Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-09-11
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 11 septembre 1868 11 septembre 1868
Description : 1868/09/11 (A3,N876). 1868/09/11 (A3,N876).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717878n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
S cent. le numéro
JOUR IV AL QUOTIDIEN
5 cent. le oeméro
ABONNEMENTS. — Trois mois, Six mois. Un aD.
Paris Su S fr. iS fr.
départements.. 6 Hâ si
Administrateur : L. DELSAUX,
I
31" année. —VENDREDI 11 SEPTEMBRE 1868. — Ne 876
Directeur-Propriétaire : JAN N-I N.
Rédacteur en chef : A. D'E BALATIIIER-B.RAGELOIl'fNK.,'
BORBAUX D'ABONNEMENT : D.,rue DrODOt.
ADMINISTRATION '. 13, place Brada.
PARIS, 10 SEPTEMBRE 1868
LES CORPS-FRANCS DE MOSELLE
LE CAPITAINE FRANTZ
Ces jours derniers, chers lecteurs, iiaVieil-
lard de quatre-vingt-un ans est. mort à Paril.
Ce vieillard se nommait Nicolas-Jacques
Frantz. Retenez ce nom : c'est celui d'un
brave homme, qui risqua sa vie et qui dépensa
sa fortune pour défendre sa patrie dans une
heure de danger. ,
Qui ne s'est représenté, par la pensée, les
scènes terribles de l'invasion en 1814 et en
4815 ?...
D'abord, arriva d'Allemagne la nouvelle
des désastres de notre armée.
Puis, comme, sur le pas des portes les
hommes et les femmes s'interrogeaient avec
inquiétude, les charrettes de, blessés s'arrê-
tèrent à l'entrée des villes, et l'on vit avec
effroi ces faces mornes, ces corps immobiles
recouverts de manteaux troués, les blessures,
les plaies, les moustaches longues coupant
les joues amaigries....
Les Cosaques parurent à leur tour en éclai-
reurs, la barbe ébouriffée, la tète couverte de
vieux bonnets de peau, des haillons autour
de l'échine, un étrier de corde pour y passer
le pied, Les uns avaient pour arme une
lance, les autres un sabre ou une hache...
Avant-garde des armées alliées, ils montaient
de petits chevaux, à la crinière flottante, à la
queue rare, à la croupe tachetée de jaune, de
noir et de blanc...
A la suite de cette fourmilière de sauvages,
s'avançaient les corps réguliers de l'invasion,
Russes, Prussiens, Autrichiens, Hongrois,
Bavarois, Saxons, toute l'Europe du Nord et
de l'Orient tournée contre nous...,
Ceux de nos soldats, qui n'étaient pas bles-
sés ou prisonniers, s'étaient serrés.dans ia
Champagne autour de leur empereur et li-
vraient les derniers combats. Les places
étaient à peine gardées ; les routes étaient
:>u \'\::l'tes....
A cette heure suprême, dans ce grand
désarroi, lorsque tout semblait abandonné,
quelques montagnards relevèrent les bords de
leur chapeau, boutonnèrent leurs guêtres et
décrochèrent leur fusil.
Là bas, à Paris et dans les grandes villes, il
y avait, comme en 92, un parti qui souhaitait
le triomphe de l'étranger. Le peuple des ate-
liers et des campagnes n'était pas de cet avis.
Les pères et les mères, pendant quinze ans,
avaient maudit la guerre qui leur prenait
leurs fils. Mais quand il s'agit de la défense
du sol, tous, les vieux et les jeunes,se levèrent
comme ils s'étaient levés jadis pour la patrie
menacée.... •
Je vous ai raconté l'histoire des francs-ti-
reurs des Vosges, les Vadet, les Brice, les
Houyer. Vêtus de blouses grises, armés de
fusils de chasse ou de carabines, ils tinrent
la montagne et eurent la gloire d'arrêter,
quelque temps, l'ennemi.
Eh bien 1 le vieux Frantz qui vient de mou*
rir était un homme de la taille de ceux-là.
Il était né dans cette petite ville de Sarre-
louis, dont on peut faire le tour en un quart-
d'heure, et qui eut à elle seule l'honneur de
fournir quatre cents officiers à la Révolution.
