Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-09-10
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 10 septembre 1868 10 septembre 1868
Description : 1868/09/10 (A3,N875). 1868/09/10 (A3,N875).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47178777
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
S cent. le numéro . 'i JOURNAL 11 QUOTIDIEN S mit. le numéro
A.BONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris CP fr. Bfr. i8 &.
Départements.. & II <9
.. Administrateur i E. DELSÀUX.
.Ir" année. — JEUDI 10 SEPTEMBRE .{scs. — Ne R75
Directeur'Propriétaire. : JANMH.
Rédacteur en Ch-ef : A. DE B V I.ATHI ER-HRACELC HN*
BOEEAOX D;ABON IS BMENT : Î#« R««E Dr8Uo;,.'
ADMINISTRATION '. t3. place Breda.
PARIS, 9 SEPTEMBRE 1869
L'HOMME AUX 280 MILLIONS
Avez-vous tu la Petite Pfnse: trayant'-,
hier? V''
Alors vous y avez trouvé celte'îreuyelje -• nn
descendant de Pizarre, un Espagnol du Pé-
rou vient d'arriver à Bade, décidé à dépenser
. ses revenus efi Europe. Quels sont ces reve-
nus? On ne le dit pas. Mais on dit le chiffre
du capital, — 280 millions ! — Or, en suppo-
sant que cette fortuit soit placée en terre, et
qu'elle ne rapporte que deux et demi pour
cent, c'est encore sept millions par an que le
voyageur aurait à dépenser ; soit — 583,333
francs 33 centimes par mois; soit 119,176
francs 71 centimes par jour.
On est ébloui.
Pour ma part, je me suis demandé ce que
je ferais d'une pareille fortune, si, par mi-
racle, elle arrivait entre mes mains.
» Si j'étais riche?... » est un rêve qu'on
aime à faire cemme « si j'étais roi?... » -
Vous le dirais-je, j'ai cherché, et voici
l'emploi que je donnerais à mes revenus, si
ces revenus, comme ceux de l'Espagnol du
Pérou — montaient à sept millions :
A Paris, j'habiterais un hôtel -veste et
commode. L'air circulerait aisément dans de
grandes pièces. Les escaliers seraient enten-
dus dans le goût de ceux de Versailles et les
cheminées dans le goût de celles de Fontai-
bleau.
Cet hôtel serait meublé avec un grand
luxe. Mais avee un luxe purement artistique,
c'est-à-dire dans lequel la matière première
des objets n'entrerait que pour une faible
partie. Ainsi j'achèterais des tableaux et des
btatues. Jamais je ne commanderais d'avance
une œuvre d'art. Les commandes produisent
des œuvres médiocres, comme les concours
produisent des médiocrités. Mais je parcour-
rais les salons et -les atelioE'rs, et, lorsque je
trouverai une toile vraiment belle, ou un
marbre vraiment beau, j'en demanderais le
priX et je payerais'ce prix sans marchander.
Car cette toile ou ce marbre représenterait
pour moi l'invention de l'artiste, son travail,
le résultat d'un effort individuel en dehors de
toute intervention étrangère. Le talent doit
s'affirmer seul et de lui-même. Quand il est
prouvé pour tous, il doit être écrasé de ré-
; compenses. Un secours de cent écus accordé
à un arti&te sans talent est une prodigalité;
l'achat d'un tableau de cent mille francs,
pour un musée ou une galerie, est le meil-
leur emploi qne l'Etat ou. les particuliers
' puissent faire de leur'fortune.
Dans la cour, qui précèderait mon hôtel,
j'aurais des écuries; mais, dans ces écuries,
on chercherait en vain ce dernier mot de la
civilisation, les chevaux de courses, qui vont
très-vite, j'en conviens, lorsqu'ils sont bien
entraînés et bien montés, mais qui sont inca-
pables de traîner une chaise de poste pendant
dix lieues. Chacun place la beauté où il l'en-
tend. Pour mapart,les plus beaux chevaux du
monde sont les chevaux d'omnibus, nos Per-
cherons, dont les formes robustes sont en
même temps d'une si admirable proportion,
et dont les têtes au front large rappellent celles
des chevaux du Parthénon. Je n'aurais ni
cocher poudré, ni laquais à culotte courte, ni
chasseur à chapeau de général, mais bien des
postillons à grandes bottes, qui sauraient leurs
quatre fouets, et me conduiraient vite et bien
où j'aurais envie d'aller....
