Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1870-07-04
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 04 juillet 1870 04 juillet 1870
Description : 1870/07/04 (A5,N1537). 1870/07/04 (A5,N1537).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4718358g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 07/11/2017
LA PETITE PRESSE
^OUEXÏAL. QUOTIDIEN ~ 1
Br Ilcefit. le numéro.
5 cent. Je numéro. 1
1 2&n3HNK?.IKHTS.— Tr«!««ct9 Sfemte Vt*«
Parts 5 fr. » Cr. 18 fr... 1
I) Madame a la 6 il es
Adminiitratew". Dourdiluav.
\tyn\x<$y
iJ^année — LUNDI 4 JUILLET 1870 — N* 1«37
Jlâiaoievj-m ch*f: A. dtî B.U..\TB:riR-Da,\GULOlt!è:B
BORÉAUX D'abonné M gi,r: 9, vuaftpoMvt
1 ADUimsnu.no:* : U, quai YululrlS.
PARIS, 3 JUILLET 1870
LE
BUSTE DE PIERRE CORNEILLE
Merc<"ad! dernier, — jour de la Saint-
flerre, — il yr avait l'ôte au n* 18 de la rue
CArgenteuil.,.
Le concier :ge, les locataires, un« députa-
tion de la f ,'omédie-Franç:tise, quelques let-
tons et quel ,ques artistes s'étaient réunis dans
la cour de la maison. Il s'agissait de rem-
placer un; incien bus!e par un nouveau, d'ho-
norer la j mémoire d'un grand homme, de
retrouver - son souvenir sur les lieux môme
où il a va it vécu. !
La r' ttr d'Ar7eofeuil est une des dernières
rucs d' il vieux Paris.
On a démoli 11 l'une de ses extrémités,
vers 1 In rue Saint-Roch; on achève de cons-
truire à l'autre, près du Théâtre Français.
' Eoti *e les murs qui s'écroulent et les murs
! qui s'élèvent, la rue patriarcale monte et
descend, pavée à la moderne, entre deux li-
gn<;s de maisons hautes, à fenêtres étro^es
•" et rapprochées, à balcons ventrus. Ici le fer
triomphe, et le fer dans les villes appelle les
{ flrurs. Les capucines, les, aristoloches et Ie&
poits de sonteur grimpent le long des façades.
A regarde* ce printemps, on oublie le déla-
bre '.ment. des murs, la noire profondeur des
'i allé tes. Du rest%, la rue a deux parties:
l'un e ouvrière, où se voient un lavoir étayé
par des poutres et des enseignes imagées
pein tes sur un fond bleu ; l'autre bourgeoise,
plus large, plus ouverte à la lumière et au
soleil ...
C'c st dans cette dernière, sur la pente qui
ijnène à la Comédie-Française, que se trouve
une m uifon à façade plate et à grande porte
cochère e peinte en vert et garnie de clous.
Pous isez un des lourds battants de cette
porte, t me petite cour vous apparaîtra, toute
tapissée de verdure. Au milieu de la paroi
du fond, sur un socle rustique, vous aperce-
vrez un buste. Entrez; et retournez-vous.
La façade unie, badigeonnée et garnie de
prrsiennes, n'éveillait chez vous aucun BOU-
venir; mais la cage de l'escalier sur la cour,
les conduites extérieures, les retraits des
murs, la forme des croisées, une sorte de
pignon, deux petits toits superposés, tout un
ensemble de choses d'autrefois, vous repor-
tera vers un temps qui n'est plus, un temps
où Paris n'était pas encore une auberge, où
des familles vivaient et se succédaient dans
le même logis... Supposez cette cour éclairée
par la lune, pleine d'àngles, d'ombres et de
blancheurs, vous ne seriez pas surpris, en
sortant, d'entendre sonner le couvre-feu...