Parmi ces officiers, il y a Il généraux, et,
parmi ces généraux, il y a Ney.
Frantz ne sortait pas du peuple, comme
son illustre compatriote, dont le père fabri-
quait des tonneaux. Il appartenait à une riche
famille bourgeoise qui. ne pouvant plus lui
acheter un siège au Parlement, voulut du
moins qu'il débutât avec éclat dans le
barreau.
En 1811, Frantz était avocat à Metz; sa
clientèle était nombreuse et il jouissait de dix
mille francs de revenu.
Une première fois, lors du débarquement
des Anglais à Flessingue et de la mobilisation
des gardes nationales, le jeune homme avait
organisé un bataillon de 1,51)0 hommes qu'il
avait conduit à Bernadotte.
Il reprit les armes en 1814. Il fit appel aux
partisans. Quarante-quatre braves, parmi les-
quels se trouvaient cinq sabres d'honneur de
la République et vingt-huit légionnaires de
l'Empire, vinrent aussitôt se ranger autour de
lui. Cette petite troupe se jeta dans la mon-
tagne et éclaira le corps du général Durutte,
qui cinq fois la mit à l'ordre du jour de l'ar-
mée. Inutile d'ajouter que la Restauration
iaissa sans solde et'san's pain les volontaires
de Frantz. Mais, je l'ai dit, l'avocat était
riche, et il ne comptait pas avec la patrie.
Pendant les Cent-Jours, le prince de la
Moskowa, en tournée de commandement,tra-
versa Metz. Les deux enfants de Sarrelouis se
trouvèrent en présence.
— Dans le cas d'une nouvelle invasion, lui
dit Ney, que feriez-vous?
— Je sacrifierais tout, corps et biens, ré-
pondit Frantz.
Il tioJ, parole.
Le 25 mai 1815, Napoléon nommait
l'avocat de Metz capitaine-commandant du
deuxième corps-franc de la Moselle. Ce corps
se composait de 500 fantassins et de 120 ca-
valiers. La fortune tout entière du riche
bourgeois avait passé à les équiper et à les en
tretenir.
Mais qu'importe l'argent, quand l'ennemi
est là?...
Lii général Belliard confia au 28 corps la
défense de la ligne de la Sarre, de Sarre-
guemines à Sarrebrouck.. Le feld-maréchal,
prince de Wréde, perdit 1,^00 hommes avant
de forcer cette ligne. La petite troupe lorraine,
écrasée par le nombre, se replia, sans être
entamée, sous les murs de Metz. L'ennemi,
furieux d'avoir été tenu en échec par cette
poignée d'hommes, s'en vengeait, en brûlant
les fermes et en mitraillant les villes ou-
vertes.
Qui se venge, a peur. Les corps francs,
mystérieux, étranges, apparaissant tout à
coup à l'entrée des défilés ou sur les pentes
des montagnes, inspiraient à l'armée bava-
roise une terreur qui contribuait à leur suc-
cès, autant que leur hardiesse et leur bravoure.
Aussit contre eux point de mesure trop sé-
vère. On les traiterait en brigands ; les sol-
dats étaient invités à livrer, leurs chefs, les
autorités à leur refuser les vivres et les se-
cours ; les habitants devaient s'armer et faire
la chasse à ces bandits.
Frantz et ses hommes répondirent à ces
menaces par des coups de fusil. Waterloo ne
put les arrêter. Napoléon vaincu, ils conti-
nuèrent la guerre pour le compte de la
France.
Le 5 juillet, ils se battaient à Magny; le
9, ils se battaient à Ars; le 12, ils rejoignaient
les colonels Younget Viriot, et les deux trou-
pes réunies, fortes de 1,500 hommes, se je-
taient sur 12,000 Prussiens qui assiégaient
Longwy. En deux heures, les ennemis culbu-
tés prenaient la fuite, laissant sur le terrain
2,000 morts ou blessés. Et nôs partisans ren-
traient à Metz, ramenant avec eux 13 canons,
24 caissons, 3,000 bombes et obus et 1,200
prisonniers, — à peu près un prisonnier par
tète.
Le 14, dans une rencontre suprême, Frantz
recevait deux coups de sabre à la tête et bat-
tait encore les Prussiens.