Ma terre, où je passerais l'automne, —l'au-
tomne est la saison de la nature française, —
serait située dans le Midi. De ma terrasse, le
regard suivrait les belles lignes des coteaux
du Rhône, et je trouverais dans un petit port
de la Méditerranée un yacht, pourvu d'une bi*
bliothèque,sur lequel je monterais lorsque j'é-
prouverais le besoin de me recueillir, seul en-
tre la mer et le ciel, n'emportant des hommes
que ce qu'ils ont de mieux, les livres, dans
lesquels ils ont mis leurs sentiments ou leurs
pensées.
La chasse est un plaisir royal. Soit. Je m'en
soucierais assez peu. Néanmoins, j'aurais des
bois, et, si ces bots étaient peuplés de gros
gibier nuisible aux cultures des alentours,
j'organiserais volontiers des battues.
Je chercherais à faire du bien dans l'arron-
dissement où se trouverait mon domaine. Je'
ne fonderais pas d'hôpitaux, ni de fermes-
modè'és, ni de maisons de refuge.
Mais je dirais aux maires de chaque com-
mune : — Donnez de ma part une petite pen-
sion aux travailleurs qui ont vieilli sans s'en-
richir, e* payez.aux parents pauvres la jour-
1 née de leurs enfants, afin qu'ils envoient ces
derniers à l'école. Les vieux seraient plus
heureux de manger du pain noir dans leur
village que du pain blanc dans un hospice, et
les parents n'auraient plus d'objections à faire
I lorsqu'il s'agirait d'enseigner à leurs fils la
lecture, l'écriture et le calcul. Il y a en nous
I comme un sixième sens que l'instruction seule
développe. C'est le sens des belles choses. Il
faut savoir, pour jouir d'un beau coucher de
soleil. Or, tout homme, par cela seul qu'il est
né, a le droit — en travaillant — de gagner
ce qui est nécessaire, à sa vie et d'arriver à
jouir d'un coucher de soleil.
Mais le bien qu'un individu peut faire,
quelque riche qu'il soit, est toujours peu de
chose relativement à ce lui qu'il peut inspirer.
Avec mes 280 millions, je serais indépen-
dant., La fortune n'est pas nécessaire pour
avoir des opinions et pour-y rester fidèle ;
mais elle est utile pour les manifester et les
répandre. w
La plupart des grands journaux,rédigés par
des gens très-honorables, sont la propriété
d'actionnaires ou de banquiers. A côté des ar-
ticles inspirés par une doctrine toujours res-
pectable, — ils contiennent une partie indus-
trielle souvent en contradiction avec l'au-
tre, et, dans cette partie, ils recomman-
dent des entreprises où s'eng'outissent les
économies des lecteurs crédules... Je consacre-
rais deux ou trois cent mille francs paran à
faire un journal sans annonces, le seul journal
vraiment honnête, selon moi. Je fonderais en-
core.un journal, et vous devinez lequel, chers
lecteurs: ce serait une petite feuille à un sou,
destinée à l'éducation de la chaumière et de
l'atelier....
Puis, toujours pour soutenir ce que je croi-
rais la bonne cause et l'intérêt du plus grand
nombre, j'aurais, (ne riez pas trop !) j'aurais
un avocat. Je prendrais celui auquel je trou-
verais !e plus de talent et dont les idées
s'accorderaient le mieux avec les miennes.
Je ferais feu de toutes mes influences, jour-
naux et propriétés, pour l'envoyer au Corps
législatif. Là, mon mandataire, fidèle au man-
dat impératif qu'il tiendrait de ses électeurs
et de moi, défendrait avec éclat les grandes
idées de justice. Surtout il élèverait la voix
en faveur des pauvres gens. Il développerait,
avec rautorité que donne la tribune, toutes
les formules de l'association, et, se détachant
de tout intérêt de gouvernement et de parti
pour ne s'occuper que du b1en public, il serait
écouté.
I
La session close et mon travail parisien
terminé, je ferais, comme il convient à un
homme très-riche, une part à la fantaisie
dans mon existence. Je n'irais pas, à Epsom,
risquer mon argent et mes jockeys. Je n'i-
rais pas non plus, à Bade, j,ouer.!é maximum,
pas plus que l'hiver je n'aurais passé mes
nuits au cercle à tailler le baccarat. Non.
