Titre : Le Ménestrel : journal de musique
Éditeur : Heugel (Paris)
Date d'édition : 1938-06-24
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344939836
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 44462 Nombre total de vues : 44462
Description : 24 juin 1938 24 juin 1938
Description : 1938/06/24 (A100,N25)-1938/06/30. 1938/06/24 (A100,N25)-1938/06/30.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k56215943
Source : Bibliothèque nationale de France, TOL Non conservé au département des périodiques
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
5330 » 100e Année - N° 25
Vendredi 24 Juin 193»
Gabriel Fauré
et ses mélodies
d'après un livre récent
(Fin) (0
ON voit apparaître dans le second recueil ce que
M. Jankélévitch appelle la « fausse modu-
lation ». On part d'un ton, les accords mo-
dulants s'enchaînent, on se demande où l'on
va, on croit s'éloigner beaucoup, et l'on s'aperçoit en
fin de compte qu'on n'a point bougé et que l'on se
trouve de nouveau précisément au point de départ.
Voilà qui « égare les lourdauds ». Voilà cette « simu-
lation ironique » qui ouvre «une porte mystérieuse sur"
nulle part ». Tout le contraire de la « sérieuse modu-
lation franckiste ». Et l'instant le plus délicat et le plus
délicieux de cette sorte de « modulation circulaire » est
celui qui nous tient « suspendus sur le bord de deux
tons » dans un fragile équilibre dont on se demande
s'il se rompra et comment. Mais tout s'arrange enfin
pour que nous revenions dans le ton initial.
Et ainsi, malgré l'apparence, Fauré se trouve être le
plus tonal des musiciens. Mais il enrichit la tonalité de
tout ce qu'il y rattache par de secrets détours et d'in-
tentionnels malentendus. L'enharmonie vient com-
pliquer les péripéties de l'aventure et troubler déli-
cieusement notre sens de la tonalité sans jamais renoncer
à le satisfaire.
Voici un thème particulièrement tonal, et celui-ci
sans embûche, celui du Madrigal op. 35 emprunté à
la Fugue en mi bémol mineur de J.-S. Bach :
M. Jankélévitch le considère comme « moins litur-
gique que populaire, avec je ne sais quoi de vaguement
russe entre les notes ». Je n'y vois pas, pour ma part,
ce quelque chose de russe, pas plus que dans le char-
mant Temps des lilas de Chausson, qui exprimerait « la
même sorte de nostalgie ». Mais ce sont là impressions
purement subjectives.
M. Jankélévitch serait presque sur le point de re-
pousser la séduction des très célèbres Roses d'Ispahan.
« Notre premier mouvement, dit-il, est de trouver ces
roses ravissantes ; le second d'en sourire et de dire non,
et le troisième de redire oui, quoique pour de tout
autres raisons qu'au début. Car si le commencement de
la sagesse est de se méfier, par calcul, et de ne pas
« marcher », la fin de la sagesse est de reprendre tout
bonnement confiance dans la spontanéité du plaisir
musical ; l'esprit est plus savant que la lettre, mais la
(i) Voir le Ménestrel des io et 17 juin 1938.
naïveté de la lettre, en définitive, est encore plus sage
que la sagesse de l'esprit. Ainsi, Fauré simule la simu-
lation elle-même et ironise sur « l'ironie ». Et. M. Jan-
kélévitch nous montre combien la « fausse clarté » des
Roses d'Ispahan recouvre de pièges, de « finesse savante
et de ruse ». Mais comment ne l'a-t-il pas perçu dès
l'abord ? Comment lui, si subtil, s'est-il laissé prendre
à cette « fausse clarté? » Est-ce que je trouverais en
défaut ici le pénétrant auteur de ce beau livre de
l'Ironie? Mais non. Car il dit lui-même un peu plus
bas : « Il ne faut être ni trop crédule, ni trop malin ».