Ce fut son dernier exploit. Ruiné, blesse,
désespéré, il était étendu sur un lit dans
l'appartement du général Belliard, lorsque
des hommes de police vinrent l'arrêter. ,
Ceci se passait le 15 juillet. Six semaines
après, Frantz sortait de la prison de Thion-
ville. Au mois de septembre, la cour prévo-
tale de Metz le condamnait à mort, et il était
exécuté en effigie.
Pendant deux ans, le proscrit erra de ville
en ville, changeant de costume et de nom.
On le retrouve en Prusse, en 1817, à la tête
d'un établissement agricole, véritable champ
d'asile, où pouvaient s'arrêter tous les Fran-
çais exilés par la Restauration. »
En 1825; -l'avocat reparaît dans le soldat
laboureur. Frantz publie un livre sur l'usure,
dans lequel il dénonce les manœuvres des
capitalistes du canton.
La justice instruit contre ces derniers. Ils
sont condamnés, et, pour se venger, ils réus-
sissent à impliquer le proscrit dans une
affaire de fabrication de faux papier-mon-
naie. Le papier était faux en effet. Mais les
faussaires habitaient Avignon et Frantz avait
reçu leurs billets en payement d'un de ses
amis, négociant à Sarrelouis. Il ne voulut pas
dénoncer ce dernier.
Un premier arrêt le condamna à mort. C'é-
tait la seconde fois. Mais un arrêl de cassa-
tion ordonna sa mise en liberté. A quelque
temps de là, la révolution de Juillet lui rou-
vrit la France.
Il arriva à Paris en 1832, pour réclamer de
l'Etat le remboursement des sommes qu'il
avait dépensées en 1815. On connaît le sort
de ces sortes de réclamations. Les gouverne-
ments, qui se succèdent, ont pour principe
de ne jamais se déjuger les uns les autres.
Le conseil d'Etat se déclara incompétent et
renvoya devant la Chambre législative la de-
mande du capitaine Frantz. La Chambre s'en
LA
FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XLII
85
Janine ouvrit cette porte.
- Une fameuse serrure ! murmura !e mar-
grave qui put entendre, au seu! mouvement de
ce'te petite clé, grincer des verr-oux, et des pènes
énormes courir dans leurs gâches.
Janine ne répondit pas.
La porte ouverte, le margrave vit un escalier
qui s'enfonçait verticalement et tournait en ma-
nière de coquille de colimaçon.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
A quelle profondeur atteignait-il, partant déjà |
de cette profondeur non calculée où se trou- I
vaient Janine et le margrave ?
Nul n'aurait pu le préciser.
Mais les gémissements, les plaintes, et par-
fois les hurlements du prisonnier, tout en arri-
vant plus distinctement aux oreilles du mar-
grave, lui parurent encore monter du fond de
l'enfer.
Janine fit un nouveau signe aux deux négril-
lons.
L'un p 'sa le pied sur -la première marche et '
commenta à descendre lentement.
Puis Janir.e, tenant toujours le margrave par
la main,descendit après lu*]. v
Enfin le deuxième négrillon, élevant sa tor-
chère au-dessus de leur tète, ferma la marche.
A mesure qu'ils descendaient les impréca- I
tions et les hurlements du prisonnier devenaient J
plus violents et plus nettement articulés.
— Mais enfin, dit le margrave à Janine, ex-
pliqus-moi donc... *
i — Comment le marquis est en- mon pou-
voir ?
---' Oui. Car je l'ai vu, il y a quinze j -urs.
— Je sais cèia.
— Ah! y,a:r.lont?
T . :
Janine reprit : !
* !
— Maintenant c."e..tu m'as donnç: une preuve .
d'amour, je ne veux pas revenir sur le passé;
mais enfin, il faut bien que je te dise que le
marquis, aiors âgé de vingt ans, • fut ton com-
plice. quand tu m'envoyas au bûcher.
— C'est lui qui te dénonça, traitreu'sement.
— Soit, mais tu l'y avais poussé,
Le margrave ne répondit pas.
— Deux jours avant ma mort, poursuivit Ja-
nine, car, pour lui et pour toi, j'allais mourir, je
ne t'aimais plus, je te méprisais et j'aimais le
marquis.