Mais, en compagnie d'un ami ou d'une
femme intelligente, je m'endormirais volon-
tiers quelque soir dans le coin d'un wagon,
pour me réveiller, à cent lieues de là, au
pied des Alpes ou en face de l'Océan.
Ou bien encore, je visiterais quelque pays
étrange.r, mais jamais je ne voyagerais, un
crayon ou un guide à la main. J'irais, à la
faç.on de Sterne, heureux de trouver à chaque
pas une impression nouvelle dans l'aspect
des choses ou dans l'observation des hommes.
Je m'égarerais quelquefois, cherchant l'a-
venture, c'est-à-dire le plaisir dans l'imprévu.
C'est ainsi qu'au sortir de quelque ville, —
jadis capitale, — j'aimerais à prendre à tra-
vers champs, jusqu'à ce qu'au détour d'une
falaise, la mer sænos fin m'apparût à l'hori-
zon dans le brouillard et dans l'azur....
Décidément, l'homme aux 280 millions
serait bien heureux, s'il connaissait son bon-
heur. Hélas hrsqu'on est né riche, le con-
nait-on jamais?.. On suit la tradition, c'est-
à-dire les coutumes du milieu dans lequel on
a grandi;-on fait partie de trois cercles; on
entretient une actrice des petits théâtres; on
fait courir; on joue gros jeu, — et l'on bâille
de temps en temps. Quand on est las de passer
les jours et les nuits'à ne rien faire en s'agi-
tant beaucoup, on se marie, et, si par ma-I-
heur ne survient pas une demi-douzaine
d'enfants, qui, eux, ne seront, pas assez r:ches
pour se passer de travailler, on laisse à un
fils unique une fortune héréditaire, dont il se
servira de la même façon qu'on s'en est soi-
même servI.
Je n'y mets pas d'amertume. Du reste,
frapperais-je un peu sur les riches que je je
- frapperais pas sur les miens.... ~,
TONY RÉVILLON.
LA
FEMME IMMORTELLE
mess=""S4 PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIÈRE PARTIE
XLII
i -i- Qu'Cft-coique tout cela ? demanda le mar-
grave.....
— Le? papiers qui établissent qui tu es.
-'- Mais d'où proviennent ils? ' • ♦•••-
— Je vais te le dire : *
Tandis que je, revenais à Paris, fi4re de ma
. ,nouvelle découverte, me berçant de l'espoir que
. tu Bii'aii^er^us encore et que j,e,pourrais te ren-
îcdr«-'Céiteij0ïnesse et, cette beauté qui me tour-
.. Voir Jef I1tJIDér95 p£rus depuis le 21 juin.
nèrent la tête autrefois et faillirent m'être si
funestes; alors que je n'étais plus qu'à quelques
lieues de la gr ande ville, mon carrosse s'arrêta
dans une auberge située au bord de la route qui
passait en pleine forêt de Sénart.
Les voyageurs qui s'arrêtent là sont rares. Ce
soir-là, il n'y avait qu'un petit gentilhomme de
province, qui s'en venait à Paris chercher for-
tune.
Il avait vingt ans, il était joli garçon, et son
œil noir se fixa sur moi avrc un subit enthou-
siasme.
A l'âge cù il était, l'amour va vite.
Il avait sollicité la faveur de souper à ma
ta!i e. -
Avant la ,fin du repas, il était à mes pieds et
disait qu'il m'aimait*.
Je fus insensible — je ne songeais qu'à toi.
Cependant, le lendemain, je lai permis de me
suivre. 0
Le soif, nous entrâmes dans Paris, et nous
vinmes ici tout droit, ce qui fait que personne
ne l'a vu.
— Ah ! fit le margrave.
*— Le pauvre garçon n'est plus sorti de cette
maison, qui devait e're son tombeau. --
— coq)mellt! il est mo.rt?
— Oui. Il s'est, passé son êpée au travers du
corps4 dans un accès de désespoir amoureux, et
il m'a laissé pour unique héritage les papiers
que voilà et qui sont, d'abord son acte' de bap-
tême, pièce authentique, s'il en fut ; une lettre
de recommandation du gouverneur de sa pro-
vince pour le capitaine des gardes de Sa Ma-
jesté, car son unique ambition était d'entrer
dans' la maison roKige, enfin une lettre pour sa
sœur qui est mariée a un pauvre gentilhomme
de son pays.