Aujourd'hui, vous entendez rouler les
omnibus qui quittent le Palais-Royal pour
remonter la rue Richelieu, et les lourds ca-
mions qui partent des Halles et suivent la
rue Saint-Honoré. Qu'importe? Le buste est
là; ce buste est celui d'un grand homme, et
ce grand homme habitait cette maison.
Saluez avec respect. Vous avez franchi le
seuil de Pierre Corneille.
Pierre Corneille était un Normand de
Rouen, le fils d'un maître des eaux et forêts.
Son père le destinait au Palais ; il prit le
théâtre. Connu dans son pays, quand il
vint à Paris il fut célèbre tout de suite.
Mais alors la célébrité était loin de donner
des millions. On pouvait être un poëte illus-
tre, avoir dix tragédies jouées dans deux
théâtres, faire partie de l'Académie française
et mourir de faim. -
Grand et pauvre étaient deux adjectifs qui
allaient fort bien ensemble. Il y avait bien
la cour, où les beaux esprits étaient recher-
chés, et les grands seigneurs, chez lesquels
le couvert des hommes de lettres était mis.
Mais notre Normand préférait manger à sa
propre table, ayant sa femme à sa droite,
ses enfants autour de lui et la servante de
la famille au bas bout. Il disait le Benedicite
et les Grâces en bon chrétien qu'il était. En-
tre les deux, il faisait maigre chère, un peu
distrait et rêvant à quelque chef-d'œuvre.
Ce bonhomme, simp!e et laborieux, eut
pourtant un protecteur, — le cardinal de
Richelieu, très-jaloux des bons poëtcs, car
lui-même faisait de mauvais vers, mais em-
pressé néanmoins à les servir parce que,
très-intelligent, il comprenait la place qu'ils
doivent tenir dans l'Etat.
Grâce à lui, Pierre Corneille eut une
pension do cinq cents écus, qui lui permit
de faire vivre lei siens. Il lui devait déjà son
, mariage. Relisez Fontenelle :
i *
«M. Corneille, encore fort jeune, se pré-
senta un jour plus triste et plus rêveur qu'à
l'ordinaire devant le cardinal de Richelieu,
qui lui demanda s'il travaillait. Il répondit
qu'il était bien éloigné de la tranquillité né-
cessaire pour la composition, et qu'il avait la
tête renversée par l'amour. Il en fallut venir
à un grand éclaircissement, et il dit au car-
dinal qu'il aimait passionnément une fil!e du 1
lieutenant général dl's Andelys, en Normàn- '
die, et qu'il ne pouvait l'obtenir de son père, 1
M. de Lampérière. Le cardinal voulut que
ce père.si difficile vint lui parler à Paris. Il
'y arriva tout tremblant d'un ordre si impré-
vu, et s'en retourna bien content d'en être
quitte pour avoir donné ca fille-à. un homme
qui avait tant de crédit... »
Je viens do citer Fontenelle.
Pour bien faire connaître Corneille, le
mieux est d'interroger ainsi, soit les écri-
vains du dix-septième siècle, soit ceux du
dix huitième.
Voici ce que disait Vigneul de Marville
son contemporain :
« A. voir M. de Corneille, on ne l'aurait
pas cru capable de faire si bien parler les
Grecs et les Romains, et de donner un si
grand relief aux sentiments et aux pensées
des héros. La première fois que je le vis, je
le pris pour un marchand de Rouen. Son
c,*:lérieur n'avait rien qui parlât pour son es-
prit, et sa conversaLion était si pesante,
qu'elle devenait à charge dès qu'elle durait
un peu. Une grande princesse, qui avait dé-
siré le voir et l'entretenir, disait qu'il ne fil-
lait point l'écouter ailleurs qu'à l'hôtel de
Bourgogne. Certainement M. de Corneille
se négligeait trop, ou, pour mieux dire, la
nature, qui lui avait été si libérale en des
choses extraordinaires, l'avait comme oublié
dans les plus communes. Quand ses familiers
amis, qui auraient souhaité de le voir parfait
en tout, lui faisaient remarquer ses légers
défauts, il souriait, et disait : Je n'en suis
pas moins pour cela Pierre Corneille... Il n'a
jamais parlé bien correctement la langue
française; peut-être ne se mettait-il pas en
peina de cette exactitude... r
A La Bruyère, maintenant. f-
« Simple, timide, d'une ennuyeuse oom'
vcrsntion, Corneille prend un mot pour glt.
