chambre où régnait déjà l'asphyxie
et de sauver deux existences...
Qu'on ose encor nier, après de tels exemple!,
Que le Chat est divin et mérite des temples t
h, Cr
PROBLEME
Savoir l'allemand est-il une présomption
de patriotisme ou de traîtrise? Le rapproche-
ment suivant rend difficile la solution d®
cette question:
Dreyfus parle plu- Le général Znrlindea
Bieurs langues, notant- qui posôdeâ fond la lan»
ment l'allemand qu'il sait gue eermunïque a ropré-
â fond; il est de plus sente la Fiance aux ma-
done d'un caractère très najuvres allemandes
soupîe, voire m3me ob : Le général a dû. conacr-
sequîcujt qui convient ! ver bon souvenir de «a
beaucoup dans les rola- seconde mission on AU
tioiia d'espionnage... Il leniagnê,
pouvait se rendre en
Alsace»
f Les journaux d'hier.
(Acte d'accusation Biographie du géné^
contre Dreyfus.) ral Zuriinden.j
Que croire?
L'HOME DES TIMBRES
M. DU PATY DE CLAM
Récemment, M. le député de La Batut s
raconté» dans les couloirs de la Chambre, una
histoire tout à fait suggestive :
- Il y a vingt ans, dit-il, j'arrivais au ré-
giment pour accomplir mon volontariat d'un
an. Le lieutenant chargé du peloton des con-
ditionnels, voulant se rendre compte du de-
gré de notre instruction, nous donna à faire
une petite composition française. Je terminai
la mienne par celte phrase : « Une nation
grande et généreuse doit être gouvernée par
l'intellegence plutôt que par le canon. » ^
ce Le soir même, le lieutenant me faisait ap-
peler et me morigénait d'importance, en me
disant que dès idées comme les miennes
étaient abominables, qu'elles étaient contrai-
res à l'esprit militaire. Il m'infligeait ensuite
quatre jours de salle de police, en avant soin
'ajouter que l'affaire n'en resterait pas là.
En effet, sur son rapport motivé, le colonel
m'appliqua quinze jours de prison.
« Stupefait de ce qui m'arrivait, je ûa part de
mon cas à quelques amis do ma famille, no-
tamment au colonel Chadois, sénateur de ht
Dordogne.
nel de mon régiment et lui demanda d'user
d'indulgence à mon égard : « Pour le prin-
» cipe, lui répondit mon colonel, je ne puis
» lever tout da suite la punition du soldat de
» la Batut. Il fera trois ou quatre jouis de
» prison ».
Le lieutenant qui trouvait, il y a vingt
ans, qu'une nation grande et généreuse de-
vait être gouvernée par le canon plutôt que
par l'intelligence, s'appelait... du Paty de
Clam,
Depuis lora, il a fait son chemin : ses jolies,
théories lui ont porté bonheur. Il est aujour-
d'hui lieutenant-colonel. C'est lui qui, il y a
quatre ans, instruisit contre Dreyfus et, pen-
dant tout le temps de l'instruction, martyrisa
la femme de cet offcier.
Aujourd'hui, c'est M. du Pat y de Clam qui
empêche, avec quelques complices, la lumière
de se faire sur le procès de 1894.
Le nom de co personnage portéen lui-même
son symbole. En effet, si nous ouvrons lr
Dictionnaire latin-français de Quicherat e:
Develuy, nous y trouvons à la pags 19i cette
mention: :
Clam. - A l'insu de - A la dérobée - En ca*
chette - Furtivement.
Le nom du bourreau de Mme Dreyfus est;
donc synonyme de « ténèbres ».
Il est bien porté.
Ph. D.
A TIVOLI VAUX-HALL
Le Meeting des Fiche-ton-Camp
Ici l'on danse. - Sous la présidence dt
Rochefort et Drumont... absents. _
Orateurs qui sa défilent.
Grotesque pantomime.
Un tour sinistre.
Eh bien ! vrai, la grande manifestation na-
tionale qu'on avait annoncée pour hier soir,
au Tivoli Yaux-Hall, a été piteuse pour ce.
messieurs du trône et de l'autel qui Pavaient
organisée.
Le triomphe qu'ils ge promettaient s'éta 1
transformé en déroute avant que la bataille
fût engagée. ;
Les orateurs ont commencé par se défile^.'
Les présidents d'honneur, ayant calculé sanà
doute qu'il y aurait de la casse, brillaient
par leur absence.
A la tribune, en fait de grands personnage %
on n'a pu apercevoir, â côté de M. Guérin,
que M, Georges 1 Thiébaud, M. le Provo3t d;r
Launay, sénateur, et Mme Le Provost do
Launay, MM. de Pontbriand,député,et Alpy,
conseiller municipal de Paris,
Ces messieurs avaient cru le peuple de Pé-
ris par trop bête, Dans leur loyauté très chré-
tienne, ils avaient collé par la ville une affi-
che où figuraient à la queue leu leu des noms
d'orateurs qui hurlaient de voisiner a insu
Quelle salade, mon empereur! Il y avait de
tout là dedans,et ou espérait ainsi faire crou. j>
Cinq Centimes
MARDI }« JANVIER ISOfe.