Quand il en vient à la période des cycles, M. Janké-
lévitch cite les noms précurseurs de Schumann, de
Wolf et de Mahler. Pourquoi pas ceux de Beethoven
qui fut, avec sa Bien-Aimée lointaine, le créateur du
genre, et de Schubert. De plus en plus je soupçonne
notre auteur de ne point porter beaucoup d'affection ni
à Schubert, ni à Beethoven.
A l'occasion des « mélodies de Venise », M. Jankélé-
vitch nous signale une sorte de thème conducteur qui
les relie et qui, jusqu'ici, est resté inaperçu des cri-
tiques, « thème plus léger qu'un nuage, plus rapide
qu'une pensée ». Vous le trouverez sous ses différents
aspects page 115. C'est une intéressante découverte. Et
à propos de ces « mélodies vénitiennes » dont le texte,
emprunté à Verlaine, a été également mis en musique
par Debussy, M. Jankélévitch revient à sa comparaison
entre les deux compositeurs, cette fois au point de vue
technique. « Fauré a beau rester fidèle au principe
tonal, jamais ses accords parfaits ne sont absolument
parfaits, ni ses modulations absolument régulières. »
Debussy, lui, préfère souvent « juxtaposer des accords
parfaits majeurs dans quatre, cinq tons successifs que
les harmonies traversent sans moduler ».
Je crois ne pas me tromper en remarquant que
M. Jankélévitch ne fait allusion qu'une seule fois, page
135, à la sensualité de Fauré. C'est curieux. Voilà un
artiste dont cependant —• on avait tort — il fut un
temps où l'on ne voyait autre chose en lui que la
recherche de la volupté, particulièrement sous sa forme
mondaine. Les uns s'y laissaient séduire, les autres
s'indignaient : musique de boudoir qui sent la poudre
de riz, disaient-ils. J'attendais quelque chose sur ce
chapitre.
Page 142, analysant la pièce Puisque l'aube grandit,
de la Bonne Chanson, M. Jankélévitch remarque que
dans la deuxième mesure du second thème :
« les accents tombent sur les temps 2 et 4 et créent par
leur avance un rythme faux qui contrarie le vrai. »
Mais, ajoute-t-il, « le musicien de Clair de lune, qui est
un virtuose de la fausse-jijaladresse, aime à jouer sur
l'équivoque du telcSps -&t;£*iu contre-temps, comme
ailleurs sur l'équjtyoque'des\ltonalités synonymes. » Il
Vendredi 24 Juin 193»
Gabriel Fauré
et ses mélodies
d'après un livre récent
(Fin) (0
ON voit apparaître dans le second recueil ce que
M. Jankélévitch appelle la « fausse modu-
lation ». On part d'un ton, les accords mo-
dulants s'enchaînent, on se demande où l'on
va, on croit s'éloigner beaucoup, et l'on s'aperçoit en
fin de compte qu'on n'a point bougé et que l'on se
trouve de nouveau précisément au point de départ.
Voilà qui « égare les lourdauds ». Voilà cette « simu-
lation ironique » qui ouvre «une porte mystérieuse sur"
nulle part ». Tout le contraire de la « sérieuse modu-
lation franckiste ». Et l'instant le plus délicat et le plus
délicieux de cette sorte de « modulation circulaire » est
celui qui nous tient « suspendus sur le bord de deux
tons » dans un fragile équilibre dont on se demande
s'il se rompra et comment. Mais tout s'arrange enfin
pour que nous revenions dans le ton initial.
Et ainsi, malgré l'apparence, Fauré se trouve être le
plus tonal des musiciens. Mais il enrichit la tonalité de
tout ce qu'il y rattache par de secrets détours et d'in-
tentionnels malentendus. L'enharmonie vient com-
pliquer les péripéties de l'aventure et troubler déli-
cieusement notre sens de la tonalité sans jamais renoncer
à le satisfaire.
Voici un thème particulièrement tonal, et celui-ci
sans embûche, celui du Madrigal op. 35 emprunté à
la Fugue en mi bémol mineur de J.-S. Bach :
M. Jankélévitch le considère comme « moins litur-
gique que populaire, avec je ne sais quoi de vaguement
russe entre les notes ». Je n'y vois pas, pour ma part,
ce quelque chose de russe, pas plus que dans le char-
mant Temps des lilas de Chausson, qui exprimerait « la
même sorte de nostalgie ». Mais ce sont là impressions
purement subjectives.