Lorsque je suis montée sur le bûcher, un re-
virement se fit dans mon cœur.
Jf vous aperçus tous deux dans la foule, et
soudain je me repris à t'aimer avec cette fréné-
s:e sauvage dont aujourd'hui encore je te donne
une preuve-éclatante, et je me jurai -de-châtier
le marquis.
Et puis, ajouta Janine, avec sa voix mélanco-
lique e' son sourire triste. il s'est passé qua-
rar.t.-? années, et je ne me suis point vengée.
Je suis une fen.me d'amour et non une fdtr.me
de hair.e.
Je t'aimais, et te jour où je fus ;.ur le chemin
rie cette découverte, qui pouvait te rendre la j
jeunesse et te faire imIllortel, je n'eus plus qu'un j
bu', qu'une pprisue, un désir ardent : te recon-
qu.: rir tout -..':.!.ier. mon Fritz adarJ.
Ce vieillard chancdant, aux cheveux rares et
aux dents disparues, avait une telle, dose de
fatuité qu'il ne sourcilla point à ces' brûlantes
paroles de Jani:ie.
La femme immortelle poursuivit :
— Mais le marquis s'est mis en tête de me
retrouver, de me revoir, lui qui croyait à mon
immortalité.
Il a voulu faire du bruit, il a failli compro-
mettre mes projets te concernant. Alors, je lui
ai tendu un piège et il y est tombé.
Les hurlements continuèrent.
Bientôt le margrave, qui descendait toujours,
put entendre ces paroles nettement articulées :
— Janine, je te ferai périr par la hache du
bourreau, et quand ta tête sera détachée du
tronc, nous verrons bien si tu es immortelle !
— Nous y voici, dit Janine au margrave.
Celui-ci aperçut alors une énorme grille qui
fermait une sorte 'de logetie pratiquée dans la
cage de l'escalier, lequel, du reste, continuait à ■; *
s'enfoncer sous terre.
Alors les deux négrillons se placèrent devant;
cette grille, projetant, à l'intérieur de ce singulier
cachot la. lumière de deux torchères.
Le margrave vit alors le marquis à demi Y¿'u,
les cheveux en désordre, sa chemise déchirée,
pile, hâve, grinçant des dents et se crampon^
S cent. le numéro
JOUR IV AL QUOTIDIEN
5 cent. le oeméro
ABONNEMENTS. — Trois mois, Six mois. Un aD.
Paris Su S fr. iS fr.
départements.. 6 Hâ si
Administrateur : L. DELSAUX,
I
31" année. —VENDREDI 11 SEPTEMBRE 1868. — Ne 876
Directeur-Propriétaire : JAN N-I N.
Rédacteur en chef : A. D'E BALATIIIER-B.RAGELOIl'fNK.,'
BORBAUX D'ABONNEMENT : D.,rue DrODOt.
ADMINISTRATION '. 13, place Brada.
PARIS, 10 SEPTEMBRE 1868
LES CORPS-FRANCS DE MOSELLE
LE CAPITAINE FRANTZ
Ces jours derniers, chers lecteurs, iiaVieil-
lard de quatre-vingt-un ans est. mort à Paril.
Ce vieillard se nommait Nicolas-Jacques
Frantz. Retenez ce nom : c'est celui d'un
brave homme, qui risqua sa vie et qui dépensa
sa fortune pour défendre sa patrie dans une
heure de danger. ,
Qui ne s'est représenté, par la pensée, les
scènes terribles de l'invasion en 1814 et en
4815 ?...
D'abord, arriva d'Allemagne la nouvelle
des désastres de notre armée.
Puis, comme, sur le pas des portes les
hommes et les femmes s'interrogeaient avec
inquiétude, les charrettes de, blessés s'arrê-
tèrent à l'entrée des villes, et l'on vit avec
effroi ces faces mornes, ces corps immobiles
recouverts de manteaux troués, les blessures,
les plaies, les moustaches longues coupant
les joues amaigries....
Les Cosaques parurent à leur tour en éclai-
reurs, la barbe ébouriffée, la tète couverte de
vieux bonnets de peau, des haillons autour
de l'échine, un étrier de corde pour y passer
le pied, Les uns avaient pour arme une
lance, les autres un sabre ou une hache...