, Directeur
EBNEST V AU G H A N
ABOUIvEMENTQ
.Sut Tçoîj .
. . Un au jtuwi mm*
pAftlS 20 » 10 » 5 *
DiPARTBMKSTS Fl'ALÔKRÏÉV 24 » 13 * 6 »
Étranobr(UNtoN Postale). 36 » iS « 10 *
POUR LA RÉDACTION :
S'adresse? à M. A. BERTHIER
$ectétait* d$ la Rédaction
ÀDBKS3E TÉLtGKSFfiiQUE t AURORE-PARIS
L'AURORE
Littéraire, Artistique, Sociale
Directeur
ERNEST VAUGHAW
LES ANNONCES SONT REÇUES :
142 - Ruô Montmartre - 140
AUX BUREAUX DU JOURNAL
La manuscrits non insérés ne sont pas rendu»
ADRESSER LETTRES ET MANDATS :
ii M. A. BOUIT, Administrateur
Téléphone : 102-88
Au Tivoli Wanx-Hall
ENTRE EUX
A propos des études que nous avons
commencées et que nous continuerons ici
sur les abus, les usurpations, les crimes
et les menaces du Pouvoir militaire,
quelques imbéciles et quelques mou-
chards, pourvoyeurs des prochaines Cours
frevotâtes, nous ODt accusé d'attaquer
armée.
Ils désignaient par ce nom les mili-
taires professionnels, qui ne sont pas du
tout l'armée. Les militaires profession-
nels sont des fonctionna ires, nos salariés,
privés d« leurs droits politiques, au nom-
bre négligeable de vingt-deux mille.
L'armée, c'est les trois millions de ci-
toyens soldats qui payent la défense na-
tionale de leur argent et de leur sang.
Mais nous n'avons pas attaqué les fonc-
tionna ires militaires. Si nous les avions
injuriés, vilipendés, traînés dans la boue,
comme a fait trente ans M.Henri Rochefort
- si nous les avions appelés dix mille foi§
c traîtres, vendus, crapules, souteneurs,
assassins, lâches. galonnés, brutes empa-
nachées », comme a fait M. Henri Hoche-
fort - si même nous en avions fait mi-
trailler un certain nombre, comme M,
Henri Rochefort - nous aurions aujour-
d'hui la joie comme M. Henri Rochefort,
de voir leurs Grands Chefs dans notre an-
tichambre, affolés et suppliants, nous ap-
porter sur un plateau l'Honneur de l'état-
major à défendre.
Cette satisfaction nous sera refusée, car
au lieu d'insultes nous 'fournissons des
arguments et des documents, des raisons
et des faits. Outrager les généraux? les
officiers? Qu'est-ce que cela prouverait?
Or nous tâchons toujours de prouver quel-
que chose.
En eût-on m Ame envie, la besogne se-
rait superflue. Four voir les militaires ar- ?
rangés de la belle manière, il n'y a qu'à
leur donner la parole, à leur mettre la
plume à la main. Quand ils s'arrêtent, il
ne faut rien ajouter; il n'y a qu'à trans-
crire ?
Dans les Transformations de Varmée
française, M. le général Thoumas décrit
en ces termes la génération des officiers
du second empire, à laquelle il apparte-
nait, à laquelle appartiennent encore la
plupart de nos chefs et notre ministre de la
guerre ; - -
La lecture cle l'Annuaire et le calcul de
leurs chances d'avancé ment formèrent la base
de leur instruction militaire... L'étude était
en défaveur, le calé en honneur. Les officiers
qui seraient restés chez eux pour travailler
auraient été suspectés comme vivant en de-
hors de leurs camarades.
Pour arriver, il fallait avant tout avoir un
beau physique, une bonne conduite (comme
Eaterkazy) et une tenue correcte. Avec cola,
dans l'infanterie, comprendre le service d'offi-
cier comme celui de caporal; dans la cava-
lerie, réciter par coeur le littéral de la théorie
et faire du « passage » dans la cour du quar-
tier avec iin cheval bien dressé; dans l'artille-
rie, affecter le plus profond mépris pour les
connaissances techniques; enfin, dans toutes
les armes, être recommandé.
Formé à cette école, le général Billot,
sénateur et ministre, ne peut en renier les
principes qui Pont porté si haut; on doit
compter sur lui pour perpétuer ta tradition
dans l'armée remise à ses soins.
Si l'on ouvre la correspondance de Gam-
botta, les lettres que le général marquis de
Galliffet écrivait au président de la Cham-
bre offriront un certain nombre de juge-
ments pittoresques sur nos guerriers les
plus éminents. D'abord, « il est de prin-
cipe qu'en devenant vieux, tout général de-
vient en même temps clérical et réaction-
naire ». En détail, « le général d'Espeuil
lqs est un vieux rossignol, un paresseux,
un officier dont la conduite a Wissem-
bourg, Woerth et Sedan, a été condamnée
par l'opinion publique » ; le colonel Gran-
din (depuis général) est « un imbécile, un
indiscipliné, un sac de scepticisme et d'in-
différence, et l'àme des ennemis du gou-
vernement » ; hors vingt-cinq généraux,
« il ne faut rien conserver ».