autre, et il ne juge de la bonté de sa pièc$
que par l'argent qui lui en revient; il ne sait
pas la réciter ni lire son écrilure. Laisses-te
s'élever par la composition, il n'est pas aor-
dessous d'Auguste, de Pompée, de iromè-
de, d'Iléraclius ; il est roi et un grand roi;
il est politique, il est philosophe; il entre-
prend de faire parler des héros, do les faire
agir; il peint les Romains ; ils sont plu.
grands et plus Romains dans ses vers qM<
dans leur histoire... J)
Je continue à emprunter et je prends cette
anecdote à Segrais :
« Etant une fois près de Corneille sur le
théâtre, à une représentalion de Bajazet
(1072), il me dit : — Je me garderais bien
de le dire à d'autres qu'à vous, parce qu'on.
pourrait croire que j'en parle par jalousie;
mais prenez y garde, il n'y a pas un seul
personnage d ;ns ce Bajazet qui ait les sen-
limenls qu'il doit avoir... et que l'on a àCon-
stantinople; ils ont tous, sous-un habit turc,
les sentiments qu'on aauroilieudelà France.
Il avait raison, et l'on ne voit pas cela dans
Corneille; le Romain y parle comme un Ro-
mam, le Grec comme un Grec, l'indien
comme un Indien, et l'Espagnol comme as
Espagnol... »
De Boze nous initie a la vie de famille de'l
, Pierre et de Thomas Corneille :
« Les deux Corneille ont épousé les deux
demoiselles de Lampérière. Il y avait entre
hs frères le même intervalle d'âge qu'entra
les sœurs; ils ont eu un même nombre d'en-
fants ; ce n'était qu'une même maison, qu'un
même domestique ; ils ont parcouru la mômo
carrière. Enfin, après plus de vingt-cinqans
de mariage, les deux frères n'avaient pas en-
core songé à faire le partage des biens de
leurs femmes, situés en Normandie ; il ne
fut fait qu'à la mort de Pierre... »
Celui qui se présente avec de pareils té-
moignages, — chers lecteurs, — devait. être
ausbi grand dans la. vie privée que dans son
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
88 ,
XCVIII
Le cavalier q\ '1 galopait derrière M. Scotowe
St te révérend paraissait dévorer l'espace.
En effet, il eut bientôt rejoint la petite
îîoupç.
Alors le révérend le vît ranger son chenal
Côte à côte de celui de son guide.
Quel était cet homme?
D'abord on ne pouvait guère s?olr son vi-
sage, car il était pareillement affublé d'un ca-
ban dont le capuchon était rabattu.
Ensuite il ne prononça pas un seul mot.
Le révérend Patterson se dit :
— C'est un des hommes enrôlés par M. Sco-
towe , et M. Scotowe est un homme prudent
et intelligent.
Tandis que le révérend se livrait à cet éloge
mental de M. Scotowe, celui-ci ne prononçait
pas une parole et cheminait le front penché.
Cet aspect taciturne avait déjà quelque peu
inquiété M. Patterson.
Il y avait environ dix minutes que le cava-
lier avait rejoint la petite troupe, quand un
nouveau bruit de galop se fit entendre.
La même scène recommença.
Le compagnon m vstérieux 11t entendre un
second coup d<* sifflet, et un second cavalier
vint bientôt grossir la petite caravane.
Alors M. Patterson n'y tint plus.
— Ah ça, mon cher M. iSeotowe, dit-il, vous
allez m'expliquer tout cela, Xima£iQe »
A ces paroles, le c)mp*çsion>du âéteetire se
»toîiraa à dtmi.