— Et il est mort? dit le margrav
— Oui.
— Mais alors on a constaté son décès ?
— Non. Je l'ai fait jeter de nuit à la Seine.
Par conséquènt le jour où, redevenu jeune, tu
te présenteras chez le capitaine des gardes, tu
obtiendras sans difficulté la casaque de mous-
quetaire rêvée par le pauvre garçon.
Un sourire dédaigneux v:nt a'jx lèvres du
margrave.
— Le lendemain, poursuivit Janine, on ou-
vrira le testament de feu le prince maf,-,rave
de Lansbourg Nassau, et, devenast ton propre
héritier, tu renonceras à être mousquetaire pour
t'en aller prendre possession de ta princi-
pauté.
— Tout cela et fort bien, dit le margrave qui
attachait sur Janine un œil clair et investigateur.
Mais.:.
— Mais çuoif '
— Qui me dit que tu ne me trompes pas ?
Un rire dédaigneux vint aux lèvres de la femme
immortelle.
— Ah ! tu te défies de moi, fit-elle. Eh bien 1
'va-t'en alors, sois vieux, sois ca&sé et meurs.
— Janine.... f • - ^ $4
— Ah! fourbe, reprit-elle, triple traître, tu
voudrais que je. te rendisse ta jeunesse, que je te
donnasse l'immortalité pour iré vendre encore
après à des juges qui me feraient monter de
nouveau sur urf bûcher. Va-t'en ! va-t'en !
Et la colère qui brillait dans son regard brûla
les yeux du margrave. <
Alors une nouvelle épouvante le prit et il se
remit à genoux.
— Grâce ! dit-il.
— Non, va t'en, répéta-t elle.
Elle avait fait un signe aux deux négrillons,
qui firent un pas de retraite comme pour éclai-
rer le margrave et le ramener parle même che-
min.
Mais le margrave ne bougea.
Cet homme, qui n'avait de vieux que le corps
et dont l'esprit avait conservé toute sa péné-
trante activité, Pâme, toutes ses infernales ins-
pirations. venait de faire en lui-même ce raison-
nement: -
— Janine est aussi jeune, aùsSi belle qji'il y a
quarante années : serait -elie - ré«3'ile men t- iiamot.
S cent. le numéro . 'i JOURNAL 11 QUOTIDIEN S mit. le numéro
A.BONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris CP fr. Bfr. i8 &.
Départements.. & II <9
.. Administrateur i E. DELSÀUX.
.Ir" année. — JEUDI 10 SEPTEMBRE .{scs. — Ne R75
Directeur'Propriétaire. : JANMH.
Rédacteur en Ch-ef : A. DE B V I.ATHI ER-HRACELC HN*
BOEEAOX D;ABON IS BMENT : Î#« R««E Dr8Uo;,.'
ADMINISTRATION '. t3. place Breda.
PARIS, 9 SEPTEMBRE 1869
L'HOMME AUX 280 MILLIONS
Avez-vous tu la Petite Pfnse: trayant'-,
hier? V''
Alors vous y avez trouvé celte'îreuyelje -• nn
descendant de Pizarre, un Espagnol du Pé-
rou vient d'arriver à Bade, décidé à dépenser
. ses revenus efi Europe. Quels sont ces reve-
nus? On ne le dit pas. Mais on dit le chiffre
du capital, — 280 millions ! — Or, en suppo-
sant que cette fortuit soit placée en terre, et
qu'elle ne rapporte que deux et demi pour
cent, c'est encore sept millions par an que le
voyageur aurait à dépenser ; soit — 583,333
francs 33 centimes par mois; soit 119,176
francs 71 centimes par jour.
On est ébloui.
Pour ma part, je me suis demandé ce que
je ferais d'une pareille fortune, si, par mi-
racle, elle arrivait entre mes mains.
» Si j'étais riche?... » est un rêve qu'on
aime à faire cemme « si j'étais roi?... » -
Vous le dirais-je, j'ai cherché, et voici
l'emploi que je donnerais à mes revenus, si
ces revenus, comme ceux de l'Espagnol du
Pérou — montaient à sept millions :
A Paris, j'habiterais un hôtel -veste et
commode. L'air circulerait aisément dans de
grandes pièces. Les escaliers seraient enten-
dus dans le goût de ceux de Versailles et les
cheminées dans le goût de celles de Fontai-
bleau.