C'était en 1880, M. le général de Galliffet
jugeait ses collègues ; « Carrelet, tout à
fait médiocre ; L'Hotte, vieux jeu, opposé
à tout progrès; Latheulade, Montarby,
Oudinot, de Dampierre, de La Rochère, Fé-
line, très mauvais ; de Quélen, archi-
mauvais ; de Séreville et d'Elchingen,
très médiocres ». Le général Arnaudeau,
« absolument incapable, en était devenu
ridicule ». Aux manoeuvres, le colonel
russe Kaulbars était frappé «du peu de
portée de intelligence du général L'Hotte
et de sa médiocrité ». Les divisionnaires
se montrèrent « aussi faibles que pos-
sible». Les officiers étrangers s'étonnaient
hautement « de l'incapacité physique, mo-
rale et intellectuelle des chefs de l'armée
française ».
Dix ans plus tard, par la plume de M.
Joseph Reinach, M. de Galliffet répéta sur
les généraux du moment les mômes appré-
ciations; il était alors général d'armée, au
sommet de la hiérarchie. Maintenant qu'il
a des loisirs, on devrait lui demander un
rapport sur les généraux de 1898.
Parcourez la correspondance de l'amiral
Courbet, que la Marine a essayé d'ôter de
la circulation, mais dont les exemplaires
ne sont pas introuvables. Et vous serez
fixés, par des amiraux, sur la valeur de
l'amiral Cloué, de l'amiral Bergasse, de
l'amiral Peyron, « qui manque presque
. toujours d'énergie». M. de Dompierre-
d'Hornoy, ancien ministre de la marine,
vice-amiral, écrit « qu'il n'a aucune con-
fiance dans aur éguiberry, ni dans Cloué »j
qu'il n'étonnera personne en déclarant que
la flotte est tombée à rien sous Jaurès et
sous Krantz ; que Gougeart e3t « un gou-
jat ».
Les lettres du général Thibaudin à la
Limouzin sont encore assez édifiantes, fi
ne faut pas parler du réquisitoire de M.
Quesnay de Beaurepaire, accusant au
nom dii gouvernement le général Bou-
langer d'avoir été corrompu à prix d'ar-
gent par des fournisseurs d'épaulettes et
des marchands de café en tablettes, ou
d'avoir payé sur les fonds de l'Etat sa ré-
clame et lés dettes de sa famille, ou d'a-
voir pris 100,000 francs aux Fonds secrets
de la Guerre pour sa propagande, ni
plus ni moins que Rouvier. 11 no faut pas
parler du général Caffarel et du général
comte d'Audlau,flétris et condamnés,, ou
du lieutenant Anastay, guillotiné, ou de
Ravigneaux l'avorteur parue que la Jus-
tice civile a prononcé sur leurs cas et que
nous voulons en croire seulement les mi-
litaires.
Laissons encore ie major Breton, le ca-
pitaine Doré, les chasseurs de Sodome au
camp de Châlous, et tous les disparus, les
exclus, les réformés, les suicidés. Lais-
sons cet officier do vaisseau empruntant
vingt-cinq louis à la femme qu il a fait
condamner pour adultère.
Mais écoutons.
Le colonel d'artillerie de marine Hum-
bert, promis à la plus brillante carrière,
donne sa démission pour accuser publi-
quement îe général Borgnis-Desbordes de
scandaleuses iniquités ; il déclare que le
colonel Archinard est un menteur, uue ca-
naille, un lâche.
Le capitaine de frégate Picard-Destelan,
officier de la Légion d'honneur, ayant ga-
gné ses grades au feu, dans la campagne
du Mexique et dans les combats de Fou- ;
Tchéou, dénonce comme un voleur le lieu-
tenant de vaisseau M..., depuis promu au
galon supérieur; il convainc l'amiral
Charles Duperrê, hier encore dictateur de !
la marine et grand-croix de la Légion
d'honneur, d'avoir déserté devant l'en-
nemi, de s'être sauvé à Londres, tandis
que ses camarades tombaient sur les
champs de bataille de France.
Le colonel Allaire, breveté d'état-major,
publie un mémoire bourré de preuves et
de noms, pour établir l'infamie de plu-
sieurs officiers, perdus. de dettes, vivant
des courses et du baccara, volant l'argent
de la troupe, touchant des pots-de-vin des
fournisseurs, et protégés jusqu'au bout
par des généraux sans scrupules. Le com-
mandait Dubreuil-Myszkowski rend iï son
tour le même témoignage : et le tableau
d'intérieur du bataillon d'infanterie coïn-
cide exactement avec le tableau d'intérieur
du régiment de cavalerie. Et le général
Giovaninelli d'un côté et 1e général de Li-
gnières de l'autre sont mis dans la même
posture par leurs subalternes révoltés.
Le panamiste Cornély, qui se venge de
ses maîtres par de terribles ironies, dé-
cernait l'autre jour « un bon point au sa-
bre pour l'admirable discrétion que les mi-
litaires auraient gardée pendant l'enquête
Dreyfus-Esterhazy.En eftet, les militaires
haut placés poussent la discrétion jusqu'à
venir prendre leurs repas dans les restau-
rants de journalistes, pour qu'aucun de
leurs propos ne soit perdu. C'est par un
raffinement de discrétion que lG chet d'état-
major général de l'armée a porté ses confi-!
dences au discret Rochefort. Et qui donc j
emplit les journaux de potins presque tou-
jours vrais, et toujours infamants, sur la
plupart des chefs, sinon leurs camarades
ou leurs subalternes ?