M. Jankélévitch serait presque sur le point de re-
pousser la séduction des très célèbres Roses d'Ispahan.
« Notre premier mouvement, dit-il, est de trouver ces
roses ravissantes ; le second d'en sourire et de dire non,
et le troisième de redire oui, quoique pour de tout
autres raisons qu'au début. Car si le commencement de
la sagesse est de se méfier, par calcul, et de ne pas
« marcher », la fin de la sagesse est de reprendre tout
bonnement confiance dans la spontanéité du plaisir
musical ; l'esprit est plus savant que la lettre, mais la
(i) Voir le Ménestrel des io et 17 juin 1938.
naïveté de la lettre, en définitive, est encore plus sage
que la sagesse de l'esprit. Ainsi, Fauré simule la simu-
lation elle-même et ironise sur « l'ironie ». Et. M. Jan-
kélévitch nous montre combien la « fausse clarté » des
Roses d'Ispahan recouvre de pièges, de « finesse savante
et de ruse ». Mais comment ne l'a-t-il pas perçu dès
l'abord ? Comment lui, si subtil, s'est-il laissé prendre
à cette « fausse clarté? » Est-ce que je trouverais en
défaut ici le pénétrant auteur de ce beau livre de
l'Ironie? Mais non. Car il dit lui-même un peu plus
bas : « Il ne faut être ni trop crédule, ni trop malin ».
Quand il en vient à la période des cycles, M. Janké-
lévitch cite les noms précurseurs de Schumann, de
Wolf et de Mahler. Pourquoi pas ceux de Beethoven
qui fut, avec sa Bien-Aimée lointaine, le créateur du
genre, et de Schubert. De plus en plus je soupçonne
notre auteur de ne point porter beaucoup d'affection ni
à Schubert, ni à Beethoven.
A l'occasion des « mélodies de Venise », M. Jankélé-
vitch nous signale une sorte de thème conducteur qui
les relie et qui, jusqu'ici, est resté inaperçu des cri-
tiques, « thème plus léger qu'un nuage, plus rapide
qu'une pensée ». Vous le trouverez sous ses différents
aspects page 115. C'est une intéressante découverte. Et
à propos de ces « mélodies vénitiennes » dont le texte,
emprunté à Verlaine, a été également mis en musique
par Debussy, M. Jankélévitch revient à sa comparaison
entre les deux compositeurs, cette fois au point de vue
technique. « Fauré a beau rester fidèle au principe
tonal, jamais ses accords parfaits ne sont absolument
parfaits, ni ses modulations absolument régulières. »
Debussy, lui, préfère souvent « juxtaposer des accords
parfaits majeurs dans quatre, cinq tons successifs que
les harmonies traversent sans moduler ».
Je crois ne pas me tromper en remarquant que
M. Jankélévitch ne fait allusion qu'une seule fois, page
135, à la sensualité de Fauré. C'est curieux. Voilà un
artiste dont cependant —• on avait tort — il fut un
temps où l'on ne voyait autre chose en lui que la
recherche de la volupté, particulièrement sous sa forme
mondaine. Les uns s'y laissaient séduire, les autres
s'indignaient : musique de boudoir qui sent la poudre
de riz, disaient-ils. J'attendais quelque chose sur ce
chapitre.
Page 142, analysant la pièce Puisque l'aube grandit,
de la Bonne Chanson, M. Jankélévitch remarque que
dans la deuxième mesure du second thème :
« les accents tombent sur les temps 2 et 4 et créent par
leur avance un rythme faux qui contrarie le vrai. »
Mais, ajoute-t-il, « le musicien de Clair de lune, qui est
un virtuose de la fausse-jijaladresse, aime à jouer sur
l'équivoque du telcSps -&t;£*iu contre-temps, comme
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