Cet hôtel serait meublé avec un grand
luxe. Mais avee un luxe purement artistique,
c'est-à-dire dans lequel la matière première
des objets n'entrerait que pour une faible
partie. Ainsi j'achèterais des tableaux et des
btatues. Jamais je ne commanderais d'avance
une œuvre d'art. Les commandes produisent
des œuvres médiocres, comme les concours
produisent des médiocrités. Mais je parcour-
rais les salons et -les atelioE'rs, et, lorsque je
trouverai une toile vraiment belle, ou un
marbre vraiment beau, j'en demanderais le
priX et je payerais'ce prix sans marchander.
Car cette toile ou ce marbre représenterait
pour moi l'invention de l'artiste, son travail,
le résultat d'un effort individuel en dehors de
toute intervention étrangère. Le talent doit
s'affirmer seul et de lui-même. Quand il est
prouvé pour tous, il doit être écrasé de ré-
; compenses. Un secours de cent écus accordé
à un arti&te sans talent est une prodigalité;
l'achat d'un tableau de cent mille francs,
pour un musée ou une galerie, est le meil-
leur emploi qne l'Etat ou. les particuliers
' puissent faire de leur'fortune.
Dans la cour, qui précèderait mon hôtel,
j'aurais des écuries; mais, dans ces écuries,
on chercherait en vain ce dernier mot de la
civilisation, les chevaux de courses, qui vont
très-vite, j'en conviens, lorsqu'ils sont bien
entraînés et bien montés, mais qui sont inca-
pables de traîner une chaise de poste pendant
dix lieues. Chacun place la beauté où il l'en-
tend. Pour mapart,les plus beaux chevaux du
monde sont les chevaux d'omnibus, nos Per-
cherons, dont les formes robustes sont en
même temps d'une si admirable proportion,
et dont les têtes au front large rappellent celles
des chevaux du Parthénon. Je n'aurais ni
cocher poudré, ni laquais à culotte courte, ni
chasseur à chapeau de général, mais bien des
postillons à grandes bottes, qui sauraient leurs
quatre fouets, et me conduiraient vite et bien
où j'aurais envie d'aller....
Ma terre, où je passerais l'automne, —l'au-
tomne est la saison de la nature française, —
serait située dans le Midi. De ma terrasse, le
regard suivrait les belles lignes des coteaux
du Rhône, et je trouverais dans un petit port
de la Méditerranée un yacht, pourvu d'une bi*
bliothèque,sur lequel je monterais lorsque j'é-
prouverais le besoin de me recueillir, seul en-
tre la mer et le ciel, n'emportant des hommes
que ce qu'ils ont de mieux, les livres, dans
lesquels ils ont mis leurs sentiments ou leurs
pensées.
La chasse est un plaisir royal. Soit. Je m'en
soucierais assez peu. Néanmoins, j'aurais des
bois, et, si ces bots étaient peuplés de gros
gibier nuisible aux cultures des alentours,
j'organiserais volontiers des battues.
Je chercherais à faire du bien dans l'arron-
dissement où se trouverait mon domaine. Je'
ne fonderais pas d'hôpitaux, ni de fermes-
modè'és, ni de maisons de refuge.
Mais je dirais aux maires de chaque com-
mune : — Donnez de ma part une petite pen-
sion aux travailleurs qui ont vieilli sans s'en-
richir, e* payez.aux parents pauvres la jour-
1 née de leurs enfants, afin qu'ils envoient ces
derniers à l'école. Les vieux seraient plus
heureux de manger du pain noir dans leur
village que du pain blanc dans un hospice, et
les parents n'auraient plus d'objections à faire
I lorsqu'il s'agirait d'enseigner à leurs fils la
lecture, l'écriture et le calcul. Il y a en nous
I comme un sixième sens que l'instruction seule
développe. C'est le sens des belles choses. Il
faut savoir, pour jouir d'un beau coucher de
soleil. Or, tout homme, par cela seul qu'il est
né, a le droit — en travaillant — de gagner
ce qui est nécessaire, à sa vie et d'arriver à
jouir d'un coucher de soleil.
Mais le bien qu'un individu peut faire,
quelque riche qu'il soit, est toujours peu de
chose relativement à ce lui qu'il peut inspirer.