Les journalistes écrivent sous la dictée.
Ils n'ont pas la prétention de connaître
mieux îe monde militaire que les officiers
eux-mêmes. Le plus souvent, c'est par
ordre que ess officiers parlent; c'est par j
ordre que le-commandant Pauffin de Saint-
Morel a porté des documents dans telle
maison ; par ordre, que îe contrôleur gé-
néral Marti nie et le colonel Peigné ont
porté des propositions ailleurs.
Insultes à l'armée ?... Mais les jures
viennent du ministre ou du grand état-
major.
Quel spectacle, que celui des Bureaux,
tels qu'ils se découvrent dans les inci-
dents actuels. Trente millions de Français
croient qu'on y travaille à la défense na-
tionale ; et tous ces grands militaires, in-
vestis des plus redoutables missions, ne
! sont occupés qu'à se tendre mutuellement
s des embûches, à se dénoncer, à s'espion-
ner, à se cambrioler, à machiner « des il-
légalités monstrueuses ».
Colonel Henry, colonel Sandherr, colonel
Picquart, commandant Esterbazy, capi-
taine Dreyfus : tous officiers d élite, triés
sur le volet. Les conseils de guerre, com-
posés de leurs pairs et de leurs supérieurs,
proclament ; « Le capitaine Dreyfus est un
traître : Dieu merci ! Le commandant Es-
terhazy est un ruffian : à la bonne heure !
Le colonel Picquait est un calomniateur,
: un fourbe, un misérable : hochhoch /
tdreimahl hoch i hurrah !
Si l'on était officier, qu'est-ce qu'on
éprouverait, sous le coup de tant de scan-
dales ?... AU fait, qu'éprouvent donc vingt
mille officiers, honnêtes gens, qui, la cor-
vée du service achevée, dépouillent préci-
pitamment l'uniforme pour se mettre en
civils - ou, comme ils disent, eu
voyousi
Urbain Gohier.
PROTESTATIONS
S La lettre suivante a été adressée aux direc-
| teurs des journaux promoteurs du meeting
» \ aux-Hall ;
Paris, le 17 janvier 1898
Monsieur le Directeur,
Nous apprenons que nos noms figurent Kur le»
affiches du comité qui convoque à un meeting
peur ce soir au Tivoli Vaux-Rail.
Nous protestons très énergiquement contre cette
façon, de ae servir dos noms da certains élus sans
avoir reçu leur adhésion, ot nous n'assisterons pas
d'ailleurs à cette manifestation, quel que soit notre
sentiment dans l'affairc Dreyfus.
Veuillez agréer nos s ulula lions."
L. LEVRAUD À. BREUILLÉ M. Fourest
Conseillers municipaux de Paris.
Il me semble que te g syndicat « gran-
dit. La vertu de l'action est si grande que,
des points opposés de l'horizon, d'Alle-
mane à Gabriel Séailles, de-Jaurès h Paul
Desjardins, de Louise Michel à Duclaux,
à Anatole France, à Eugène Carrière, à
Claude Mo net, les adhésions arrivent à
Zola. Il faut le dire à leur honneur, les
hommes de pensée se sont mis en mouve-
ment d'abord. C'est un signe à ne pas né-
gliger. Il est rare que, dans les mouve-
ments d'opinion publique, les hommes de
pur labeur intellectuel se manifestent au
premier rang.
Le caractère de leurs travaux, leurs habi-
tudes mentales, le genre de vie auquel ils
sont tenus de s'astreindre, tout les éloi-
gne des hommes d'action enclins à dé-
passer la mesure. Dans le cas présent,
il semble qu'un lent travail se fût fait
dans les esprits - obscur, car il n'est pas
agréable de se donner l'apparence de dé-
fendre un traître - mais fiévreusement
agité de doutes et d'angoisses.
Et voici qu'au premier geste de Zola,
jusqu'alors si éloigné de la place publique,
se jetant en avant, et devançant d'un
bond ceux qui soutenaient le plus ar-
demment le combat, les consciences se
sont senties libérées de l'affreux cauche-
mar, les langues se sont déliées, et sous les
clameurs de messieurs les étudiants des
cercles catholiques, on a entendu le
beau cri retentir : Me, me, adsum qui
feci, on a Vu des hommes apporter leur
nom pour l'oeuvre de justice.
Et voilà que dans notre France de
fonctionnaires où l'on tient tant de gens
par les croix, par les places, par les fa-
veurs de toutes sortes dont la centralisa-
tion fait du gouvernement l'universel dis-
tributeur, des hommes de cabinet, de la-
boratoire, des professeurs, des savants
ennemis des agitations publiques,s'éman-
cipent jusqu'à protester à la face de tous
en faveur du droit cyniquement violé.