Avant-garde des armées alliées, ils montaient
de petits chevaux, à la crinière flottante, à la
queue rare, à la croupe tachetée de jaune, de
noir et de blanc...
A la suite de cette fourmilière de sauvages,
s'avançaient les corps réguliers de l'invasion,
Russes, Prussiens, Autrichiens, Hongrois,
Bavarois, Saxons, toute l'Europe du Nord et
de l'Orient tournée contre nous...,
Ceux de nos soldats, qui n'étaient pas bles-
sés ou prisonniers, s'étaient serrés.dans ia
Champagne autour de leur empereur et li-
vraient les derniers combats. Les places
étaient à peine gardées ; les routes étaient
:>u \'\::l'tes....
A cette heure suprême, dans ce grand
désarroi, lorsque tout semblait abandonné,
quelques montagnards relevèrent les bords de
leur chapeau, boutonnèrent leurs guêtres et
décrochèrent leur fusil.
Là bas, à Paris et dans les grandes villes, il
y avait, comme en 92, un parti qui souhaitait
le triomphe de l'étranger. Le peuple des ate-
liers et des campagnes n'était pas de cet avis.
Les pères et les mères, pendant quinze ans,
avaient maudit la guerre qui leur prenait
leurs fils. Mais quand il s'agit de la défense
du sol, tous, les vieux et les jeunes,se levèrent
comme ils s'étaient levés jadis pour la patrie
menacée.... •
Je vous ai raconté l'histoire des francs-ti-
reurs des Vosges, les Vadet, les Brice, les
Houyer. Vêtus de blouses grises, armés de
fusils de chasse ou de carabines, ils tinrent
la montagne et eurent la gloire d'arrêter,
quelque temps, l'ennemi.
Eh bien 1 le vieux Frantz qui vient de mou*
rir était un homme de la taille de ceux-là.
Il était né dans cette petite ville de Sarre-
louis, dont on peut faire le tour en un quart-
d'heure, et qui eut à elle seule l'honneur de
fournir quatre cents officiers à la Révolution.
Parmi ces officiers, il y a Il généraux, et,
parmi ces généraux, il y a Ney.
Frantz ne sortait pas du peuple, comme
son illustre compatriote, dont le père fabri-
quait des tonneaux. Il appartenait à une riche
famille bourgeoise qui. ne pouvant plus lui
acheter un siège au Parlement, voulut du
moins qu'il débutât avec éclat dans le
barreau.
En 1811, Frantz était avocat à Metz; sa
clientèle était nombreuse et il jouissait de dix
mille francs de revenu.
Une première fois, lors du débarquement
des Anglais à Flessingue et de la mobilisation
des gardes nationales, le jeune homme avait
organisé un bataillon de 1,51)0 hommes qu'il
avait conduit à Bernadotte.
Il reprit les armes en 1814. Il fit appel aux
partisans. Quarante-quatre braves, parmi les-
quels se trouvaient cinq sabres d'honneur de
la République et vingt-huit légionnaires de
l'Empire, vinrent aussitôt se ranger autour de
lui. Cette petite troupe se jeta dans la mon-
tagne et éclaira le corps du général Durutte,
qui cinq fois la mit à l'ordre du jour de l'ar-
mée. Inutile d'ajouter que la Restauration
iaissa sans solde et'san's pain les volontaires
de Frantz. Mais, je l'ai dit, l'avocat était
riche, et il ne comptait pas avec la patrie.
Pendant les Cent-Jours, le prince de la
Moskowa, en tournée de commandement,tra-
versa Metz. Les deux enfants de Sarrelouis se
trouvèrent en présence.
— Dans le cas d'une nouvelle invasion, lui
dit Ney, que feriez-vous?
— Je sacrifierais tout, corps et biens, ré-
pondit Frantz.
Il tioJ, parole.
Le 25 mai 1815, Napoléon nommait
l'avocat de Metz capitaine-commandant du
deuxième corps-franc de la Moselle. Ce corps
se composait de 500 fantassins et de 120 ca-
valiers. La fortune tout entière du riche
bourgeois avait passé à les équiper et à les en
tretenir.
Mais qu'importe l'argent, quand l'ennemi
est là?...