Avec mes 280 millions, je serais indépen-
dant., La fortune n'est pas nécessaire pour
avoir des opinions et pour-y rester fidèle ;
mais elle est utile pour les manifester et les
répandre. w
La plupart des grands journaux,rédigés par
des gens très-honorables, sont la propriété
d'actionnaires ou de banquiers. A côté des ar-
ticles inspirés par une doctrine toujours res-
pectable, — ils contiennent une partie indus-
trielle souvent en contradiction avec l'au-
tre, et, dans cette partie, ils recomman-
dent des entreprises où s'eng'outissent les
économies des lecteurs crédules... Je consacre-
rais deux ou trois cent mille francs paran à
faire un journal sans annonces, le seul journal
vraiment honnête, selon moi. Je fonderais en-
core.un journal, et vous devinez lequel, chers
lecteurs: ce serait une petite feuille à un sou,
destinée à l'éducation de la chaumière et de
l'atelier....
Puis, toujours pour soutenir ce que je croi-
rais la bonne cause et l'intérêt du plus grand
nombre, j'aurais, (ne riez pas trop !) j'aurais
un avocat. Je prendrais celui auquel je trou-
verais !e plus de talent et dont les idées
s'accorderaient le mieux avec les miennes.
Je ferais feu de toutes mes influences, jour-
naux et propriétés, pour l'envoyer au Corps
législatif. Là, mon mandataire, fidèle au man-
dat impératif qu'il tiendrait de ses électeurs
et de moi, défendrait avec éclat les grandes
idées de justice. Surtout il élèverait la voix
en faveur des pauvres gens. Il développerait,
avec rautorité que donne la tribune, toutes
les formules de l'association, et, se détachant
de tout intérêt de gouvernement et de parti
pour ne s'occuper que du b1en public, il serait
écouté.
I
La session close et mon travail parisien
terminé, je ferais, comme il convient à un
homme très-riche, une part à la fantaisie
dans mon existence. Je n'irais pas, à Epsom,
risquer mon argent et mes jockeys. Je n'i-
rais pas non plus, à Bade, j,ouer.!é maximum,
pas plus que l'hiver je n'aurais passé mes
nuits au cercle à tailler le baccarat. Non.
Mais, en compagnie d'un ami ou d'une
femme intelligente, je m'endormirais volon-
tiers quelque soir dans le coin d'un wagon,
pour me réveiller, à cent lieues de là, au
pied des Alpes ou en face de l'Océan.
Ou bien encore, je visiterais quelque pays
étrange.r, mais jamais je ne voyagerais, un
crayon ou un guide à la main. J'irais, à la
faç.on de Sterne, heureux de trouver à chaque
pas une impression nouvelle dans l'aspect
des choses ou dans l'observation des hommes.
Je m'égarerais quelquefois, cherchant l'a-
venture, c'est-à-dire le plaisir dans l'imprévu.
C'est ainsi qu'au sortir de quelque ville, —
jadis capitale, — j'aimerais à prendre à tra-
vers champs, jusqu'à ce qu'au détour d'une
falaise, la mer sænos fin m'apparût à l'hori-
zon dans le brouillard et dans l'azur....
Décidément, l'homme aux 280 millions
serait bien heureux, s'il connaissait son bon-
heur. Hélas hrsqu'on est né riche, le con-
nait-on jamais?.. On suit la tradition, c'est-
à-dire les coutumes du milieu dans lequel on
a grandi;-on fait partie de trois cercles; on
entretient une actrice des petits théâtres; on
fait courir; on joue gros jeu, — et l'on bâille
de temps en temps. Quand on est las de passer
les jours et les nuits'à ne rien faire en s'agi-
tant beaucoup, on se marie, et, si par ma-I-
heur ne survient pas une demi-douzaine
d'enfants, qui, eux, ne seront, pas assez r:ches
pour se passer de travailler, on laisse à un
fils unique une fortune héréditaire, dont il se
servira de la même façon qu'on s'en est soi-
même servI.
Je n'y mets pas d'amertume. Du reste,
frapperais-je un peu sur les riches que je je
- frapperais pas sur les miens.... ~,
TONY RÉVILLON.
LA
FEMME IMMORTELLE
mess=""S4 PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIÈRE PARTIE
XLII
i -i- Qu'Cft-coique tout cela ? demanda le mar-
grave.....
— Le? papiers qui établissent qui tu es.