Et que serait-ce si des institutions libéra-
les laissaient chaque Français maître de
sa volonté? Hier, un de nos plus distin-
gués professeurs de renseignement se-
condaire me disait : « Vous n'aurez per-
sonne des lycées. Si je vous donnais mon
nom, cet imbécile de Rambaud (j'atténue)
m'enverrait pourrir au fond do la Breta-
gne, »
Le populaire, je l'avoue, a paru plus
tardif à s'émouvoir. Lassé de vingt-cinq
ans de paroles sans actes, dégoûté des pro-
messes, toujours renouvelées, jamais te-
nues, il en est arrivé - je l'en blâme -. à
se désintéresser de beaucoup de choses
qui le passionnaient jadis. Victime de tous
les dénis de justice, que lui importe un
nouvel acte d'arbitraire et d'iniquité dans
le camp de ses maîtres, au détrimentde l'un
d'eux C'est le redressement total qu'il rêve.
Combien de fois tenté! Pour aboutir à
quelles catastrophes ! Moi aussi, j'ai foi
dans l'avenir de-justice sociale. Mais je
sais qu'une si haute construction ne peut
s'élaborer qu'à la condition que le sen-
timent de solidarité humaine ait pénétré
profondément nos coeurs.
Je le disais hier ; la vraie révolution est
faite quand l'esclave, plus grand que son
maître, découvre qu'il doit la justice même
à ses tortureurs. Cette générosité sublime,
le peuple, instinctif, l'éprouve à des heures
qui passent. Mais la tentation est si forte,
à d'autres moments, de répondre aux
actes barbares par une explosion de bar-
barie! Ainsi se fait la chaîne sans fin des I
violences, dans un décor menteur de jus-
tice et de liberté! Ainsi les siècles ont
forgé le dur anneau que nous voulons
rompre pour libérer l'homme de l'ini-
quité H
Le soldat qui n'a d'autre emploi de sa
vie que l'art de tuer ne peut pas s'arrêter
à ces idées qui ne sont, pour lui, que des
misères. One lui importe la forme d'un
jugement ? Il n'a, sous le3 beaux noms
dont il se couvre, qu'un culte, celui de la
force qui se dresse en tous lieux contre le
! droit. Aussi je ne lui en veux pas de ne
| pas comprendre. C'est aux civils, dans,
le plus noble sens du mot, aux policés, à
ceux qui fondent la civilisation sur le
droit qu'il appartient de réagir : aux
penseurs, aux savants qui préparent l'a-
venir, et, avec eux, aux faibles qui sont
le nombre, livrés par l'anarchie mentale
à la tyrannie des plus forts.
Il ne se peut léser un droit chez le
dernier des nommes sans que tous les op-
primés aient intérêt à s'en l'aire solidaires#
Ils ne le comprennent que lentement, bê-
las ! obligés de se soumettre pour vivre, et
ne pouvant suivre que de loin l'effort des
pensées. Il faut cependant que le nombre
et la pensée se rejoignent pour rétablisse-
ment de justice dans la cité humaine.
Nous marchons vers ce beau jour.
L'affaire qui émeut si fortement l'opi-
nion n'est qu'un incident &e la gra^
bataille contre la férocité des intérêts cotP
Usés. Le peuple ne l'a pas compris tout
d'abord. Mais la belle lettre d'Allemane à
Zola prouve qu'au moins quelques-uns de
ses chefs ont la claire perception des dan-
gers qui nous pressent. Honneur à eux !
Qu'ils amènent tous ceux qui, haïssant la
trahison, ne détestent pas moins l'iniquité
sous toutes ses formes, et veulent qu'un
homme, quel que soit son crime, puisse
revendiquer les garanties de justice.
La cause du droit humain ne se peut
diviser. H faut être pour ou contre. Fit, si
le u syndicat » grandit, c'est qu'après
tant d'épreuves la France est en évo-
lution de solidarité.
G. Clemenceau.
cÉchos et Nouvelles
CALENDRIER. - Mardi 18 janvier.
Lever du soleil : 7 U. 48. Coucher : 4 h. 33.
Temps d'hier : Brouillard.
Thermomètre de l'Aurore : Maximum, 4»
au-dessus; minimum, au-dessous.
Baromètre de l'ingénieur Secretan : A midi,
77Gm ; à minuit, 775 Vent d'est.
LA POLITIQUE
A la veille des élections, la droite a tenu à
donner une leçon au ministère. En votant
l'ajournement d'une interpellation qui était la
leur aussi bien que celle de M. Cavaignac,
MM. de Pontbriand et consorts ont voulu
faire comprendre à M. Méline qu'il était plus
que jamais à leur merci et qu'il n'avait qu'à
marcher droit. C'est l'explication d'une tac-
tique incohérente en apparence, mais singu-
lièrement suggestive au fond.
Quant à M. Méline, son attitude a été la-
mentable. Evidemment, il s'est cm perdu.
Hésitant, cherchant ses mots, n'osant prendre
un parti relativement à cette date qu'on lui
dt mandait cle fixer, il en était arrivé à parler
le l'alliance russe et à faire l'apologie de son
ministère. Etait-ce le chant du cygne ou l'ap-
pel désespéré de l'homme qui se noie?
La droite a eu pitié du cabinet, et M, Méline
est encore au pouvoir. Il n'y a qu'une victime
dans tout cela, c'est ce pauvre a Honneur de
l'armée », qui, vers trois heures de l'après-
midi. semblait courir les plus graves périls
et qui, à six heures, se voyait lâché par ses
amis et renvoyé aux calendes grecque#.