Lii général Belliard confia au 28 corps la
défense de la ligne de la Sarre, de Sarre-
guemines à Sarrebrouck.. Le feld-maréchal,
prince de Wréde, perdit 1,^00 hommes avant
de forcer cette ligne. La petite troupe lorraine,
écrasée par le nombre, se replia, sans être
entamée, sous les murs de Metz. L'ennemi,
furieux d'avoir été tenu en échec par cette
poignée d'hommes, s'en vengeait, en brûlant
les fermes et en mitraillant les villes ou-
vertes.
Qui se venge, a peur. Les corps francs,
mystérieux, étranges, apparaissant tout à
coup à l'entrée des défilés ou sur les pentes
des montagnes, inspiraient à l'armée bava-
roise une terreur qui contribuait à leur suc-
cès, autant que leur hardiesse et leur bravoure.
Aussit contre eux point de mesure trop sé-
vère. On les traiterait en brigands ; les sol-
dats étaient invités à livrer, leurs chefs, les
autorités à leur refuser les vivres et les se-
cours ; les habitants devaient s'armer et faire
la chasse à ces bandits.
Frantz et ses hommes répondirent à ces
menaces par des coups de fusil. Waterloo ne
put les arrêter. Napoléon vaincu, ils conti-
nuèrent la guerre pour le compte de la
France.
Le 5 juillet, ils se battaient à Magny; le
9, ils se battaient à Ars; le 12, ils rejoignaient
les colonels Younget Viriot, et les deux trou-
pes réunies, fortes de 1,500 hommes, se je-
taient sur 12,000 Prussiens qui assiégaient
Longwy. En deux heures, les ennemis culbu-
tés prenaient la fuite, laissant sur le terrain
2,000 morts ou blessés. Et nôs partisans ren-
traient à Metz, ramenant avec eux 13 canons,
24 caissons, 3,000 bombes et obus et 1,200
prisonniers, — à peu près un prisonnier par
tète.
Le 14, dans une rencontre suprême, Frantz
recevait deux coups de sabre à la tête et bat-
tait encore les Prussiens.
Ce fut son dernier exploit. Ruiné, blesse,
désespéré, il était étendu sur un lit dans
l'appartement du général Belliard, lorsque
des hommes de police vinrent l'arrêter. ,
Ceci se passait le 15 juillet. Six semaines
après, Frantz sortait de la prison de Thion-
ville. Au mois de septembre, la cour prévo-
tale de Metz le condamnait à mort, et il était
exécuté en effigie.
Pendant deux ans, le proscrit erra de ville
en ville, changeant de costume et de nom.
On le retrouve en Prusse, en 1817, à la tête
d'un établissement agricole, véritable champ
d'asile, où pouvaient s'arrêter tous les Fran-
çais exilés par la Restauration. »
En 1825; -l'avocat reparaît dans le soldat
laboureur. Frantz publie un livre sur l'usure,
dans lequel il dénonce les manœuvres des
capitalistes du canton.
La justice instruit contre ces derniers. Ils
sont condamnés, et, pour se venger, ils réus-
sissent à impliquer le proscrit dans une
affaire de fabrication de faux papier-mon-
naie. Le papier était faux en effet. Mais les
faussaires habitaient Avignon et Frantz avait
reçu leurs billets en payement d'un de ses
amis, négociant à Sarrelouis. Il ne voulut pas
dénoncer ce dernier.
Un premier arrêt le condamna à mort. C'é-
tait la seconde fois. Mais un arrêl de cassa-
tion ordonna sa mise en liberté. A quelque
temps de là, la révolution de Juillet lui rou-
vrit la France.
Il arriva à Paris en 1832, pour réclamer de
l'Etat le remboursement des sommes qu'il
avait dépensées en 1815. On connaît le sort
de ces sortes de réclamations. Les gouverne-
ments, qui se succèdent, ont pour principe
de ne jamais se déjuger les uns les autres.
Le conseil d'Etat se déclara incompétent et
renvoya devant la Chambre législative la de-
mande du capitaine Frantz. La Chambre s'en
LA
FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XLII
85
Janine ouvrit cette porte.
- Une fameuse serrure ! murmura !e mar-
grave qui put entendre, au seu! mouvement de
ce'te petite clé, grincer des verr-oux, et des pènes
énormes courir dans leurs gâches.