, ^
Il leva même un singulier regard sûr M. Pat-'
terson. -
M. Patterson tressaillit. Son regard avait
rencontré un regard, et, au milieu des ténè-
bres, ils s'étaient heurtés, lumineux comme
deux lames d'épée d'où jaillit une étincelle.
M. Scotowe fit mine de n'avoir pas en-
tendu.
Le révérend renouvela sa question :
— Mon cher monsieur, répéta-t-il, est-ce
que nous allons prendre comme ça des compa-
gnons de route,de distance en distance?
— Non, dit M. Scotowe, c'est fini.
Il prononça ces mots du ton d'un homme
qui s'arrache à une méditation profonde.
Et il retomba aussitôt dans son mutisme et
sa rêverie.
La caravane avançait toujours.
Elle suivait maintenant un sentier ardu qui
serpentait au flanc d'une colline taillée en pain j
de sucre.
Tout en haut de cette colline les deux bra-
siers projetaient dans te e eï soir tours demies
res lu9un.
M. Patterson s'impatienta.
— Mon cher monsieur Scotowe, dit-il, vous
me permettrez de vous dire que je trouve tout
cela extraordinaire.
Le détective releva lJ. tête.
— Ah! dit-il.
— Enfin nous allons, J'imagine, à la recb^-
che du trésor?
— Oui, monsieur,
— Et tous ces gens-là viennent avec nenst
— Oui, dit encore le détective.
Ce fut tout. Il n'y avait pas moyen de lui
arracher une parole.
M. Patterson se rejeta sur le prétendu ma-
telot qui lui avait servi de guide.
— Hé ! l'ami ! fit-il.
— Que dé»irez-vous, monsieur ? M j
Le révérend se pencha sur sa selle, et appro-
chant ses lè vres de l'oreille du cavalier :
— M. Scotowe ne me parait pas der boa&â
humeur, ce soir, dit-il.
— Il a èes jours comme ça, monsieur.
— V.Ui li connais* :x depuis longtUDIs t
Yœr !o twraéro du it juin 11$".
^OUEXÏAL. QUOTIDIEN ~ 1
Br Ilcefit. le numéro.
5 cent. Je numéro. 1
1 2&n3HNK?.IKHTS.— Tr«!««ct9 Sfemte Vt*«
Parts 5 fr. » Cr. 18 fr... 1
I) Madame a la 6 il es
Adminiitratew". Dourdiluav.
\tyn\x<$y
iJ^année — LUNDI 4 JUILLET 1870 — N* 1«37
Jlâiaoievj-m ch*f: A. dtî B.U..\TB:riR-Da,\GULOlt!è:B
BORÉAUX D'abonné M gi,r: 9, vuaftpoMvt
1 ADUimsnu.no:* : U, quai YululrlS.
PARIS, 3 JUILLET 1870
LE
BUSTE DE PIERRE CORNEILLE
Merc<"ad! dernier, — jour de la Saint-
flerre, — il yr avait l'ôte au n* 18 de la rue
CArgenteuil.,.
Le concier :ge, les locataires, un« députa-
tion de la f ,'omédie-Franç:tise, quelques let-
tons et quel ,ques artistes s'étaient réunis dans
la cour de la maison. Il s'agissait de rem-
placer un; incien bus!e par un nouveau, d'ho-
norer la j mémoire d'un grand homme, de
retrouver - son souvenir sur les lieux môme
où il a va it vécu. !
La r' ttr d'Ar7eofeuil est une des dernières
rucs d' il vieux Paris.
On a démoli 11 l'une de ses extrémités,
vers 1 In rue Saint-Roch; on achève de cons-
truire à l'autre, près du Théâtre Français.
' Eoti *e les murs qui s'écroulent et les murs
! qui s'élèvent, la rue patriarcale monte et
descend, pavée à la moderne, entre deux li-
gn<;s de maisons hautes, à fenêtres étro^es
•" et rapprochées, à balcons ventrus. Ici le fer
triomphe, et le fer dans les villes appelle les
{ flrurs. Les capucines, les, aristoloches et Ie&
poits de sonteur grimpent le long des façades.