An, M,
GUIGNARDS
La maison qui fait te coin de la rue Joque-
let et de la rue Montmartre, côté de la rue
Réaumur. va disparaître, La démolition en a
commencé Mer. Cette vieille masure restait
toute noire à côté des constructions nouvel-
les, comme une vieille dent au milieu d'un
râtelier neuf, La plupart des logements
étaient vides, les fenetres étaient sans vitres,
les murs étaient enveloppés de poutres de
soutien.
Si on ne l'avait pas renversée en même
temps que les autres, c'est qu'il restait encore
dans l'immeuble quelques boutiquiers ou lo-
cataires d'appartements, dont les baux expi-
raient le 15 janvier dernier. On a fait l'éco-
nomie do leur expropriation en attendant la
iin du bail.
Mais quelle guigne pour ces braves gens
qui avaient dû. escompter l'indemnité que de-
vait leur procurer le percement de fa rue
Réaumur et qui, négliges et déçus, ont vu la
voie nouvelle s'ouvrir,se construire et s'inau-
gurer pendant qu'ils attendaient l'expiration
ae leur 3-6-9.
J.ES « RACHELIERS »
D'après des documents authentiques, la
Revue des Revues vient de dresser l'effroyable
statistique que voici :
L'Université crée 1,000 licenciés par an
pour 200 ou 300 places vacantes dans les ly-
cées ; l'Ecole polytechnique offre une moyenne
annuelle de 1;800 candidats pour 250 places ;
l'Ecole centrale produit chaque année 800 à
900 ingénieurs, dont les ponts et chaussées et
les Compagnies de chemins de fer retiennent
quelques-uns, le reste devant sè caser dans
l'industrie ou ils gagnent moins que certains
ouvriers d'élite ; dans renseignement pri-
maire, sur 150,000 instituteurs mu institutrices
ayant leur diplôme, il y en a 100,000 dans
une gêne très- voisine Vie la misère» 15,000
candidats pour 150 places vacantes, par exem-
ple, dans les écoles de Paris ; les autres, par
milliers, vont aux magasins, hommes ou fem-
mes, et celles-ci, hélas ! souvent à la prosti-
tution : â la préfecture de police, il y a eu en
18% pour 40 places 2,300 candidats et à l'As-
sistance publique on compte 250 candidats
pour 8 emplois à donner. A Paris, sur 2,-500
médecins, la moitié ne gagnent pas de quoi
se tirer d'affaire; sur 3,000 avocats, il y
en a tout au plus 30 qui réussissent; les
juges de paix, presque tous licenciés ou
docteurs en droit, végètent misérablement,
quand ils n'ont pas de fortune personnelle.
Et Jules Vallès, l'auteur du Bachelier, n'a
pas encore sa rue à Paris,
LA FIN DE LA IlEPUBLIQUE
C'est de la première qu'il est question.
On en fixait la fin jusqu'ici â l'année 1804,
mais il n'est pas besoin d'être numismate
pour savoir que, jusqu'en 1808, lies pièces
ont été frappées avec les mota « République
française » autour de la vignette.
M.' Aulard, le savant historien de la Révo-
lution française, vient de déterminer la date
exacte de la disparition officielle du mot, la
chose n'existant plus depuis longtemps.
C'est le 29 août 18QG que pour la première
fois une loi fut promulguée an nom de:
a Napoléon, par la grace ae Dieu et la Cons-
titution, empereur des Français. »
M. Aulard, dans son intéressant article de
la Revue bleue sur ce sujet, cite le discours
du président du Sénat,le 10 frimaire' an XIII :
M. François de Neufchateau félicitait l'empereur
du résultat du plébiscite sur l'hérédité et le louait
d'avoir conduit au port le Vaisseau de ht Répu-
blique. a Oui sire, disait-il, de la République î Ce
mot peut blesser les oreilles d'un monarque ordi-
naire, Ici, le mot est à sa place, devant ce-
lui dont le génie nous a fait jouir de la chose,
Sans le sens où la chose £CUt CJ^r UA
un grand peuple, i;
Enfïn, ajoutons que la fête commémorative
du 22 septembre, anniversaire de la fonda-
tion de la République, fut célébrée jusqu'en
1805.
Il faut avouer que cette fètô était un peu
un enterrement.
"" ÇA ET LA
Une EXPOSITION d'oeuvres nouvelles, les Aspects
de la nature, du peintre graveur Henri Rivière,
vient do s'ouvrir dans là salle des dépêches du
théâtre Antoine, 14, boulevard de Strasbourg.
Le Salon des Cent vient d'ouvrir, rue Bona-
parte. la seconde exposition d'un choix d'oeuvres
de l'imagier Andhré des Gâchons. Celte intéres-
sante exposition durera jusqu'au 15 février.
Usr NOUVEAU FUSIL.. -* Vendredi dernier, à la*
salle de la Société d'encouragement de l'industrie
nationale, M. Arthur Nouvelle, le savant arquebu-
sier, a développé devant un nombreux auditoire
rïtî«torique et W mécanisme du nouveau fusil de
châsse français, dont il est l'inventeur. Cette armé,
qui a uns portée et une pénétration supérieures aux
armes anglaises, a obtenu le grand pris d'hon-
neur à l'Exposition do Bruxelles en 1897.