Janine ne répondit pas.
La porte ouverte, le margrave vit un escalier
qui s'enfonçait verticalement et tournait en ma-
nière de coquille de colimaçon.
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
A quelle profondeur atteignait-il, partant déjà |
de cette profondeur non calculée où se trou- I
vaient Janine et le margrave ?
Nul n'aurait pu le préciser.
Mais les gémissements, les plaintes, et par-
fois les hurlements du prisonnier, tout en arri-
vant plus distinctement aux oreilles du mar-
grave, lui parurent encore monter du fond de
l'enfer.
Janine fit un nouveau signe aux deux négril-
lons.
L'un p 'sa le pied sur -la première marche et '
commenta à descendre lentement.
Puis Janir.e, tenant toujours le margrave par
la main,descendit après lu*]. v
Enfin le deuxième négrillon, élevant sa tor-
chère au-dessus de leur tète, ferma la marche.
A mesure qu'ils descendaient les impréca- I
tions et les hurlements du prisonnier devenaient J
plus violents et plus nettement articulés.
— Mais enfin, dit le margrave à Janine, ex-
pliqus-moi donc... *
i — Comment le marquis est en- mon pou-
voir ?
---' Oui. Car je l'ai vu, il y a quinze j -urs.
— Je sais cèia.
— Ah! y,a:r.lont?
T . :
Janine reprit : !
* !
— Maintenant c."e..tu m'as donnç: une preuve .
d'amour, je ne veux pas revenir sur le passé;
mais enfin, il faut bien que je te dise que le
marquis, aiors âgé de vingt ans, • fut ton com-
plice. quand tu m'envoyas au bûcher.
— C'est lui qui te dénonça, traitreu'sement.
— Soit, mais tu l'y avais poussé,
Le margrave ne répondit pas.
— Deux jours avant ma mort, poursuivit Ja-
nine, car, pour lui et pour toi, j'allais mourir, je
ne t'aimais plus, je te méprisais et j'aimais le
marquis.
Lorsque je suis montée sur le bûcher, un re-
virement se fit dans mon cœur.
Jf vous aperçus tous deux dans la foule, et
soudain je me repris à t'aimer avec cette fréné-
s:e sauvage dont aujourd'hui encore je te donne
une preuve-éclatante, et je me jurai -de-châtier
le marquis.
Et puis, ajouta Janine, avec sa voix mélanco-
lique e' son sourire triste. il s'est passé qua-
rar.t.-? années, et je ne me suis point vengée.
Je suis une fen.me d'amour et non une fdtr.me
de hair.e.
Je t'aimais, et te jour où je fus ;.ur le chemin
rie cette découverte, qui pouvait te rendre la j
jeunesse et te faire imIllortel, je n'eus plus qu'un j
bu', qu'une pprisue, un désir ardent : te recon-
qu.: rir tout -..':.!.ier. mon Fritz adarJ.
Ce vieillard chancdant, aux cheveux rares et
aux dents disparues, avait une telle, dose de
fatuité qu'il ne sourcilla point à ces' brûlantes
paroles de Jani:ie.
La femme immortelle poursuivit :
— Mais le marquis s'est mis en tête de me
retrouver, de me revoir, lui qui croyait à mon
immortalité.
Il a voulu faire du bruit, il a failli compro-
mettre mes projets te concernant. Alors, je lui
ai tendu un piège et il y est tombé.
Les hurlements continuèrent.
Bientôt le margrave, qui descendait toujours,
put entendre ces paroles nettement articulées :
— Janine, je te ferai périr par la hache du
bourreau, et quand ta tête sera détachée du
tronc, nous verrons bien si tu es immortelle !
— Nous y voici, dit Janine au margrave.
Celui-ci aperçut alors une énorme grille qui
fermait une sorte 'de logetie pratiquée dans la
cage de l'escalier, lequel, du reste, continuait à ■; *
s'enfoncer sous terre.
Alors les deux négrillons se placèrent devant;
cette grille, projetant, à l'intérieur de ce singulier
cachot la. lumière de deux torchères.
Le margrave vit alors le marquis à demi Y¿'u,
les cheveux en désordre, sa chemise déchirée,
pile, hâve, grinçant des dents et se crampon^
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