A regarde* ce printemps, on oublie le déla-
bre '.ment. des murs, la noire profondeur des
'i allé tes. Du rest%, la rue a deux parties:
l'un e ouvrière, où se voient un lavoir étayé
par des poutres et des enseignes imagées
pein tes sur un fond bleu ; l'autre bourgeoise,
plus large, plus ouverte à la lumière et au
soleil ...
C'c st dans cette dernière, sur la pente qui
ijnène à la Comédie-Française, que se trouve
une m uifon à façade plate et à grande porte
cochère e peinte en vert et garnie de clous.
Pous isez un des lourds battants de cette
porte, t me petite cour vous apparaîtra, toute
tapissée de verdure. Au milieu de la paroi
du fond, sur un socle rustique, vous aperce-
vrez un buste. Entrez; et retournez-vous.
La façade unie, badigeonnée et garnie de
prrsiennes, n'éveillait chez vous aucun BOU-
venir; mais la cage de l'escalier sur la cour,
les conduites extérieures, les retraits des
murs, la forme des croisées, une sorte de
pignon, deux petits toits superposés, tout un
ensemble de choses d'autrefois, vous repor-
tera vers un temps qui n'est plus, un temps
où Paris n'était pas encore une auberge, où
des familles vivaient et se succédaient dans
le même logis... Supposez cette cour éclairée
par la lune, pleine d'àngles, d'ombres et de
blancheurs, vous ne seriez pas surpris, en
sortant, d'entendre sonner le couvre-feu...
Aujourd'hui, vous entendez rouler les
omnibus qui quittent le Palais-Royal pour
remonter la rue Richelieu, et les lourds ca-
mions qui partent des Halles et suivent la
rue Saint-Honoré. Qu'importe? Le buste est
là; ce buste est celui d'un grand homme, et
ce grand homme habitait cette maison.
Saluez avec respect. Vous avez franchi le
seuil de Pierre Corneille.
Pierre Corneille était un Normand de
Rouen, le fils d'un maître des eaux et forêts.
Son père le destinait au Palais ; il prit le
théâtre. Connu dans son pays, quand il
vint à Paris il fut célèbre tout de suite.
Mais alors la célébrité était loin de donner
des millions. On pouvait être un poëte illus-
tre, avoir dix tragédies jouées dans deux
théâtres, faire partie de l'Académie française
et mourir de faim. -
Grand et pauvre étaient deux adjectifs qui
allaient fort bien ensemble. Il y avait bien
la cour, où les beaux esprits étaient recher-
chés, et les grands seigneurs, chez lesquels
le couvert des hommes de lettres était mis.
Mais notre Normand préférait manger à sa
propre table, ayant sa femme à sa droite,
ses enfants autour de lui et la servante de
la famille au bas bout. Il disait le Benedicite
et les Grâces en bon chrétien qu'il était. En-
tre les deux, il faisait maigre chère, un peu
distrait et rêvant à quelque chef-d'œuvre.
Ce bonhomme, simp!e et laborieux, eut
pourtant un protecteur, — le cardinal de
Richelieu, très-jaloux des bons poëtcs, car
lui-même faisait de mauvais vers, mais em-
pressé néanmoins à les servir parce que,
très-intelligent, il comprenait la place qu'ils
doivent tenir dans l'Etat.