L'OEuvre de Français - Très prochainement
s'ouvrira, k l'Ecole des beaux-arts, l'exposition
publique des oeuvres du maître paysagiste Louis
Français, mort l'an dernier.
Tri A VAUX MANUELS. - Très curieuse, la nouvelle
publication bimensuelle dont le premier numéro
a paru hier. Lo Journal dès travaux manuels est
un recueil de tous les travaux que l'on peut exécu-
ter soi-même {travail du bois, du fer, du carton,
etc.), une encyclopédie des arts et métiers mise â
la portée de tous.
BALIVERNES
Mot d'enfant,
Lili (cinq ans) vient d'être grondée par son
père. Elle va pleurer, quand arrive près d'elle
ora. ie chien de la maison, son grand ami.
Elle renfonce ses larmes et entourant le cou
du chien de ses petits bras.
- Viens, mon Tom. Tu iîè me grondes pas,
toi. Si tu veux, tu seras mon papa.
Scaramouche
LA GRACE DE CYVOCT
On annonce que 1e décret graciant Cyvoct
a été transmis par câble à la Nouvelle-Calé-
donie. Cyvoct sera donc probablement rapa-
trié par le prochain courrier.
Et, maintenant, à quand l'amnistie pleine
pour Cyvoct et pour 1RS condamnés de Mont-
ceau-les-Mines, dont notre collaborateur Ley-
ret a si éloquemment plaidé la cause?
Autres Titres
Quel souverain mépris doivent avoir pour
les généraux do la première légume, les Grands
Galons d'aujourd'hui î Tous vilains, tous ma-
nants, ces chefs d'armée de 93.
Hoche, Marceau, Kleber, Moreau, Jourdan,
Bonaparte même, pas un seul qui fût né.
Voyez au contraire tous les anciens élèves
des Postes qui peuplent aujourd'hui la rue
Saint-Dominique, quelle noblesse : Général de
Boisdeffre; général de Pc! Lieux, général de
Luxer, commandant du Paiy de, Clam, com-
mandant d'Ormescheville !
Jusqu'à Es terhazy - qui est comte, tout le
monde est titré du*côté huis clos.
Tout de même les titres de Hoche et des
autres, pour roturiers qu'ils fussent, valaient
mieux. Ils avaient moins de quartiers de no-
blesse, mais un peu plus de victoires à leur
actif.
FEUILLES VOLANTES
LE CHAT SAUVEUR
J'ai connu plusieurs personnes qui ne
craignaient pas d'affirmer que leur amour
pour les chats leur avait coûté « les yeux
de la tète »...
Ma conviction est que ces détracteurs des
gentils animaux au pelage soyeux étaient
des esprits chagrins ou malveillants qui
se forgeaient des chimères ou qui se .
jouaient de ma crédulité. J'en suis d autant
plus certain, qu'en dépit de leur affirma-
tion, j'ai toujours constaté que ces indivi-
dus avaient leurs deux yeux à la place habi-
tuelle. Par conséquent, il était faux qu'au-
cun chat les leur eût coûtés. Mais nous vi-
vons à une époque où les gens vous sou-
tiennent en face, avec un aplomb imper-
turbable, les mensonges les plus flagrants.
Admettons cependant, pour complaire
aux âmes antifélines, que la passion ex-
cessive des chats peut, quelquefois, par
suite de circonstances exceptionnelles, vous
attirer quelques ennuis et, vous causer
quelques dépenses.
En revanche, de combien de joies les
chats ne sont-ils pas la source vive S Et non
seulement ils vous procurent d'ineffables
contentements, mais ils peuvent vous ren-
dre maint signalé service.
Quel? diront les sceptiques. - Quel?
Sauver la vie, tout simplement! Je n'en
veux pour preuve que l'anecdote suivante,
qui date d'hier, et a laquelle je tiens à don-
ner toute la publicité dont je dispose, car
elle est faite pour réjouir mon vieux coeur
de minettophile :
Deux employés de commerce, Georges
Lemèze et Louis Maze, demeurant rue
Feydeau (vous voyez qu'on peut aller aux
renseignements et vérifier l'exactitude des
faits), préparaient leur déjeuner sur un
réchaud. Soudain, M. Lemèze se sent pris
d'une envie irrésistible de dormir et va
s'étendre sur son lit. Bientôt M. Maze s'as-
soupit à son tour et se laisse tomber sur le
parquet, sans avoir la force de se relever.
A ce moment, il entend miauler le chat
familier, hôte de leur domicile ; puis il s'é-
vanouit..
^Quelques instants plus tard, il revenait à
lui, ranimé par une bouffée d'air pur, La
chaise sur laquelle le chat reposait tout à
l'heure était renversée contre la fenêtre,
[ une vitre était brisée .et maître Mistigris
s'était réfugié dans la gouttière, d'où il con-
tinuait de miauler lamentablement.
M. Maze courut au lit où son ami gisait
sans connaissance. Il le transporta dans
une pharmacie ; là, des soins empressés le ,
rappelèrent à la vie...