-'- Mais d'où proviennent ils? ' • ♦•••-
— Je vais te le dire : *
Tandis que je, revenais à Paris, fi4re de ma
. ,nouvelle découverte, me berçant de l'espoir que
. tu Bii'aii^er^us encore et que j,e,pourrais te ren-
îcdr«-'Céiteij0ïnesse et, cette beauté qui me tour-
.. Voir Jef I1tJIDér95 p£rus depuis le 21 juin.
nèrent la tête autrefois et faillirent m'être si
funestes; alors que je n'étais plus qu'à quelques
lieues de la gr ande ville, mon carrosse s'arrêta
dans une auberge située au bord de la route qui
passait en pleine forêt de Sénart.
Les voyageurs qui s'arrêtent là sont rares. Ce
soir-là, il n'y avait qu'un petit gentilhomme de
province, qui s'en venait à Paris chercher for-
tune.
Il avait vingt ans, il était joli garçon, et son
œil noir se fixa sur moi avrc un subit enthou-
siasme.
A l'âge cù il était, l'amour va vite.
Il avait sollicité la faveur de souper à ma
ta!i e. -
Avant la ,fin du repas, il était à mes pieds et
disait qu'il m'aimait*.
Je fus insensible — je ne songeais qu'à toi.
Cependant, le lendemain, je lai permis de me
suivre. 0
Le soif, nous entrâmes dans Paris, et nous
vinmes ici tout droit, ce qui fait que personne
ne l'a vu.
— Ah ! fit le margrave.
*— Le pauvre garçon n'est plus sorti de cette
maison, qui devait e're son tombeau. --
— coq)mellt! il est mo.rt?
— Oui. Il s'est, passé son êpée au travers du
corps4 dans un accès de désespoir amoureux, et
il m'a laissé pour unique héritage les papiers
que voilà et qui sont, d'abord son acte' de bap-
tême, pièce authentique, s'il en fut ; une lettre
de recommandation du gouverneur de sa pro-
vince pour le capitaine des gardes de Sa Ma-
jesté, car son unique ambition était d'entrer
dans' la maison roKige, enfin une lettre pour sa
sœur qui est mariée a un pauvre gentilhomme
de son pays.
— Et il est mort? dit le margrav
— Oui.
— Mais alors on a constaté son décès ?
— Non. Je l'ai fait jeter de nuit à la Seine.
Par conséquènt le jour où, redevenu jeune, tu
te présenteras chez le capitaine des gardes, tu
obtiendras sans difficulté la casaque de mous-
quetaire rêvée par le pauvre garçon.
Un sourire dédaigneux v:nt a'jx lèvres du
margrave.
— Le lendemain, poursuivit Janine, on ou-
vrira le testament de feu le prince maf,-,rave
de Lansbourg Nassau, et, devenast ton propre
héritier, tu renonceras à être mousquetaire pour
t'en aller prendre possession de ta princi-
pauté.
— Tout cela et fort bien, dit le margrave qui
attachait sur Janine un œil clair et investigateur.
Mais.:.
— Mais çuoif '
— Qui me dit que tu ne me trompes pas ?
Un rire dédaigneux vint aux lèvres de la femme
immortelle.
— Ah ! tu te défies de moi, fit-elle. Eh bien 1
'va-t'en alors, sois vieux, sois ca&sé et meurs.
— Janine.... f • - ^ $4
— Ah! fourbe, reprit-elle, triple traître, tu
voudrais que je. te rendisse ta jeunesse, que je te
donnasse l'immortalité pour iré vendre encore
après à des juges qui me feraient monter de
nouveau sur urf bûcher. Va-t'en ! va-t'en !
Et la colère qui brillait dans son regard brûla
les yeux du margrave. <
Alors une nouvelle épouvante le prit et il se
remit à genoux.
— Grâce ! dit-il.
— Non, va t'en, répéta-t elle.
Elle avait fait un signe aux deux négrillons,
qui firent un pas de retraite comme pour éclai-
rer le margrave et le ramener parle même che-
min.
Mais le margrave ne bougea.
Cet homme, qui n'avait de vieux que le corps
et dont l'esprit avait conservé toute sa péné-
trante activité, Pâme, toutes ses infernales ins-
pirations. venait de faire en lui-même ce raison-
nement: -
— Janine est aussi jeune, aùsSi belle qji'il y a
quarante années : serait -elie - ré«3'ile men t- iiamot.
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