Grâce à lui, Pierre Corneille eut une
pension do cinq cents écus, qui lui permit
de faire vivre lei siens. Il lui devait déjà son
, mariage. Relisez Fontenelle :
i *
«M. Corneille, encore fort jeune, se pré-
senta un jour plus triste et plus rêveur qu'à
l'ordinaire devant le cardinal de Richelieu,
qui lui demanda s'il travaillait. Il répondit
qu'il était bien éloigné de la tranquillité né-
cessaire pour la composition, et qu'il avait la
tête renversée par l'amour. Il en fallut venir
à un grand éclaircissement, et il dit au car-
dinal qu'il aimait passionnément une fil!e du 1
lieutenant général dl's Andelys, en Normàn- '
die, et qu'il ne pouvait l'obtenir de son père, 1
M. de Lampérière. Le cardinal voulut que
ce père.si difficile vint lui parler à Paris. Il
'y arriva tout tremblant d'un ordre si impré-
vu, et s'en retourna bien content d'en être
quitte pour avoir donné ca fille-à. un homme
qui avait tant de crédit... »
Je viens do citer Fontenelle.
Pour bien faire connaître Corneille, le
mieux est d'interroger ainsi, soit les écri-
vains du dix-septième siècle, soit ceux du
dix huitième.
Voici ce que disait Vigneul de Marville
son contemporain :
« A. voir M. de Corneille, on ne l'aurait
pas cru capable de faire si bien parler les
Grecs et les Romains, et de donner un si
grand relief aux sentiments et aux pensées
des héros. La première fois que je le vis, je
le pris pour un marchand de Rouen. Son
c,*:lérieur n'avait rien qui parlât pour son es-
prit, et sa conversaLion était si pesante,
qu'elle devenait à charge dès qu'elle durait
un peu. Une grande princesse, qui avait dé-
siré le voir et l'entretenir, disait qu'il ne fil-
lait point l'écouter ailleurs qu'à l'hôtel de
Bourgogne. Certainement M. de Corneille
se négligeait trop, ou, pour mieux dire, la
nature, qui lui avait été si libérale en des
choses extraordinaires, l'avait comme oublié
dans les plus communes. Quand ses familiers
amis, qui auraient souhaité de le voir parfait
en tout, lui faisaient remarquer ses légers
défauts, il souriait, et disait : Je n'en suis
pas moins pour cela Pierre Corneille... Il n'a
jamais parlé bien correctement la langue
française; peut-être ne se mettait-il pas en
peina de cette exactitude... r
A La Bruyère, maintenant. f-
« Simple, timide, d'une ennuyeuse oom'
vcrsntion, Corneille prend un mot pour glt.
autre, et il ne juge de la bonté de sa pièc$
que par l'argent qui lui en revient; il ne sait
pas la réciter ni lire son écrilure. Laisses-te
s'élever par la composition, il n'est pas aor-
dessous d'Auguste, de Pompée, de iromè-
de, d'Iléraclius ; il est roi et un grand roi;
il est politique, il est philosophe; il entre-
prend de faire parler des héros, do les faire
agir; il peint les Romains ; ils sont plu.
grands et plus Romains dans ses vers qM<
dans leur histoire... J)
Je continue à emprunter et je prends cette
anecdote à Segrais :
« Etant une fois près de Corneille sur le
théâtre, à une représentalion de Bajazet
(1072), il me dit : — Je me garderais bien
de le dire à d'autres qu'à vous, parce qu'on.
pourrait croire que j'en parle par jalousie;
mais prenez y garde, il n'y a pas un seul
personnage d ;ns ce Bajazet qui ait les sen-
limenls qu'il doit avoir... et que l'on a àCon-
stantinople; ils ont tous, sous-un habit turc,
les sentiments qu'on aauroilieudelà France.
Il avait raison, et l'on ne voit pas cela dans
Corneille; le Romain y parle comme un Ro-
mam, le Grec comme un Grec, l'indien
comme un Indien, et l'Espagnol comme as
Espagnol... »
De Boze nous initie a la vie de famille de'l
, Pierre et de Thomas Corneille :
« Les deux Corneille ont épousé les deux
demoiselles de Lampérière. Il y avait entre
hs frères le même intervalle d'âge qu'entra
les sœurs; ils ont eu un même nombre d'en-
fants ; ce n'était qu'une même maison, qu'un
même domestique ; ils ont parcouru la mômo
carrière. Enfin, après plus de vingt-cinqans
de mariage, les deux frères n'avaient pas en-
core songé à faire le partage des biens de
leurs femmes, situés en Normandie ; il ne
fut fait qu'à la mort de Pierre... »
Celui qui se présente avec de pareils té-
moignages, — chers lecteurs, — devait. être
ausbi grand dans la. vie privée que dans son
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
88 ,
XCVIII
Le cavalier q\ '1 galopait derrière M. Scotowe
St te révérend paraissait dévorer l'espace.