Ainsi, dans cette périlleuse occurrence,,
le chat seul avait cardé toute sa lucidité,
tout son sang-froid ; et, n'écoutant que son
dévouement, son courage (et peut-etre un
peu l instinct de la conservation), il avait
trouvé moyen d'enfoncer un carreau, d'aé-
rer cette chambre où régnait déjà l'asphyxie
et de sauver deux existences...
Qu'on ose encor nier, après de tels exemple!,
Que le Chat est divin et mérite des temples t
h, Cr
PROBLEME
Savoir l'allemand est-il une présomption
de patriotisme ou de traîtrise? Le rapproche-
ment suivant rend difficile la solution d®
cette question:
Dreyfus parle plu- Le général Znrlindea
Bieurs langues, notant- qui posôdeâ fond la lan»
ment l'allemand qu'il sait gue eermunïque a ropré-
â fond; il est de plus sente la Fiance aux ma-
done d'un caractère très najuvres allemandes
soupîe, voire m3me ob : Le général a dû. conacr-
sequîcujt qui convient ! ver bon souvenir de «a
beaucoup dans les rola- seconde mission on AU
tioiia d'espionnage... Il leniagnê,
pouvait se rendre en
Alsace»
f Les journaux d'hier.
(Acte d'accusation Biographie du géné^
contre Dreyfus.) ral Zuriinden.j
Que croire?
L'HOME DES TIMBRES
M. DU PATY DE CLAM
Récemment, M. le député de La Batut s
raconté» dans les couloirs de la Chambre, una
histoire tout à fait suggestive :
- Il y a vingt ans, dit-il, j'arrivais au ré-
giment pour accomplir mon volontariat d'un
an. Le lieutenant chargé du peloton des con-
ditionnels, voulant se rendre compte du de-
gré de notre instruction, nous donna à faire
une petite composition française. Je terminai
la mienne par celte phrase : « Une nation
grande et généreuse doit être gouvernée par
l'intellegence plutôt que par le canon. » ^
ce Le soir même, le lieutenant me faisait ap-
peler et me morigénait d'importance, en me
disant que dès idées comme les miennes
étaient abominables, qu'elles étaient contrai-
res à l'esprit militaire. Il m'infligeait ensuite
quatre jours de salle de police, en avant soin
'ajouter que l'affaire n'en resterait pas là.
En effet, sur son rapport motivé, le colonel
m'appliqua quinze jours de prison.
« Stupefait de ce qui m'arrivait, je ûa part de
mon cas à quelques amis do ma famille, no-
tamment au colonel Chadois, sénateur de ht
Dordogne.
d'indulgence à mon égard : « Pour le prin-
» cipe, lui répondit mon colonel, je ne puis
» lever tout da suite la punition du soldat de
» la Batut. Il fera trois ou quatre jouis de
» prison ».
Le lieutenant qui trouvait, il y a vingt
ans, qu'une nation grande et généreuse de-
vait être gouvernée par le canon plutôt que
par l'intelligence, s'appelait... du Paty de
Clam,
Depuis lora, il a fait son chemin : ses jolies,
théories lui ont porté bonheur. Il est aujour-
d'hui lieutenant-colonel. C'est lui qui, il y a
quatre ans, instruisit contre Dreyfus et, pen-
dant tout le temps de l'instruction, martyrisa
la femme de cet offcier.
Aujourd'hui, c'est M. du Pat y de Clam qui
empêche, avec quelques complices, la lumière
de se faire sur le procès de 1894.
Le nom de co personnage portéen lui-même
son symbole. En effet, si nous ouvrons lr
Dictionnaire latin-français de Quicherat e:
Develuy, nous y trouvons à la pags 19i cette
mention: :
Clam. - A l'insu de - A la dérobée - En ca*
chette - Furtivement.
Le nom du bourreau de Mme Dreyfus est;
donc synonyme de « ténèbres ».
Il est bien porté.
Ph. D.
A TIVOLI VAUX-HALL
Le Meeting des Fiche-ton-Camp
Ici l'on danse. - Sous la présidence dt
Rochefort et Drumont... absents. _
Orateurs qui sa défilent.
Grotesque pantomime.
Un tour sinistre.
Eh bien ! vrai, la grande manifestation na-
tionale qu'on avait annoncée pour hier soir,
au Tivoli Yaux-Hall, a été piteuse pour ce.
messieurs du trône et de l'autel qui Pavaient
organisée.
Le triomphe qu'ils ge promettaient s'éta 1
transformé en déroute avant que la bataille
fût engagée. ;
Les orateurs ont commencé par se défile^.'
Les présidents d'honneur, ayant calculé sanà
doute qu'il y aurait de la casse, brillaient
par leur absence.
A la tribune, en fait de grands personnage %
on n'a pu apercevoir, â côté de M. Guérin,
que M, Georges 1 Thiébaud, M. le Provo3t d;r
Launay, sénateur, et Mme Le Provost do
Launay, MM. de Pontbriand,député,et Alpy,
conseiller municipal de Paris,
Ces messieurs avaient cru le peuple de Pé-
ris par trop bête, Dans leur loyauté très chré-
tienne, ils avaient collé par la ville une affi-
che où figuraient à la queue leu leu des noms
d'orateurs qui hurlaient de voisiner a insu
Quelle salade, mon empereur! Il y avait de
tout là dedans,et ou espérait ainsi faire crou. j>
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