En effet, il eut bientôt rejoint la petite
îîoupç.
Alors le révérend le vît ranger son chenal
Côte à côte de celui de son guide.
Quel était cet homme?
D'abord on ne pouvait guère s?olr son vi-
sage, car il était pareillement affublé d'un ca-
ban dont le capuchon était rabattu.
Ensuite il ne prononça pas un seul mot.
Le révérend Patterson se dit :
— C'est un des hommes enrôlés par M. Sco-
towe , et M. Scotowe est un homme prudent
et intelligent.
Tandis que le révérend se livrait à cet éloge
mental de M. Scotowe, celui-ci ne prononçait
pas une parole et cheminait le front penché.
Cet aspect taciturne avait déjà quelque peu
inquiété M. Patterson.
Il y avait environ dix minutes que le cava-
lier avait rejoint la petite troupe, quand un
nouveau bruit de galop se fit entendre.
La même scène recommença.
Le compagnon m vstérieux 11t entendre un
second coup d<* sifflet, et un second cavalier
vint bientôt grossir la petite caravane.
Alors M. Patterson n'y tint plus.
— Ah ça, mon cher M. iSeotowe, dit-il, vous
allez m'expliquer tout cela, Xima£iQe »
A ces paroles, le c)mp*çsion>du âéteetire se
»toîiraa à dtmi.
, ^
Il leva même un singulier regard sûr M. Pat-'
terson. -
M. Patterson tressaillit. Son regard avait
rencontré un regard, et, au milieu des ténè-
bres, ils s'étaient heurtés, lumineux comme
deux lames d'épée d'où jaillit une étincelle.
M. Scotowe fit mine de n'avoir pas en-
tendu.
Le révérend renouvela sa question :
— Mon cher monsieur, répéta-t-il, est-ce
que nous allons prendre comme ça des compa-
gnons de route,de distance en distance?
— Non, dit M. Scotowe, c'est fini.
Il prononça ces mots du ton d'un homme
qui s'arrache à une méditation profonde.
Et il retomba aussitôt dans son mutisme et
sa rêverie.
La caravane avançait toujours.
Elle suivait maintenant un sentier ardu qui
serpentait au flanc d'une colline taillée en pain j
de sucre.
Tout en haut de cette colline les deux bra-
siers projetaient dans te e eï soir tours demies
res lu9un.
M. Patterson s'impatienta.
— Mon cher monsieur Scotowe, dit-il, vous
me permettrez de vous dire que je trouve tout
cela extraordinaire.
Le détective releva lJ. tête.
— Ah! dit-il.
— Enfin nous allons, J'imagine, à la recb^-
che du trésor?
— Oui, monsieur,
— Et tous ces gens-là viennent avec nenst
— Oui, dit encore le détective.
Ce fut tout. Il n'y avait pas moyen de lui
arracher une parole.
M. Patterson se rejeta sur le prétendu ma-
telot qui lui avait servi de guide.
— Hé ! l'ami ! fit-il.
— Que dé»irez-vous, monsieur ? M j
Le révérend se pencha sur sa selle, et appro-
chant ses lè vres de l'oreille du cavalier :
— M. Scotowe ne me parait pas der boa&â
humeur, ce soir, dit-il.
— Il a èes jours comme ça, monsieur.
— V.Ui li connais* :x depuis longtUDIs t
Yœr !o twraéro du it juin 11$".
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